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Les premiers jours du HTS au pouvoir en Syrie – Point de situation du 9 au 20 décembre 2024

Par Emile Bouvier
Publié le 20/12/2024 • modifié le 20/12/2024 • Durée de lecture : 15 minutes

Cet article entend donc dresser un bilan des deux dernières semaines en Syrie et privilégiera pour cela une approche thématique en évoquant le défi de l’unité entre groupes rebelles (I), principal obstacle à l’assise politique du HTS (II) qui s’emploie autant que possible à favoriser un retour à la normale et à normaliser son image (III). De fait, le HTS a obtenu ces deux dernières semaines une reconnaissance internationale très rapide et assez inattendue (IV) ; les anciens alliés de Bachar al-Assad se montrent quant à eux plus partagés sur le positionnement à adopter face à ces événements (V) qui tendent presque à faire oublier la volatilité encore très forte de la situation sécuritaire en Syrie (VI).

I. Le défi de l’unité entre groupes rebelles

Dès sa prise de pouvoir à Damas, le HTS s’est employé à asseoir son autorité politique et à normaliser son image auprès des acteurs locaux et internationaux. La transition d’une domination militaire à une domination politique reste en effet le principal défi, toujours à l’heure actuelle, pour le HTS : des dissensions avec les autres groupes rebelles ont en effet pu être d’ores et déjà observées, notamment avec les insurgés de la région de Dera’a - dont une large part se trouve rassemblée sous la bannière du groupe « 8ème Brigade » - qui s’étaient soulevés quelques jours après l’offensive du HTS et avaient été les premiers à pénétrer dans Damas. Une délégation de la 8ème Brigade aurait ainsi rencontré le chef de facto du nouveau régime syrien, le leader du HTS Abou Mohammad al-Jolani (de son vrai nom Ahmed al-Chareh) afin de lui demander de ne pas s’ingérer dans les affaires du sud de la Syrie, où opère la 8ème Brigade. Cette délégation se serait vue répliquer par al-Chareh qu’il est « en train de construire un Etat, et que [les rebelles de la 8ème Brigade] devraient donc rentrer dans le rang » [1].

Depuis sa création en 2018 afin de rassembler sous un même étendard les dizaines de factions rebelles du sud syrien, la 8ème Brigade a joué un rôle polyvalent dans la région, se coordonnant parfois avec les forces russes et celles du régime syrien dans des batailles contre l’Etat islamique dans le désert syrien [2]. Cependant, elle a également conservé une identité éminemment locale, basée sur une forte implantation dans le sud syrien et une position rejetant la domination complète du régime ou de la Russie. La brigade est dirigée par Ahmed Al-Awda, qui a su faire preuve de modération dans ses relations avec la Russie, mais qui a été critiqué pour ses ambitions et sa volonté de rester indépendant de quiconque. De fait, certains cadres de la 8ème Brigade ne considérerait pas al-Chareh comme « la bonne personne pour diriger la Syrie » [3] et les tensions seraient vives entre les deux mouvements rebelles : le 10 décembre, des combattants de ces groupes se seraient affrontés dans la banlieue de Damas alors qu’ils pillaient les villas de membres de l’ancien régime [4]. La volonté du HTS de ne pas laisser d’autonomie politique aux autres groupes rebelles s’applique également aux Kurdes des Forces démocratiques syriennes (FDS), toujours maîtres de la quasi-totalité des territoires à l’est de l’Euphrate : le 17 décembre, le chef militaire du HTS, Abou Hassan al-Hamawi (de son vrai nom Murhaf Abu Qasra) déclarait ainsi que « le peuple kurde est l’une des composantes du peuple syrien […] ; la Syrie ne sera pas divisée et il n’existera aucune entité fédérale en son sein » [5], dans une allusion non-dissimulée à l’Administration autonome du nord-est syrien (AANES) mise en place par les Kurdes syriens. Les milices druzes posent également un autre problème : celles-ci, pleinement actives - elles se sont notamment emparées de bases militaires syriennes près de la frontière avec la Jordanie lors du soulèvement [6] - émanent d’une minorité ethnique ayant souffert de politiques de discrimination au fil des décennies et qui se montre particulièrement méfiante envers le HTS [7]. Une vidéo montrant des représentants de villages druzes près du Golan affirmer devant une large audience préférer une annexion par Israël de leur territoire plutôt que de vivre sous le joug du HTS circule abondamment sur les réseaux sociaux [8] et illustre, là encore, l’absence d’unité politico-militaire des opposants à Bachar al-Assad et de soutien unanime au HTS.

