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RIS, La revue internationale et stratégique, dossier « sanctionner et punir », numéro 97, printemps 2015, IRIS éditions

Par Louise Plun
Publié le 26/03/2015 • modifié le 03/04/2020 • Durée de lecture : 9 minutes

Lors de la conférence, Carole Gomez juriste et chercheur à l’IRIS, et Bastien Nivet, docteur en science politique, professeur associé et coordinateur de la recherche à l’Ecole de management de Léonard de Vinci ainsi que chercheur associé à l’IRIS, qui ont assuré la direction du dossier, ainsi que Sylvie Matelly, directrice de recherche à l’IRIS, ont présenté un sujet « qui leur tenait à coeur. [C’est-à-dire] une réflexion sur la thématique mais surtout l’omniprésence des sanctions dans la vie internationale, [abordée à la lumière de] l’actualité très récente [mais aussi de thèmes] en toile de fond [comme] la question iranienne ». Les intervenants expliquent ainsi que l’objectif de leur travail est de donner un « panorama de tous les régimes de sanctions, [celles-ci permettant] d’aborder des aspects des relations internationales pas forcément apparents ». Ils reviennent sur quelques notions essentielles à une bonne compréhension du thème abordé et posent notamment la question : qui sanctionner ? Il apparait alors, expliquent-ils, que « dans la typologie des acteurs sanctionnés, quatre grands groupes paraissent ressortir : les « Etats dérivants », les acteurs politiques à l’intérieur des Etats [comme certains partis ou dirigeants politiques], des acteurs non-étatiques, [comme des réseaux terroristes] ou encore des grandes puissances ». Leur point communs apparents est qu’ils sont considérés par la communauté internationale comme « déviants », « au regard du droit international ou au vue des normes comportementales adoptées dans les relations internationales ». Le contexte international actuel fournit dès lors un environnement favorable à la profusion des sanctions, et l’actualité relative à la région du Moyen-Orient en est un parfait tableau, dessinant en effet un grand nombre d’acteurs « déviants » et par conséquent exposés aux sanctions internationales. On entend par exemple par là le développement et l’affirmation dans le jeu international des groupes terroristes djihadistes.

Les problématiques soulevées lors de la conférence sont analysées dans le dossier « Sanctionner et punir », auquel ont contribué plusieurs spécialistes. Dans l’article introductif, Carole Gomez et Bastien Nivet introduisent les années 1990 comme la « décennie des sanctions » [1]. En effet, au regard de questions pérennes et devenues intrinsèques au jeu des relations internationales, telles que les questions iranienne ou libyenne, il est possible d’étudier « une nouvelle dimension dans laquelle se place les relations internationales, celles des rapports de force », et les sanctions comme « instruments diplomatiques questionnables ». Les auteurs soulignent que les sanctions répondent à une idéologie supposée correspondre à un certain nombre de valeurs morales, éthiques et d’égalité. Toutefois, en raison de la multiplication des sanctions, nombreuses peuvent-être celles qui dévient de cet idéal. Les auteurs prennent comme exemple celui des sanctions prises à l’encontre de l’Irak de Saddam Hussein dans les années 1990, qu’ils analysent comme « un tournant », voire même comme « un élément déclencheur », étant le premier domino d’un enchainement de crises humanitaires, sociales, économiques, militaires et diplomatiques. Dès lors, la question « jusqu’où peut-on aller » se pose, pour ne pas tomber dans le « polissage » [2] du terme « sanctionner » et dans la « contre-productivité » de son objectif intrinsèque.

Vient ensuite un entretien avec Bertrand Badie [3], professeur des universités à Science Po Paris, sur le thème : « Les sanctions, une forme particulière d’humiliation ? » Au coeur de la problématique de sanction, on retrouve obligatoirement celle des populations et des sociétés des Etats pénalisés, puisqu’elles incarnent en effet le prétexte au ploiement ou à l’entêtement de leurs gouvernements respectifs. Ces populations constituent cependant bien souvent des prétextes à ce que Bertrand Badie nomme une « violence symbolique ». Dès lors, entre en jeu le terme « punir », « en effet punir c’est s’arroger le titre et le droit d’être juge […]. C’est criminaliser l’ennemi qui faute d’être criminel, est au moins dénoncé comme délinquant. C’est donc sortir des sentiers classiques de la rivalité de puissances pour entrer dans les logiques d’asymétries et d’expiations ». Dès lors, est introduite logiquement la notion du « faible » et du fort : en effet, « on ne punira pas les Etats-Unis pour leur interventions en Irak », (bien qu’au cours de la conférence le point a été soulevé concernant l’auto-sanction liée à un effet boomerang de l’intervention américaine en Irak). Sont à comprendre en ce sens : la dégradation de l’image occidentale dans les pays arabes, l’enlisement diplomatique américain dans la région du Moyen-Orient et sa part flagrante de responsabilité qui remonte aujourd’hui à la surface. Dans cette logique du plus fort et du plus faible se mêle la question de la « violence sociale » qui ne trouve aucune solution lorsque deux forts s’affrontent. L’entretien donne en exemple le cas d’Israël, pays membre du « club occidental » et auteur de nombreuses violations du droit international via l’installation de colonies en Palestine, violations qui demeurent « sanctionnées » verbalement.
La dernière partie de l’entretien s’attache à démontrer les limites des sanctions internationales, comme le cas du Moyen-Orient le montre, dans la mesure où un Etat ou un gouvernement sanctionné implique également une population sanctionnée. Ainsi, le paradoxe apparait clairement : la « sanction apporte très généralement un surcroit de légitimité au dirigeant » puisque la population se rassemble autour de lui, incarnant selon celle-ci le dernier rempart face à celui qui promulgue la sanction. L’affaire libyenne met en évidence l’échec de la sanction, l’auteur rappelant que Kadhafi, dans un premier temps, n’a pas été sanctionné, non pas « parce que son régime s’était démocratisé […] mais parce qu’il rentrait dans les normes édictées par les puissances occidentales, notamment en matière de contrôle des flux migratoires ». Pour contrebalancer cette réalité « cynique » du jeu international, l’argument humanitaire et sécuritaire des populations face au régime a été utilisé par les puissances occidentales.

