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Parlementaire isolé lors de l’intervention de Suez à laquelle il s’oppose en 1956, médiateur lors de rencontres qu’il organise à son domicile entre progressistes arabes et israéliens en 1976 ou encore invité du Président égyptien Sadate quand celui-ci se rend à Jérusalem en 1977, Pierre Mendès France, ami des Israéliens et respecté dans le monde arabe a multiplié tout au long de sa carrière politique les interventions et les initiatives pour promouvoir sa conception de la paix au Proche-Orient.
S’il est possible de penser que son engagement et son action pour favoriser le dialogue israélo-palestinien ait un lien avec son intérêt pour ses origines juives et son combat permanent contre l’antisémitisme au long de sa carrière politique, cette explication n’est en rien suffisante et peut même être prétexte à confusion.
En effet, si sa connaissance de l’Histoire juive pouvait l’aider à ressentir avec une acuité particulière la spécificité de l’existence israélienne, Pierre Mendès France n’a jamais voulu s’exprimer quand il prenait la parole sur le Proche-Orient « en tant que juif » mais ne l’a jamais fait qu’en tant que « français » ou parfois « homme de gauche ».
En 1947, Pierre Mendès France, partisan d’un foyer national juif, adhère à la « Ligue française pour la Palestine libre » animée par des militants sionistes proches de Menahem Begin. Cette organisation participait à la création d’un climat de sympathie au sein de l’opinion publique française pour la cause sioniste et elle réussit à rallier un très grand nombre d’intellectuels de tous bords allant de Jean Paul Sartre et Simone de Beauvoir à Raymond Aron en passant par Jules Romains ou encore Paul Claudel. De ce fait, il accueillit, naturellement, avec joie la création de l’Etat d’Israël.
Arrivé au pouvoir en juin 1954, Pierre Mendès France conserva sa sympathie pour Israël puisque c’est sous son gouvernement que, très concrètement, les armées françaises et israéliennes commencèrent à mettre en place une véritable alliance avec la livraison d’avions français performants à Israël et l’intensification de la coopération secrète entre les deux pays dans le domaine nucléaire.
De 1948 à 1956, de la proclamation de l’Etat hébreu à la guerre de Suez, on ne relève aucune divergence entre l’ancien Président du Conseil et l’Etat hébreu. Plusieurs des fondateurs sont ses amis et il proclame en toute occasion son admiration pour David Ben Gourion ou pour Golda Meir.
Même durant l’affaire de Suez, Pierre Mendès France ne blâme pas Israël. Au moment de l’annonce à Alexandrie de la nationalisation du Canal de Suez en juillet 1956 (voir Canal de Suez : genèse d’une voie de communication stratégique), il condamne l’attitude de Nasser en l’accusant de mettre de l’huile sur le feu et donc, de ce fait en appelle à une réplique. Mais à ce moment, Mendès France refuse totalement l’idée d’une intervention militaire qui, selon lui, aurait des conséquences désastreuses pour le monde.
Pierre Mendès France manifesta aussi durant cette décennie une véritable admiration pour la politique économique menée par le gouvernement israélien. A l’occasion de la parution en hébreu de son livre La science économique et l’action, il écrit dans sa préface à l’édition de juin 1957 : « Pour effectuer dans les quelques années qui ont suivi sa création un véritable bond dans le XXème siècle, le nouvel Etat a du surmonter des difficultés singulières, d’ordre économique et politique dont l’ampleur justifie à elle seule sa fierté. »
Mais c’est surtout en 1967 durant la guerre des six jours que Pierre Mendès France va montrer son soutien à Israël. Pour Pierre Mendès-France, aucune hésitation, l’attaque menée par Israël en 1967 est un acte de légitime défense. A Claude Bourdet qui se singularise à gauche en critiquant Israël il répond vertement le 8 juin : « Ce qui s’est passé au Moyen-Orient, au cours d’une des dernières semaines me paraît d’une grande clarté. Il y a des gens qui demandent à vivre. Il y a des gens qui crient qu’ils veulent les tuer. Si l’on est un homme de gauche, je ne vois pas que l’on puisse hésiter entre les premiers et les seconds ».
