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Portrait de Tarik Benouarka

Par Mathilde Rouxel, Tarik Benouarka
Publié le 04/06/2018 • modifié le 21/04/2020 • Durée de lecture : 4 minutes

Tarik Benouarka

Quelle a été votre formation ?

Je suis un musicien qui a étudié la musique classique. J’ai fait le conservatoire depuis mon plus jeune âge et ai poursuivi mes études musicales de ma province où j’ai grandi enfant, jusqu’à Paris. J’ai pratiqué et pratique toujours de nombreux instruments.
Parallèlement, j’ai gardé une relation avec mes racines, avec la musique et la langue arabes. Je suis animé par cette passion de l’histoire, de la poésie et de la culture que j’ai sans doute héritée de mon histoire familiale. Connaître la trajectoire de vie de mes parents m’a permis de saisir l’importance de la culture. Ce n’est sans doute pas par hasard que j’ai choisi la musique.

On vous connaît aujourd’hui notamment comme compositeur et créateur d’opéras. Quelle fut votre carrière au préalable ?

En sus de ma connaissance de la musique classique, j’ai découvert la musique urbaine et la musique contemporaine, « actuelle » - la pop music, pour le dire de façon générique. Cela m’a beaucoup intéressé, et j’ai commencé à travailler avec de nombreux artistes, sur divers projets musicaux. J’ai notamment travaillé avec un très grand nombre d’artistes de la scène française et internationale de la pop music ou du spectacle (Beyonce, Jérôme Murat, Manfred Thierry Mugler). Cela m’a permis de découvrir différents aspects du monde de la création musicale qui m’ont beaucoup enrichi. Cet éclectisme et cette possibilité de travailler avec la musique des autres m’ont aussi offert l’opportunité de composer pour le cinéma documentaire. J’ai beaucoup travaillé et travaille encore avec, entre autres, Frédéric Mitterrand, sur ses projets de films. J’ai ainsi composé beaucoup de musique pour le cinéma, mais ai aussi travaillé dans la publicité avec l’industrie du parfum (pour des marques comme « Hypnose » ou « Trésor in Love » de Lancôme) et sur différentes choses.

Un jour, j’ai eu envie de revenir à mes racines et de travailler sur et avec leur polymorphie – elles sont maghrébines, arabes, françaises et finalement aussi internationales. J’avais par ailleurs toujours eu envie d’écrire. Je n’avais jamais assumé ce besoin de composer avec les mots, la composition musicale m’apportant déjà beaucoup ; je gardais de côté la poésie que j’écrivais depuis des années.

Cette forme d’écriture qu’on appelle « opéra » qui consiste à écrire des œuvres musicales chantées dans le contexte d’une histoire qu’on raconte ou d’un drame qu’on décrit me semblait être le lieu qui se prêtait le mieux à mon envie de rassembler et de faire dialoguer mes racines. J’ai pu, en me lançant dans ce travail, explorer la poésie que j’écrivais depuis longtemps et assumer, grâce à la forme musicale, mon envie de partager mes considérations sur les grands sujets de la vie : l’amour, la mort, sont des sujets attendus dans ce type de grandes créations. Ce qui rend peut-être mon travail singulier est le fait que ces thèmes universels, traités dans un contexte où la culture arabe est présente, sont conduits à partir d’un regard qui est celui de l’Orient - et qui n’est pas celui qu’un Occidental poserait sur l’Orient. Cela a bien sûr un impact sur mon écriture et mon style musical.

Pouvez-vous nous parler de votre métier et de votre engagement aujourd’hui ?

Créer est un engagement politique au sens du mot politis, la vie de la cité. L’art, c’est toute la vie. C’est pour moi en soi un synonyme du mot « politique ». L’art, la culture, commence par l’agriculture : c’est à la fois la transmission et la recherche du savoir, les réponses et les questions, aux confins de tous les sujets. L’art est une sublimation - c’est la manière dont on vit, dont on mange, dont on rit, dont on réfléchit. Il ne devrait pas y avoir de frontière entre telle ou telle chose. La culture populaire, par exemple, doit être considérée comme l’art qu’ont certains de pouvoir transmettre de manière très populaire des choses très profondes, qui peuvent rencontrer le plus grand nombre. Il n’y a par ailleurs pas moins de profondeur à demander l’accessibilité à de l’opéra. Malheureusement, la vie, les travers sociaux et les déviances mènent à la situation dans laquelle nous sommes aujourd’hui, où l’opéra, notamment en France, est un univers sclérosé, qui met en avant des œuvres qui ne s’adressent qu’à une toute petite élite, alors que l’opéra, historiquement, avait une vocation très démocratique et visait à s’adresser au plus grand nombre.

