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La désagrégation de l’Empire ottoman est tout autant externe qu’interne. Un certain nombre de modernistes turcs, dont Mustapha Kemal et Envers Pacha veulent accentuer et approfondir le Tanzimat pour moderniser et occidentaliser l’Empire : urbanisation des territoires, réformes agricoles, laïcisation de l’école et de la Justice, ouverture de l’enseignement aux femmes… En 1889, ils se constituent en Société de la liberté et deviennent populaires au sein de l’armée. En 1908, ils renversent le sultan et prennent le pouvoir avec la devise « liberté, égalité, fraternité », empruntée à la Révolution française. Pourtant, si les jeunes Turcs ont un projet politique progressiste qui vise à redresser l’Empire et à accorder plus de droits aux minorités, ils développent petit à petit dans la même mouvance que le reste de l’Europe une idéologique ultranationaliste qui consiste à vouloir réunir tous les peuples turcs dans un même État. Cette politique implique une répression sévère des minorités ethniques et religieuses et une aversion particulière pour les minorités chrétiennes rebelles. En 1908, l’incapacité du Comité Union et Progrès des jeunes Turcs à créer leur gouvernement plonge l’Empire dans une nouvelle crise politique.
En parallèle, les nouveaux États bulgare, grec et serbe souhaitent agrandir leur territoire et profiter de l’instabilité politique chronique de l’Empire : en petite Serbie indépendante, le groupe nationaliste panslave soutenu par le roi Pierre 1er veut réunifier tous les peuples slaves du sud dans un même État yougoslave sous gouvernement serbe. Ses ambitions claires d’expansion en Bosnie-Herzégovine poussent l’Autriche-Hongrie à annexer définitivement le territoire, jusqu’à présent toujours formellement sous souveraineté ottomane. Ce coup de force autrichien affaiblit les ambitions serbes qui se projettent désormais dans la conquête des territoires européens ottomans [1]. La Bulgarie, encore partiellement sous administration ottomane, décrète son entière indépendance et projette de récupérer la Thrace et la Macédoine. La Grèce quant à elle récupère la Crète. Enfin, des révoltes dans le vilayet d’Albanie mènent à son indépendance en 1912.
Face au durcissement des politiques des jeunes Turcs dans les Balkans, les nouveaux États balkaniques s’organisent pour récupérer les territoires ottomans européens (Macédoine, Thrace, Sandjak, Kosovo…). En février 1912, la Serbie et la Bulgarie concluent une alliance contre l’Autriche-Hongrie et l’Empire ottoman [2]. En mai puis en octobre, la Grèce et le Monténégro les rejoignent et ils créent ensemble la ligue balkanique. La constitution de cette alliance inquiète les grandes puissances : la France et l’Empire britannique, qui craignent l’influence russe grandissante dans la région, s’accordent pour encourager des réformes internes à l’Empire ottoman. L’Allemagne quant à elle soutient l’Empire ottoman et l’Autriche-Hongrie contre la Ligue et la Russie, s’opposant catégoriquement à la création d’un grand État slave.
Le 18 octobre 1912, la ligue balkanique nouvellement constituée déclare la guerre à l’Empire ottoman et l’emporte en un peu plus de 7 mois. Le traité de Londres le 30 mai 1913 met fin à la première guerre des Balkans : l’ensemble des territoires de l’ouest de l’Empire ottoman est réparti entres les alliés de la ligue. L’Albanie devient officiellement indépendante malgré son occupation totale par la Grèce, le Monténégro et la Serbie au moment du cessez-le-feu.
Cependant, des points de frictions demeurent entre la Bulgarie et la Serbie, et la Bulgarie et la Grèce concernant la répartition de la Macédoine. Face à un ennemi commun, la Grèce et la Serbie s’allient contre la Bulgarie et lui déclarent la guerre le 16 juin 1913. Le 18 juillet, la Bulgarie s’avoue vaincue et demande l’armistice. Elle renonce officiellement à la Macédoine et cède une partie de son territoire à son allié roumain. Elle accorde également au traité de Constantinople une partie de ses terres à l’Empire ottoman. Ce conflit marque également la rupture de l’alliance entre la Russie - proche de la Serbie - et de la Bulgarie et par conséquent l’éclatement de la coalition slave.
Finalement, les traités de Bucarest et de Constantinople modifient considérablement la géographie étatique de la région : la Bulgarie agrandit son territoire de 16% malgré la perte d’une grande partie des territoires conquis pendant la première guerre des Balkans. Elle récupère notamment un accès à la Méditerranée. Le Monténégro, la Serbie et la Grèce doublent leur territoire. La Macédoine est quant à elle divisée en quatre : la Grèce obtient le Sud, la Serbie le Nord (République de Macédoine actuelle), la Bulgarie la région du Pirin et l’Albanie une partie des territoires de l’ouest. L’Empire ottoman en Europe est définitivement réduit à la Thrace orientale et à Istanbul.
Malgré les différentes crises qui ont secoué les Balkans au début du XXème siècle, la paix a été maintenue en Europe. Malgré la psychose de guerre qui s’installe, les grandes puissances sont toujours parvenues à amorcer une désescalade en refusant de faire jouer les alliances. La France et l’Allemagne, malgré l’implication directe dans les conflits balkaniques de leurs alliés (Serbie et Russie pour la France / Autriche-Hongrie et Empire ottoman pour l’Allemagne) ont toujours appelé à la retenue et à la résolution de conflit via l’arbitrage européen. Ces décisions ont sans aucun doute évité le déclenchement d’une guerre générale.
