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Les missions catholiques au Levant (XIXe-XXe siècles)

Par Cosima Flateau
Publié le 27/06/2013 • modifié le 07/03/2018 • Durée de lecture : 7 minutes

Le dynamisme des missions catholiques en Orient (XIXe siècle-1945)

Au début des Tanzimat, les chrétiens de Syrie profitent d’une nette amélioration de leur situation au sein de l’Empire ottoman. En effet, dans le programme de réforme visant à moderniser l’Empire et à en faire une grande puissance, les autorités ottomanes ne se contentent pas de s’attaquer à la réorganisation de l’armée ou des finances publiques. Elles entendent également mettre sur pied un Etat séculier, avec de nouvelles institutions ouvertes à tous, sans distinction de religion. La proclamation de deux édits vient confirmer cette volonté de sécularisation de l’Empire : en 1839, la khatt-i cherîf (charte impériale) de Gülkhâne garantit à tous les sujets de l’Empire la sécurité et la prospérité, grâce à une plus grande égalité fiscale ; en 1856, la khatt-i hûmayûn reconnaît aux minorités la liberté de culte et l’égalité avec les musulmans devant la justice et l’impôt. Ces droits nouveaux sont accordés aux chrétiens dans le cadre d’une communauté religieuse, selon le système du millet. Loin de conduire à la disparition ou à l’affaiblissement des églises orientales, les réformes engendrent donc la reconnaissance institutionnelle de leurs structures. Le statut de dhimmis de ces chrétiens protégés dans l’Empire ottoman leur impose certaines interdictions et obligations : ils ne peuvent porter d’armes ni monter à cheval, et sont contraints de payer un impôt particulier, la jizya. Ce statut néanmoins ne s’applique pas partout avec la même rigueur, et dans certaines villes où la population chrétienne est importante, il est appliqué avec davantage de souplesse que dans des villes à très forte majorité musulmane. Les réformes ottomanes favorables aux chrétiens, associées à l’expansion européenne qui s’appuie sur ces chrétiens pour consolider son influence au Levant, engendrent une modification de la place des chrétiens dans le paysage social. Ils participent activement aux échanges économiques entre l’Europe et le Levant, et leur rôle d’intermédiaire les constitue en une nouvelle bourgeoisie en plein essor. Ils offrent aux puissances européennes leurs services dans les consulats, comme interprètes (drogmans) par exemple.

Le début du XIXe siècle est également une période favorable à l’expansion missionnaire européenne outre-mer, qui connaît un essor considérable. Les Ottomans, avides de modernisation, la voient arriver d’un œil relativement favorable par l’intermédiaire des missionnaires. L’ingérence des puissances occidentales, notamment économique, dans le cadre des Tanzimat, favorise l’octroi aux missionnaires d’une certaine liberté dans les régions de l’Empire fortement marqués par une empreinte chrétienne, ainsi que dans les villes. Enfin, du point de vue européen, les missions s’ancrent dans une politique d’extension de l’influence des différents pays au Proche-Orient, dans le cadre d’une politique d’expansion impériale plus ou moins directe. Néanmoins, le caractère véritablement organisé de ces missions, et le soutien politique qui va de pair, se met progressivement en place au cours du XIXe siècle. En France, par exemple, ce n’est qu’à partir de la fin des années 1880 que des crédits publics sont consacrés, sous forme d’allocations portant le nom de « crédits d’Orients », aux œuvres françaises dans l’Empire ottoman.

C’est la Deuxième Guerre mondiale qui va mettre un terme à plus de 100 ans de présence active au Levant. C’est en Syrie notamment que la liquidation de la présence missionnaire française sera la plus marquée. A la suite de la non-ratification du traité franco-syrien (1936), l’effervescence politique en Syrie n’est plus favorable à la défense pas la France de l’activité missionnaire. La perspective d’une guerre fait passer les intérêts impériaux avant les considérations affectives sur le sort des chrétiens d’Orient : il s’agit avant tout de constituer une armée sur un champ d’opération à venir. A partir de 1939, la constitution syrienne est suspendue, le pays passe sous gestion directe du haut-commissariat, et le statut des communautés religieuses est abandonné. Les musulmans sont largement majoritaires en Syrie, et la France espère jouer la carte de l’islam pour contrer le nationalisme arabe. Après la fin du mandat en 1946, les œuvres chrétiennes de Syrie sont liquidées, et leurs activités transférées au pays nouvellement indépendant.

Les missions… de ces missions

Cet élan missionnaire, qui suscite bien des vocations et des créations d’ordres nouveaux, ne se fait pas de manière complètement désordonnée. Au contraire, les autorités de l’Eglise catholique, et plus particulièrement le Saint-Siège, mettent sur pied des structures destinées à l’organiser et à le contrôler. Le pape Pie IX rétablit en 1918 la Sacrée Congrégation de la Propaganda Fide, supprimé dix ans auparavant, qui joue le premier rôle dans la stratégie missionnaire. A la tête de cette institution siège un cardinal Préfet, qui reçoit le courrier et règle avec ses secrétaires les affaires problématiques. Il a pour ambition de protéger les missions contre la volonté des Etats de les utiliser à des fins politiques et de les contrôler. Il envoie sur place son délégué apostolique, généralement un homme de terrain ayant une bonne connaissance de la région, chargé de le représenter au niveau local et de régler à cette échelle le maximum de questions, et de soustraire autant que possible les missionnaires latins au pouvoir du consul de France.

