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Olivier Hanne, arabophone et docteur en histoire, chercheur associé à l’université d’Aix-Marseille, et Thomas Flichy de La Neuville, docteur en droit, ancien élève de l’Inalco et enseignant à l’université d’Oxford, analysent dans cet ouvrage publié en novembre 2015 les origines de l’Etat islamique, ses objectifs, et font le point sur son avancée de juin 2014 à février 2015. Pour les auteurs, l’EI s’encre dans un contexte historique, celui de la disparition du dernier calife abbasside à la suite de la chute de Bagdad le 10 février 1258, et dont celle-ci a provoqué la volonté ou le « rêve » de prendre une revanche : « Expliquer l’apparition récente de l’Etat islamique par des raisons exclusivement économiques et conjoncturelles revient à commettre un contresens. Le renouveau du califat se présente avant tout comme la cristallisation d’un rêve ancien et il ne fait guère de doute que la réutilisation du terme de calife ait créé un choc émotionnel qui échappe à l’Occident » (page 6).
Les auteurs se penchent dans cette première partie sur les circonstances de l’effondrement de l’Irak et de la Syrie, effondrement qui a permis l’essor de l’EI.
Concernant l’Irak, ils rappellent la configuration « ethnico-religieuse » de la société sous Saddam Hussein (qui était sunnite) : 49% d’Arabes chiites, 17% d’Arabes sunnites, 28% de Kurdes sunnites, des minorités tant chrétiennes que musulmanes, et relèvent les dissensions du régime avec les chiites, ces derniers étant considérés comme liés à l’Iran chiite. A cette configuration communautaire s’ajoute la dimension tribale de la société, « réalité très structurante, plus forte que l’Etat laïc ou démocratique » (page 10). La prépondérance du parti laïc et socialiste Baas est également évoquée, ainsi que la volonté de fédérer les populations par ce prisme laïc. Ces diverses spécificités - communautaires, tribales, laïques - de la société, ainsi que la montée en puissance des chiites avec la présence américaine dès 2003, ont été le terreau du développement l’EI. A cette configuration sociale et communautaire s’ajoute la dimension énergétique de l’Irak, dont les auteurs rappellent le nombre s’années de réserve, 115 milliards de barils, une des plus importantes réserves au monde, et qui a provoqué les convoitises des grandes puissances mais aussi les âpres concurrences des compagnies pétrolières mondiales (Etats-Unis, Grande-Bretagne, Pays-Bas, Russie, Chine). Cependant, la montée en puissance de l’EI a figé des projets pétroliers et a diminué l’attrait pour le pétrole irakien, d’autant plus que pour leur part, les Etats-Unis ont développé l’exploitation du gaz de schiste sur leur sol.
Les auteurs rappellent ensuite en quoi l’intervention américaine de 2003-2011 a contribué à la « décomposition de l’Irak », en particulier la décision de débaasifier le pays et celle d’éloigner les sunnites de la vie politique et administrative. Plusieurs événements renforcent encore la marginalisation des sunnites : les élections de janvier 2005 marquées par la victoire des chiites et des Kurdes, les sunnites ayant décidé de ne pas y participer ; la nouvelle Constitution d’octobre 2005 ; la mort de Saddam Hussein en 2006. Des groupes sunnites sont alors constitués entre 2004 et 2006, qui luttent contre le pouvoir chiite et contre les Etats-Unis. Les auteurs soulignent que parmi ces groupes, « à l’origine composés d’anciens membres de la Garde républicaine, d’officiers ou de baassistes, beaucoup se sont radicalisés et ont adopté l’islamisme, jusqu’à faire entrer dans leurs rangs des djihadistes étrangers » (page 18). Parmi ces groupes, l’un appelé l’Unicité et le djihad, apparu dès 1990 en Irak, dirigé par Abû Mussa’ab al-Zarqâwi et dans l’orbite d’al-Qaïda, devient en 2013 l’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL). Dans cette configuration de violence, les Etats-Unis décident en 2007 de prendre appui sur les tribus sunnites du centre du pays, en échange de promesses que ceux-ci seront intégrés dans les services de sécurité. Cependant, le Premier ministre chiite Nûri al-Mâliki (2006-2014) n’arrive pas à endiguer le climat de violence entre les communautés, tandis que les troupes américaines quittent l’Irak en 2011. Les sunnites, humiliés et exaspérés, sont autant de futures recrues pour l’EI.
