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Aux prémices du mois de novembre, les portraits de Yasser Arafat ont envahi les rues de Ramallah, remplaçant les panneaux publicitaires le long de la route, et recouvrant les devantures des échoppes. Sur tous les clichés, l’ancien président de l’Autorité palestinienne regarde au loin, toujours coiffé d’un keffieh, traditionnel foulard des paysans arabes, devenu symbole de la lutte palestinienne. Dans un coin, le logo du Fatah - son parti - est immanquable. Abu Ammar (surnom de Yasser Arafat) est célébré comme un héro à l’occasion du 15ème anniversaire de sa mort, survenue le 11 novembre 2004.
A Ramallah, le siège de l’Autorité palestinienne, les célébrations rythment toute la journée du 11 novembre. Elles s’ouvrent à la Mouqata’a, le siège de l’exécutif palestinien, avec un discours du président Mahmoud Abbas. Un peu plus tard dans l’après-midi, des centaines de manifestants rejoignent un point de rassemblement non loin de la colonie de Bet El, au nord de Ramallah. Jets de pierres côté palestinien contre gaz lacrymogènes et balles en caoutchouc côté israélien, les heurts traditionnels éclatent. Dans toute la Cisjordanie, plusieurs marches sont organisées. Certaines, comme à Ramallah, tournent à l’affrontement. Dans le camp de réfugiés d’Al-Aroub, entre Hébron et Bethléem, un Palestinien de 22 ans est tué par un soldat israélien dans des circonstances douteuses, entraînant de nouvelles manifestations.
De nouveau à Ramallah, de l’autre côté de la ville, à proximité du checkpoint de Qalandia. L’odeur des lacrymos plane encore dans les rues en début de soirée. La route principale qui relie Ramallah à Jérusalem est bloquée par plusieurs départs de feux. Les manifestants jettent des bouts de bois et des meubles à moitié déchiquetés dans les flammes. Des matériaux sans doute récupérés sur le bord de la route. Très jeunes, les protestataires sont presque tous nés après la mort de Yasser Arafat. Aucun d’entre eux n’a connu la Palestine à l’époque du leader de l’OLP. Un signe que, de génération en génération, Abu Ammar demeure un symbole de la cause nationale pour les Palestiniens.
Le choix de la Mouqata’a pour entamer les commémorations n’est pas un hasard. Siège des bureaux gouvernementaux de l’Autorité palestinienne, ce lieux abrite aussi le Musée Arafat, consacré à l’histoire palestinienne, et surtout, la tombe du leader palestinien. Pendant la seconde Intifada (2000-2005), Yasser Arafat a été assiégé dans la Mouqata’a pendant deux ans (1), parfois sous les bombardements israéliens. Il était accusé par Tel-Aviv d’alimenter les attentats qui frappaient Israël. Une assignation à résidence avant que son état de santé ne se dégrade brutalement. Après quelques jours, il est transféré à l’hôpital Percy, près de Paris, où il s’éteindra. Le 12 novembre 2004, à l’arrivée de son cercueil à Ramallah, cela ne fait aucun doute pour les 100 000 Palestiniens réunis pour l’accueillir : Yasser Arafat a été empoisonné par les Israéliens pour en finir avec la Seconde Intifada. Ce débat n’a jamais été tranché. En 2015, à la demande de son épouse, qui avait porté plainte contre X pour assassinat, le corps de Yasser Arafat a été exhumé. Après divers examens, la thèse de l’empoisonnement a été balayée par la justice française (2). Le parquet de Nanterre a conclu à un non-lieu. Mais le chef de l’enquête palestinienne conteste les décisions de la justice française. En parallèle, des enquêteurs suisses également présents pendant l’exhumation ont conclu à l’empoisonnement du dirigeant palestinien au polonium 210 (3). Jusqu’à aujourd’hui, cette thèse demeure majoritaire parmi la population palestinienne, perpétuant la mystification d’un leader assiégé mort assassiné.
Aujourd’hui, malgré les soupçons de corruption et les dérives autoritaires de la fin des années 1990, l’image de Yasser Arafat est presque intouchable. Les Palestiniens lui pardonnent même les accords d’Oslo, si impopulaires aujourd’hui, dont Yasser Arafat a pourtant été l’artisan. Même dans la bande de Gaza, contrôlée par le Hamas rival, l’ancienne maison du leader du Fatah a été transformée en petit musée en son honneur (4).
Le souvenir du leader Arafat contraste vivement avec l’image de l’actuel président, Mahmoud Abbas.
