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Reportage à Gaza : à la suite de la flambée de violence début mai, l’argent qatari pour calmer le jeu entre Israël et les factions palestiniennes

Par Ines Gil
Publié le 20/05/2019 • modifié le 22/04/2020 • Durée de lecture : 6 minutes

Des soldats israéliens envoient des gaz lacrymogènes sur la foule de manifestants qui approchent la bordure frontalière.

Crédit photo : Ines Gil

15 mai 2019, les Palestiniens commémorent le 71e anniversaire de la Nakba

Non loin de la bordure frontalière avec Israël, une dizaine de bus arrivent. Financés par le Hamas, parti au pouvoir à Gaza, les véhicules transportent des Gazaouis venus commémorer la Nakba (1). Sur ce point de rencontre situé à l’est de Gaza city (2), des centaines de Palestiniens sont installés sous des bâches pour se protéger du soleil brûlant. Ils font face à une scène, où chants patriotiques et discours politiques se succèdent. Beaucoup, en majorité des personnes âgées et des enfants, restent assis sous les bâches durant toute la commémoration. Mais d’autres décident d’aller plus loin. Au rythme des tambours d’un petit groupe de jeunes scouts (Kashafa en arabe), de nombreux manifestants rejoignent une allée centrale, direction : la frontière avec Israël.

Des drapeaux palestiniens géants bordent l'allée qui mène à la frontière avec Israël. Crédit photo : Ines Gil
Des drapeaux palestiniens géants bordent l’allée qui mène à la frontière avec Israël. Crédit photo : Ines Gil

Parmi la foule, des cavaliers surgissent en grande pompe, les rênes du cheval dans une main, une clé géante dans l’autre. Brandies à chaque Nakba, elles représentent les clés des maisons que les Palestiniens ont dû laisser derrière eux lors de l’exil de 1948 (3). Les manifestants, keffiehs (4) au cou, avancent sur une allée bordée de drapeaux palestiniens géants. La plupart des protestataires s’arrêtent sur des petites buttes de terre, à 300 mètres de la frontière, pour observer les échanges. Une position déjà risquée, car il est interdit d’approcher la clôture frontalière à moins de 500 mètres. D’autres, en majorité des jeunes hommes ou des adolescents, vont plus loin, pour faire face aux soldats israéliens malgré le danger. Un danger parfois mortel, car depuis le début des manifestations de la Grande marche du retour le 30 mars 2018 (5), plus de 250 Palestiniens ont été tués.

En première ligne, quelques centaines de manifestants, tantôt réunis en groupe, tantôt dispersés, font face aux soldats, de l’autre côté de la clôture. Certains lancent des pierres, ou courent vers l’avant pour toucher la barrière frontalière. La foule bouge au rythme des gaz lacrymogènes, tirés soit par les soldats, soit depuis un drone qui survole les manifestants. Toutes les dix minutes, des cris se font entendre, une dizaine de protestataires accourent et les secours s’activent. C’est un nouveau blessé par balles, touché au niveau des jambes.
De l’autre côté de la frontière, d’immenses feux se sont déclarés sur le territoire israélien. Ils ont été causés par des engins explosifs et incendiaires lancés plus tôt dans la journée par des Palestiniens.

Parmi la foule, quelques dizaines de manifestants, même tout proches de la barrière, restent totalement passifs. Étrangement calmes malgré le danger, ils sont assis dans l’herbe pour observer la scène. Même si quelques heurts ont éclaté, cette journée de commémoration est restée relativement calme. Interrogé en fin d’après-midi, le Docteur Diwa Abou Hussein, responsable des services de secours, a confirmé que cette manifestation « est plus apaisée que d’autres semaines ». Une accalmie due à un compromis passé entre le Hamas et Israël.

Des soldats israéliens envoient des gaz lacrymogènes sur la foule de manifestants qui approchent la bordure frontalière. Crédit photo : Ines Gil
Des soldats israéliens envoient des gaz lacrymogènes sur la foule de manifestants qui approchent la bordure frontalière. Crédit photo : Ines Gil

Un accord tacite entre le Hamas et Israël pour éviter les violences

Durant cette journée, 10 000 manifestants se sont mobilisés et 65 Palestiniens ont été blessés par des tirs israéliens dans l’ensemble de la bande de Gaza. Mais contrairement à de nombreuses manifestations organisées les vendredis pour la Marche du retour, aucun Palestinien n’a été tué. Un calme relatif qui s’explique essentiellement par le transfert en début de semaine de quelques 480 millions de dollars depuis le Qatar vers la bande de Gaza (6). Destiné à l’éducation, à la santé et à l’urgence humanitaire, cet argent a été transféré avec l’accord d’Israël. Un transfert rendu possible à une condition : les violences doivent être contenues.

Pendant la journée de la Nakba, le Hamas au pouvoir à Gaza a clairement limité les débordements. Au cours de la manifestation, un responsable du parti islamiste a appelé au calme : « Nous respectons les accords si Israël les respecte aussi, nous cherchons la paix et le calme aujourd’hui ». Il a ajouté : « l’aide du Qatar est une bonne chose » (7). Au coeur même de la manifestation, la police du Hamas a empêché des protestataires palestiniens de s’en prendre aux soldats israéliens. En milieu d’après-midi, un groupe d’une centaine de manifestants qui s’approchait de la barrière a soudainement rebroussé chemin, courant vers l’arrière, en criant : « ils ont payés ! », faisant référence au Qatar. Ces manifestants ont été attaqués par des représentants de l’ordre du Hamas, infiltrés dans la foule pour les éloigner de la frontière.