II. La consolidation de l’emprise politique du HTS

Face à ces dissensions, et tout en organisant la traque des anciens partisans de Bachar al-Assad [9], al-Chareh s’emploie donc à asseoir et consolider son pouvoir politique : le 13 décembre, les nouvelles autorités syriennes annonçaient suspendre la Constitution et le Parlement pendant trois mois [10] et mettre en place un comité constitutionnel visant à définir une nouvelle Constitution pour la Syrie, dont le président serait choisi grâce à des élections auxquelles al-Chareh pourrait être candidat - selon le principal intéressé [11], qui estimait d’ailleurs que le pays n’est « pas encore prêt pour des élections » [12]. Al-Chareh s’emploie dès lors à placer des cadres du HTS aux postes politiques d’importance : le 10 décembre, Mohammad al-Bachir, ancien ministre dans le « gouvernement du Salut » établi dans la poche rebelle d’Idlib, décrit comme un « technocrate islamiste » par le chercheur français Wassim Nasr [13], était nommé chef du gouvernement provisoire et s’affichait, lors de sa première réunion avec son cabinet de transition, aux côtés du drapeau de la rébellion syrienne et d’un étendard blanc et noir portant la shahada (la profession de foi islamique, par ailleurs premier des cinq piliers de l’islam) similaire à celui utilisé par les Talibans [14]. Ce drapeau sera finalement retiré face au tollé provoqué parmi les franges les plus sécularistes -ou en tous cas les moins islamisées - de la population syrienne [15].

De fait, l’un des défis politiques majeurs de al-Chareh est d’asseoir sa domination auprès des populations syriennes s’avérant moins sunnites et conservatrices que celles de la région d’Idlib : la capitale Damas en particulier, creuset des élites syriennes, est l’une des zones les moins sensibles au discours islamiste sunnite du HTS, comme a pu le montrer par exemple la toute première manifestation organisée dans la capitale depuis la chute du régime, le 19 décembre, au cours de laquelle des centaines de manifestants, suspicieux à l’égard des radicaux islamistes du HTS, ont appelé au respect de la démocratique et des droits des femmes, scandant « Nous voulons une démocratie, pas un Etat religieux ! » [16]. Al-Chareh a donc nommé, dès le 15 décembre, un nouveau gouverneur pour Damas : Maher Marwan, damascène d’origine, pur « produit de l’administration établie par le HTS dans la région d’Idlib » [17], qui aura comme tâche de consolider l’emprise et l’autorité du HTS à Damas. Ahmad al-Chareh s’est également attaché les services d’Abdulrahman Fattahi en faisant de lui son conseiller pour les affaires iraniennes. Celui-ci est un religieux sunnite d’origine iranienne sur lequel le leader de facto de la Syrie entend s’appuyer pour contrer l’influence de l’Iran et approcher plus facilement les mouvements kurdes [18]. Par ailleurs, Abou Othman, l’ancien chef des forces de police de la poche insurgée d’Idlib, a été nommé à la tête des différents services de police de la capitale. Il aura pour tâche de faire appliquer les prochaines « nouvelles lois » (sic) du HTS, qui n’ont pas encore été précisées pour le moment, et de réorganiser les services de police dont une part substantielle des effectifs a fui ou a été arrêtée en raison de ses liens étroits avec le régime de Bachar al-Assad [19].

III. L’enjeu du retour à la normale et de la conversion civile du HTS

L’un des principaux atouts déployés par al-Chareh afin de faire accepter le HTS auprès de l’intégralité de la population syrienne reste celui de la normalisation du groupe - les cadres du HTS multiplient par exemple les appels à retirer le HTS et al-Chareh de la liste des organisations et personnalités terroristes des Etats-Unis ou encore des Nations unies [20] - et, surtout, du retour à la normale dans le pays. Ainsi, tandis que les écoles et les universités ont rouvert, un premier vol domestique Damas-Alep a été effectué le 18 décembre [21]. En ce qui concerne le HTS lui-même, son chef militaire Murhaf Abu Qasra a fait connaître son intention, le 16 décembre, de dissoudre la branche armée du mouvement islamiste afin de l’intégrer dans la nouvelle armée régulière syrienne, soulignant que le HTS sera « si Dieu le veut, le premier » des groupes rebelles à le faire [22] - démontrant par ailleurs, là encore, le manque d’unité et de coordination entre groupes rebelles, voire la « compétition à la légitimé » politique existant entre eux.