Face aux micro des journalistes, devant la Mouqata’a le 11 novembre, Mahmoud Abbas a remonté l’histoire en évoquant la mémoire de Yasser Arafat, mais également l’actualité politique. Un thème est longuement revenu durant son discours : les élections. Il a réitéré sa volonté de convoquer des élections dans les prochains mois : « Nous avons décidé de tenir un scrutin législatif, puis présidentiel, et ces élections doivent aussi avoir lieu à Jérusalem-Est et à Gaza » (5). Le 10 novembre dernier, le Fatah a annoncé qu’Abu Mazen (surnom de Mahmoud Abbas) serait le seul candidat du parti pour la présidentielle, qui devrait être organisée en février 2020 (6). Mais dans les rues de Ramallah et parmi les observateurs de la politique palestinienne, peu semblent croire à cette promesse d’élections. Elu président en 2005 puis en 2008, le mandat d’Abu Mazen avait pour terme janvier 2009. Mais le leader du Fatah l’a continuellement étendu jusqu’à aujourd’hui. Les dernières élections législatives remontent à 2006, date à laquelle le Hamas avait remporté le scrutin. Une victoire qui avait provoqué des affrontements avec le Fatah et la prise de pouvoir du parti islamique à Gaza, à l’origine de la scission des Territoires palestiniens entre d’un côté la Cisjordanie et de l’autre la Bande de Gaza.
Les plus vifs critiques envers le président Abbas affirment que ces annonces sont un leurre pour calmer les contestations bouillonnant parmis la population. Une large majorité de Palestiniens souhaite le départ de Mahmoud Abbas, désespérée par l’absence de perspectives politiques avec un processus de paix au point mort et la défaillance économique en Cisjordanie, avec un chômage à 15% (7). D’autant plus que le grand succès de Mahmoud Abbas, la coopération sécuritaire avec Israël, est une politique impopulaire auprès des Palestiniens. Ce sentiment anti-Abbas est encore plus vif chez la jeune génération, à l’heure où l’Autorité palestinienne a sévèrement durci la liberté d’expression sur internet et sur les réseaux sociaux (8).
Ce 11 novembre, 15e anniversaire de la mort de Yasser Arafat, est venu rappeler le fossé entre les deux seuls hommes ayant accédé à la présidence de l’Autorité palestinienne. L’un, considéré comme un héro révolutionnaire, parfois idéalisé, et l’autre, marginalisé et rejeté par sa population, qui ne nourrit plus vraiment d’espoir.
Notes :
(1) https://fresques.ina.fr/jalons/fiche-media/InaEdu01669/yasser-arafat-assiege-a-ramallah.html
(2) Parquet de Nanterre. L’épouse de Yasser Arafat avait porté plainte en France contre X pour assassinat.
(3) https://www.parismatch.com/Actu/International/Une-mort-embarrassante-Yasser-Arafat-814657
(4) http://www.rfi.fr/moyen-orient/20191111-quinze-ans-mort-yasser-arafat-gaza-souvenir-emu-leader-autorite-palestinienne
(5) https://www.liberation.fr/depeches/2019/11/11/cisjordanie-un-palestinien-tue-en-marge-du-15e-anniversaire-du-deces-d-arafat_1762751
(6) https://www.huffpostmaghreb.com/entry/mahmoud-abbas-83-ans-est-l-unique-candidat-du-fatah-aux-presidentielles-palestiniennes_mg_5dc7eb27e4b02bf57941645d
(7) https://www.banquemondiale.org/fr/country/westbankandgaza/overview
(8) https://fr.timesofisrael.com/lap-ordonne-le-blocage-de-dizaines-de-pages-sur-internet-et-les-reseaux-sociaux/
Ines Gil
Ines Gil est Journaliste freelance basée à Beyrouth, Liban.
Elle a auparavant travaillé comme Journaliste pendant deux ans en Israël et dans les territoires palestiniens.
Diplômée d’un Master 2 Journalisme et enjeux internationaux, à Sciences Po Aix et à l’EJCAM, elle a effectué 6 mois de stage à LCI.
Auparavant, elle a travaillé en Irak comme Journaliste et a réalisé un Master en Relations Internationales à l’Université Saint-Joseph (Beyrouth, Liban).
Elle a également réalisé un stage auprès d’Amnesty International, à Tel Aviv, durant 6 mois et a été Déléguée adjointe Moyen-Orient et Afrique du Nord à l’Institut Open Diplomacy de 2015 à 2016.
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