Dans le même temps, en Syrie, la guerre civile est déclenchée à la suite de manifestations pacifiques se déroulant dans plusieurs villes en mars 2011, et réprimées par le régime. En 2012, la guerre devient civile, entre l’armée du régime et l’Armée syrienne libre (ASL), composée d’anciens officiers du régime, à laquelle s’ajoutent des djihadistes de la région mais également en provenance d’Europe et issus de l’immigration. Des armes sont envoyées à l’ASL par l’Occident, via la Turquie, le Qatar et l’Arabie saoudite. Pour sa part, le régime reçoit le soutien du Hezbollah et de l’Iran. Ainsi, selon les auteurs, « la guerre civile syrienne a créé un terrain plus que favorable à l’avènement de l’Etat islamique : loin de l’œil inquisiteur des médias et de la communauté internationale, les hommes de Daesh ont pu faire leurs premières armes contre l’armée syrienne » (page 25). Les auteurs reviennent ensuite sur les groupes rebelles syriens, et en particulier sur le groupe Jabhat al-Nosra, créé en 2012 par al-Zawahiri (al-Qaïda) et au départ branche armée de l’EIIL, mais qui en mai 2014 décide de se séparer de l’EIIL, et prête alors allégeance à al-Qaïda.
Les auteurs évoquent ensuite l’opportunisme des sunnites irakiens, aussi bien des anciens baasistes ralliés à l’EI afin d’assurer l’autonomie de la zone irakienne sunnite, que des chefs de tribus, souhaitant retrouver leurs fonctions politiques dans le pays.
La question de l’avancée territoriale de l’EI est analysée, pour clôturer cette première partie. Les auteurs rappellent que « dès 2008, le mouvement opéra une mutation stratégique aussi ambitieuse qu’irréaliste à l’époque et dont le but était l’installation durable sur un territoire déterminé » (page 36). Des attentats sont alors menés dès l’été 2012, dans la région située au nord de Bagdad, « l’enjeu (étant) la domination des marges de l’espace majoritairement sunnite » (page 39). Des zones chiites du sud de l’Irak sont également touchées, en septembre. En 2013, l’EI mène des attentats à Bagdad, puis dans la province d’al-Anbar, et la ville de Faloujah tombe le 30 décembre. Mossoul ainsi que la province de Ninive tombent en juin 2014, ainsi que les villes de Baydji, Tall Afar, al-Awja et Tikrit. Kirkouk est pour sa part prise le 13 juin par les Peshmergas kurdes, qui profitent de la faiblesse des troupes irakiennes. L’EI poursuit ses victoires par les prises des villes de Rawa, Rutba, al-Qaïm et Rabia, qui permettent d’aller en Syrie. Autre étape : le 29 juin, al-Baghdâdî proclame le califat et change le nom de l’organisation en Etat islamique (EI). Au mois d’août, l’objectif de l’EI est Bagdad, mais l’organisation est confrontée à la résistance des chiites, suite à l’appel de l’ayatollah al-Sistani, et à celle de l’armée irakienne. Bagdad ne tombe pas. Ne pouvant ainsi plus progresser au sud, débutent alors les offensives de l’EI sur sa frontière nord, en particulier contre les Kurdes et contre la minorité yézidie. Devant cette situation, sollicités par Bagdad, les Etats-Unis bombardent alors des positions de l’EI, contraignant l’organisation à reculer. En septembre 2014, les Etats-Unis annoncent la formation d’une coalition de 25 pays contre l’EI, et les prises et défaites territoriales de l’organisation se succèdent.
Selon Olivier Hanne et Thomas Flichy de la Neuville, « la proclamation du Califat, de même que la foudroyante réussite des membres de l’EI, apparaît comme la victoire enfin advenue des populations arabes sunnites, vaincues depuis cinq siècles. Cet avènement a une éminente valeur morale, spirituelle et mémorielle pour les affidés de Daesh. Le retour du Califat fut d’ailleurs annoncé par de nombreux prédicateurs radicaux, notamment le Koweïtien Täreq al-Sûwaydân en 2010. Les mentalités djihadistes y étaient préparées » (page 50). Les auteurs évoquent ainsi les racines historiques de l’islam, la succession du Prophète à sa mort en 632, le chiisme entre sunnites et chiites, la mise en place du califat par la dynastie des Umayyades à Damas, de 661 à 749, date à laquelle la dynastie abbasside prend le pouvoir jusqu’en 1258. La dynastie abbasside, florissante jusqu’au XI ème siècle, promeut le sunnisme et la charia, jusqu’à l’invasion mongole qui la renverse en 1258, avec la prise de Bagdad qui marque la fin du Califat. Ainsi, le Califat proclamé par al-Baghdâdî s’inscrit-il dans ce contexte historique, le califat de l’Empire abbasside s’opposant aux hérétiques, c’est-à-dire aux chiites, et le Calife ayant une autorité politique et religieuse. Les objectifs territoriaux de l’EI sont la Péninsule arabique, la Perse, Rome, selon un hadith repris dans la revue de l’EI, Dabiq.