Le HTS, enfin, essaye de se montrer le plus rassembleur possible pour le moment : outre les gestes rassurants effectués à l’endroit des minorités ethnoreligieuses [23] - qu’il s’agisse des communautés druzes, chrétiennes, alaouites, ou encore ismaéliennes inquiètes de l’arrivée au pouvoir d’un groupe islamiste radical -, ce dernier a annoncé sa volonté d’épargner les conscrits de l’armée de l’ancien régime et de ne poursuivre que les soldats responsables d’exactions [24], poussant des centaines de soldats et policiers anciennement membres des forces de sécurité syriennes à se rendre dans un « centre de réconciliation » établi à Lattaquié afin d’y rendre leurs armes, renoncer à leurs liens d’allégeance envers l’ancien pouvoir alaouite - et se faire enregistrer par les nouvelles autorités [25].

IV. Des succès diplomatiques pour le HTS… parfois malgré lui

Après plus d’une décennie d’isolement diplomatique sous Bachar al-Assad, la Syrie du HTS se distingue par son ouverture et son retour presque spectaculaire dans le giron de la communauté internationale : sans même attendre que la situation se stabilise davantage ou que les nouvelles autorités syriennes soient confirmées dans leurs fonctions, des pays parmi les plus fermes autrefois à l’égard de Damas ont rouvert leur ambassade ou ont annoncé une prise de contact avec le HTS. Si la Turquie, soutien du groupe islamiste, n’a que peu surpris en annonçant le 14 décembre la réouverture de son ambassade après 12 ans d’absence diplomatique sur le terrain [26], d’autres annonces ont interpellé : le 15 décembre, l’Union européenne [27] et les Etats-Unis [28] - qui considèrent toujours, officiellement le HTS comme une organisation terroriste et Ahmad al-Chareh comme un terroriste - annonçaient avoir « pris contact » avec les nouvelles autorités syriennes. Le 17 décembre, sans rouvrir officiellement sa représentation diplomatique locale, la France hissait à nouveau le drapeau tricolore au-dessus de l’ambassade française à Damas [29], et annonçait le déplacement d’une mission diplomatique « pour marquer la volonté de la France de se tenir aux côtés du peuple syrien après la chute du régime de Bachar el-Assad » et afin de « travailler à la réouverture, en fonction des conditions politiques et sécuritaires, de notre dispositif diplomatique en Syrie » [30].

Ce positionnement diplomatique à l’égard des nouvelles autorités syriennes qui, si elles travaillent leur discours et leur apparence pour ne pas effrayer la communauté internationale [31] ne devaient pas s’attendre à obtenir de telles victoires diplomatiques aussi rapides, s’explique de plusieurs manières. Tout d’abord, las des treize ans de guerre en Syrie et de son isolement diplomatique, la plupart des pays ayant pris attache avec les nouvelles autorités syriennes cherchent à tourner la page de la période al-Assad et souhaitent inaugurer de nouvelles relations avec un pays disposant de ressources économiques, démographiques et d’atouts géographiques et politiques de fort intérêt. Pour certains pays rivaux de l’Iran comme les Etats-Unis, il s’agit de sécuriser dès maintenant la non-hostilité d’un acteur qui, en renversant Bachar al-Assad, a privé le régime des mollahs d’un allié et, surtout, d’une base logistique et sécuritaire majeure à travers la région. Enfin, il convient de ne pas sous-estimer l’intérêt de ces puissances pour les enjeux commerciaux majeurs liés à la reconstruction de la Syrie, dont le coût estimé en 2019 variait entre 250 et 400 milliards de dollars [32] : maintenant que la Russie [33] et l’Iran [34], qui étaient données comme favoris dans la course aux contrats de reconstruction, semblent plus ou moins hors-jeu en raison de leur alliance avec Bachar al-Assad, la compétition reprend de plus belle [35]. La Turquie part toutefois avec une avance très nette : le 18 décembre, al-Chareh a fait savoir qu’il souhaitait donner la « priorité » (sic) à la Turquie dans la reconstruction de son pays en raison des liens privilégiés entre les deux pays, affirmant « faire confiance à la Turquie pour partager son savoir-faire en matière de développement avec la Syrie » [36].