Pourtant, la zone balkanique reste une poudrière, où les revendications et frustrations nationales n’ont pas été réglées. Alors que la Serbie n’a pas pu récupérer la Bosnie-Herzégovine, annexée par l’Autriche-Hongrie, les mouvements nationalistes yougoslaves se multiplient. Le 28 juin 1914, lors d’une visite en Bosnie, l’archiduc héritier d’Autriche François Ferdinand est assassiné par un groupe de conspirateurs partisans de la « Grande Serbie yougoslave ». Même si aucune preuve n’est à ce jour avérée, un des conspirateurs arrêté déclare que les armes ont bien été fournies par le gouvernement serbe. Un mois plus tard le 23 juillet, l’Empereur François Joseph lance un ultimatum à la Serbie avec l’appui de l’Empereur d’Allemagne Guillaume II. Cet ultimatum, pourtant prêt dès le 5 juillet, est remis à la Serbie le 23 juillet, ce qui coïncide à la date de retour du président français Poincaré et du président du conseil Viviani de Russie, par la mer. En compliquant ainsi les communications entre la France et la Russie, l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie prennent le risque d’une guerre européenne mais espèrent pouvoir contenir le conflit aux Balkans. Ils savent tout deux que Belgrade ne pourra pas accepter l’ensemble des points imposés par l’ultimatum : l’article 6 qui imposait l’implication de l’Autriche-Hongrie dans l’enquête en Serbie pour déterminer les responsabilités de l’attentat est en effet rejeté. Le 28 juillet, l’Autriche-Hongrie déclare la guerre à la Serbie et bombarde Belgrade. Son objectif est d’une fois pour toute détruire la Serbie pour en finir avec le danger que constituent pour les Habsbourg les aspirations unitaires des Slaves du sud. L’attentat de Sarajevo n’est ainsi ni plus ni moins qu’un chèque en blanc, offert par les nationalistes slaves au gouvernement de Vienne [3]. Face à cette attaque de l’Autriche-Hongrie sur son plus proche allié dans les Balkans, la Russie réagit en mobilisant. Elle a encore en mémoire l’humiliation de l’annexion par l’Autriche-Hongrie de la Bosnie Herzégovine et de ses hésitations en 1912 et en 1913 lors des deux guerres des Balkans. Si elle ne réagit pas cette fois-ci encore, elle risque de perdre son influence et sa crédibilité dans les Balkans. Le 31 juillet, l’Allemagne somme la Russie d’arrêter sa mobilisation et lance un ultimatum à la France pour qu’elle fasse pression sur la Russie. Sans réponse de la part de la France, l’Allemagne mobilise à son tour et déclare la guerre à la Russie le 1er août. En réaction, la France mobilise le 3 août et se voit déclarer la guerre par l’Allemagne. Alors qu’elle espérait encore trouver une alternative, la Grande-Bretagne se voit obliger de rentrer en guerre avec l’Allemagne le 4 août quand celle-ci envahit la Belgique. En moins de deux semaines, cette nouvelle crise balkanique s’est transformée cette fois en conflit généralisé : c’est le début de la Première Guerre mondiale.
Bibliographie :
– BECKER Jean-Jacques, La guerre dans les Balkans (1912-1919), Matériaux pour l’histoire de notre temps, 2003.
– BERSTEIN Serge, MILZA Pierre, « Histoire du XX siècle, la fin du monde européen 1900-1945 tome 1 », aout 1996, Hatier.
– EYBALIN Nicolas, La première guerre mondiale commence dans les Balkans, L’Éléphant, janvier 2013.
– GUEGUEN Mandi, 80% de musulmans en Albanie, Le courrier des Balkans, 25 octobre 2009.
– NIKCEVIC Jasmina, Les idées de la révolution française dans l’œuvre politique et littéraire de Rhigas Velestinlis (1757-1798), Université du Monténégro, 2014.
– NIKOLOV Tsvetan, L’insurrection d’avril 1876 a remis à l’ordre du jour, la question de l’indépendance bulgare, radio nationale bulgare, 20 avril 2012.
– SAVES Joseph, les Russes, de San Stefano au Congrès de Berlin, herodote.net, 16 janvier 2020.
Louise Martin
Louise Martin diplômée de Sciences Po. C’est au cours de son cursus et plus particulièrement de son année de césure qu’elle se passionne pour le Moyen-Orient et ses problématiques. En master, elle rédige son mémoire de fin d’études autour de la résolution des conflits kurdes puis effectue son stage de fin d’études comme analyste Moyen-Orient au Ministère des Armées.
Notes
[1] EYBALIN Nicolas, La première guerre mondiale commence dans les Balkans, L’Éléphant, janvier 2013.
[2] BECKER Jean-Jacques, La guerre dans les Balkans (1912-1919), Matériaux pour l’histoire de notre temps, 2003.
[3] BERSTEIN Serge, MILZA Pierre, « Histoire du XX siècle, la fin du monde européen 1900-1945 tome 1 », aout 1996, Hatier.
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