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Depuis la découverte des hydrocarbures dans les années 1950 dans la péninsule arabique, les pays du Golfe attirent d’importants flux de populations. Ces flux se sont accentués à partir des années 1970, et les pays membres du Conseil de Coopération du Golfe (CCG) (1) constituent aujourd’hui un des plus gros foyers mondiaux de réception des migrants internationaux.
Les travailleurs étrangers dans les pays du CCG étaient 500 000 en 1970, ils sont aujourd’hui plus de 25 millions. Sur les six Etats faisant partie du Conseil de coopération du Golfe, seuls l’Arabie saoudite et Oman ont une population nationale supérieure aux ressortissants étrangers venus travailler dans les pétromonarchies. Cet important déséquilibre est probablement accentué puisque l’on sait que ces chiffres sont minimisés par les autorités. Longtemps, la proportion exacte d’étrangers dans les Etats du CCG est restée taboue.
Les travailleurs immigrés dans le Golfe viennent du monde entier et ont différents niveaux de connaissance et de formation. Certains viennent d’Occident (ingénieurs, membres des conseils d’administration d’entreprise), la main d’œuvre qualifiée est arabe ou indienne, et les emplois non qualifiés (emplois domestiques ou dans le bâtiment pour l’essentiel) sont occupés par des Népalais, des Bangladais, des Philippins, des Indonésiens et des Pakistanais. La majorité (plus de 50%) vient d’Asie.
Tableau : Les résidents étrangers dans les pays du Golfe Arabo-Persique
Source : Nazim Kurundeyr, « Derrière l’eldorado, l’Enfer », Manière de voir, Le Monde Diplomatique n°147, Juin-juillet 2016
Carte : Les travailleurs immigrés du Golfe Arabo-Persique
Ces chiffres ne concernent que les migrants légaux, ayant obtenu un contrat de travail et donc un droit d’entrée et un permis de résidence. Or, l’immigration clandestine est importante. En 2007 à Dubaï seulement, il y aurait eu 87 000 clandestins (2).
Cette surreprésentation des étrangers dans la population nationale pousse les Etats du CCG à prendre des mesures relatives au marché du travail. Les gouvernements fixent des quotas de nationaux devant travailler dans les entreprises, mettent en place des calendriers à respecter. « L’immigration ne doit être que la solution temporaire à un besoin conjoncturel » (3). Mais ces mesures font face à plusieurs obstacles. D’un point de vue purement démographique, les Etats du Golfe ne peuvent répondre à la demande de main d’œuvre. La croissance économique est trop importante par rapport aux populations, et ce d’autant que les femmes travaillent peu. De plus, les populations locales ne sont souvent pas assez qualifiées pour les postes proposés car mal formées, et elles préfèrent ne pas accomplir des tâches pénibles ou faiblement rémunérées. L’Etat est souvent un gros employeur de main d’œuvre nationale et pourvoit les emplois publics pour ses ressortissants, avec des salaires attractifs comparés à ceux du privé. Ainsi, en Arabie saoudite, l’Etat emploie aujourd’hui 70% de la population active. Il semblerait que les économies des Etats du Golfe ne puissent pas se priver de la main d’œuvre étrangère.
Pour la main d’œuvre étrangère, l’attrait des pays du Golfe est lié à la croissance économique importante et continue depuis plusieurs décennies, soutenue par la rente des hydrocarbures. Les perspectives financières sont attractives, et les migrants du monde entier affluent. Mais les conditions de travail sont réputées difficiles, et il faut parfois s’endetter pour acheter son contrat de travail.
La question des travailleurs immigrés dans le Golfe revient régulièrement dans la presse, en particulier actuellement en lien avec la construction des infrastructures pour le mondial de football qui se déroulera en 2022 au Qatar. Les conditions de travail des ouvriers sur les chantiers du mondial est particulièrement évoquée, et fait écho aux nombreuses protestations internationales depuis les années 1950, et notamment aux scandales des années 1990/2000 pendant le boom immobilier. Les conditions de travail des immigrés asiatiques sont décrites comme extrêmement difficiles et de nombreux morts sont à déplorer sur les chantiers.
Ces conditions de travail font l’objet de rapports par les associations de défense des droits de l’homme, à l’instar d’Amnesty International ou de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH), qui les qualifient d’« esclavage moderne ». Il faut toutefois faire la distinction entre les travailleurs qualifiés occidentaux, arabes, indiens, coréens ou japonais et les travailleurs asiatiques et africains non qualifiés.
