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Les missions de St John Philby auprès d’Ibn Saoud : janvier 1917- octobre 1918 (1/4)

Par Yves Brillet
Publié le 08/12/2017 • modifié le 27/04/2023 • Durée de lecture : 10 minutes

Portrait non daté du roi Abdel Aziz ibn Séoud d’Arabie Saoudite, 1er souverain de la dynastie saoudienne.

AFP

Les Missions de St John Philby auprès d’Ibn Saoud : janvier 1917-octobre 1918, termine la série d’études consacrées à l’histoire des rapports entre Ibn Saoud et la Grande-Bretagne au cours des quatre années de la Première Guerre mondiale.

L’évolution de la situation à partir de janvier 1917 : une absence de résultats probants

Suite à la réunion organisée au Koweït en novembre 1916 entre Ibn Saoud et Sir Percy Cox, Résident politique britannique dans le golfe Persique, les engagements pris par ce dernier envers Ibn Saoud furent approuvés par Londres et par le Government of India qui autorisa la livraison de quatre mitrailleuses et de 1000 fusils (1). Cox demanda en outre que l’on fasse savoir à Ibn Saoud que le gouvernement sanctionnait le paiement d’une allocation mensuelle de 5000 livres à partir du mois de janvier 1917 pour lui permettre de subvenir à l’entretien de ses troupes (2). En février, il fit parvenir à Riad une longue missive dans laquelle il confirmait à Ibn Saoud que le gouvernement avait ratifié l’ensemble des mesures de soutien qu’il avait recommandées ainsi que la fourniture des armes et des munitions. Il l’informait en outre que les autorités britanniques attendaient de lui qu’il participe à une opération combinée avec les tribus sous l’autorité d’Ibn Sha’alan pour attaquer Ibn Rashid depuis le district de Qasim, afin d’empêcher ce dernier de rejoindre les forces turques stationnées à Médine. Il lui fallait en outre agir en collaboration avec les forces chérifiennes pour organiser le blocus de Médine et s’assurer qu’aucune caravane susceptible de ravitailler les forces ennemies ne pouvait quitter le Koweït sans son aval ou celui de ses représentants (3). De son coté, Ibn Saoud avait fait savoir à Cox qu’il avait ordonné à son fils Turki et à son frère Mohammed de rassembler leurs forces et que ces derniers attendaient une occasion favorable pour frapper Ibn Rashid que les Turcs pressaient de passer à l’action. Il l’informait en outre que l’émir de Hail et le Cheikh du Koweït agissaient de concert pour contourner l’embargo et que leur alliance était basée sur les profits générés par ce trafic dans lequel ses ressortissants n’étaient pas impliqués (4). Début mars 1917, Ibn Saoud se rendit dans le district de Qasim d’où il envisageait d’attaquer les hommes d’Ibn Rashid qui se replièrent vers le nord, évitant ainsi la confrontation. Ibn Saoud fit savoir qu’il attendait une nouvelle occasion favorable pour passer à l’action (5).

A la différence des autorités britanniques à Bagdad qui se satisfaisaient d’une certaine manière des déclarations d’intention de Riad, le Haut-Commissariat en Egypte était déterminé à utiliser le potentiel militaire de toutes les forces arabes dans la lutte contre les Turcs. Le 20 mars 1917, le haut-commissaire pour l’Egypte Wingate indiqua au commandement des forces britanniques en Mésopotamie que les Turcs cherchaient à utiliser Ibn Rashid pour mener une opération de diversion et qu’ils attendaient d’Ibn Saoud qu’il intervienne activement pour l’en empêcher (6). Deux mois plus tard, il insista, de concert avec Mark Sykes, pour que les forces en Mésopotamie aident Ibn Saoud à prendre Hail (7). Bagdad et Bassora réagirent sans tarder ; l’agent politique à Bahreïn fut chargé d’un message à transmettre à Ibn Saoud lui indiquant qu’Ibn Rashid s’apprêtait à attaquer les troupes du Chérif dans le voisinage de Médine et qu’il devait intervenir immédiatement (8). Cox expliqua le 19 mai à Ibn Saoud que l’état de faiblesse et les difficultés rencontrées par Ibn Rashid l’exposaient à perdre Hail s’il était attaqué par ses ennemis au nord du Jebel Shammar. Dans ce cas, le vainqueur serait à même de conserver la ville et Ibn Saoud était donc invité à tout faire pour être le premier à s’en emparer. Dans le même télégramme, Cox annonçait qu’il se proposait de lui déléguer des officiers chargés de l’informer de la situation et de prendre des renseignements sur ce qu’il convenait de faire pour l’aider dans ses opérations contre Ibn Rashid (9).