Sous la houlette de cette institution, les missions ont pour tâche de contrôler et de former le clergé des églises orientales. Depuis le XVIIe siècle, il est convenu que les rites liturgiques orientaux doivent être conservés : les catholiques orientaux conservent leur tradition, tout en reconnaissant la primauté du pape et les dogmes de l’Eglise catholique. Ce respect des différences de culte n’empêche pas qu’il faille unifier la discipline, et éventuellement remettre sur pied des églises locales considérées comme mal gérées par un clergé peu consciencieux. La description du clergé jugé incapable donne la première direction à suivre : il s’agit de mieux le former, notamment parce que la concurrence des missionnaires protestants tend à faire de l’ombre aux missions catholiques. Le clergé sera donc formé selon des normes latines, à Rome ou dans des établissements créés par les patriarches orientaux. Ce renouveau de la formation intellectuelle accompagne la renaissance culturelle arabe, qui s’épanouit à partir de la deuxième moitié du XIXe siècle, la Nahda. Mais l’instruction ne se fait pas seulement à destination du clergé : la plupart des congrégations missionnaires qui partent au Proche-Orient sont des congrégations enseignantes. Jésuites, Sœurs de Saint-Joseph de l’Apparition, Dominicains, Lazaristes ouvrent des écoles principalement destinées aux chrétiens locaux, mais qui accueillent également des enfants d’autres confessions religieuses. C’est à cette époque par exemple qu’est fondée l’Université Saint-Joseph de Beyrouth par les missionnaires de la Compagnie de Jésus, qui deviendra l’une des universités les plus renommées de la région ; c’est aussi à cette époque qu’est créé le collège de Lazaristes de Damas.

Enfin, il s’agit pour les missionnaires catholiques de contrer l’influence croissante du protestantisme en Orient. Les missionnaires protestants sont perçus comme des « agents de Satan » par les missionnaires et comment les agents de la Grande-Bretagne par les autorités politiques françaises. Ainsi, la France et le Saint-Siège se trouvent d’accord sur la nécessité d’éradiquer la présence protestante en Orient. L’autre concurrent des missions catholiques est la religion orthodoxe, soutenue par la Russie, qui représente également une hérésie religieuse et une tentative traditionnelle de la Russie d’acquérir une influence sur la région dans l’espoir d’accéder aux mers chaudes. L’anticléricalisme de la République française n’est donc pas un article d’exportation ; autorités civiles et religieuses ont un intérêt réciproque à soutenir leur action dans la région.

Les relations entre autorités laïques et missions religieuses

Cette entente outre-mer entre les autorités civiles et religieuses s’ancre dans une tradition qui remonte au XIIIe siècle : la protection des chrétiens d’Orient. Elle repose sur le principe des Capitulations, concédées par le Sultan à la cour de France, depuis François Ier. Depuis le XVIIIe siècle, la France revendique l’exclusivité de cette protection : elle concerne tous les catholiques européens vivant dans l’Empire, quelle que soit leur nationalité. Cette protection prend la forme d’une intercession d’une puissance occidentale - en l’occurrence la France - à l’égard d’une minorité de l’Empire ottoman. Mais cette protection va de pair avec l’affirmation des ambitions politiques du pays protecteur, qui se sert des missions pour assurer son rayonnement. Mais au XIXe siècle, cette protection n’est plus l’apanage de la France. La France continue cependant d’accorder son soutien aux missions, et même le renforce à partir de la seconde moitié du XIXe siècle. Il s’agit d’un soutien politique (protection contre les violences, protection juridique) et financier (par l’allocation de crédits, progressivement définis et continuellement en augmentation). En contrepartie, les missions fournit des informations (de nature scientifique – beaucoup de missionnaires mènent des enquêtes sociales, anthropologiques, scientifiques – ou politiques).

Dans le cadre de la protection, les missions se trouvent donc des protecteurs, dont elles sont aussi dépendantes. Les missions françaises ont comme protecteur naturel le consul, représentant sur place les intérêts de sa communauté nationale, exerçant en particulier des fonctions de police et de justice. Mais comme les consuls sont en même temps chargés de veiller à ce que les actions des missionnaires servent la politique de la France et n’y fassent pas obstruction, les missions se cherchent également des protecteurs alternatifs, pour diminuer leur dépendance. C’est des consuls d’autres nationalités que la leur, des autorités locales ou séculières qu’ils peuvent se rapprocher : différentes communautés ont de bons rapports avec les représentants de l’Empire ottoman. Leur bienveillance est particulièrement nécessaire lorsqu’il s’agit de créer de nouveaux établissements et d’obtenir des secours financiers. Enfin, de bonnes relations avec les notables chrétiens locaux peuvent aussi permettre de trouver des financements, pour la construction d’églises par exemple.

Les missions religieuses chrétiennes connaissent un essor important au Proche-Orient à partir du XIXe siècle. Elles reflètent les nouvelles préoccupations de l’Eglise catholique, et l’organisation que cette dernière met en place pour poursuivre ses objectifs ; elle s’ancre aussi dans le contexte d’une expansion coloniale européenne outre-mer, qui voit dans l’appui aux œuvres missionnaires un atout pour son rayonnement.

Lire également : La France et le Levant (1860-1920)

Bibliographie :
 RIFFIER, Jean, Les Œuvres françaises en Syrie (1860-1923), L’Harmattan, 2000.
 VERDEIL, Chantal, La Mission jésuite du Mont-Liban et de Syrie (1830-1864), Les Indes savantes, 2011.
 BOCQUET, Jérôme, La France, l’Eglise et le Baas, Paris, Les Indes savantes, 2008.

Publié le 27/06/2013


Agrégée d’histoire, élève à l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm, les recherches doctorales de Cosima Flateau portent sur la session du sandjak d’Alexandrette à la Turquie (1920-1950), après un master sur la construction de la frontière nord de la Syrie sous le mandat français (1920-1936).


 


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