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On fait généralement remonter la naissance du nationalisme arabe, en tant que conscience nationale et politique, à la Première Guerre mondiale. Cette nouvelle représentation fait pourtant partie d’un lent processus qui s’affirme à travers différents penseurs et mouvements tout au long du XIXe siècle avant de donner lieu à un réel projet séparatiste durant les années 1910. Nous tenterons ici de brosser un tableau des différents facteurs et personnages qui ont permis l’émergence de cette reconnaissance ethnique dans le cadre de l’Empire ottoman et qui amènera à la conscience arabe contemporaine.
Lire la deuxième partie : Nationalisme dans l’entre-deux-guerres : l’émergence
Depuis la conquête du Caire en 1517, puis de Bagdad en 1533, la majorité des terres arabes tombe sous domination ottomane. Seul le Maroc et quelques tribus de la péninsule arabique échappent à ce contrôle. La responsabilité califale revient également au sultan ottoman, lui conférant ainsi un rôle politique mais également spirituel sur la communauté musulmane de l’Empire. Le caractère arabe des provinces syriennes (incluant le Liban et la Palestine), et de la Mésopotamie jusqu’en Egypte, est alors assez secondaire. Un individu est ainsi désigné comme Arabe s’il est généalogiquement relié à la péninsule arabique, dans le cadre des conquêtes des premiers temps de l’Islam.
Au XIXème siècle, l’Empire ottoman, qualifié d’ « homme malade de l’Europe », montre de nombreux signes de faiblesse, déjà mis en avant lors de l’expédition d’Egypte de Napoléon en 1798. En proie à des difficultés économiques et sociales, l’Empire ottoman n’est plus en mesure de contenir les ambitions des Puissances européennes dans la région, dont les idéaux et théories politiques touchent les milieux intellectuels arabes.
Au début du XIXe siècle, Mehmet Ali (1769-1849), général d’origine albanaise, réussit à rétablir l’autorité ottomane sur les terres menacées par les troupes wahhabites de Seoud qui accusaient les Turcs d’avoir corrompu la foi islamique. Devenu vice-roi d’Egypte, il met en place un large programme de réformes dans les domaines administratif, militaire, judiciaire et scolaire et donne à cette province un statut d’autonomie particulier. En ouvrant la région à une plus grande modernité, il favorise une certaine renaissance intellectuelle et culturelle. La mise en place à Constantinople d’un mouvement de réforme et de réorganisation des institutions, les Tanzimat, pousse également plusieurs Ottomans à s’interroger sur le moyen de freiner la décadence ottomane et l’ingérence grandissante des Puissances occidentales dans les affaires intérieures de l’Empire.
C’est dans ce contexte qu’un mouvement de renaissance, la nadha, s’opère dans le domaine linguistique et culturel arabe, à l’initiative de penseurs, syriens pour la plupart, tels que les chrétiens Nassir al Yazigi (1800-1871) ou Boutros al-Boustani (1819-1883). Ils revisitent alors le patrimoine linguistique et culturel des Arabes, en effectuant un important travail littéraire et journalistique, reconsidérant les auteurs classiques de l’époque abbasside. Ils insistent sur l’unité du peuple Arabe, au passé riche et glorieux, sans distinction confessionnelle. Cet appel à la solidarité arabe et la mise en avant de cette unicité est d’autant plus mis en avant après les massacres de 1860 où plus de 5 000 chrétiens furent tués par des Druzes au Liban et à Damas, entrainant l’intervention militaire française. Cet arabisme naissant n’est par ailleurs en aucun cas une réaction anti-ottomane et la plupart de ces auteurs encouragent l’instauration d’un régime constitutionnel dans l’Empire.
Parallèlement à ce mouvement qui insiste sur l’arabité et non sur la religion, nait un courant plus islamiste, plus centré en Egypte, inspiré par des penseurs tels que Jamal al-Din al-Afghani (1839-1897) ou Muhammad Abdul (1849-1897). Toujours dans le souci de combler le retard de l’Empire par rapport à l’Occident, l’Islam apparait, pour ces derniers, être la solution appropriée. Un Islam réformé, repris à sa source, sans aucun emprunt, ne peut alors que redonner au monde musulman sa grandeur passée. Ce mouvement réformiste musulman, Salafiyyah, tente alors de concilier les techniques d’un monde modernisé dans le respect des valeurs de l’Islam pour combattre la domination occidentale. Ils soutiennent alors la renaissance de la langue arabe, la langue du Coran.
Le lien entre les deux courants se fait plus concrètement par le Syrien Rachid Rida (1865-1935) : tout en appelant au rétablissement de l’Islam, dans la continuité des penseurs islamistes, il met en avant la primauté du peuple Arabe dans cette religion et accuse les non-Arabes musulmans, d’avoir favorisé la perversion de l’islam. Les Turcs sont clairement visés ici, ce qui n’était pas le cas jusqu’à présent. La question de califat prend alors une importance considérable. Les réformistes appellent au rétablissement d’un califat arabe qui se cantonnerait à un pouvoir spirituel et non pas temporel.