Malgré ces injonctions, Ibn Saoud ne parvint pas à honorer les engagements pris lors des entretiens du Koweït. Il informa Cox qu’en dépit de ses efforts, la tribu des Ajman s’apprêtait à se ranger aux côtés d’Ibn Rashid et que des caravanes chargées de vivres continuaient de quitter le Koweït en direction des territoires tenus par les Turcs. Ce trafic de marchandises prohibées reposait sur un accord tacite entre Hail, le Koweït et les Turcs au détriment des intérêts des marchands du Nedjd. Ibn Saoud attirait l’attention de Cox sur la nécessité d’établir un contrôle strict des produits au départ du Koweït, seul susceptible de rendre l’embargo efficace. Considérant que les actions entreprises par les autorités britanniques ne produisaient pas les effets attendus, il estimait indispensable de faire pression sur le Koweït afin qu’il rompe ses relations avec Hail et demandait l’accord et le soutien des autorités pour faire débarquer les produits destinés au Nedjd dans le port de Jubail (10). La réponse de Bassora en date du 15 avril indiqua à l’agent en poste à Bahreïn qu’il devait informer Ibn Saoud que les éléments de la tribu des Ajman qui ne respectaient pas les engagements devaient être traités en ennemis, que le cheikh Salim devait s’efforcer de bloquer les exportations illégales depuis le Koweït et que l’occupation de Bagdad par les troupes britanniques faciliterait la mise en place de mesures coercitives (11). Fin mai, l’agent politique à Bahreïn transmit une lettre d’Ibn Saoud datée du 1er mai dans laquelle il informait Cox qu’il avait quitté Boreidah à une date non spécifiée pour affronter Ibn Rashid mais que ce dernier s’était replié sur Hail où la poursuite des opérations s’avérait très difficile. Il ajoutait qu’il attendait une nouvelle occasion, plus favorable, pour empêcher Ibn Rashid d’attaquer le Chérif (12). La correspondance entre Cox et Ibn Saoud indique que ce dernier informa en juin les autorités britanniques qu’Ibn Rashid, après avoir offert de faire la paix, avait refusé les clauses stipulant la conclusion d’une alliance avec la Grande-Bretagne et le Chérif. Devant cette fin de non-recevoir, Ibn Saoud demandait de nouvelles instructions ainsi que la fourniture de mitrailleuses et de munitions. Fin juin, il accusa réception de la lettre de Cox l’informant de la nécessité de prendre des mesures pour coordonner les opérations entre les forces alliées et de l’arrivée prochaine d’un officier chargé par les autorités du Haut-Commissariat en Egypte d’estimer les besoins nécessaires pour renforcer cette coopération (13).

La mission avortée de Ronald Storrs auprès d’Ibn Saoud

Le 4 avril 1917, Londres informa le vice-roi, Lord Chelmsford, qu’un attaché auprès de la Résidence britannique au Caire, Ronald Storrs (14), était mis à la disposition des représentants du Government of India en Mésopotamie pour mettre en place une concertation et une collaboration efficace entre le Caire et Bagdad. Ses instructions stipulaient qu’il devait s’entretenir avec Cox et le mettre au courant du contenu de l’accord passé entre la France et la Grande-Bretagne par leur représentants respectifs Mark Sykes et François Georges-Picot, l’informer de la situation dans le Hedjaz et lui faire connaitre les positions des autorités britanniques au Caire. S’agissant de la mission franco-britannique, Londres soulignait que Storrs agissait dans le cadre d’une collaboration totale avec la partie française et que l’objet principal de sa mission consistait à être tenu informé de la nature des relations et engagements passés par Cox avec les forces arabes ainsi que de tout autre élément relatif à la zone A (c’est-à-dire la Syrie intérieure, cf les zones respectives attribuées à la France et à la Grande-Bretagne par les accords Sykes-Picot). Storrs était ainsi chargé de mettre en application la politique commune décidée par les deux alliés dans le cadre de la mission franco-anglaise en collaboration avec les autorités britanniques en Irak pour tout ce qui concernait la Mésopotamie et les districts relevant du corps expéditionnaire (D Force). Il lui incombait aussi d’assurer la liaison avec le Hedjaz et l’Egypte (15).

