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Eric Vallet est maître de conférences à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Laboratoire Islam médiéval (UMR Orient et Méditerranée).
Le terme de Yémen apparaît de façon ancienne, dès le IIIe siècle de l’ère chrétienne sous la forme Yamanat bien que l’on ne sache pas exactement à quelle réalité géographique il renvoie dans un premier temps. Dès la fin de l’Antiquité et les débuts de l’Islam toutefois, il désigne avec certitude la partie sud-ouest de la péninsule Arabique. L’affirmation précoce de ce territoire, bien que longtemps éclaté politiquement, doit beaucoup aux caractères singuliers de sa géographie. A la différence de la majeure partie de l’Arabie, le Yémen est en effet avant tout un pays de montagnes, culminant à près de 3760 mètres (Jabal Nâbî Shu‘ayb). Les reliefs se déploient parallèlement à la mer Rouge, en une série de massifs aux escarpements abrupts, séparés de la mer par une étroite bande côtière plane, la Tihâma, très chaude et humide l’été. En direction de l’Est, les pentes s’adoucissent pour laisser la place à une série de hauts-plateaux, où s’épanouissent aujourd’hui les principales villes du pays du sud vers le nord, Taëz, Ibb, Dhamâr, Sanaa et Saada, à l’exception d’Aden très isolée sur la côte sud. Depuis ces bassins d’altitude, le relief s’incline doucement vers le grand désert oriental, partie du Rub‘ al-Khâlî, Quart Vide, avec ses grandes étendues caillouteuses et ses dunes, que l’imaginaire occidental associe le plus volontiers à l’Arabie nomade même si cet espace n’occupa en définitive qu’une place très marginale dans son histoire. Cet espace aride n’est interrompu à l’Est que par la vaste région d’oasis du Hadramawt (Tarîm, Shibâm) et sa façade côtière donnant sur l’océan Indien (al-Mukallâ).
Une écrasante part de la population habite aujourd’hui les montagnes et les hauts-plateaux. Même si la société et l’économie ont connu de profonds changements au cours des trente dernières années, les Yéménites sont encore largement un peuple d’agriculteurs et de villageois. Peu de nomades, mais une civilisation de sédentaires, active depuis des millénaires, nourrie par une situation exceptionnelle aux marges du grand désert arabique. Les sources de cette richesse naturelle sont bien connues : chaque été, les nuages de la mousson indienne viennent déverser leurs pluies bienfaisantes, arrêtés par les hauts reliefs montagneux. Cette « saison des pluies », aux sources de l’« Arabie Heureuse », a longtemps singularisé le territoire yéménite du reste de la Péninsule. Elle a aussi imposé de longs efforts, menés sans relâche, pour tirer profit de ces ressources en eau (relativement) abondantes en dépit d’un relief contrasté. L’histoire du Yémen est ainsi avant tout celle de la lente mise en valeur de son espace. En tirer un récit unique tient de la gageure, tant le Yémen n’a longtemps été que la juxtaposition d’une multitude de petits pays, séparés par les irrégularités du relief et la difficulté des communications, divers par leurs coutumes et leurs dialectes, même si les efforts d’unification ont été présents dès une époque ancienne.
Les plus anciens royaumes du Yémen antique, à l’origine d’une civilisation qui fut florissante au premier millénaire avant notre ère, sont nés en marge du grand désert, là où les eaux saisonnières, charriées par des oueds temporaires venus des hauts plateaux, étaient les plus faciles à dompter. Même si les premiers Etats, à l’instar du fameux royaume de Saba, devinrent surtout célèbres par leur association à la route de l’encens qui relia le sud de l’Arabie au Levant méditerranéen entre le VIIIe siècle avant notre ère et le IIIe siècle après, il ne faut pas oublier que la base de leur prospérité restait l’agriculture irriguée. C’est dans ce cadre que se développèrent les premières cités du Yémen, dont certains vestiges spectaculaires – le barrage et le temple de Ma’rib, les murailles de Barâqish ou de Shabwa – sont encore visibles aujourd’hui.
