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Les relations entre l’Iran et l’Arabie saoudite, état des lieux (1/2)

Par Matthieu Saab
Publié le 05/05/2017 • modifié le 22/04/2020 • Durée de lecture : 7 minutes

Iran’s President Mohammed Khatami ® welcomes Saudi Crown Prince Abdullah ibn Abed al-Aziz 08 December 1997 at Mehrabad airport near Tehran. The Saudi crown prince is in Tehran to attend the Organization of the Islamic Conference (OIC) summit, which will start 09 December.

MARWAN NAAMANI / AFP

Les deux pays ont des interprétations différentes de l’Islam, notamment depuis la révolution iranienne de 1979 lorsque les Iraniens ont créé la République islamique. L’Iran a adopté l’Islam chiite qui considère que le Calife, le successeur du Prophète Mohammad, doit impérativement être l’un de ses descendants biologiques conformément aux « dispositions divines ». L’Arabie saoudite pour sa part a adopté l’Islam sunnite, une obédience mahométane qui estime que les successeurs du prophète doivent être sélectionnés suite à un consensus de toute la communauté. Ce dilemme explique l’incarcération et la persécution d’un grand nombre d’Iraniens et de Saoudiens qui remettent en cause les principes politiques et religieux dans les deux pays (en Arabie saoudite et en Iran).

Lorsque l’Iran s’est déclarée « Républicaine », elle a procédé à la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Plus tard, elle a organisé des élections annuelles. Ce à quoi l’Arabie saoudite s’est s’opposée, considérant que la République interdit le pouvoir absolu qu’elle ne veut pas remettre en cause à Riyad. En effet, dans la monarchie saoudienne, l’homme qui incarne le pouvoir politique est considéré comme une figure divine qui gouverne au nom de Dieu. Après la Révolution, Iraniens et Saoudiens se sont opposés pour le contrôle des hydrocarbures dans la région. L’Arabie saoudite a réduit sa production de pétrole et hausser les prix de l’or noir. L’Iran, qui a des besoins énergétiques plus importants que l’Arabie saoudite et des raffineries moins performantes, a ainsi vu son économie lourdement handicapée. Il faut signaler également que, depuis le début des années 1980, Saoudiens et Iraniens se sont enlisés dans un conflit territorial dans la région du golfe Persique (2).

La Constitution iranienne prévoit la possibilité pour ce pays d’exporter la Révolution. En effet, les Iraniens refusent le concept de citoyenneté et estiment que les chiites à travers le monde ont une seule patrie, l’Iran révolutionnaire, et ne sont donc pas ressortissants des pays dans lesquels ils vivent. Ce qui ne peut pas être accepté par les Saoudiens et par les autres pays sunnites dans lesquels une communauté chiite importante est établie. Dans ce contexte, seule une modification de la Constitution iranienne pourrait rapprocher sereinement ce pays de l’Arabie saoudite (3).

Histoire des relations entre les deux pays

Les relations diplomatiques entre les deux pays ont commencé en 1928 après la promulgation d’un traité amical entre les deux gouvernements. De 1929 à 1968, de nombreux événements ont défini la politique étrangère des deux pays.

Géographiquement, l’Iran a des frontières avec l’Asie du Sud (Pakistan et Afghanistan) et avec l’Asie Centrale qui, à une certaine époque, faisait partie de la Russie. La découverte des hydrocarbures dans la région a facilité la relation avec la Russie. Cependant, durant la Seconde Guerre mondiale, les relations entre l’Iran et la Russie se dégradent, encourageant l’Occident à se rapprocher du shah d’Iran. En 1948, la création de l’Etat d’Israël permet à l’Occident de s’imposer définitivement dans la région. Dans les années 1950, le Proche-Orient est confronté à quatre problématiques : la Guerre froide, l’opposition des nationalistes arabes contre les deux anciennes superpuissances (Grande-Bretagne la France), le conflit israélo-arabe, les conflits entre les différents Etats arabes pour le contrôle de la région (4).

Durant la guerre froide, les Etats-Unis et les Britanniques veulent créer une coalition au Moyen-Orient contre la Russie. Mais l’Egypte de Nasser rejette cette alliance. La politique coloniale, la consolidation de l’Etat d’Israël et la crise de Suez encouragent l’Egypte à s’allier avec la Russie. En 1955, le Pacte de Bagdad est signé par trois Etats du Moyen-Orient (l’Iran, l’Irak et la Turquie), par le Pakistan et la Grande-Bretagne. Ce Pacte a pour objectif de rapprocher ces pays de l’Occident. A signaler qu’à l’époque, une alliance entre les deux Etats hachémites d’Irak et de Jordanie renforce la Grande-Bretagne mais l’Arabie Saoudite, le plus proche allié des Etats-Unis, s’oppose à cette alliance.