V. Un positionnement pluriel pour les anciens alliés de Bachar al-Assad

Dans ce bal diplomatique, comment se positionnent les anciens alliés de Bachar al-Assad, au premier rang desquels l’Iran, la Russie et le Hezbollah ? Si certains rapports avaient pu laisser entendre, ces derniers jours, que Moscou et le HTS négociaient le maintien des bases russes sur la côte [37], le porte-parole du département politique du nouveau gouvernement de transition syrien a annoncé le 16 décembre que « la Russie devrait reconsidérer sa présence en territoire syrien ainsi que ses intérêts sur place, […] [qui] ont été liés au régime criminel d’al-Assad ». De fait, la flotte russe en Méditerranée a continué ces derniers jours le retrait d’une partie de ses moyens en Syrie [38], tout comme les autres matériels terrestres et aériens russes stationnés dans le port de Tartous et de la base aérienne de Hmeimim, près de Lattaquié. Une large partie de ces équipements seraient d’ailleurs transférés en Libye, notamment dans les bases aériennes de Ghardabiya, d’Al-Jufra, de Brak et d’Al-Khadim, où opèrent déjà les forces russes [39]. Le président russe Vladimir Poutine, qui accueille sur son sol Bachar al-Assad, a en tous cas annoncé le 19 décembre que la Russie n’avait « pas été défaite » en Syrie et a assuré qu’il rendrait prochainement visite au président syrien déchu [40].

Quant à l’Iran, le Guide suprême Ali Khamenei a admis que « ce qui s’est passé en Syrie est une leçon pour nous », accusant les Etats-Unis et le « régime sioniste » (sic) de la chute du régime syrien, sans jamais mentionner le nom d’Al-Assad dans son discours de 50 minutes [41]. Une large part des effectifs iraniens présents en Syrie aurait d’ores et déjà été évacué avec le concours de la Russie, dont le président a annoncé l’évacuation de 4 000 combattants iraniens vers l’Iran depuis la base aérienne de Hmeimim [42].

Le Hezbollah, enfin, qui ne disposait plus de combattants en Syrie, a maintenu sa position relativement indifférente à l’égard de la chute du régime de Bachar al-Assad. Le secrétaire général du mouvement, Naïm Qassem, a tout a plus déploré le 14 décembre que « le Hezbollah a perdu sa route d’approvisionnement militaire via la Syrie » [43] et appelé de ses vœux à ce que les nouvelles autorités syriennes ne « normalisent pas » leurs relations avec Israël [44]. Le Hezbollah aurait toutefois, selon les informations recueillies par le journal libanais Nidaa al-Watan, aidé plusieurs centaines de hauts responsables du régime syrien, dont de nombreux officiers des services de renseignement - parmi lesquels Ali Mamlouk, chef du Bureau syrien de la sécurité nationale et maître-espion de Bachar al-Assad -, à fuir au Liban dans les jours ayant précédent la conquête de Damas par les rebelles [45] ; le ministre libanais sortant de l’Intérieur, Bassam Maoulaoui, a toutefois affirmé le 12 décembre qu’Ali Mamlouk ne se trouvait pas sur le territoire libanais [46].

VI. Une situation sécuritaire loin d’être stabilisée

Malgré un retour au calme incontestable dans la majeure partie de l’ouest de l’Euphrate depuis la chute du régime de Bachar al-Assad le 8 décembre, la situation sécuritaire en Syrie reste pour le moment particulièrement volatile, notamment en raison des tensions entourant les territoires tenus par les Kurdes et ceux que conquière petit à petit Israël dans le sud du pays, au pied du Golan.

