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Mani et le Machinéisme

Par Olivier de Trogoff
Publié le 04/11/2014 • modifié le 07/03/2018 • Durée de lecture : 6 minutes

La vie du prophète Mani, fondateur d’une nouvelle religion

Mani est né en l’an 216 de notre ère en Babylonie du nord, sur la rive gauche du Tigre, non loin de l’actuelle Bagdad. A l’âge de quatre ans, il rejoint son père qui a quitté la mère de Mani et s’est converti au Baptisme Elchasaïte. Cette secte chrétienne, baptiste, qui subsiste jusqu’au Xème siècle dans la région, va élever et encadrer le jeune Mani pendant vingt ans. Elle se distingue par une observance stricte du mode de vie prescrit par la torah et par ses règles de vie très sévères.

Mani vit dans la communauté et y est élevé par son père. A 13 ans, il reçoit ses premières révélations par un ange qui a l’apparence de son jumeau. Il commence alors à contester la religion baptiste, jusqu’à quitter la communauté à l’âge de 24 ans, pour prêcher sa propre religion.

Mani se présente comme un nouveau prophète, successeur de Bouddha, Zoroastre et Jésus. Il s’adresse ainsi à l’ensemble du monde connu et cherche à délivrer un message universel. Il part immédiatement prêcher la religion nouvelle vers l’Est, jusqu’en Inde, où il découvre le bouddhisme, dont il incorpore certaines croyances dans son propre dogme. Il n’y a pas de conversions notables des populations bouddhistes, mais plutôt au sein des communautés chrétiennes créées par l’apôtre Thomas dans la région.

De retour à Ctésiphon, capitale de l’empire sassanide, deux ans plus tard, il est reçu à la cour du roi de Shabuhr 1er, qui l’autorise à prêcher dans l’ensemble de son empire. Il accompagne alors le roi lors de sa campagne contre les armées de l’empereur Valérien en 255, durant laquelle il fonde plusieurs communautés. De retour, il élabore les règles de sa nouvelle église et envoie des missionnaires, dont son père et son frère, vers l’Irak, l’Egypte, l’Inde ou encore la péninsule arabique. Quant à Mani, il ne cesse de voyager, pour créer de nouvelles communautés ou bien visiter les communautés déjà créées, tout en attirant un nombre croissant de disciples.

Mais en 273, le roi Vahram succède à son père. Très influencé par le clergé de l’empire, il interdit le manichéisme, afin de rétablir la religion zoroastrienne, comme unique religion de l’empire. Il reproche à Mani d’avoir converti plusieurs vassaux du roi et d’avoir poursuivi ses voyages de conversion. Refusant de se soumettre, Mani est convoqué à la cour en 277, il est alors enchaîné et meurt au bout d’une agonie de plusieurs jours.

La pensée Manichéenne et l’organisation du culte

La vie de Mani et ses enseignements sont relativement bien connus, grâce aux nombreux témoignages, retranscriptions et traductions réalisés. On attribue à Mani la rédaction de neuf ouvrages qui théorisent la pensée manichéenne. Il n’en subsiste aujourd’hui que quelques fragments. La calligraphie de ces ouvrages était très travaillée, Mani était en effet un excellent peintre. Afin de favoriser la diffusion de ses œuvres qu’il écrivait en langue syriaque, Mani a modifié la langue iranienne, en créant « l’alphabet manichéen », ce qui l’a rendu beaucoup plus lisible et a grandement facilité la diffusion de la nouvelle religion en Iran.

De par son expérience baptiste, Mani rejette frontalement la bible juive. Il s’est en revanche beaucoup inspiré du nouveau testament et de la vie de l’apôtre Thomas. Selon Mani, Jésus a eu le mérite de démontrer la fausseté de la loi juive, il n’est pas réellement mort et Mani lui succède pour annoncer la révélation finale au monde.

Selon la théologie manichéenne, le monde de la lumière et le monde des ténèbres s’affrontent. Un Dieu unique réside dans le monde de la lumière, il est Lumière, force et sagesse. Le temps est divisé en trois parties. Le moment antérieur est l’ère où ténèbres et lumières sont séparés, ils se mélangent durant le moment médian, et se sépareront à nouveau lors du moment postérieur. Ces moments sont longuement décrits dans la littérature manichéenne comme une série d’affrontements entre les forces de la lumière et des ténèbres. Cette mythologie très riche met en scène des personnages sacrés comme l’homme primordial, Jésus splendeur, les douze vierges de lumière, etc…

L’être humain est le résultat de l’affrontement entre lumière et ténèbres. Pour les manichéens, l’âme est lumière et le corps est ténèbres. Le manichéen doit donc chercher à favoriser l’esprit et oublier le corps, en créant une certaine séparation entre les deux. Le but est donc de rétablir la division initiale entre le bien et le mal. Si le croyant parvient à atteindre cet état, il sortira du cycle de réincarnation et son âme rejoindra le royaume de la lumière.