L’article de Barbara Delcourt, professeur de science politique à l’Université libre de Bruxelles, intitulé « Au nom de quoi sanctionner et punir ? » est l’occasion d’un bref historique du droit international. Les démarches initiales qui avaient pour but de « faire respecter le droit », associées à la volonté d’éviter une mutation militaire du conflit, remontent aux activités de la Société des Nations (mise en place à l’issue de la Première Guerre mondiale en 1919) qui débutent dans les années 1930, alors que l’Italie entendait concrétiser des vues sur l’Ethiopie, et le Japon sur la Mandchourie. Sanctionner ce non respect du droit consiste en une action collective de la part d’Etats souverains, de là découle par ailleurs l’explication de la non existence d’une entité gouvernementale internationale. Par la suite, l’ONU se vit assigner cette vocation, et sa Charte en définir les moyens, limites et principes. Cependant, comme le souligne l’auteur, « l’usage des sanction est étroitement lié à l’évolution de la conception que le Conseil de sécurité se fait de sa mission première ». Dès lors, il n’existe aucune « automaticité entre le constat du non-respect d’une obligation internationale et l’existence - même avérée - d’une menace pour la paix, d’un côté, et une décision de sanction, de l’autre. » Les affaires syriennes et la colonisation israélienne sont ainsi analysées. Ceci amène au cas plus particulier européen, dans la mesure où « les sanctions européennes se trouvent au coeur même du renforcement de la politique étrangère européenne ». Serait-ce dans cette perspective un moyen pour l’Union européenne d’exister et de s’affirmer ? Au delà du respect des principes de droit et des valeurs qu’elle revendique et prétend faire respecter, ne serait-ce pas pour l’Union européenne sa seule carte afin de peser dans le jeu international ? Dès lors on comprend que le problème fondamental réside dans l’absence d’autorité supranationale qui aurait entre ses mains le « monopole de la moralité » [4] et dont on aurait la certitude qu’elle agirait « au nom de l’humanité ».

L’article de Pierre Grosser, professeur agrégé à Sciences Po Paris et chercheur au Centre d’histoire de Sciences Po (CHSP), « Des histoires sans leçons ? De l’efficacité et de la pertinence des sanctions contemporaines » s’ouvre avec le cas iranien : « lorsqu’en 2013, un président « modéré » a été élu en Iran, les tenants d’une ligne dure en Occident ont considéré qu’il s’agissait là de la preuve éclatante de l’efficacité des sanctions ». Cependant, au regard de l’évolution « du processus d’apprentissage continu », notamment « du cadre onusien » concernant les sanctions internationales, l’auteur s’interroge sur l’efficacité et la justesse des sanctions menées. Pour ce faire, l’article revient sur les leçons, tirées ou non, que cette « décennie des sanctions » offre.

Malte Brosig, maître de conférences en relations internationales, s’intéresse au « régime de sanctions internationales à l’égard de la Libye : la quête d’un changement de régime au sein d’une gouvernance internationale fragmentée. » Dans un premier temps, celui-ci met en avant la portée plus efficace de sanctions « spécialisées ou spécifiques » qui toucheraient non pas le domaine économique dans sa totalité par exemple, mais plutôt un aspect précis de celui-ci comme ce « fut le cas du gel des avoirs du clan Kadhafi » par les Etats-Unis et par l’Union européenne. Dans un deuxième temps, est soulignée la nécessité d’enrayer des sanctions collectives, de les appliquer de « façon multilatérales et autorisées par les organisations internationales », du fait tout d’abord de difficulté de contournement lorsqu’elles sont appliquées collectivement, et enfin de la dimension politique et juridique légitimée dont peuvent se draper celle-ci. Dès lors « les sanctions peuvent être comprises comme l’expression institutionnelle d’une règle et d’un système de gouvernance reposant sur des valeurs », sanctionnant des structures de gouvernance allant à l’encontre de celles-ci.