Dans les années 1960 l’Iran s’impose en tant qu’allié des Occidentaux et intervient comme médiateur dans les conflits pakistanais et afghans. Après le coup d’Etat de 1958, qui renversa la monarchie irakienne, l’Arabie saoudite et l’Iran s’imposent dans la région. Le roi Fayçal d’Arabie saoudite crée la Conférence des Etat islamiques avec l’appui du shah d’Iran. En 1973 après le conflit d’octobre, l’Arabie saoudite participe à l’embargo pétrolier et stoppe la livraison d’hydrocarbures à la France et aux Etats-Unis. En 1975, le roi Fayçal d’Arabie est assassiné et remplacé par le roi Khaled. Du côté iranien, la Révolution Blanche, les bouleversements socio-économiques et pro-occidentaux, l’autocratie et le sectarisme du Shah le conduiront à sa perte (5).

La Révolution iranienne de 1979 qui met fin au pouvoir despotique du shah, abolit la Monarchie. L’Arabie saoudite craint alors que la révolution iranienne ne conduise ce pays à vouloir imposer la République dans les autres Etats du Moyen-Orient pour mettre fin aux régimes conservateurs dans la région. L’Iran devint la Nation dominante de la région, ce qui lui vaut l’hostilité du régime saoudien.

L’exécution par le régime saoudien, le 2 janvier 2016, du dignitaire religieux chiite Nimr al-Nimr et de plusieurs de ses soutiens qui vivaient en Arabie saoudite d’où ils prêchaient l’opposition au gouvernement de Riyad, entraine de violentes protestations à Téhéran, qui conduisent à la rupture des relations diplomatiques entre l’Iran et l’Arabie saoudite, le Soudan, la Somalie, Bahreïn, Djibouti et les Emirats arabes unis.

Situation actuelle des deux superpuissances régionales

Actuellement, nous observons une troisième vague de sectarisme provoquée par la guerre civile en Syrie et par l’émergence de l’Etat islamique. La première vague a été déclenchée par la Révolution iranienne de 1979 et par le financement du fondamentalisme salafiste par l’Arabie saoudite afin de contrer l’idéologie de Téhéran. La seconde vague a eu lieu avec l’invasion de l’Irak en 2003 et l’éviction de Saddam Hussein, provoquant le développement de l’Islam djihadiste sunnite et le renforcement de l’Islam chiite (6). La troisième vague de sectarisme se singularise par l’incapacité des Etats de la région à la maitriser. L’ordre régional est en train de s’effondrer et affaiblit les deux principales puissances régionales (qui sont aussi des puissances pétrolières). Cette situation s’explique par la politique intérieure suivie par les deux pays : en Iran, les Gardiens de la Révolution veulent s’imposer face aux pragmatiques qui ont signé l’accord sur le nucléaire, et en Arabie saoudite le nouveau roi utilise les conflits régionaux pour prouver sa bonne foi et pour imposer son image nationaliste. Dans les deux pays, il est impossible de séparer l’aventurisme régional de la politique intérieure.

Entretemps, l’Arabie saoudite a adopté une stratégie fondée sur plusieurs objectifs sur le plan régional : le développement de négociations secrètes avec Israël afin de faire face à l’Iran, l’appui à la Ligue Arabe et au Conseil de Coopération du Golfe qui prennent des mesures anti-iraniennes, la création d’un croissant sunnite contre l’Iran chiite grâce au renforcement de la coopération avec Ankara et Le Caire, la création d’une coalition entre les autocrates arabes et Israël contre le Hezbollah au Liban, le développement des actes terroristes en Iran grâce à des organisations telles que Mojahedin-e Khalq qui, jusqu’en 2012, faisait partie de la liste des organisations terroristes du Département d’Etat américain et enfin le développement de la propagande et de l’intervention directe afin de provoquer le chaos dans les régions sunnites iraniennes (7).

Comme les conflits du Yémen et de la Syrie le prouvent, l’Arabie saoudite doit également s’opposer à la puissance chiite iranienne et aux armées et milices qu’elle finance au Moyen-Orient. Alors que l’Iran s’est renforcé suite à l’accord sur le nucléaire passé avec les Occidentaux qui s’est prolongé avec la levée de sanctions économiques et militaires contre Téhéran (8).