Les travaux des archéologues qui se sont multipliés depuis les années 1970 ont mis au jour d’imposants vestiges dont la monumentalité a peu à envier aux grandes civilisations contemporaines du Croissant fertile et de l’Egypte. Les inscriptions en alphabet sudarabique, dont les plus anciennes traces remontent au début du premier millénaire avant notre ère, retrouvées par milliers, minutieusement recensées et étudiées par les épigraphistes, permettent aujourd’hui d’avoir une idée plus précise de l’histoire politique et religieuse, mais aussi de réalités plus humbles de la vie quotidienne, révélées par d’étonnantes archives conservés sur des bâtonnets tirés des pétioles de palme. L’ensemble de cette documentation prouve l’existence de plusieurs royaumes puissamment structurés, souvent en concurrence les uns avec les autres et entretenant d’étroits contacts avec le reste du monde proche-oriental. Dès cette époque, le Yémen est loin d’être une région isolée. Son alphabet, ses langues et ses dieux rayonnent largement au-delà de l’Arabie du Sud, vers l’Arabie centrale et outre-mer, en Afrique de l’Est. Au tournant de notre ère se renforcent les liaisons par voie maritime, avec l’Egypte hellénistique puis romaine par la mer Rouge, mais aussi avec l’Inde et le golfe Persique, sans oublier les rives plus proches de l’Afrique de l’Est et de l’Abyssinie. Le monde de l’Arabie du Sud a alors peu à voir avec ce que sera par la suite le monde « arabe ». Les langues du Yémen antique, bien qu’appartenant à la famille des langues sémitiques, n’ont qu’un rapport lointain avec la langue arabe et les habitants de ce pays considèrent les groupes d’Arabes comme des étrangers.
C’est aussi au tournant de l’ère chrétienne que s’affirment aussi les Hauts-Plateaux. Le Yémen dans ses équilibres territoriaux actuels – un pays de montagnards – est en effet né il y a quelque deux mille ans, lorsque le pouvoir de Himyar, une tribu de cavaliers dominant les Hautes Terres, s’affirma comme rival des royaumes steppiques de Saba, puis du Hadramawt, réussissant même à unifier l’ensemble de l’Arabie du Sud sous l’autorité de ses rois à partir de la fin du IIIe siècle. La victoire des Himyârites n’est pas le fruit du simple hasard. Elle révèle un essor nouveau des régions centrales des montagnes, sur une base économique nouvelle, où se mêlent une agriculture reposant sur l’irrigation de versant et les ressources tirées de l’élevage. C’est alors que les Hauts Plateaux se couvrent de villages, au cœur de terroirs soigneusement irrigués, sièges d’un artisanat prospère (développement de la production textile à partir de la laine ; diversification de la métallurgie). La société connaît dans ce cadre de profondes transformations. Au son sommet se trouvent de véritables lignages aristocratiques, tirant leur prestige du service de l’Etat, de leur puissance militaire et de leurs vastes propriétés foncières qui leur assurent une véritable assise locale. Ils se distinguent par un mode de vie raffiné et munificent, largement ouvert aux courants culturels du monde gréco-romain, comme en témoignent les riches tombes d’époque himyarite qui sont régulièrement découvertes en plein cœur des montagnes du Yémen. Le judaïsme, venu du nord au cours des premiers siècles de notre ère, pénètre profondément dans le pays. A la fin du IVe siècle, il devient la religion officielle du souverain Abîkarib et de Himyar, présenté comme le nouveau « peuple d’Israël ». L’adoption du monothéisme sert sans aucun doute l’unification du royaume derrière son roi ; elle correspond aussi à des mutations culturelles profondes (avènement d’une culture du Livre, d’un nouveau rapport à l’individu et au corps). Le Yémen himyarite jouit alors d’un grand prestige dans l’ensemble de la Péninsule qu’il domine par l’intermédiaire d’une principauté arabe cliente (Kinda). Les liens entre les populations de l’Arabie du Sud, héritières d’une culture déjà millénaire et les tribus arabes se resserrent. Certes, l’Empire de Himyar s’effondre brutalement dans la première moitié du VIe siècle, lorsque le royaume chrétien d’Ethiopie (Axoum) l’emporte temporairement. Mais il laisse une marque durable sur le territoire. Une économie montagnarde prospère, ouverte aux courants du commerce international ; le choix du Dieu unique ; un pouvoir monarchique stratifié et très régionalisé, s’appuyant sur des forces mêlées où les Arabes occupent une place de plus en plus prépondérante : dès le IVe siècle, les bases de ce que sera le Yémen islamique sont jetées.
