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Portrait de Shennawy, dessinateur et créateur de Tok-Tok

Par Mathilde Rouxel, Shennawy
Publié le 31/10/2018 • modifié le 11/03/2020 • Durée de lecture : 5 minutes

Shennawi

Shennawy est un dessinateur égyptien, fondateur avec quatre amis en 2011 du collectif TokTok, un fanzine en dialecte égyptien réputé pour son humour et son impertinence. Il est à l’origine de la fondation Al-Fann al-Tasea (« Le neuvième art ») pour promouvoir la culture de la bande dessinée en Égypte. Il a publié récemment une traduction dessinée du Mendiant et l’Orgueilleux d’Albert Cossery, lancée au Caire en juin 2018 en partenariat avec l’Institut Français. Il vient, enfin, d’ouvrir avec l’artiste Ahmed Hefnawi dans le quartier cairote de Garden City une boutique de souvenir design, Cairopolitan (1), qui a fait ses premiers pas cet été.

Quelle a été votre formation ?

J’ai étudié les arts appliqués et le graphisme. J’ai été diplômé en 2000 et ai ensuite travaillé dans le domaine de la publicité, pendant presque neuf ans. À côté de mon travail, j’ai publié pendant un an des planches chaque semaine dans un magazine pour enfant égyptien, Aladin. J’ai participé également en 2009 à un concours de jeunes talents à Angoulême. C’est là que j’ai découvert que l’histoire que j’avais dessinée était davantage pour les adultes que pour les enfants. J’ai trouvé que c’était d’ailleurs ce qui me plaisait le plus : écrire pour les adultes était plus stimulant pour moi que d’écrire pour les enfants. J’ai alors compris que je devais suivre ce chemin-là.

Comment s’est construite votre carrière ?

Quelques années plus tard, j’ai travaillé sur la maquette et le logo d’un magazine. J’ai montré mon travail à quelques collègues dessinateurs. Nous étions un groupe de cinq dessinateurs principaux et nous avons créé Tok-Tok. Nous avons travaillé pendant un an sur la maquette et nous avons finalement décidé de lancer le premier numéro, baptisé « numéro zéro » pour voir quel serait le retour du public. Nous n’étions pas encore vraiment satisfaits du résultat, mais nous avions besoin de critique pour avancer. Nous étions alors en 2011.

Au début, nous ne cherchions pas à créer des « rubriques » à l’intérieur de la revue - chacun parlait de ce qu’il voulait faire. Mais petit à petit, le personnage de Tok-Tok – que j’ai créé – est né, et les rubriques se sont imposées. Ce sont des histoires courtes. La dernière page propose toujours un personnage égyptien – un étudiant, un banquier, n’importe quel type de personne que nous pouvons rencontrer au Caire. Il y a aussi le personnage que j’ai créé moi, un gareur de voiture qui cherche toujours à trouver une place et de garer pour quelques livres les voitures des conducteurs. Il y a aussi des histoires écrites sur les relations entre filles et garçons. Le reste, c’était de la bande dessinée classique – parfois des gags, parfois des histoires plus longues ; parfois, on publie aussi des histoires dessinées par des lecteurs, qui nous ont plu.

Nous avions alors imprimé seulement 500 copies. Nous n’imaginions pas les écouler à la vitesse à laquelle elles l’ont été. L’événement qui encadrait le lancement a duré à peine trois heures – avant la fin, tout notre stock était épuisé.

L’audience que nous intéressions était exactement celle que nous attendions : des jeunes de 17-18 ans jusqu’aux personnes de 40 ou 50 ans. Nous avons alors réalisé un deuxième tirage, de 1 500 copies, qui évidemment se sont distribuées moins vite. Mais nous avons compris que 1 500 était une bonne moyenne de tirage.

Nous avons depuis tiré quatorze numéros. La réalisation de chacun d’entre eux a pu être tantôt rapide, tantôt beaucoup moins – près d’un an pour certains numéros. L’objectif était d’en sortir un nouveau chaque trimestre, mais en fonction de l’argent dont nous disposions et de nos carrières respectives, le calendrier fut plus fluctuant.

Nous avons financé la première année les quatre premiers numéros avec notre propre argent. Par la suite, nous avons eu la subvention culturelle de l’Union européenne au Caire. Nous avons deux subventions de quinze mois – quatre ou cinq numéros à chaque fois, donc. À la fin de cette subvention, nous avons dû retourner à nos économies. Aujourd’hui, c’est difficile de trouver de l’argent, mais nous faisons des partenariats avec l’Institut Français par exemple. Pour l’instant nous sommes en suspens.

Je travaille toutefois sur d’autres projets. Lorsque nous avons obtenu la subvention européenne, nous avons eu besoin d’une structure officielle pour recevoir l’argent. C’est alors que j’ai créé « Le neuvième art », qui est devenu l’éditeur de TokTok, mais qui fut aussi à l’origine d’autres projets, d’ateliers par exemple.