En effet, les Forces démocratiques syriennes (FDS), dominées essentiellement par les Kurdes syriens, ont dû faire face à des opérations militaires des rebelles syriens de « l’Armée nationale syrienne » soutenus par la Turquie dans la région de Mambij dès le 9 décembre ; la ville éponyme, aux mains des Kurdes depuis 2016, a finalement été conquise en quelques jours, tout comme les territoires l’environnant jusqu’à l’Euphrate [47]. De la même façon, la ville de Deir-ez-Zor, située sur la rive occidentale du fleuve et dont les FDS s’étaient emparés le 6 décembre en profitant de la retraite des forces syriennes, a été reconquise dès le 11 décembre par le HTS [48] après le retrait des forces kurdes, poussées au départ par de nombreuses manifestations menées à leur encontre dans la ville [49]. Depuis, à la suite de l’échec de plusieurs tentatives de médiation et de cessez-le-feu conduits sous l’égide des Etats-Unis [50], les affrontements restent réguliers le long de la ligne de front qu’incarnent désormais les rives de l’Euphrate, et plus particulièrement au niveau des points de franchissement que sont le pont de Qere Qozaq et le barrage de Tichrine, à proximité desquels la Turquie conduit de régulières frappes aériennes [51].

Assiégés par « l’Armée nationale syrienne » à l’ouest et par la Turquie au nord, les autorités de l’Administration autonome du nord-est syrien (AANES) semblent vouloir faire preuve de « bonne volonté » auprès du HTS : le 12 décembre, l’AANES annonçait ainsi adopter l’étendard de la rébellion syrienne comme son drapeau officiel [52] et envoyer une délégation à Damas [53]. Le 18 décembre encore, elle supprimait les droits de douane et taxes entre son territoire et le reste de la Syrie [54]. Pour autant, comme vu précédemment, le HTS n’envisage pas de tolérer en Syrie toute forme de fédéralisme et s’est déjà prononcé sur la nécessité de dissoudre les factions armées au sein d’une armée syrienne conventionnelle [55]. De plus, la Turquie a fait savoir que, contrairement à des affirmations américaines, Ankara ne conduisait aucune négociation avec les FDS, affirmant même qu’il était « hors-de-question de discuter avec une organisation terroriste » et que « nos préparatifs [pour une offensive terrestre] continueront tant que la menace terroriste perdurera et que le PKK/YPG n’aura pas rendu les armes et que ses combattants étrangers n’auront pas quitté la Syrie » [56]. Alors que les préparatifs d’une vaste offensive de l’ANS contre les Kurdes se font de plus en plus entendre [57], l’avenir de l’AANES paraît plus que jamais incertain et conditionné à l’aide que lui apportera, ou non, les Etats-Unis.

En-dehors des territoires tenus par les FDS, la situation sécuritaire de la Syrie s’est trouvée fortement perturbée par les activités militaires israéliennes : depuis la chute du régime de Bachar al-Assad, Tel Aviv a en effet conduit une campagne de frappes aériennes contre les dépôts d’armes et les bases militaires syriennes - en deux jours, du 8 au 10 décembre, quelque 480 frappes avaient été menés en Syrie [58] - afin d’empêcher des groupes hostiles à Israël de mettre la main dessus et pour affaiblir autant que possible les capacités militaires de la Syrie, dans le cas où cette dernière viendrait à se trouver à nouveau engagée contre l’Etat hébreu. Près de 90% des capacités antiaériennes syriennes auraient ainsi été détruites [59]. Par ailleurs, prétextant vouloir empêcher l’installation d’une « force hostile » [60] à ses frontières, la primature israélienne a autorisé, dès le 7 décembre, le franchissement de la zone démilitarisée par ses troupes et la saisie de portions du territoire syrien le long du Golan, afin d’y établir un glacis protecteur. Les troupes israéliennes devraient occuper la zone tampon « jusqu’à fin 2025 » selon le Premier ministre israélien [61]. Au-delà de l’aspect purement sécuritaire de l’opération, la Knesset israélienne a approuvé le 15 décembre un projet visant à doubler le nombre de colons dans la zone occupée par Israël sur le plateau du Golan syrien [62], quelques jours après que Benyamin Netanyahu ne prononce son premier discours en 99 jours, le 10 décembre, au cours duquel il annonçait qu’Israël allait « changer la face du Moyen-Orient » [63]. Certains opposants aux autorités israéliennes actuelles y voient là une nouvelle étape dans le plan du « Grand Israël » [64] voulu par certaines figures ultra-conservatrices et/ou ultra-orthodoxes israéliennes. Tout en critiquant avec modération l’incursion israélienne en Syrie, le leader du HTS Ahmad al-Chareh s’est déclaré engagé à maintenir l’accord de désengagement de 1974 avec Israël, que la primature israélienne a jugé nul et non avenu à la suite de la chute de Bachar al-Assad [65]. De fait, le chef du HTS a affirmé que la Syrie était trop « épuisée par des années de guerre » pour un conflit avec Israël, dénonçant « l’escalade injustifiée dans la région » incarnée par les opérations militaires israéliennes [66].