De fait, l’avènement de l’islam n’entraîne pas de bouleversements majeurs dans un premier temps. Le Dieu unique prêché par Muhammad s’impose dans une région déjà profondément travaillée par le monothéisme. Le judaïsme reste d’ailleurs très présent, diffusé sur l’ensemble du territoire, jusqu’à une date tardive. Il faut attendre 1948 et l’opération « Tapis volant » pour que la majeure partie des juifs yéménites quittent le pays pour le nouvel Etat d’Israël. Jusqu’en 2009, quelques milliers de juifs subsisteront néanmoins dans des villages du nord du Yémen avant que la guerre de Saada, déclenchée en 2004, n’entraîne leur départ définitif. A compter du VIIe siècle, l’islam ne s’affirme comme religion majoritaire que progressivement. Il faut attendre le Xe et surtout le XIe siècle pour le voir sortir des villes et s’étendre de façon visible aux territoires ruraux. Comme ailleurs dans le monde de l’Islam, l’islamisation ne s’est pas faite en un jour.
L’apparition de l’islam n’a pas entraîné non plus de rupture politique majeure. Nombre de Yéménites ont participé aux conquêtes arabes et se sont installés avec leurs familles dans de nouvelles terres, de l’Asie Centrale à la péninsule Ibérique. Mais leur départ n’a pas complètement bouleversé les équilibres politiques hérités de la fin de l’Antiquité. Les pouvoirs locaux, encore largement entre les mains des anciens lignages aristocratiques hérités de l’époque himyarite, continuent d’exercer parfois leur autorité, partagée avec les chefs des grandes tribus arabes locales et les représentants du pouvoir lointain des califes omeyyades puis abbassides.
La vraie rupture se produit au IXe siècle, soit près de deux siècles après la prédication de Muhammad à La Mecque et Médine. C’est alors qu’émergent au Yémen deux systèmes de pouvoir concurrents qui vont durablement se partager son territoire. En 819, un gouverneur étranger au Yémen, Muhammad Ibn Ziyâd, envoyé par le calife abbasside de Bagdad pour mater une révolte locale, fonde une nouvelle capitale, Zabîd, en plein cœur des plaines littorales de la Tihâma. Son pouvoir s’étend rapidement sur l’ensemble des régions méridionales et s’autonomise. Tout en reconnaissant la suzeraineté lointaine du calife, Ibn Ziyâd fonde sa propre dynastie, qui durera plus de deux siècles. Ce régime devait être à l’origine d’un mode de gouvernement nouveau, reposant largement sur des forces importées. C’est en s’appuyant sur des esclaves-soldats, des rives voisines de la mer Rouge, que les descendants d’Ibn Ziyād font régner l’ordre dans leurs domaines. La main-d’œuvre servile joue sans doute aussi un rôle dans la mise en valeur des grands oueds de la Tihâma où se développe la culture du sorgho et des palmiers-dattiers. La Tihâma devient ainsi pendant toute la période médiévale la région la plus riche de la Péninsule – situation éminemment paradoxale, qui doit beaucoup à l’intervention de la puissance publique, car c’est sans aucun doute aujourd’hui la plus pauvre et la plus délaissée de toute l’Arabie.