Je publiais également dans d’autres magazines : un journal de critiques sur le monde de la bande dessinée dans le monde arabe et dans le monde entier. Nous avons sorti six numéros. Je gère toujours cette société pour organiser d’autres événements comme le festival CairoComix (2) ou encore Mendiants et orgueilleux, sorti cet été.

Aujourd’hui, je vis à Bruxelles mais je continue au maximum de poursuivre mon travail en Égypte.

Comment définiriez-vous votre engagement ?

Pour parler de moi, je ne définirai pas un engagement politique mais plutôt social – entendant que le politique fait aussi partie du social. J’observe beaucoup les gens, leurs comportements, le mouvement des rues. Je tente de montrer tout cela dans mes dessins. Je n’essaie pas de forcer quelque chose de politique dans mon travail. Peut-être que cela viendra ; pour l’instant je préfère dessiner les gens s’exprimer comme ils le font.

Comme le magazine était plus osé que la plupart des magazines que l’on pouvait trouver sur le marché au Caire, les gens me trouvaient beaucoup entre les deux par rapport aux autres rubriques du fanzine : pas très osé, mais pas non plus très conservateur. Je pense que cela montre aussi ma personnalité. Je ne vais pas forcer quelque chose d’oser mais je ne vais pas m’en empêcher si je pense que c’est important pour l’histoire. Je faisais partie de la rédaction et je n’ai jamais empêché une planche de passer si elle était trop osée.

Nous n’avons jamais eu de problèmes de censure, même si nous visions le public dit du « centre-ville », les jeunes éduqués engagés politiquement. Le seul problème que nous ayons eu était avec une chaîne de librairie ; apparemment, un père de famille a acheté TokTok pour son enfant sans savoir de quoi il s’agissait, et il s’est plaint au vendeur qui a mal réagi.

De toute façon, nous avons vite compris que ce ne sont pas les chaînes de grandes distributions qui touchaient le mieux notre public, mais plutôt les salles de café-concert, ces endroits plus intimistes où les gens nous repèrent et nous suivent.

Aujourd’hui, je travaille avec un écrivain français rencontré à Tunis. Je travaille sur les illustrations de son livre. Son projet est de raconter des histoires vraies de pays différents. Nous avons monté une exposition à Tunis avec quelques histoires que nous avons illustrées, et nous attendons maintenant la sortie du livre avec tous les dessins pour la fin 2019.

Nous organisons aussi toujours CairoComix, avec, on l’espère, encore plus d’ateliers. Et je viens d’ouvrir avec Ahmed Hefnawi un lieu baptisé Cairopolitan, qui propose à la vente des objets conçus d’après des détails du quotidien du Caire.

Quel est votre plus beau souvenir ?

Nous avons été invités une fois en Norvège, c’était en 2012. Nous dînions tous ensemble, il faisait très froid. Soudain, un jeune homme entre dans la pièce. On a appris par la suite que c’était le roi ! Toute cette soirée a été pour moi une expérience étrange, qui reste gravée dans ma mémoire. C’est tout cela qu’a pu m’offrir TokTok.

Notes :
(1) https://www.cairopolitan.com/
(2) https://www.cairocomix.com/

Publié le 31/10/2018


Shennawy est un dessinateur égyptien, fondateur avec quatre amis en 2011 du collectif TokTok, un fanzine en dialecte égyptien réputé pour son humour et son impertinence. Il est à l’origine de la fondation Al-Fann al-Tasea (« Le neuvième art ») pour promouvoir la culture de la bande dessinée en Égypte. Il a publié récemment une traduction dessinée du Mendiant et l’Orgueilleux d’Albert Cossery, lancée au Caire en juin 2018 en partenariat avec l’Institut Français.


Suite à des études en philosophie et en histoire de l’art et archéologie, Mathilde Rouxel a obtenu un master en études cinématographiques, qu’elle a suivi à l’ENS de Lyon et à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, Liban.
Aujourd’hui doctorante en études cinématographiques à l’Université Paris 3 – Sorbonne Nouvelle sur le thème : « Femmes, identité et révoltes politiques : créer l’image (Liban, Egypte, Tunisie, 1953-2012) », elle s’intéresse aux enjeux politiques qui lient ces trois pays et à leur position face aux révoltes des peuples qui les entourent.
Mathilde Rouxel a été et est engagée dans plusieurs actions culturelles au Liban, parmi lesquelles le Festival International du Film de la Résistance Culturelle (CRIFFL), sous la direction de Jocelyne Saab. Elle est également l’une des premières à avoir travaillé en profondeur l’œuvre de Jocelyne Saab dans sa globalité.


 


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