Les auteurs reviennent ensuite sur le parcours d’al-Baghdâdî, Irakien né en 1971. Avec l’intervention américaine, il entre dans la résistance armée, et s’occupe des recrutements. Arrêté par l’armée américaine en 2005, il est emprisonné et relâché en 2009. Il entre alors dans l’organisation Etat islamique en Irak dont il devient émir en mai 2010. Il combat en Syrie (Raqqa et Alep en 2013), et recrute des combattants. Il n’est pas dans la recherche du culte de la personnalité, cultivant au contraire le secret et l’isolement, comme les califes abbassides qui vivaient reclus dans leurs palais, sans lien avec le public. Enfin, il se dit de la lignée des al-Qurayshî, nom de la tribu de La Mecque, et considérée comme seule pouvant prétendre au califat.
La question de la « revanche sunnite sur l’histoire » est abordée : « revanche sur le gouvernement d’al-Maliki, l’EI est plus encore une revanche sur le passé, qui a la valeur d’un don divin » (page 63). En effet, les auteurs expliquent comment, à la suite de l’Empire abbasside, les Arabes ont été écartés du pouvoir, au profit successivement des Seldjûqides, des Mongols iljhâns, des Malemouks et des Ottomans, tandis que les Européens prennent le contrôle des routes maritimes et commerciales. Les Perses chiites, en revanche, conservent leur pouvoir. Ainsi, « la double humiliation par l’Occident et le monde shiite va profondément s’enraciner dans les mentalités, sans trouver aucun réconfort dans la puissance de l’empire turc, lui-même oppressif envers ses sujets arabes, et opportuniste en matière religieuse » (page 63). Suit ensuite, à l’issue de la Première Guerre mondiale et de la chute de l’Empire ottoman, le partage de la région par les puissances française et britannique, sous forme de mandats sur la Syrie, le Liban, l’Irak, la Transjordanie, la Palestine. Après les indépendances, les sunnites continuent à être « humiliés », en Syrie où le régime est alaouite ; en Irak, où même si Saddam Hussein redonne un sentiment de fierté nationale, la Guerre du Golfe « marque le coup d’arrêt aux espoirs d’une renaissance irakienne » (page 67). L’EI envisage alors de remettre en place la cohésion de la communauté sunnite, et d’appliquer la Sunna et les paroles du Prophète.
« La culture du djihadisme » est ensuite expliquée, par un retour aux racines historiques. Les auteurs rappellent à cet égard comment, à la suite de l’exil du Prophète de La Mecque, les razzias et les actes guerriers « participèrent de l’identité musulmane » (page 73). Pour al-Baghdâdî, le djihad est présenté comme étant « indispensable », tel qu’il l’explique dans son prône du vendredi 4 juillet 2014. Les auteurs expliquent en outre comment les actes commis par l’EI relèvent de ce qui était pratiqué au Moyen Âge : « Toutes ces règles mises en place autour des VII-Xèmes siècles sont appliquées avec scrupule par les djihadistes d’Irak et de Syrie » (page 77).
La question médiatique est aussi analysée. Les succès remportés par l’EI sont médiatisés et « serv(ent) de relais au recrutement de ses membres et aux campagnes de terreur contre ses opposants en Irak et en Syrie » (page 81). En effet, « la publicité des exactions constitue la partie la plus glaçante et la plus connue de la médiatisation de Daesh. En s’adressant à ses adversaires, l’organisation les discrédite et crée une terreur qui précède son action militaire » (page 82). Les auteurs rappellent à cet égard les différentes scènes à l’encontre des soldats et des civils, les décapitations de journalistes… le but étant de créer chez le spectateur la terreur puis le doute sur les capacités à lutter contre l’EI. En outre, l’EI maîtrise parfaitement les outils de communications sur Internet et la diffusion de l’information sur les réseaux sociaux, et publient des revues en français et en anglais.