Pour tous, c’est-à-dire pour les travailleurs qualifiés et non qualifiés, le statut de travailleur immigré dans le Golfe est précaire. Il est difficile pour les migrants, s’ils le souhaitent, de rester dans le Golfe après la fin de leur contrat. Quelques mesures de naturalisation existent, mais elles sont extrêmement contraignantes. Ainsi dans un article paru en juin 2016 dans Manière de voir, Le Monde Diplomatique, Nazim Kurundeyr cite les propos d’un haut responsable qatari : « Le « deal » est clair : ils sont ici pour travailler, gagner de l’argent, en transférer une partie à leur famille et repartir. Nous ne pratiquons pas l’assimilation ou l’intégration. Les étrangers sont appelés à repartir chez eux au terme de leur contrat ». Il est parfois complexe d’obtenir un titre de séjour et le droit de travailler dans ces pays. Le droit est discrétionnaire, et les expatriés ont moins de droits que les locaux. Le salaire est lui aussi inférieur à celui de la population régionale. Au moindre problème, le salarié peut être renvoyé chez lui.
Les Etats du Golfe ont mis en place la kafala, qui désigne à l’origine dans le droit musulman une tutelle sans filiation des enfants mineurs abandonnés. Dans les pays du CCG toutefois, il s’agit désormais d’une mesure « qui oblige tout étranger désireux de travailler et de résider dans le pays à trouver un kafil qui le parraine en échange d’une redevance et qui est légalement responsable de lui » (4). Quelle que soit la nationalité ou le niveau de qualification, les immigrés doivent se conformer à cette obligation, qui n’est toutefois pas appliquée avec la même rigueur selon les Etats de la région. Les parrains (kafil) peuvent être des entreprises, des associations ou de simples citoyens. De nombreux abus découlent de cette mesure, notamment pour les travailleurs non qualifiés. Les employés doivent souvent remettre leur passeport à leur parrain qui contrôle leurs déplacements et les autorise ou non à sortir du territoire. C’est la kafala qui est dénoncée par les associations de protection des droits de l’homme. Elle donne tous les droits au kafil : détention arbitraire, interdiction de culte, non-paiement des salaires… les Emirats arabes unis ont aboli la kafala professionnelle en 2008 face à la pression internationale, mais les autres membres du CCG l’appliquent toujours.
Malgré ces conditions de travail difficiles, la main d’œuvre continue d’affluer. Les perspectives financières demeurent très attractives dans les pays du Golfe, pour toutes les catégories de travailleurs.
Notes :
(1) Le Conseil de Coopération du Golfe regroupe l’Arabie saoudite, les 7 Emirats arabes unis, Oman, le Qatar, Bahreïn et Koweït.
(2) Philippe Cadène et Brigitte Dumortier, « L’impact politique des flux migratoires dans les États du Conseil de Coopération du Golfe », L’Espace Politique, 2008.
(3) Ibid.
(4) Ibid.
Sources :
– Philippe Cadène et Brigitte Dumortier, « L’impact politique des flux migratoires dans les États du Conseil de Coopération du Golfe », L’Espace Politique [En ligne], 4 | 2008-1, mis en ligne le 11 mai 2009, consulté le 28 février 2017.
– Nazim Kurundeyr, « Derrière l’eldorado, l’Enfer », Manière de voir, Le Monde diplomatique n°147, Juin-juillet 2016
– Pierre Jovanovic, « Le Qatar veut conserver la « Kafala » pour les travailleurs immigrés », La Croix, le 24/06/2015 à 13h48
– Stéphane Lagarde, « Etats du Golfe : 90 ONG et syndicats dénoncent le « kafala » », RFI, le 23-11-2014
Oriane Huchon
Oriane Huchon est diplômée d’une double licence histoire-anglais de la Sorbonne, d’un master de géopolitique de l’Université Paris 1 et de l’École normale supérieure. Elle étudie actuellement l’arabe littéral et syro-libanais à l’I.N.A.L.C.O. Son stage de fin d’études dans une mission militaire à l’étranger lui a permis de mener des travaux de recherche sur les questions d’armement et sur les enjeux français à l’étranger.
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