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Des femmes arabes en Amérique latine ? Ce sujet pourrait apparaître comme relevant d’un fait minime, d’une anecdote. Et pourtant… Pourtant, l’immigration arabe a été et reste encore très importante dans l’ensemble de l’Amérique latine. D’abord à la fin du XIXe siècle, les populations venues du Moyen-Orient se sont installées en tant que commerçants. Cette expatriation comme ressource économique contribua à l’installation progressive des migrants d’origine arabe, économiquement parlant. L’espace commercial devient alors un espace social et un espace identitaire. Les vagues suivantes d’immigration sont elles plus liées aux contextes politiques des pays d’origine, comme les nombreux Palestiniens qui sont arrivés après la création d’Israël, après la Guerre des Six Jours en 1967 ou encore au lendemain de la seconde Intifada, au début des années 2000.
Selon un « guide de l’immigration arabe en Amérique latine » publié en 1941, presque 80% de ces migrants étaient des hommes, et dans ce contexte, les migrations féminines sont devenues dépendantes de celles des hommes : les femmes voyageaient aussi bien en tant que filles avec leurs parents, ou en tant qu’épouses. N’étaient-elles pourtant que des filles, épouses ou mères ? Ou les femmes d’origine arabe se sont-elles impliquées dans leurs pays d’accueil ?
Les femmes d’origine arabe en Amérique latine sont loin de s’épanouir comme leurs homologues masculins dans le monde des affaires, de l’art, ou de la politique. Et de fait, durant des années, aux yeux des sociétés latino-américaines mais aussi sur le plan de la recherche, les femmes d’origine arabe sont apparues comme pouvant être identifiées en tant qu’épouses, sœurs, filles, mères, etc. Aux yeux des gouvernements, elles étaient avant tout les accompagnatrices d’hommes qui sont venus en Amérique latine pour travailler. Et de fait, alors que les hommes, à leur arrivée en Amérique latine à la fin du XIXe siècle ont réalisé leur « rêve américain », représenté par leur insertion économique impressionnante, les femmes elles, ont simplement perçu le déracinement culturel que représentait cette venue. De plus, venant de sociétés patriarcales, et s’installant dans des sociétés patriarcales, ces femmes se sont vu imposer un modèle familial strict, où leur seul rôle était de rester au foyer.
Mais c’est dans cet espace que les femmes arabo-latinoaméricaines ont développé une sociabilité particulière. En effet, le foyer familial devient le lieu par excellence de défense de leur identité, avec la préservation des valeurs, de la cuisine, etc. : en son sein, « elles perpétuent ce sans quoi être arabe n’aurait simplement plus de sens ni de consistance » [1]. Elles sont donc les gardiennes d’une identité arabe, les préservatrices de traditions et de valeurs. Une illustration de cette préservation de la culture et de l’identité arabes se trouve dans le film Des femmes et des racines [2], tourné en Equateur, qui présente entre autres le portrait de trois femmes aux trajectoires complètement différentes et à la perception de la préservation de leur « arabité » bien distinctes. La première est ministre du Commerce extérieur, candidate à la présidence de son pays. La seconde est une prédicatrice musulmane, issue d’un couple mixte libano-équatorien, ayant pris conscience de sa vocation après qu’un imam venu du Mexique lui eut fait remarquer que le premier musulman était en réalité une musulmane, Khadîdja, première épouse du Prophète. Quant à la troisième, une militante pro-palestinienne, elle milite pour la cause arabe dans tout le continent. Ce sont ces trois perspectives que les femmes d’origine arabe ont su développer et mettre à profit au sein de l’Amérique latine. Et ces mêmes femmes affirment aussi être équatoriennes, colombiennes, argentines, ou chiliennes, comme si c’était bien cette dimension de leur identité, avec l’espace de liberté et d’autonomie qu’elle leur propose, qui constituait le cadre dans lequel peut s’épanouir et se perpétuer leur identité arabe. C’est donc aussi par ce biais que les femmes vont réussir petit à petit, à créer un lien entre leurs pays d’origine et leurs pays d’accueil, mais aussi à se mobiliser et à mobiliser leurs sociétés.
La participation des femmes d’origine arabe en dehors de l’espace clos que représente le cercle familial n’est pas le fait des premières générations installées, et il s’avère que l’accès à l’éducation et au monde du travail a été une porte ouverte pour l’entrée de ces femmes dans leurs sociétés.
La première implication des femmes s’est faite par le biais des associations. En effet, de nombreuses associations ont été créées, dans les pays d’origine et en Amérique latine, ayant pour objectif principal le lien interculturel. A la tête de la majorité de ces institutions se trouvaient des hommes, mais les femmes n’ont pas été absentes de leur création et de leur développement. Et même, des femmes ont commencé à organiser leurs propres institutions. Ainsi au Chili, entre 1924 et 1935, six associations de femmes furent créées, toutes dans le but de rassembler les populations migrantes. Pour les femmes, ces associations constituaient le lieu pour socialiser et partager leurs expériences migratoires en tant qu’arabes dans la société chilienne. Mais pas seulement. Elles leur ont également permis d’avoir accès à l’éducation et à des formations professionnelles, mais aussi de s’insérer dans la sphère publique, à travers des œuvres de charité. Un des exemples de cette implication a été la création, par une initiative féminine, d’un hôpital syro-libanais en Argentine au début des années 1920. Il s’agissait pour ces femmes de donner un accès aux soins à leurs compères, soignés par des médecins d’origine eux aussi syrienne ou libanaise, la solidarité communautaire apparaissant comme essentielle pour préserver un lien tangible, même fictif, avec la patrie d’origine.
