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Le Hezbollah (4/4). Acteur public et social incontournable, promu par une stratégie de communication efficace – « la société de la résistance »

Par Félicité de Maupeou
Publié le 18/06/2013 • modifié le 22/04/2020 • Durée de lecture : 6 minutes

LEBANON, Beirut : Lebanese Hezbollah supporters wave the movement’s yellow flags and hold up the Syrian flag decorated with an image of President Bashar al-Assad as they listen to a televised speech by Hezbollah chief Hassan Nasrallah to mark the sixth anniversary of the 2006 war with Israel in southern Beirut on July 18, 2012.

ANWAR AMRO / AFP

Un acteur public incontournable, porteur d’un projet de société pragmatique [2].

Le Hezbollah n’est pas simplement une milice transformée en parti politique après la guerre civile, c’est aussi un acteur public à part entière porteur d’un projet de société pragmatique et opérationnel.
Le Hezbollah bénéficie d’une double légitimation gestionnaire et socioreligieuse pour conduire son action publique, notamment dans ses municipalités dans le Sud Liban et dans la banlieue sud de Beyrouth.
Dans son ouvrage Le Hezbollah à Beyrouth (1985 – 2005), de la banlieue à la ville, Mona Harb étudie l’action publique du « Parti de Dieu » dans la banlieue beyrouthine de Dahiyeh en analysant le projet Waad - « promesse » - du Hezbollah de reconstruction de la banlieue sud après les bombardements israéliens de 2006. Cette politique de reconstruction met en évidence que le Hezbollah est devenu un acteur public incontournable, en mesure de se substituer à un Etat défaillant. Elle est également l’expression de l’opposition du projet de société du Hezbollah à celui de Rafic Hariri dominant dans le centre ville de Beyrouth et qui fonctionne comme un « club privé exclusif et sécurisé auquel ont accès les plus nantis », selon les mots de l’auteur. Dans la banlieue sud de Beyrouth notamment, le Hezbollah a montré qu’il était capable de protéger les habitants et le territoire des logiques des promoteurs immobiliers, et du modèle de développement urbain « de marché » promu par le modèle SOLIDERE.

Son opposition à ce modèle et sa proposition d’un autre projet de société, via son action publique dans le domaine des équipements de santé, d’éducation ou de transports, lui ont donné une légitimité politique dans la communauté chiite et au-delà. En se taillant ainsi un statut d’acteur public à part entière, il a renforcé son pouvoir d’intervention sur le terrain. Mona Harb parle d’un parfait exemple de « délégation de service public » né dans le cadre de la guerre mais qui a perduré et s’est renforcé, une originalité libanaise liée à la particularité communautaire de la société et aux défaillances de l’Etat.

Acteur public majeur, le Hezbollah a construit sa légitimité autour d’un projet de société pragmatique et opérationnel qui ne l’enferme pas dans une posture d’opposant, mais renforce son inscription locale. Son projet de société consiste notamment à mettre en place une « société de la résistance » nécessaire à la mobilisation autour du « Parti de Dieu » et au maintien du soutien de la population, notamment chiite, à la résistance. La « société de la résistance » s’organise autour d’un réseau d’organisations satellites du Hezbollah qui fournissent les mêmes services que l’Etat en termes d’éducation ou de santé, pour un coût inférieur et avec une qualité supérieure. Dans le cadre de sa stratégie de mobilisation collective, le Hezbollah se pose ainsi en acteur social au Liban.

Un acteur social majeur porteur d’une stratégie de mobilisation et de fidélisation

Le voisinage et la parentèle sont les deux principaux canaux de recrutement des membres du Hezbollah. Il s’agit donc pour ce dernier de s’assurer la fidélité des familles solidaires à la résistance sur le long terme, via une politique sociale particulièrement efficace et populaire, notamment dans un contexte de défaillance de l’Etat.

Principales institutions et actions sociales du Hezbollah

L’institution Al Shahid - le martyre -, créée en 1982, prend en charge les familles des morts au combat, ou des victimes des bombardements en aidant les veuves et en finançant la scolarisation des orphelins.

Deux principaux hôpitaux sont gérés par le Hezbollah, ainsi que plusieurs dispensaires dans la banlieue sud de Beyrouth, dans la Bekaa, et dans le Sud Liban. Les soins y sont gratuits pour les familles de martyres et des blessés au combat. Mais ils sont également fréquentés par des familles qui n’ont pas de membres dans le « Parti de Dieu », ou aucun lien avec le Hezbollah, car leurs tarifs sont moins élevés que dans les autres hôpitaux et la qualité de leurs équipements est souvent meilleure.
La fondation Jihad al bina - effort de reconstruction - est créée en 1985 pour reconstruire les maisons détruites ou endommagées par les bombardements israéliens. Elle participe ensuite à la construction d’écoles, d’hôpitaux, de dispensaires. Elle approvisionne également en eau potable le sud de Beyrouth, soit 500 000 habitants, et certains villages du sud Liban et de la Bekaa en creusant des puits et en installant des station de pompage.
Le Hezbollah soutient également quatre écoles religieuses pour développer un réseau de théologiens, et contrôle une dizaine de mosquées dont cinq dans la banlieue sud de Beyrouth.
Les institutions de santé, d’équipements, de services ou d’éducation contrôlées par le Hezbollah constituent un maillage social, qui fait craindre à certains l’installation d’un Etat dans l’Etat niant la légitimité des institutions officielles, et oeuvrant à les supplanter. Dans Le Hezbollah, un mouvement islamo-nationaliste, Walid Charara parle plutôt de « contre-société » palliant les carences voire l’inexistence des services publics au sud du Liban notamment.