Deux jours après les commémorations de la Nakba, le 17 mai, le Hamas a aussi annoncé l’annulation de la Marche du retour, pourtant organisée presque tous les vendredi depuis le 30 mars 2018. Une manière pour le parti islamiste de montrer sa bonne volonté à contenir les violences. Cette période de calme survient après un épisode de violences extrêmes, jamais observées depuis la guerre de 2014.

Entre les factions palestiniennes et Israël, un va-et-vient incessant entre les violences et le calme précaire

Depuis plusieurs mois, Israël et les factions palestiniennes présentes à Gaza connaissent de nombreuses alternances entre les épisodes d’escalade de la violence et les phases de calme relatif. A plusieurs reprises, tirs de roquettes du Hamas ou du Djihad islamique contre tirs de l’aviation israélienne, Gaza et Israël ont frôlé une nouvelle guerre. L’épisode de violences le plus extrême a éclaté le 4 mai dernier et s’est prolongé jusqu’au 6 mai, au petit matin. Il a débuté par des tirs de roquettes du Hamas et du Djihad islamique venus faire pression sur l’Etat hébreu afin de permettre l’entrée d’argent qatari dans l’enclave palestinienne.

En deux jours, plus de 600 roquettes ont été tirées et l’armée israélienne a répondu par près de 400 frappes sur la bande côtière. Le 5 mai, pour la première fois depuis 2014, Israël a organisé un assassinat ciblé par voie aérienne, tuant Hamed Al-Khoudary, membre du Hamas et responsable du transfert de fonds depuis l’Iran vers les factions gazaouies (8).
Dans le sud de l’Etat hébreu, quatre civils israéliens ont été tués et quatre autres ont été blessés. A Gaza cette fois, 25 Palestiniens ont été tués, dont deux femmes enceintes et deux enfants.

Tout proche de la frontière, au milieu des heurts violents entre manifestants et soldats israéliens, certains Palestiniens sont venus observer la scène avec curiosité malgré le danger. Crédit photo : Ines Gil
Tout proche de la frontière, au milieu des heurts violents entre manifestants et soldats israéliens, certains Palestiniens sont venus observer la scène avec curiosité malgré le danger. Crédit photo : Ines Gil

Un cessez-le-feu fragile dans la bande côtière

Le 6 mai, à 4 heures 30 du matin, un cessez-le-feu a été adopté après les efforts de médiation de l’Egypte, du Qatar et de l’Organisation des Nations unies. Une semaine plus tard, le 13 mai, l’envoyé spécial de l’ONU Nickolay Mladenovet et un émissaire qatari, Mohammed Al-Emadi, se sont rendus à Gaza pour discuter avec les factions palestiniennes (9). L’argent qatari, très attendu, a été transféré vers Gaza dans les jours suivants. Soumise à un blocus israélien et égyptien très strict, l’enclave palestinienne souffre d’une grave crise économique. Le chômage dépasse les 50% et il atteint les 70% chez les 18-25 ans. En plus du blocus, la population gazaouie pâtit des coupes dans les salaires des fonctionnaires. En février dernier, l’Autorité palestinienne dirigée par Mahmoud Abbas, a cessé de verser les salaires de centaines de Gazaouis (10).

Aujourd’hui, Israël et Gaza sont entrés dans une nouvelle période de calme. Jusqu’à la prochaine flambée de violences.

Notes :
(1) La Nakba (“Catastrophe” en français) fait référence à l’exode palestinien de 1948, intervenu pendant la guerre israélo-arabe de cette même année. Environ 700 000 Palestiniens ont fui vers les pays voisins ou les territoires palestiniens sous contrôle arabe.
(2) L’est Gaza city n’est pas le seul lieu de rassemblement ; le 15 mai, des manifestations sont organisées sur plusieurs positions du nord au sud de la bande de Gaza, le long de la frontière avec Israël, pour commémorer le 71e anniversaire de la Nakba.
(3) Date de la proclamation d’Israël, début de la première guerre israélo-arabe, dont Israël est sorti victorieux.
(4) Coiffe traditionnelle des paysans arabes, le keffieh, notamment porté par Yasser Arafat (1929, Le Caire (Egypte) - 2004, Clamart (France), parti politique : Fatah) est devenu un des symbole de la résistance palestinienne.
(5) Organisées presque chaque vendredi à la frontière, les manifestations de la Marche du retour visent à demander la fin du blocus israélien et le retour des réfugiés palestiniens dans leurs villages d’origine.
(6) https://www.theguardian.com/world/2019/may/07/qatar-send-480m-help-palestinians-west-bank-gaza-israel-ceasefire
(7) Propos recueillis durant la manifestation du 15 mai 2019.
(8) https://www.ynetnews.com/articles/0,7340,L-5504389,00.html
(9) https://www.haaretz.com/middle-east-news/palestinians/.premium-qatari-envoy-arrives-in-gaza-for-30-million-cash-infusion-1.7226266
(10) https://www.jpost.com/Middle-East/PA-cuts-salaries-to-hundreds-of-Palestinians-in-Gaza-580026

Publié le 20/05/2019


Ines Gil est Journaliste freelance basée à Beyrouth, Liban.
Elle a auparavant travaillé comme Journaliste pendant deux ans en Israël et dans les territoires palestiniens.
Diplômée d’un Master 2 Journalisme et enjeux internationaux, à Sciences Po Aix et à l’EJCAM, elle a effectué 6 mois de stage à LCI.
Auparavant, elle a travaillé en Irak comme Journaliste et a réalisé un Master en Relations Internationales à l’Université Saint-Joseph (Beyrouth, Liban). 
Elle a également réalisé un stage auprès d’Amnesty International, à Tel Aviv, durant 6 mois et a été Déléguée adjointe Moyen-Orient et Afrique du Nord à l’Institut Open Diplomacy de 2015 à 2016.


 


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