Qui sont les hommes de l’EI ? Les auteurs estiment que si l’EI, « intègre des déséquilibrés et des déclassés sociaux, il attire d’abord des croyants sincères qui ont lu, ou au moins parcouru les grands érudits rigoristes du Moyen Âge, et surtout Ibn Taymiyya » (page 88). La victoire de Dieu est l’objectif de l’EI, et qui passe en particulier par le « retour à l’islam des origines mais aussi une utilisation de la violence légale contre les kufar, les ‘infidèles’ », (page 88) selon le takfirisme. Les minorités non sunnites sont ainsi concernées : chrétiens, chiites, dont les auteurs relatent la politique menée à leur encontre par l’EI. Enfin, des sunnites eux-mêmes peuvent être accusés de ne pas entrer dans ce que souhaite l’EI : il s’agit de l’Arabie saoudite et de la Turquie, ainsi que des pays occidentaux, qui sont opposés à l’EI. Enfin, l’EI a repris, en particulier sur les réseaux sociaux, l’idée chiite du retour du Mahdî, c’est-à-dire de l’imam bien guidé, qui remportera des victoires militaires et la victoire de l’islam.
La vie quotidienne est également évoquée (lutte contre « le vice et le mal », interdiction de la cigarette et de l’alcool, de Facebook, interdiction de manifester, niqab pour les femmes…) ainsi que la volonté de l’EI d’encrer de façon pérenne son Etat (territoire, population, administration). Pour ce faire, l’EI doit s’appuyer sur l’arrivée de nouveaux djihadistes, et sur un financement régulier par les dons, rançons, pétrole et contrôle des zones pétrolifères, fabrication de fausse monnaie… Est également évoquée par les auteurs la frappe d’une monnaie par l’EI.
Pour les auteurs, « l’Etat islamique n’est plus une menace pour le Proche-Orient puisqu’il l’a déjà entièrement redessiné et que la balkanisation de la région est en cours. Daesh est devenu un enjeu international qui touche l’ensemble du monde musulman » (page 121). Ils évoquent alors les pays vers lesquels des tentatives de contagion de l’EI se sont effectuées, dès l’été 2014 : Liban, Péninsule arabique, Jordanie, le Sinaï égyptien, la Libye restant le pays le plus menacé. Du côté d’al-Qaïda, la branche du Maghreb reconnaît le Califat fin juin 2014, en Algérie, une cellule d’AQMI crée une filiale de l’EI, et en Tunisie, un mouvement est créé. Il en est de même au Nigéria, le chef de Boko Haram prêtant allégeance à l’EI, ainsi qu’en Asie Centrale. Cependant, la montée en puissance de l’EI n’est pas appréciée par al-Qaïda, avec qui les oppositions sont nombreuses, liées tant à la personnalité des deux leadeurs al-Baghdâdi et al-Zawahiri, que sur les plans religieux, stratégiques et financiers. Les auteurs expliquent en outre que « toutes ces querelles intègrent des conflits de personnes, mais renvoient surtout à des fractures anciennes dans l’islam sunnite, qu’il soit guerrier ou pas » (page 133). La question du salafisme est ainsi évoquée, les « militants » en étant issus, mais tous n’adhérant pas à tous les aspects doctrinaux prônés par l’EI. Est alors analysé le positionnement de l’Arabie saoudite par rapport à l’EI : « l’Arabie saoudite se sent menacée par ‘l’ennemi numéro un de l’islam’, car l’EI est particulièrement hostile à l’impérialisme américain et à la dynastie des Séoud, considérée comme corrompue » (page 136), mais les auteurs exposent également en quoi ce positionnement mérite une analyse plus nuancée. En outre, sur le plan de la doctrine, bien qu’étant sunnite, le wahhabisme saoudien est rejeté par certains salafistes, dont l’EI : « la nature du wahhabisme et les choix de la monarchie expliquent les antagonistes avec l’Etat islamique » (page 139). Puis les auteurs reviennent sur le positionnement du Qatar. Ils expliquent la différence de doctrine avec l’Arabie saoudite : « contrairement au wahhabisme centré sur le royaume saoudien, les Qataris professent un salafisme qui a vocation à s’étendre, notamment contre l’influence shiite » (page 140). C’est ainsi que le Qatar soutient les opposants à Bachar al-Assad dès 2011, et le développement des groupes djihadistes (al-Nosra, EIIL) laisse penser que certains au Qatar pourraient les financer. Mais la montée en puissance de l’EI en juin 2014 oblige le Qatar à se positionner par rapport au financement de l’opposition syrienne, et en septembre le pays rejoint la coalition, de même que les émirats du Golfe. Concernant la position turque, de nombreuses tensions (historiques, économiques) entre la Syrie et la Turquie font que cette dernière soutient l’opposition à Bachar al-Assad. En outre, la problématique kurde et la crainte turque de l’autonomie kurde font qu’Ankara a une politique plutôt complaisante envers l’EI, comme l’analysent les auteurs. Concernant l’Irak, plusieurs acteurs s’opposent à l’EI : l’Etat, le Kurdistan, les chiites et les minorités religieuses, mais, comme le soulignent les auteurs « chacun de ces adversaires est lui-même englué dans ses propres divisions et fragilisé » (page 151).