Dans ce contexte de foisonnement intellectuel, l’arrivée au pouvoir du sultan Abdul Hamid II en 1876 favorise progressivement la politisation de ces mouvements et entraine une opposition plus active à l’autorité ottomane. Il ne faut cependant pas surestimer l’importance de cette opposition à la fin du XIXe siècle qui est encore loin d’une mobilisation massive.
La politique autoritaire (abolition de la Constitution de 1876, rétablissement de la censure, répression…) mise en place par le sultan Abdul Hamid II (1842-1918) est rapidement mal perçue par une partie des notables arabes mais également parmi les libéraux et constitutionalistes turcs. Différentes sociétés secrètes se forment alors dans les milieux fonctionnaires et militaires. En 1880, des appels à une plus large autonomie des provinces arabes sont placardés dans la ville de Beyrouth, démontrant une nouvelle forme politisée du réveil arabe. Même si la protestation libérale ne relève pas encore précisément d’un simple nationalisme arabe, la question du rapport au pouvoir ottoman est plus clairement mise en avant. De nombreux Syriens, fuyant la répression, se rendent en Egypte où ils peuvent jouir d’une plus grande liberté et de plus de moyens pour diffuser leurs idées. Certains, s’inspirant d’idées françaises, comme le chrétien libanais Negib Azoury, auteur en 1904 du Réveil de la nation arabe dans l’Asie turque, publié en français depuis Paris, est marqué des conceptions plus laïques et positivistes d’Auguste Comte. Il est d’ailleurs, dans cet ouvrage, un des premiers à dénoncer le danger sioniste et va jusqu’à prophétiser un inévitable affrontement entre ces deux formes de nationalisme. D’une manière générale, cette opposition libérale au régime hamidien favorise l’affinement des théories politiques et finalement nationalistes.
La prise de pouvoir par les Jeunes-Turcs en 1908 et le rétablissement de la Constitution de 1976 est suivie d’une vague d’enthousiasme dans l’ensemble des provinces arabes. Ces manifestations de joie ne vont finalement durer que quelques mois et la politique du Comité Union et Progrès (CUP) au pouvoir (turquification de l’Empire) va rapidement attiser la colère des notables arabes. En effet, le remplacement de ces derniers par des fidèles du CUP, majoritairement d’origine turque, aux postes clés, la mise en avant de la langue turque dans l’administration, la justice et dans l’enseignement est ressentie comme un affront et une volonté de supprimer la langue du Prophète. Le rétablissement de la censure et l’interdiction des organisations poussent la grande majorité des élus arabes à soutenir l’opposition au CUP et à entrer dans les partis prônant la décentralisation administrative de l’Empire. Les volontés autonomistes se font de plus en plus ressentir.
A partir de 1909, des sociétés secrètes se forment à nouveau contre le régime. En juin 1913, un Congrès général arabe s’ouvre à Paris regroupant différentes organisations nationalistes chrétiennes ou musulmanes (la Ligue de la patrie arabe, al Fatat, le Parti de la décentralisation, al Ahd). Leurs revendications sont ensuite communiquées : ils appellent à une plus grande participation aux affaires de l’Etat, à l’exercice des droits politiques, à une décentralisation et au respect de la langue arabe. Ces demandes sont encore relativement modérées et restent également essentiellement laïques.
L’entrée en guerre de l’Empire ottoman aux côtés des Empires centraux est accompagnée d’une radicalisation du régime Jeune-turc envers les mouvements arabistes qu’ils accusent de trahison. Les arrestations et exécutions se multiplient : la rupture est définitivement consumée. Certains nationalistes, notamment syriens, se tournent vers la famille Hachémite dans l’espérance d’organiser un soulèvement contre les Turques. En 1916, le chérif de La Mecque, Hussein, avec l’aide des Britanniques, déclenche effectivement une révolte dans le Hedjaz. Il faut toutefois noter que l’idéologie du mouvement est alors assez éloignée des thèses nationalistes.
La fin de l’Empire ottoman et l’instauration des régimes des mandats au détriment des aspirations nationales et du rêve d’un grand royaume arabe, vont alors donner un nouveau dynamisme au nationalisme arabe dans le cadre de la lutte contre l’impérialisme européen.
Bibliographie :
Vincent Cloarec, Henry Laurens, Le Moyen-Orient au 20e siècle, Paris, Armand Colin, 2005.
Catherine Kaminsky, Simon Kruk, Le Nationalisme arabe et le nationalisme juif, Paris, Presses Universitaires de France, 1983.
Henry Laurens, L’Orient arabe, Arabisme et islamisme de 1798 à 1945, Paris, Armand Colin, 2004.
Nadine Picaudou, La Décennie qui ébranla le Moyen-Orient 1914-1923, Bruxelles, Editions Complexe, 1992.
Charles Saint-Prot, Le Nationalisme arabe, alternative à l’intégrisme, Paris, Ellipses, 1995.
Lisa Romeo
Lisa Romeo est titulaire d’un Master 2 de l’université Paris IV-Sorbonne. Elle travaille sur la politique arabe française en 1956 vue par les pays arabes. Elle a vécu aux Emirats Arabes Unis.
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