Dans ces conditions, la politique iranienne de Riyad est destinée à mettre en place des « lignes rouges » que Téhéran ne doit pas franchir alors que les Américains sous Obama voulaient à tout prix réduire la tension entre sunnites et chiites au Moyen-Orient et ailleurs dans le monde. Or, la puissance perse a en Irak, en Syrie, au Liban, à Bahreïn et au Yémen jeté de l’huile sur le feu. Dans ces conditions, les principaux alliés des Américains dans la région, l’Arabie saoudite et Israël, s’interrogent sur la politique que va suivre dans la région le nouveau président Trump. Si les Etats-Unis adoptent une politique conciliante à l’égard des Iraniens, les garanties sécuritaires accordées par les Etats-Unis à l’Arabie saoudite pourraient être remises en cause (9).

Le clergé sunnite en Arabie saoudite s’est accommodé de l’émergence de l’Etat islamique qui est un mouvement djihadiste sunnite, car cette nouvelle entité s’oppose aux chiites en Iran alors que la famille royale saoudienne s’est alliée aux Américains contre l’Etat islamique. Dans ces conditions, la famille royale saoudienne doit faire face à l’opposition intérieure djihadiste des dignitaires religieux sunnites qui l’a poussée à exécuter al-Nimr et plusieurs activistes chiites pour prouver sa bonne foi et son engagement contre l’Etat islamique (10).

Le problème actuel est un problème de gouvernance, d’accès et de répartition des ressources économiques. Les Etats-Unis et leurs alliés doivent restaurer les systèmes de gouvernance dans la région et la capacité des Etats à assurer les besoins vitaux de leurs populations. En effet, si les gouvernements de la région étaient plus représentatifs, leurs populations ne seraient pas tombées dans le piège du sectarisme sunnite-chiite. Or cette situation ne risque pas de changer car les familles royales qui gouvernent la région s’accommodent du sectarisme qui leur permet de garder le pouvoir (11).

Lire la partie 2 : Les relations entre l’Iran et l’Arabie saoudite, état des lieux (2/2)

Lire sur ce thème sur Les clés du Moyen-Orient :

 Sunnites/chiites : aux origines du grand schisme de l’Islam

 Entretien avec David Rigoulet-Roze – Le point sur l’Arabie saoudite après l’exécution du Cheikh Nimr al-Nimr

 Nucléaire iranien : genèse, modalités et conséquences d’un accord historique

 Qui dirige l’Etat iranien ? Quelques remarques sur la Constitution de la République islamique d’Iran

Notes :

(1) « An Assessment and Evaluation of Saudi Arabia-Iran Relations from the 20th Century to the Present », The Social Science Quarterly at Queens College, le 29 février 2016.
(2) Idem.
(3) Cf. James M. Dorsey « Pakistani Military Engagement : Walking a Fine Line Between Saudi Arabia and Iran », The Huffington Post.
(4) Muhammad Rizwan, Muhammad Arshid, Muhammed Waqar, Saira Iram « From Rivalry to Nowhere : A Story of Iran-Saudi Ties », Journal of Humanities and Social Science, http://iosrjournals.org/iosr-jhss/papers/Vol19-issue9/Version-4/P0199491101.pdf septembre 2014
(5) Idem.
(6) Frederic Wehrey, Uri Friedman, « What’s the Saudi-Iran Feud Really About ? », The Atlantic, https://www.theatlantic.com/international/archive/2016/01/iran-saudi-sunni-shiite/422808/ le 7 janvier 2016.
(7) Sayed Hossein Mousavian, « Saudi Arabia is Iran’s National Security Threat », The Huffington Post, http://www.huffingtonpost.com/seyed-hossein-mousavian/saudi-arabia-iran-threat_b_10282296.html le 3 juin 2016.
(8) Dennis Ross, « The Saudis are Rightly Concerned About Iran », The New York Times, http://www.nytimes.com/roomfordebate/2016/01/04/saudi-arabia-a-dangerous-ally/the-saudis-are-rightly-concerned-about-iran le 5 janvier 2016.
(9) Idem.
(10) Cf. « What’s the Saudi-Iran Feud Really About ? », The Atlantic.
(11) Idem.

Publié le 05/05/2017


Après des études de Droit à Paris et un MBA à Boston aux Etats-Unis, Matthieu Saab débute sa carrière dans la Banque. En 2007, il décide de se consacrer à l’évolution de l’Orient arabe. Il est l’auteur de « L’Orient d’Edouard Saab » paru en 2013 et co-auteur de deux ouvrages importants : le « Dictionnaire du Moyen-Orient » (2011) et le « Dictionnaire géopolitique de l’Islamisme » (2009).


 


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