Conclusion

Ainsi, dans un contexte non stabilisé tant d’un point de vue politique que sécuritaire, le HTS doit d’abord réussir à faire accepter sa domination aux autres mouvements rebelles, tout comme à l’intégralité des franges de la population syrienne : la Syrie n’est pas Idlib, et de larges contingents de Syriens se montrent peu perméables, et dans bien des cas méfiants, envers le projet islamiste porté par le HTS. Sur le plan sécuritaire, les semaines et mois à venir seront certainement rythmés par les affrontements entre l’ANS et les FDS, voire par la poursuite fort probable des opérations aéroterrestres israéliennes dans le sud de la Syrie. Les prochains mois s’avéreront un test majeur pour Ahmad al-Chareh et détermineront sa capacité, ou non, à imposer par la force ou l’adhésion volontaire sa vision de la nouvelle Syrie.

A lire sur Les clés du Moyen-Orient :
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Sitographie :
 Brigades emerge among Syrian rebels days after removal of Assad, The World Observer, 16/12/2024
 Prominent map of Syrian factions in the south, Amman Net, 13/12/2024
 Syria’s new rulers step up engagement with the world, France 24, 17/12/2024
 Syrian army pulls back to 10 km from Damascus ; Druze militias overrun bases near Jordan, The Times of Israel, 13/12/2024
 Après l’arrivée au pouvoir de HTC en Syrie, la communauté druze dans l’incertitude, L’Orient-Le Jour, 13/12/2024
 Syrie : comment les rebelles d’HTS traquent les anciens partisans de Bachar al-Assad, RTL, 14/12/2024
 Syria’s new leadership suspends constitution, parliament for 3 months, Middle East Monitor, 13/12/2024
 Al-Joulani to Arab press : Syrian president will be chosen in elections ; I may run, MEMRI, 14/12/2024
 Syria Rebel Leader Abu Mohammed al-Jawlani Interview, The Wall Street Journal, 15/12/2024
 Syrie : Mohammad al-Bachir pour diriger la transition, signaux positifs ONU-Qatar, RFI, 10/12/2024
 Syrians concerned as HTS flag displayed during interim PM speech, The New Arab, 12/12/2024
 The Syrian Salvation Government drops its Islamic white flag, The Maltese Herald, 12/12/2024
 ’Free Civil Syria’ : Hundreds protest in Damascus for women’s rights, democracy, Al Arabiya English, 19/12/2024
 How to rebuild a state : The challenge facing Syria’s rebels now in power, Le Monde, 16/12/2024
 HTS gains a foothold on key sectors in Syria only 10 days after toppling Bashar al-Assad, Euronews, 18/12/2024
 Should HTS be taken off terror list ?, Deutsche Welle, 18/12/2024
 Syria’s Ex-Rebel Military Chief Says to Dissolve Armed Wing, France 24, 17/12/2024
 In Syria, Ahmad al-Sharaa’s first steps prove to be somewhat reassuring, L’Orient-Le Jour, 17/12/2024
 Syria’s Assad grants amnesty to soldiers who deserted during war, The New York Times, 18/12/2024
 Turkey reopens its embassy in Syria for the first time in 12 years, Euronews, 14/12/2024
 EU takes first step to make contact with Syrian rebels, Kallas announces, Euronews, 16/12/2024
 Western governments expand contacts with Syria’s new leadership, Reuters, 17/12/2024
 Syrie : déplacement d’une mission diplomatique française à Damas, Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, 17/12/2024
 Le groupe HTS tente de rassurer l’Occident, RTBF, 17/12/2024
 Les Européens tâtent le terrain en Syrie, Les Échos, 16/12/2024
 Turkey had priority rebuilding new Syria, HTS leader Jolani says, Turkish Minute, 18/12/2024
 ’This is not a peaceful country’ : Russian military forms fragile truce with Syrian rebels it used to bomb, The Guardian, 16/12/2024
 La flotte russe de Méditerranée entame son retrait de Syrie, RFI, 18/12/2024
 Russian military moving from Syria to Libya, Deutsche Welle, 18/12/2024