A partir de la fin du XIIe siècle, l’arrivée d’un nouveau pouvoir étranger renforce la prédominance de ces régions méridionales sur le reste du Yémen. Le règne éphémère des sultans ayyûbides, membres de la famille du fameux Saladin (1173-1229), relayé par celui, beaucoup plus long et glorieux, de leurs anciens lieutenants, les Rasûlides (1229-1454) puis de leurs successeurs Tâhirides (1454-1517) impose la marque durable d’un Etat bureaucratique et structuré sur la Tihâma et les montagnes méridionales du Yémen (régions d’Ibb et de Taëz). Leur héritage est encore visible aujourd’hui tout particulièrement dans l’architecture religieuse, illustrant la diffusion du sunnisme sous leur règne (madrasa Ashrafiyya et grande mosquée de Taëz ; madrasa ‘Âmiriyya de Radâ‘ ; nombreuses madrasas de Zabîd), et l’architecture militaire (forteresse de Taëz), signe de la domination implacable d’un pouvoir exogène. Entre la fin du XIIe siècle et le début du XVIe siècle, les sultans du Yémen maintiennent leur territoire unifié autour des deux capitales de Zabîd et Taëz et s’ouvrent largement aux courants du grand commerce de l’océan Indien et de la mer Rouge. Aden est alors l’un des ports les plus fréquentés au monde et occupe une place stratégique de « sentinelle » de la mer Rouge, destinée à prévenir toute incursion des puissances ennemies de l’Islam. En 1513, l’échec des Portugais devant les murailles d’Aden (trop hautes pour leurs échelles, selon la légende) signera la fin du rêve de reconquête des Lieux saints chrétiens porté par le roi du Portugal et son vice-roi Afonso de Albuquerque.
Dans le nord du Yémen (régions de Sanaa et Saada) se forme dès la fin du IXe siècle un autre système de pouvoir. En 897, Yahyâ ibn al-Husayn, descendant du Prophète venu d’Iran en compagnie de cinquante autres membres de lignages chérifiens, se proclame imam et commandeur des croyants sous le nom d’al-Hâdî ilâ al-Haqq (mort en 911). Etabli à Saada, il fonde l’imamat zaydite du Yémen qui devait perdurer près de dix siècles, jusqu’à la révolution de 1962. Branche ancienne du chiisme, distincte du chiisme duodécimain dominant en Iran et Irak, le zaydisme se distingue dès le départ du sunnisme par un droit qui lui est spécifique, même si le caractère souvent mineur des différences a parfois conduit à le qualifier de « cinquième école » du sunnisme. Le principal trait distinctif du zaydisme était en réalité sa conception du pouvoir. A la différence des régimes sultaniens du sud du Yémen, l’imamat zaydite ne reposait pas, dans les premiers siècles, sur un principe dynastique mais s’appuyait sur une théorie permettant à tout membre d’un lignage chérifien (descendant du Prophète Muhammad par sa fille Fatima et son cousin ‘Alî) de prétendre à la direction de la communauté à partir du moment où il avait atteint une maîtrise avérée des sciences religieuses et prenait les armes pour faire triompher le Droit et le Bien. Pendant des siècles, l’imamat zaydite se présente comme un pouvoir charismatique, cherchant à réunir le soutien des puissantes tribus arabes du nord du pays, sans jamais réussir à obtenir d’elles un soutien sans faille. Il ne fut donc jamais en mesure d’imposer un Etat fort jusqu’à l’avènement des imams de la dynastie qâsimide en 1635.
La longue période qui s’étend du IXe au XVIe siècle est donc capitale pour comprendre la formation du Yémen à l’époque islamique et l’écart séparant progressivement les Hauts plateaux septentrionaux, dominés par les structures socio-politiques de la tribu et religieuses du zaydisme, et les terres méridionales, passées très tôt sous la coupe d’un Etat bureaucratique protecteur du sunnisme chaféite. Dès cette époque pourtant, les tentatives d’unification de l’ensemble des terres du Yémen ne manquent pas. Il faut toutefois attendre le XVIe siècle et l’intégration éphémère du Yémen dans l’Empire ottoman pour que les fils d’un destin commun se renouent brutalement. L’introduction des armes à feu modifie dans un premier temps le rapport de force en faveur des Turcs qui réussissent à faire passer sous leur coupe Zabîd, Taëz et Sanaa et imposent dans les terres du Nord un ordre nouveau. Depuis la fin du XVe siècle, le Yémen s’est découvert une nouvelle ressource, le café. L’« or vert » yéménite se vend à bon prix sur les marchés de l’Orient, puis à partir du XVIIe siècle, sur ceux de l’Occident. L’extension de sa culture dans les massifs occidentaux entraîne la mise en valeur de nouvelles terres. Les pentes les plus escarpées se couvrent de terrasses de culture. De nombreuses régions jusque là à l’écart entrent dans le grand vent des échanges avec un vaste horizon globalisé.