Le financement de l’action sociale du Hezbollah

Le Hezbollah est financièrement indépendant de l’Etat libanais, il a ses propres ressources. Le financement de son action sociale est un sujet de débat : certains y voient l’influence de l’Iran qui alimenterait financièrement son bras armé au Liban.
En effet, le Hezbollah reçoit une aide officielle de l’Iran, notamment à travers le Khoms, en vertu duquel, dans la communauté chiite, chaque croyant doit donner 1/5 de ses revenus à des actions humanitaires. L’Iran donne une grande partie de cette taxe au Hezbollah pour la reconstruction du Liban. « Le Parti de Dieu » a également reçu plus d’un million de dollars du Qatar pour la reconstruction des villages du sud Liban et du sud de Beyrouth.
Le Hezbollah reçoit également de l’argent de fondations religieuses libanaises, d’entreprises ou de la diaspora selon le même système de taxe religieuse, le Khoms. Le Hezbollah a également ses propres sources de revenus grâce à ses investissements dans l’agriculture ou dans la production d’énergie.

La stratégie de communication du Hezbollah

Le rôle des média

Une grande importance est donnée à la médiatisation des actions de la résistance. Pendant l’occupation israélienne dans le sud du Liban entre 1978 et 2000, le Hezbollah filmait toutes ses opérations militaires pour renforcer la popularité du mouvement, mais aussi pour lui donner une visibilité mondiale car ces films étaient envoyés aux média occidentaux. En outre, la chaîne de télévision détenue par le Hezbollah, Al manar, a été créée en 1989. Elle est l’une des chaînes les plus regardées dans le monde arabe. Elle donne une couverture médiatique aux opérations de résistance et promeut la figure du résistant.

Le musée du Hezbollah

Créé à Mlita dans le sud du Liban en mai 2010, le musée du Hezbollah commémore les batailles menées par le Hezbollah contre la présence israélienne dans la région entre 1978 et 2000. Le musée propose un film retraçant l’histoire de l’occupation israélienne au Liban. Un agencement d’armes, de missiles, de chars israéliens met en scène la défaite d’Israël, un parcours dans les sentiers et les caches des combattants du Hezbollah donne une idée du quotidien des guerriers du « Parti de Dieu » jusqu’au départ israélien en mai 2000.

Le musée du Hezbollah correspond à la « muséologie tactique » du Hezbollah étudiée par Mona Harb. Lors du départ des troupes israéliennes en 2000, le Hezbollah met en place une stratégie culturelle de communication, notamment parce que sa base sociale a évolué et se constitue maintenant aussi d’une classe moyenne bourgeoise, et non pas seulement populaire. Dans Le Hezbollah, état des lieux, Mona Harb et Lara Deeb distinguent les deux volets de la stratégie culturelle du Hezbollah. Le premier consiste en des campagnes publicitaires sur le Hezbollah qui occupent et marquent le territoire, notamment au sud Liban. Par le second volet, mis en oeuvre notamment au musée du Hezbollah, le « Parti de Dieu » cherche à toucher un public plus large, du milieu académique aux populations arabes fières des succès de la résistance libanaise.

Acteur public et social incontournable au Liban, le Hezbollah s’inscrit profondément et durablement dans la société et sur le territoire libanais. Fabrice Balanche en conclut, dans un compte-rendu de l’ouvrage de Mona Harb Le Hezbollah à Beyrouth (1985 – 2005), de la banlieue à la ville, qu’une baisse du soutien de l’Iran ou la brisure de l’axe chiite, rendue possible par la révolution syrienne, ne feront pas disparaître le Hezbollah. En effet celui-ci n’est pas un acteur géopolitique flou inscrit sur la scène stratégique régionale, mais un acteur local et national qui bénéficie d’un solide ancrage territorial grâce à un réseau d’institutions sociales et économiques particulièrement efficaces.

Lire les parties précédentes :
 Le Hezbollah (1/4). Origines et fondements du « Parti du Dieu », à partir de l’ouvrage de Walid Charara et Frédéric Domont, Le Hezbollah, un mouvement islamo-nationaliste
 Le Hezbollah (2/4). Un mouvement politique armé. A partir de l’ouvrage de Walid Charara et de Frédéric Domont, Le Hezbollah, un mouvement islamo-nationaliste
 Le Hezbollah (3/4). Acteur politique libanais – le processus d’intégration politique du Hezbollah. A partir de l’ouvrage de Walid Charara et de Frédéric Domont, Le Hezbollah, un mouvement islamo-nationaliste

Bibliographie :
 Walid Charara et Frédéric Domont, Le Hezbollah, un mouvement islamo-nationaliste, Paris, Fayard, 2007.
 Mona Harb, Le Hezbollah à Beyrouth (1985 – 2005). De la banlieue à la ville, Paris/Beyrouth, Karthala/IFPO, 2010.
 Fabrice Balanche, compte-rendu « Mona Harb, Le Hezbollah à Beyrouth (1985 – 2005) », Géocarrefour, 2012.

Publié le 18/06/2013


Félicité de Maupeou est étudiante à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, après une formation en classes préparatoires littéraires. Elle vit actuellement à Beyrouth où elle réalise un stage dans l’urbanisme.


 


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