 Putin plans to meet Bashar al-Assad, says Russia not defeated in Syria, Al Jazeera, 19/12/2024
 Iran’s Supreme Leader acknowledges a setback for the ’Axis of Resistance’ in Syria, Le Monde, 13/12/2024
 Putin says Russia evacuated 4,000 Iranian fighters from Syria, Anadolu Agency, 19/12/2024
 Le Hezbollah a perdu sa voie d’approvisionnement en Syrie, dit son chef, Challenges, 14/12/2024
 Le chef du Hezbollah espère que le nouveau pouvoir en Syrie ne normalisera pas ses relations avec Israël, Le Figaro, 14/12/2024
 Hezbollah said to help top Assad officials flee to Lebanon, sparking furor in Beirut, The Times of Israel, 14/12/2024
 Ali Mamlouk ne se trouve pas au Liban, assure le ministre Maoulaoui, L’Orient-Le Jour, 14/12/2024
 Turkish-backed Syrian National Army seizes Manbij from U.S.-allied Kurdish-led forces, Foundation for Defense of Democracies, 10/12/2024
 Syrie : les rebelles islamistes se sont emparés de la ville de Deir Ezzor dans l’est, BFMTV, 11/12/2024
 Syrie : au sud de la région autonome kurde, la coalition rebelle a repris Deir Ezzor, RFI, 11/12/2024
 U.S.-brokered ceasefire fails between Kurdish, Turkey-backed forces in Syria, Reuters, 16/12/2024
 Kurdish administration says adopts Syria’s independence flag, Barron’s, 12/12/2024
 No ceasefire deal between Turkey, US-backed SDF in northern Syria : Turkish official, Reuters, 19/12/2024
 Manbij : cette ville stratégique du nord par laquelle les rebelles espèrent unifier la Syrie, Le Figaro, 19/12/2024
 Israel seizes buffer zone in Syria’s Golan Heights after al-Assad falls, Al Jazeera, 8/12/2024
 Netanyahu : Israel to occupy Syria buffer zone on Mount Hermon for ’foreseeable future’, The Guardian, 18/12/2024
 Turkish-backed Syrian National Army seizes Manbij from U.S.-allied Kurdish-led forces, Foundation for Defense of Democracies (FDD), 10/12/2024
 Syrie : les rebelles islamistes se sont emparés de la ville de Deir Ezzor, dans l’est, BFMTV, 11/12/2024
 Syrie : au sud de la région autonome kurde, la coalition rebelle a repris Deir Ezzor, RFI, 11/12/2024
 U.S.-brokered ceasefire fails between Kurdish, Turkey-backed forces in Syria, Reuters, 16/12/2024
 Kurdish administration adopts Syria’s independence flag, Barron’s, 19/12/2024
 Manbij : cette ville stratégique du nord par laquelle les rebelles espèrent unifier la Syrie, Le Figaro, 19/12/2024
 Israel strikes in Syria after Assad’s fall, CNN, 10/12/2024
 Israel seizes buffer zone in Syria’s Golan Heights after al-Assad falls, Al Jazeera, 08/12/2024
 Netanyahu : Israel to occupy Syria buffer zone on Mount Hermon for foreseeable future, The Guardian, 18/12/2024
 Israel veut doubler sa population dans la zone occupée du plateau du Golan syrien, Euronews, 16/12/2024
 After fall of Assad, PM says Israel is transforming the face of the Middle East, The Times of Israel, 16/12/2024
 Tel Aviv regime’s advances in Syria part of ‘Greater Israel’ scheme, says Ansarullah chief, Press TV, 19/12/2024
 Syrie : le chef des rebelles promet de respecter l’accord de 1974 avec Israël, i24 News, 19/12/2024

Bibliographie :
 AL-JABASSINI, Abdullah, The Eighth Brigade : striving for supremacy in Southern Syria, Middle East Directions (MED), 2020/17 - https://hdl.handle.net/1814/69176

Publié le 20/12/2024


Emile Bouvier est chercheur indépendant spécialisé sur le Moyen-Orient et plus spécifiquement sur la Turquie et le monde kurde. Diplômé en Histoire et en Géopolitique de l’Université Paris 1 - Panthéon-Sorbonne, il a connu de nombreuses expériences sécuritaires et diplomatiques au sein de divers ministères français, tant en France qu’au Moyen-Orient. Sa passion pour la région l’amène à y voyager régulièrement et à en apprendre certaines langues, notamment le turc.


 


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