Qu’en est-il de la position américaine ? Les Etats-Unis comprennent à l’été 2014, après avoir soutenu l’opposition à Bachar al-Assad, qu’ils devront prendre appui sur ce dernier pour lutter contre l’EI, ainsi que sur l’Iran et les populations chiites du sud irakien. Même si le pétrole irakien n’est plus une priorité puisqu’ils exploitent leur gaz de schiste, ils ne souhaitent pas pour autant que les gisements irakiens tombent aux mains de la Chine. C’est ainsi qu’ils décident début septembre 2014, lors d’un sommet de l’OTAN, d’une coalition contre l’EI, composée de 25 pays, mais cela « entraine (les Etats-Unis) a combattre l’Etat islamique aux côtés des wahhabites saoudiens, voire avec les membres les moins compromis d’al-Qaïda : jouer un islamisme contre un autre » (page 160). Au final, les objectifs des Etats-Unis sont, en Irak, l’affaiblissement voire le repli de l’EI sur la Syrie ; en Syrie, la lutte contre l’EI et al-Nosra, mais également contre les centres militaires du régime.
Pour conclure, les auteurs rappellent que « l’Etat islamique est une réalité géopolitique extrêmement complexe qui suscite de graves conflits de positionnement. Car c’est en fonction de l’analyse qu’il fait du surgissement de Daesh, que chaque pays concerné propose son interprétation des événements et des solutions. Les acteurs du conflit se sont retrouvés associés dans différents cercles d’alliances ou d’affinités » (page 169). Ainsi, pour les Etats-Unis et l’UE, l’EI est un ensemble « de criminels et fanatiques » intéressés par le pétrole. Les Etats de la région considèrent l’EI comme « une créature américaine permettant de déployer le chaos au Moyen-Orient et ainsi mieux capter ses ressources, stratégie orchestrée avec la complicité d’Israël et de la Turquie, trop heureux de s’en prendre aux populations arabes » (page 170). L’Iran considère en outre qu’il s’agit de la part des Américains de la volonté de marginaliser les chiites et de préparer leur retour en Irak.
S’appuyant sur les faits qui se sont déroulés de juin 2014 à février 2015, cet ouvrage très informé, très clair et à l’analyse dépassionnée est essentiel à la compréhension de la montée en puissance de l’EI. Parmi les nombreux points analysés et soulevés par Olivier Hanne et Thomas Flichy de La Neuville, l’on retiendra les points forts suivants : que l’humiliation ressentie par les sunnites depuis la fin du califat abbasside a été un facteur d’éclosion de l’organisation, que l’EI encre ses pratiques dans celles du califat abbasside, que son objectif est la « victoire de Dieu » ainsi que l’expansion territoriale, notamment sur les terres infidèles.
Olivier Hanne, Thomas Flichy de La Neuville, l’Etat islamique, anatomie du nouveau Califat, Paris, Bernard Giovanangeli Editeur, novembre 2015, 191 pages.
Anne-Lucie Chaigne-Oudin
Anne-Lucie Chaigne-Oudin est la fondatrice et la directrice de la revue en ligne Les clés du Moyen-Orient, mise en ligne en juin 2010.
Y collaborent des experts du Moyen-Orient, selon la ligne éditoriale du site : analyser les événements du Moyen-Orient en les replaçant dans leur contexte historique.
Anne-Lucie Chaigne-Oudin, Docteur en histoire de l’université Paris-IV Sorbonne, a soutenu sa thèse sous la direction du professeur Dominique Chevallier.
Elle a publié en 2006 "La France et les rivalités occidentales au Levant, Syrie Liban, 1918-1939" et en 2009 "La France dans les jeux d’influences en Syrie et au Liban, 1940-1946" aux éditions L’Harmattan. Elle est également l’auteur de nombreux articles d’histoire et d’actualité, publiés sur le Site.
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