La position de Pierre Mendès France sur la guerre des Six Jours n’avait rien de marginale dans la France de 1967 où « l’opinion française était très massivement pro israélienne ». Ainsi, quand un sondage IFOP réalisé en juin en pleine guerre demandait aux Français : « Dans le conflit qui oppose Israël aux pays arabes, à qui vont vos sympathies ? », 68% répondront Israël et 2% les pays arabes. La gauche de l’époque, à l’exception des communistes, fit preuve notamment d’un très grand activisme pro-israélien. Ainsi, les démocrates socialistes du FGDS fondèrent notamment un « Comité pour le droit d’Israël à l’existence » dont le conseil de parrainage était constitué de personnalités aussi diverses que MM. Gaston Monerville, Gaston Deferre, François Mitterrand où Guy Mollet.
Pierre Mendès France écrira d’ailleurs le 2 juin 1967 à l’un de ses correspondants que « Les vrais amis d’Israël c’est les hommes de gauche ». Cette phrase évidemment n’a de sens qu’en évoquant les critiques que Pierre Mendès France a adressé au général de Gaulle durant le conflit de 1967. En effet, quand le général donne très explicitement tort à Israël lors de la guerre des Six Jours et qu’il condamne le gouvernement de Levi Eshkol pour avoir ouvert les hostilités, Pierre Mendès France est indigné. Pour lui, la fermeture par Nasser du détroit de Tiran était en fait un acte de guerre. Il estime que le droit est bafoué et que la France mine son crédit dans la région et d’abord en Israël en adoptant cette attitude.
Profondément choqué par la politique défavorable du général de Gaulle à l’égard de l’Etat hébreu, il écrit : « Dans sa recherche continuelle d’alliés et de satellites, il a voulu acquérir le soutien du monde arabe et il l’a fait avec une indifférence aux préoccupations humaines et aux obligations juridiques les plus évidentes ».
Dénonçant la pseudo-neutralité du général dans le conflit qui n’a pas respecté l’accord d’envoi d’armes que la France avait avec Israël, il estime que « couper à Israël l’envoi de pièces de rechange et de munitions n’est pas un acte de neutralité, mais une trahison et un coup de poignard ». Enfin, Pierre Mendès France, dans sa correspondance évoque l’écho « de polémiques récentes et de prises de position du général de Gaulle qui ont profondément surpris et choqué beaucoup de Français, parmi lesquels beaucoup de Français de religion israélite ». Il s’agit, bien entendu, de la célèbre conférence de presse du général de Gaulle du 28 novembre 1967, où le Président de la République a dépeint les Juifs comme « un peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur (…) en dépit du flot tantôt montant, tantôt descendant, des malveillances qu’ils provoquaient, qu’ils suscitaient plus exactement dans certains pays et à certaines époques ».
Quand à l’issue de la guerre des Six Jours, Israël resta en possession de la plupart des territoires conquis (Cisjordanie, bande de Gaza, Sinaï et monts du Golan). Pierre Mendès France regardait déjà de l’avant et espéra que tout compte fait, de meilleures chances de négociations et de résolutions du conflit étaient ainsi acquises, qu’Israël pourrait proposer la paix en échange des territoires.
A partir de ce moment, il va faire pression sur Israël pour que l’Etat hébreu recherche un accord avec le monde arabe. Très vite, en effet, il est parvenu à la conclusion que la victoire obtenue par Tsahal ne serait porteuse d’avenir que si elle s’accompagnait d’une politique d’ouverture vis-à-vis de ses voisins. Or, la France, qui a pris position contre Israël, est désormais mal placée pour faire pression sur l’Etat hébreu. Elle est populaire dans le camp qu’elle ne peut pas influencer, et elle a perdu tout crédit pour donner à l’autre des conseils de sagesse. Dès lors, l’observateur qu’était Pierre Mendès France se mue en un acteur en quête d’une véritable influence au Proche-Orient. Dès la fin du conflit de 1967, il envoie un message à Moshé Dayan lui demandant d’agir sur le coup, et sans attendre, d’aller avec générosité vers les vaincus. Pierre Mendès France pensait qu’aucune paix ne pourrait régner dans la région tant que la question palestinienne ne serait pas résolue.