Je fais partie du collège des compositeurs d’œuvres originales qui ne parviennent pas à trouver leur place dans les opéras français. J’ai rencontré une très grande frilosité lorsque j’ai proposé mon travail sur la langue arabe, surtout depuis les attentats. Mais je ne désespère pas que cela change. Je travaille à la diffusion de créations qui font découvrir la langue arabe inscrite dans une forme d’art classique occidental. La rencontre de cette culture vocale orientale et l’art lyrique enrichit l’art classique et l’imaginaire qu’il charrie : rêver, c’est naître plus loin. C’est s’étreindre. Les cultures n’existent pas en elles-mêmes ; c’est comme un champ : un champ n’existe pas en lui-même, il est sur une terre qui est elle-même contenue par d’autres terres, sans lesquelles rien n’existerait.

Quel est votre plus beau souvenir ?

Je dirais que les souvenirs sont devant moi. Je me souviens du futur comme le plus beau souvenir de ma vie. Mon plus beau souvenir, c’est demain.

Notes :
(1) Marina Da Silva, « ‘El Nafas’ et ‘Les Jours et les Nuits de L’Arbre Cœur’ de Tarik Benouarka. Naissance de l’opéra en langue arabe », 2 novembre 2015, Contrebande, Les Blogs du « Diplo », https://blog.mondediplo.net/2015-11-02-Naissance-de-l-opera-en-langue-arabe
(2) José Marinho, « Tarik Benouarka, compositeur franco-algérien », 5 novembre 2015, RFI, http://www.rfi.fr/emission/20151105-tarik-benouarka-compositeur-franco-algerien

Publié le 04/06/2018


Suite à des études en philosophie et en histoire de l’art et archéologie, Mathilde Rouxel a obtenu un master en études cinématographiques, qu’elle a suivi à l’ENS de Lyon et à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, Liban.
Aujourd’hui doctorante en études cinématographiques à l’Université Paris 3 – Sorbonne Nouvelle sur le thème : « Femmes, identité et révoltes politiques : créer l’image (Liban, Egypte, Tunisie, 1953-2012) », elle s’intéresse aux enjeux politiques qui lient ces trois pays et à leur position face aux révoltes des peuples qui les entourent.
Mathilde Rouxel a été et est engagée dans plusieurs actions culturelles au Liban, parmi lesquelles le Festival International du Film de la Résistance Culturelle (CRIFFL), sous la direction de Jocelyne Saab. Elle est également l’une des premières à avoir travaillé en profondeur l’œuvre de Jocelyne Saab dans sa globalité.


Tarik Benouarka est né en 1966 à Alger. Sa mère, musicienne amateur, lui fera très tôt découvrir la musique classique. Son père, très impliqué pour l’indépendance, fut l’un des fondateurs du Mouvement National Algérien. Il grandit en France, mais sous l’influence d’Oum Kalthoum, Farid El-Atrache, Nazim Hikmet et Mahmoud Darwich (1). Après des études au conservatoire et une première carrière de compositeur de musique dite « actuelle », Tarik Benouarka revient en 2013 à l’art lyrique et compose en 2013 un premier opéra, El Nafas (Le Souffle), qui fait figure de premier opéra écrit en langue arabe. En 2015, il commence la tournée de Les Jours et les Nuits de l’Arbre Cœur, lui aussi composé en arabe. Le spectacle fut remarqué pour son originalité, mais aussi pour « son orchestre symphonique unique au monde » (2) composé de 40 femmes égyptiennes non-voyantes.
Il revient pour Les clés du Moyen-Orient sur les moments phares de sa vie.


 


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