Mani a lui-même définit l’organisation de son église afin d’éviter les conflits qui pourraient survenir après sa mort. Parmi les membres, on distingue essentiellement les élus qui sont les religieux, des auditeurs, laïcs. Les élus sont organisés hiérarchiquement. Ainsi, il y a un guide, des apôtres, des évêques et des prêtres. Les religieux sont entièrement vêtus de blanc, ils font vœu d’honnêteté, de pauvreté, de chasteté et d’obéissance. Leur vie est consacrée à la prière et à la prédication.

Le laïc sert ses frères religieux. Il est soumis à cinq obligations qui sont le respect des dix commandements de Mani, les quatre prières quotidiennes, l’aumône, le jeûne et la confession des péchés. La fête principale des manichéens est la Bêma, qui équivaut à la fête chrétienne de Pâques, mais commémore le martyr et la mort de Mani. On ne peut pas devenir élu lorsque l’on est simple auditeur. La seule façon d’y parvenir est la réincarnation. Enfin, les femmes peuvent être élues, mais n’ont pas accès aux postes les plus importants de la hiérarchie manichéenne.

L’église manichéenne, son expansion et sa disparition

Au cours du IVème siècle, le manichéisme se répand dans le monde romain, notamment en Egypte où il s’implante durablement, en Afrique du nord et jusqu’à Constantinople et Rome. La littérature manichéenne est alors largement traduite en copte, grec et latin. Face à un tel succès, les empereurs Dioclétien, Valentinien 1er et Théodose 1er, promulguent des édits d’interdiction et de répression contre les manichéens. Nombre d’entre eux sont alors arrêtés, exécutés ou exilés hors de l’empire.

Saint Augustin suit les enseignements de Mani en tant qu’auditeur entre 373 et 387, date à laquelle il est baptisé. A partir de là, il va s’opposer aux manichéens en multipliant les débats publics. Ses écrits, retraçant l’intégralité de ces débats, nous apportent une bonne connaissance du manichéisme. La répression de poursuit jusqu’au VIème siècle, avec l’empereur Justinien. A la suite de cette répression, le manichéisme disparaît alors rapidement d’Europe.

Après la chute de l’empire Sassanide en 637, les Arabes contrôlent l’Iran où ils tolèrent dans un premier temps les manichéens. La cohabitation entre musulmans et manichéens sera plus longue à Bagdad où se trouve leur pontificat suprême. Cette cohabitation va influencer l’islam naissant sur plusieurs points. Ainsi, l’interdiction de représenter l’image divine existait chez les manichéens, de même que trois des cinq piliers de l’islam (l’aumône, le jeûne et la prière). Mais en 782, suite à la décision du calife abbasside Abdullah al Mahdi de mener des persécutions, le manichéisme péréclite rapidement dans la région. Samarqand va alors devenir la ville centrale du manichéisme, en remplacement de Ctésiphon.

Parallèlement, les manichéens se tournent vers la Chine. Ils traduisent et adaptent les textes et la mythologie au Bouddhisme chinois, en laissant notamment une grande place à Bouddha. En 694, un dignitaire manichéen est signalé à la cour de Chine. L’empereur autorise les manichéens à construire des temples en 768. Entre le VIIème et le XIIIème siècle, le manichéisme se répand dans toute la Chine, jusqu’à l’île de Taiwan. Il est interdit à partir du XIème siècle et disparaît alors progressivement. Plusieurs textes et rites vont influencer et subsistent encore aujourd’hui dans le taoïsme. Le temple de Cao’an en Chine est le dernier temple manichéen encore existant au monde. Il comporte une statue de Mani, appelé en chine « Le Bouddha de lumière ».

De nos jours, quelques groupes se revendiquent toujours de l’église manichéenne. Mani est devenu une figure symbolique importante de la culture iranienne contemporaine.

Bibliographie :
 G.Widengren, Les religions de l’Iran, Payot, 1999.
 Michel Tardieu, Le manichéisme, Paris, Presses Universitaires de France, Que sais-je ? 1981.
 François Décret, Mani et la tradition manichéenne, Paris, Seuil, 2005.
 Amin Maalouf, Les jardins de Lumière, Paris, JC Lattès, 1991.

Publié le 04/11/2014


Olivier de Trogoff est étudiant à l’Institut d’Etudes Politiques de Lyon. Il a effectué plusieurs voyages dans le monde arabe.


 


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