Le 28 mai, Cox informa Ibn Saoud des détails de la mission confiée à Storrs. Dans cette communication, il lui en résumait les raisons et l’historique, précisant que la situation militaire nécessitait une coopération renforcée entre les troupes britanniques à Gaza, les forces du Chérif et le corps expéditionnaire en Mésopotamie. La liaison devait être effectuée par deux officiers détachés, dont Ronald Storrs (16). Il profitait donc de la présence de Storrs en Mésopotamie pour organiser la visite d’un représentant des forces britanniques à Riad afin de s’entretenir des intentions d’Ibn Saoud concernant Ibn Rashid et de ses relations avec Hussein. Il demandait à Ibn Saoud de fournir à Storrs l’assistance nécessaire à la traversée de la partie centrale de l’Arabie jusqu’à ce qu’il rejoigne les positions détenues par l’émir Abdallah (17). Conjointement, Cox adressa à Storrs un aide-mémoire dans lequel il abordait successivement la question des obligations contractées par Ibn Saoud au regard du traité de 1915, le problème des relations avec Ibn Rashid, de la mise en pratique de l’embargo sur les exportations de vivres et de marchandises, des rapports entre Riad et le Koweït, et enfin de l’épineuse question de la rivalité entre Ibn Saoud et Hussein. L’aide-mémoire faisait en outre le point sur l’évolution des positions respectives du Caire et de Bagdad concernant le rôle à attribuer à Ibn Saoud. Après avoir mentionné les décisions prises en décembre 1916 concernant le financement et la fourniture de matériel à Riad (3000 fusils, 2 mitrailleuses et 2 canons de montagne), Cox rappela dans ce mémorandum que la position officielle du Government of India, avec laquelle il était globalement d’accord, était de ne pas inciter Ibn Saoud, qui ne jouissait pas d’une grande réputation en matière militaire, à se hasarder à entreprendre des actions telles qu’une offensive contre Hail. Le Government of India, à la différence du Haut-Commissariat au Caire qui par la voix de Sykes demandait une attitude plus énergique de la part d’Ibn Saoud, se satisfaisait donc de la rupture de Riad avec la Turquie, de la conclusion d’une alliance avec la Grande-Bretagne et des opérations de harcèlement conduites par le fils d’Ibn Saoud, Turki, à partir du district du Qasim permettant ainsi de neutraliser Ibn Rashid (18).

Cox considérait en conséquence que si l’objectif était l’élimination de la menace constituée par Ibn Rashid, il était possible d’atteindre ce but en utilisant la force ou en gagnant l’émir du Shammar à la cause de la Grande-Bretagne par des moyens « diplomatiques ». Pour Cox, l’élimination d’Ibn Rashid par des moyens militaires pouvait constituer l’option la plus souhaitable mais elle générait cependant la difficulté de savoir qui prenait le contrôle de Hail. Si Ibn Rashid par contre s’avérait disposé à accepter les conditions de la Grande-Bretagne et se montrait capable de bloquer l’avancée des Turcs en Arabie centrale, une solution négociée était alors possible. Faisant état dans un télégramme à l’India Office daté du 5 juin des offres de paix d’Ibn Rashid, il indiqua que Storrs pourrait décider des mesures à prendre et des conditions à proposer à Ibn Rashid si les ouvertures de Hail lui semblaient sérieuses (19). Cox précisa qu’il s’agissait là du premier objet des discussions à venir avec Ibn Saoud. S’il s’avérait qu’Ibn Saoud était véritablement décidé à attaquer Hail, il devenait alors nécessaire de décider de ce qui pouvait alors être entrepris, la tactique du harcèlement ne lui paraissant pas d’une grande utilité. Cox ne cachait cependant pas ses doutes sur les capacités militaires de l’émir de Riad et demandait à Storrs d’estimer les besoins de Riad en matériel. Les points suivants abordés dans l’aide-mémoire concernaient l’état des relations avec le Koweït ainsi que le problème de l’embargo sur le ravitaillement de Hail et des alliés des Turcs. Les relations entre Ibn Saoud et Hussein devaient être abordées avec précaution. Cox se montrait d’accord avec Sykes pour estimer qu’Ibn Saoud devrait d’une certaine façon reconnaitre la prééminence du Chérif tout en déclarant comprendre les réticences de Riad (20).

Le 11 juin, Cox informa l’India Office du départ de Storrs pour Riad. Malheureusement ce dernier, victime d’une insolation, dut mettre un terme à son périple quelques jours plus tard. Pour Londres, l’indisposition de Storrs était extrêmement malencontreuse dans la mesure où la rencontre de Riad aurait pu permettre d’obtenir d’Ibn Saoud une reconnaissance du rôle d’Hussein comme leader du mouvement arabe (21).