La présence turque entraîne toutefois une mobilisation de forces sans précédent dans certaines régions du nord de Sanaa autour de l’imam zaydite al-Mansûr bi’llâh al-Qâsim b. Muhammad (1598-1620). Ses successeurs al-Mu’ayyad Muhammad (1620-1644) et al-Mutawakkil Ismâ‘îl (1644-1676) réussissent à chasser les Turcs, à imposer l’autorité de leur famille et des tribus qui la soutiennent aux régions méridionales et à l’ensemble des terres productrices de café, jusqu’au Hadramawt lui-même. Ayant unifié le Yémen pour la première fois sous un pouvoir zaydite, il fonde une véritable dynastie d’imams, les Qâsimides. Les zaydites connaissent pour la première fois un véritable Etat organisé, même si celui-ci est loin d’être centralisé. Cette hégémonie des hommes du nord, descendants du Prophète et hommes du tribu, n’efface les particularités des différentes régions. Même dominé, le sud continue d’exercer une réelle attraction : c’est là que se situent les terroirs les plus riches du Yémen, là aussi que continue de battre le cœur du sunnisme yéménite, renforcé par la puissance des confréries soufies qui intègrent une grande partie de la population masculine. C’est dans ce contexte de contacts et d’imprégnation – parfois réciproque – que le grand cadi des Qâsimides, al-Shawkânî (1760-1834), ouvre les voies d’un réformisme zaydite à la fin du XVIIIe siècle, qui cherche à concilier la tradition intellectuelle, juridique et théologique du zaydisme avec les fondements scripturaires du sunnisme chaféite – une dynamique qui ne devait plus dès lors s’interrompre. Le pouvoir des Qâsimides jette alors ses derniers feux. Les différentes provinces qui composent le Yémen qâsimide sont alors entre les mains de branches collatérales de la famille et l’imam, résidant principalement à Sanaa ou dans sa région, peine de plus en plus à faire valoir son autorité. En 1839, les Britanniques s’emparent d’Aden pour en faire l’escale majeure sur la route des Indes. Autour d’Aden, ils étendent progressivement leur autorité aux plaines côtières de l’océan Indien jusqu’au Hadramawt, délimitant un territoire aux maigres ressources qui allait après 1967 constituer le Yémen du Sud, sans autre unité historique que celle léguée par la colonisation britannique.
La majeure partie du Yémen connaît au cours du XIXe siècle une tout autre destinée. Répliquant aux Britanniques, les Ottomans reprennent pied au Yémen dès 1849 (prise de Zabîd et de la Tihâma) et plus largement à partir de 1872 (prise de Sanaa). L’Empire vit alors à l’heure des Tanzîmât, ces réformes qui visent à le mettre au diapason de la modernité européenne. Le Yémen n’échappe pas à ce mouvement. Construction de routes et d’écoles, d’hôpitaux et de tribunaux civils, établissement des premières lignes de télégraphe et rationalisation de l’administration : le pouvoir ottoman ne ménage pas les cadres « traditionnels » de la société hérités de l’époque qâsimide. C’est en s’appuyant sur ce rejet partiel des innovations ottomanes qu’une nouvelle lignée d’imams (Hamîd al-Dîn) devait lever l’étendard de la révolte à partir de 1890. Privés d’une partie de leur autorité en 1911, les Turcs sont définitivement chassés en 1918 par l’imam Yahyâ qui se voit reconnaître en 1926 comme maître du « royaume mutawakkilite du Yémen ». Et c’est sous le signe paradoxal de cette apparente restauration que la société du Yémen du Nord devait progressivement entrer dans la modernité politique à compter des années 1930.
Pour aller plus loin :
Deux numéros de la Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée (REMMM)
– Yémen. Identité et territoires, sous la direction de Jérémie Schiettecatte, Vincent Martignon et Patrice Chevalier, n°121-122 (2008). Accessible en ligne : http://remmm.revues.org/4683
– Yémen. Passé et présent de l’unité, n°67 (1993). Accessible en ligne : http://remmm.revues.org/persee-179004
La revue Chroniques yéménites (http://cy.revues.org) a publié de nombreux articles relatifs à l’histoire du Yémen.
Eric Vallet
Eric Vallet est maître de conférences à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Laboratoire Islam médiéval (UMR Orient et Méditerranée).
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