Dans le contexte des soulèvements arabes de 2011, en février, à Benghazi en Libye, l’arrestation d’un militant en faveur des droits de l’homme, Fethi Tarbel, déclenche l’insurrection populaire. Contrairement aux dirigeants égyptien ou tunisien, le colonel Kadhafi déclarait ne jamais vouloir quitter son pays. Le soulèvement qui mena finalement vers la guerre civile se termina avec la mort du colonel le 20 octobre 2011. Dans ce contexte révolutionnaire, quelles sanctions furent et surtout purent être adoptées à l’encontre de Kadhafi ? Le cas libyen est intéressant dans la mesure où il reflète la complexité d’une intervention concertée, collective, efficace et dans l’intérêt du pays concerné. En effet, les sanctions qui peuvent être appliquées, le sont par le biais d’organisations qui sont dans la capacité, matérielle et juridique, de le faire. Or, l’extrême paradoxe libyen tient au fait que ces organisations avaient été en partie impulsées ou financées par le colonel Kadhafi, comme par exemple l’Union africaine (UA). Au moment où l’intervention devient nécessaire, la déliquescence de celle-ci est alors flagrante et les condamnations ne se manifestent que dans la continuité des mesures prises par les autres organisations internationales. Bien que les condamnations économiques, embargo sur les armes ou menaces de poursuites criminelles, furent nombreuses, le cas libyen expose la complexité de l’action de « sanctionner » au regard de la multiplicité des intérêts stratégiques de chacun des acteurs du système de gouvernance internationale. Dès lors, de la portée des sanctions ne demeure que l’aspect symbolique, puisqu’elles ne parviennent en aucun cas à mettre fin aux crimes contre l’humanité. L’article démontre ensuite que lorsque la sanction ne suffit pas, l’intervention en arme se place dans la continuité directe d’une diplomatie de parole. Dans le cas de la Libye, une zone d’exclusion aérienne a été mise en place en mars 2011 et le Conseil du sécurité de l’ONU a adopté une résolution visant à protéger les populations en excluant cependant « le déploiement [d’]une force d’occupation ». La résolution 1970 autorisait donc l’usage de la force dans le but de protéger les civils. L’article s’achève cependant sur l’interrogation suivante concernant le régime de Kadhafi : « une intervention juste ou une punition militaire ? »

Thierry Coville, professeur d’économie à Novancia Business School Paris et chercheur à l’IRIS traite pour sa part des « sanctions contre l’Iran, le choix d’une punition collective contre la société iranienne ? » L’auteur souligne la récurrence des sanctions imposées à l’Iran, celles-ci ayant pour finalité la question devenue intrinsèque au pays, c’est-à-dire la question nucléaire. Cependant, les retombées physiques et réelles de ces sanctions se font sur la société iranienne. Dès lors, l’auteur questionne le « caractère éthique » des sanctions, dans la mesures où les moyens mis en oeuvre ne concernent pas le programme nucléaire en lui-même. Après un panorama des sanctions établies à l’encontre de l’Iran, dont les premières suivirent le bouleversement institutionnel du pays en 1979, l’article souligne la multiplication des sanctions à partir de 2006 parallèlement à l’avancée du dossier nucléaire. Jusque-là principal générateur de sanctions, les Etats-Unis se voient secondés à partir de 2007 par l’Union européenne, avec la France de Nicolas Sarkozy comme moteur principal. A partir de 2010, l’aspect économique devient le coeur des sanctions promulguées à l’encontre du pays : embargo économique et financier sur le secteur énergétique, embargo sur les industries pétrochimique et pétrolière, interdiction de transactions entre banques d’Europe et d’Iran, ce qui amène Thierry Coville à traiter de « sanctionner des Etats et punir des hommes ». Il souligne ainsi que le « recul des recettes budgétaires de l’Iran » lié aux sanctions occidentales est de 27%, et que, selon certains chercheurs, « 30% de la population était en situation de pauvreté absolue ».
Ainsi, selon l’auteur, les sanctions ont des conséquences politiques et économiques durables et profondes : il cite ainsi le développement des courants de pensée salafiste prônant l’intolérance religieuse, l’affaiblissement des composantes les plus dynamiques de la société iranienne, et à l’inverse le renforcement de groupes proches du pouvoir contrôlant en autre de nombreux circuits de contrebande.

Dès lors la citation du président américain Wilson introduisant le dossier d’étude en constitue également la parfaite conclusion : « En appliquant ce remède économique, pacifique, silencieux et meurtrier, nul besoin de recours à la force ».

Publié le 26/03/2015


Louise Plun est étudiante à l’Université Paris Sorbonne (Paris IV). Elle étudie notamment l’histoire du Moyen-Orient au XX eme siècle et suit des cours sur l’analyse du Monde contemporain.


 


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