L’on remarque bien qu’à cette époque, et jusque dans les années 1960, les femmes d’origine arabe concentrent leurs efforts sur leur insertion au sein des sociétés latino-américaines. Elles se focalisent essentiellement donc sur leurs propres conditions de migrantes, et non pas sur la situation politique de leur pays d’origine.
Pourtant peu à peu, les femmes jusque-là éloignées du monde politique et de ses enjeux, ont porté haut leurs voix et se sont impliquées. Le premier signe palpable de cette implication a été l’entrée dans les sphères publiques. Ainsi en 1965, deux femmes d’origine arabe, Juana Dip Muhana et Margarita Paluz Rivas, ont été élues au Parlement chilien. Juana Dip Muhana, la plus impliquée, est montée à la tribune à de nombreuses reprises pour porter la situation au Moyen-Orient et le rôle que pouvait jouer les femmes.
La forme de mobilisation changea également, les femmes revendiquant une implication plus forte dans manifestations de soutien aux peuples arabes. Ainsi au Chili, où la communauté palestinienne est la plus importante en dehors du monde arabe (on compte environ 350 000 Palestiniens au Chili, soit près de 2,3% de la population totale), les associations en soutien au peuple palestinien, et les femmes ne sont pas lésées dans cette démarche. Les étudiantes notamment prennent part aux débats et aux différentes actions menées. Le coup d’envoi de la mobilisation communautaire est notamment donné le samedi 6 avril 2002 : entre deux et cinq mille personnes, dont de nombreuses femmes, sont réunies autour du slogan « Por la paz y la vida en Palestina » (Pour la paix et la vie en Palestine), et manifestent face au Palais présidentiel de la Moneda pour dénoncer le siège de Yasser Arafat à la Muqata, à Ramallah. Pour la communauté palestinienne, il s’agit aussi de mobiliser la société chilienne sur le sujet. Et les femmes ont joué un rôle important dans cette sensibilisation sociétale, dans la mesure où les liens créées avec les femmes chiliennes dans leurs associations, leurs réunions interculturelles ont permis une plus grande perméabilité de cette question. Et c’est bien la cause palestinienne qui rassemble ces communautés arabes avec leurs sociétés d’accueil. Ainsi, les femmes ont été au premier rang des manifestations contre l’occupation israélienne des Territoires palestiniens, sur le parvis de l’Ambassade d’Israël à Buenos Aires, en Argentine. Ce « nationalisme à distance » [3] a donc permis aux femmes d’origine arabe de faire entendre leurs voix pour leurs pays d’origine dans leurs pays d’accueil, leur a permis d’exporter des revendications en dehors de leurs territoires nationaux, et de prendre part à une nouvelle forme d’insertion nationale.
La question des femmes d’origine arabe en Amérique n’est donc pas une question anecdotique. Elle soulève à la fois le sujet de l’immigration, du lien entre patrie d’origine et patrie d’accueil. Elle pose la question des similitudes et des différences quant au statut de la femme. Elle porte enfin l’importance des liens interculturels qui se sont crées, faisant ainsi de ces femmes les détentrices d’un échange et d’une représentativité particulière de leur double identité.
Bibliographie :
– BAEZA, Cecilia, Les Palestiniens d’Amérique Latine et la cause palestinienne (Chili, Brésil, Honduras – 1920-2010), Thèse de doctorat, Sciences politiques et relations internationales, Paris, IEP, 2010, 589 p.
– ROUSSILLON, Alain, « Diasporas arabes en Amérique latine ? », Transcontinentales, n°4, 1er semestre 2007.
– « Arab women in Latin America », Al-Raida, n°133-134, printemps-été 2011.
Anaïs Mit
Elève à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, Anaïs Mit étudie les Relations Internationales en master 2, après avoir obtenu une licence d’Histoire à l’Université de Poitiers. Elle écrit actuellement un mémoire sur la coopération politique, économique et culturelle entre l’Amérique latine (Venezuela, Brésil et Chili) et les Territoires palestiniens.
Notes
[1] ROUSSILLON, Alain, « Diasporas arabes en Amérique latine ? », Transcontinentales, n°4, 1er semestre 2007.
[2] Mujeres y raíces, real. Ahmad Rashwan.
[3] « Le nationalisme à distance est un ensemble de revendications identitaires et de pratiques qui connectent des individus vivant dans plusieurs lieux géographiques à un territoire spécifique qu’ils perçoivent comme leur patrie d’origine. Les actions entreprises par les nationalistes à distance à l’égard de leur patrie ancestrale présumée peuvent inclure le vote, des manifestations, du lobbying, de l’envoi d’argent, la création artistique, le combat, des assassinats et la mort. […] Le nationalisme à distance diffère d’autres formes de nationalisme quant à la nature de la relation entre les membres de la nation et le territoire national. Les frontières nationales ne sont pas pensées comme délimitant l’appartenance à la nation. Les membres de la nation peuvent vivre partout sur la planète et même posséder la citoyenneté d’autres Etats. Cela n’abroge pas, dans la vision des nationalistes à distance, la relation entre les membres de la nation et leur patrie nationale. Les nationalistes à distance sont censés maintenir une loyauté à leur patrie d’origine et sur la base de cet attachement, entreprendre les actions dont a besoin cette patrie. » Nina Glick-Shiller.
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