Dans un premier temps, Pierre Mendès France s’aligna sur les positions du gouvernement israélien. Il accusa les gouvernements arabes de faire obstacle à toute perspective de résolution du problème des réfugiés en exigeant le retour et leur installation à l’intérieur des frontières d’Israël et en utilisant les réfugiés comme des instruments contre Israël. Il préconisait leur installation dans les pays arabes avec l’aide massive des nations industrialisées du monde. Il acceptait l’argument selon lequel un rapatriement massif d’Arabes en Israël constituerait un déséquilibre ethnique et mettrait en danger l’existence même de l’Etat d’Israël en tant qu’Etat juif. Et surtout il adhérait à la position officielle d’Israël, à savoir que les territoires ne pouvaient être évacués avant la conclusion d’un traité de paix. Mais Pierre Mendès France pensait qu’Israël ne pourrait rester indéfiniment en possessions de ces territoires et ses appels à Israël devinrent chaque jour plus pressants. Pour lui, Israël devait démontrer sa volonté de paix et réfuter ceux qui l’accusaient de mener une politique annexionniste. Mais s’il semblait penser que c’était à Israël de prendre l’initiative en faisant des concessions territoriales, il regrettait aussi que les dirigeants arabes fassent le choix de la facilité en stigmatisant l’Etat hébreu pour s’assurer le soutien de leurs peuples plutôt que de réfléchir à un accord de paix.
Sceptique quant à la possibilité de trouver un médiateur valable, il trouvait l’Union Soviétique et la France d’une part et les Etats-Unis d’autre part trop partisans. Pierre Mendès France parvint à se convaincre qu’il pouvait aider les peuples du Proche-Orient à faire la paix.
Cette mission va prendre forme au début de l’été 1976 où s’ouvrent sous ses auspices des négociations secrètes entre progressistes des deux parties. En effet, lui qui a tant dit que le rôle des tiers dans ce conflit était de servir de médiateurs, d’apaiser les angoisses et non de les exaspérer va être invité à servir de tiers par les deux parties qui cherchent le dialogue à Paris.
Retiré de la vie politique, il est disponible. Dès le début de l’été donc, des pourparlers secrets débutent à Montfrin, où Pierre Mendès France passe l’été. Trois hommes participent à une première rencontre dans sa résidence : le général Peled, considéré comme un héros en Israël pour s’être illustré durant la guerre des Six Jours ; le député de gauche Lova Eliav ; le docteur Issam Sartawi enfin, proche de Yasser Arafat, qui lui a confié un rôle d’ambassadeur itinérant. Sept ou huit rencontres analogues à celles de Montfrin se tinrent par la suite à Paris dans le seizième arrondissement chez Pierre Mendès France, dans son appartement de la rue du Conseiller- Collignon.
Chaque fois, le secret était rigoureusement observé : la loi israélienne prohibait, en effet, ce genre de contacts et, du côté palestinien, la méfiance était plus grande encore. Souvent il arrivait que les deux parties ne fussent pas directement en présence, Pierre Mendès France servant alors d’intermédiaire. Ces pourparlers, strictement privés, avaient l’aval à la fois de Yasser Arafat et de Itzhak Rabin, alors chef du gouvernement israélien.
Mais malheureusement ces rencontres n’eurent pas de résultats immédiats. Cependant, malgré le blocage de la situation, Pierre Mendès France poursuivit tout au long de l’année 1977 ses rencontres avec des progressistes des deux camps.
Tout ce dispositif fut bousculé par la visite historique en novembre 1977 de Sadate à Jérusalem. De la fameuse visite du raïs égyptien à Jérusalem le 19 novembre 1977, Pierre Mendès France se trouva le témoin privilégié. Au même moment, celui-ci se trouvait à Tel-Aviv, où il assistait à un colloque et fut reçu par le Président Sadate, rejoint par Menahem Begin.
En réalité, il est possible de penser que Pierre Mendès France était loin de n’être rien dans la visite du Président Sadate à Jérusalem.
Ainsi, Aly Elsammann, directeur de l’information de Sadate, livrera lors d’un colloque organisé à Grenoble en 1989 son sentiment sur le rôle de Pierre Mendès France dans la prise de conscience de Sadate qu’il fallait aller à la rencontre des Israéliens : « Pierre Mendès France me demanda de transmettre au président Sadate un message dans lequel il disait : Maintenant que vous avez accompli l’essentiel, c’est-à-dire que vous avez redonné au peuple égyptien sa dignité, vous êtes dans une position qui vous permet de proposer un deal aux Israéliens : la paix contre les territoires. Lorsque j’ai revu le Président Sadate un mois après, il s’est contenté de me dire sans autre commentaire : Mendès France est un grand homme d’Etat. Lors du voyage de Sadate en Israël, j’avoue que, je n’ai pas cessé une seconde, en suivant son arrivée à Jérusalem, de penser à ce message que Mendès France m’avait confié bien des années avant ». Il semble donc aisé de conclure que Pierre Mendès France n’est pas tout à fait étranger à cette initiative prise par le dirigeant égyptien.