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 Les affaires de l’Arabie centrale 1915-1916 : conflits internes et rivalités dynastiques (3/3)

Notes :
(1) File E-8 vol. III, Bin Saud, IOR/R/15/2/23, From Foreign, Delhi, to Political, Basrah, 6 Jan. 1917.
(2) Ibid., Tel R. From Sir Percy Cox, Tigris Front, to Capt. Loch, Bahrein, repeated Basrah, dated 10th Jan. 1917.
(3) File X-4, British Relations with Bin Saud, IOR/R/ 15/5/27, Sir Percy Z. Cox to Amir Abd el Aziz Bin Abdur Rahman al Sa’ud, 22nd Feb. 1917.
(4) Ibid, Translation of a Letter from Abd el Aziz ibn Abdur Rahman al Saud to Sir Percy Cox, 8th Feb 1917.
(5) File E-8, Capt. Loch to Political, Basrah, 23rd Mar. 1917.
(6) Wingate to G.O.C., Basra, 20th Mar. 1917, in Silverfarb, Daniel, The Philby Mission to Ibn Sa’ud, 1917-18, Journal of Contemporary History, vol.14, 1979, pp.269-286.
(7) Ibid, FO 882/3 AP 17/3, 12th May 1917 ; Sykes to Cox, 10th May 1917.
(8) File E-8, From Pointer, Basrah to Loch, Bahrein, 27th Mar. 1917.
(9) File X-4, Telegram Cox, Baghdad, dated 19th May 1917.
(10) File E-8, Translation of a Letter dated 26th of Jamal (20th Mar. 1917), Bin Saud to Cox, the Hon’ble Political Resident and Consul General in the Persian Gulf ; Telegram R ; from Loch, Bahrein to Political, Basrah, 4th Apr. 1917.
(11) Ibid, from Pointer, Basrah to Loch, Bahrein, 15th May 1917.
(12) File E-8, Telegram R. from Loch, Bahrein to Political, Basrah, repeated Trevor, Bushire, n° 87 C. 23rd May 1917.
(13) File X-4, Telegram from Political, Basrah, n°4506, dated 16th June 1917 ; File E-8, Translation of a Letter from H.E. Sheikh Sir Abdul Aziz bin Abdur Rahman al Faisal as Saoud, Ruler of Nejd to the Hon’ble Sir P. Cox, C.P.O. in Mesopotamia.
(14) Sir Ronald Henry Amherst Storrs, (19 nov. 1881-1 nov. 1955), Oriental Secretary (Arab Bureau) auprès de la Résidence britannique au Caire, Officier représentant le corps expéditionnaire en Egypte (EEF) auprès des autorités militaires britanniques en Mésopotamie. Voir Storrs, Ronald, Orientations (1937), ainsi que Middle East Politics and Diplomacy, 1904-1956, the Private Letters and Diaries of Sir Ronald Storrs (1881-1955), Adam Matthew Publications.
(15) File 2182/1913 pt. 6, Arabia, Relations with Bin Saud, IOR/L/PS/10/388, Secretary of State to India (Viceroy), following from Sykes, Foreign Office, Cairo sends following from Mark Sykes, 4th Apr. 1917.
(16) Le second officier pressenti était le lieutenant-colonel Gerard Leachman. Sur Leachman, voir H.V.F. Winstone, Leachman : ‘O C Desert ‘, London, 1982.
(17) Ibid., Sir Percy Z. Cox to His Excellency Shaikh Sir Abdul Aziz bin Abdur Rahman, al Faisal al Saud, 28th May 1917.
(18) Ibid., Aide Memoir for Storrs Regarding the Affairs of bin Saud, n.d, n° 3661.
(19) Ibid., Cox to Indias Office (Addressed to Cairo, Repeated Foreign, Simla, Secretary of State), 5th Jun. 1917.
(20) Ibid., Aide Memoir for Storrs.
(21) Ibid., Reg. 2487, Minute manuscrite, 17 juin 1917.

Publié le 08/12/2017


Yves Brillet est ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure de Saint Cloud, agrégé d’Anglais et docteur en études anglophones. Sa thèse, sous la direction de Jean- François Gournay (Lille 3), a porté sur L’élaboration de la politique étrangère britannique au Proche et Moyen-Orient à la fin du XIX siècle et au début du XXème.
Il a obtenu la qualification aux fonctions de Maître de Conférence, CNU 11 section, a été membre du Jury du CAPES d’anglais (2004-2007). Il enseigne l’anglais dans les classes post-bac du Lycée Blaringhem à Béthune.


 


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