Mais suite à la visite de Sadate, Pierre Mendès France fut déçu que le problème palestinien n’ait en rien été réglé. Et dans les dernières années de sa vie, Pierre Mendès France continua à s’adresser aux Israéliens avec empathie mais de façon bien plus vigoureuse qu’il ne l’avait fait auparavant. Pierre Mendès France comprenait fort bien les impératifs sécuritaires d’Israël et n’avait, naturellement, aucune complaisance pour le terrorisme palestinien. Pour autant, il souhaitait que les Israéliens, après l’élection de Menahem Begin, aient une opposition qui prône une vraie politique alternative à celle proposée par le Likoud concernant la question palestinienne. Il ne cessa de s’adresser en ce sens à Shimon Pérès pour l’inciter à se désolidariser de la politique de Begin qui ignorait le fait palestinien.
Malgré donc le découragement que lui inspiraient les positions de Begin et d’Arafat, Pierre Mendès France continua d’espérer et notamment que la France puisse rejouer un rôle au Proche-Orient à la faveur du résultat des élections présidentielles françaises de 1981. Ainsi, après l’élection à la Présidence de la République de François Mitterrand, sans le dire ouvertement, il avait espéré que serait enfin officialisé le rôle de modérateur qu’il jouait entre Israéliens et Palestiniens depuis plusieurs années déjà. Mais le nouveau Président de la République était d’autant moins enclin à accéder à son souhait qu’il comptait bien lui-même attacher son nom à une solution pacifique au Proche-Orient.
Pierre Mendès France a tout de même une satisfaction, celle de voir le 4 mars 1982 François Mitterrand être le premier chef de l’Etat français à se rendre en Israël et à prononcer un discours devant la Knesset. Mais cette satisfaction fut de courte durée puisque quelques semaines plus tard éclata la guerre du Liban.
Pierre Mendès France désapprouva l’incursion d’Israël motivée par la volonté de prévenir le danger que représentait la présence d’unités de l’OLP au nord de la frontière israélo-libanaise. Il signa le 3 juillet 1982 dans Le Monde avec Philippe Klutznik, ancien Secrétaire d’Etat du Président américain Jimmy Carter et Nahum Goldman, ancien Président du Congrès juif mondial, une tribune appelant les deux parties à une reconnaissance réciproque et à l’autodétermination du peuple palestinien.
Quelques mois plus tard, Pierre Mendès France est foudroyé par un infarctus et meurt à l’âge de 75 ans, désespéré par l’absence de perspectives de paix au Proche-Orient.
Celui-ci aura donc consacré une partie de sa vie, en particulier durant ses dernières années, à œuvrer pour la paix au Proche-Orient.
De toute évidence, malgré sa bonne volonté et celle des hommes qu’il a fait se rencontrer chez lui à Paris et à Montfrin, il n’a pas réussi à imposer ses vues pacifiques aux différents dirigeants de la région. Cependant, il serait naturellement injuste d’estimer que le combat qu’il a tenté de mener aux côtés d’autres hommes de paix comme Issam Sartawi, Nahum Goldmann ou Lova Eliav fut vain et sans conséquence.
En tentant de promouvoir la discussion entre les parties, il a ouvert la voie aux nombreux pourparlers israélo-arabes et israélo-palestiniens qui ont suivi tout au long des décennies suivantes.
Pour aller plus loin avec les articles publiés dans Les clés du Moyen-Orient :
– Biographie de Sadate
– Fiche pays Israël
– Article sur le Canal de Suez : genèse d’une voie de communication stratégique
– Article sur la crise de Suez
– Article sur la guerre des six jours
Jérémy Sebbane
Jérémy Sebbane est né en 1985. "Pierre Mendès France et la question du Proche-Orient" est son premier essai et le fruit des recherches qu’il a menées à l’Institut d’études politiques de Paris sous la direction de Jean Noël Jeanneney. Il est également l’auteur d’un mémoire consacré à "L’immigration des Juifs de France en Israël de 2000 à 2006" soutenu à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne sous la direction de Patricia Hidiroglou.
Membre de la rédaction de la revue de la Fondation Jean Jaurès "Esprit critique", du cabinet d’experts de la fondation progressiste "Terra Nova", il a notamment travaillé de 2009 à 2011 auprès du Député-Maire d’Evry Manuel Valls avant de devenir Chef de Cabinet de l’Adjointe au Maire de Paris chargée de l’Egalité femmes/hommes.
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