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Revue des Deux Mondes, mai 2011, dossier « La révolution en ligne »

Par Anne-Lucie Chaigne-Oudin
Publié le 25/05/2011 • modifié le 20/04/2020 • Durée de lecture : 4 minutes

Dans un entretien réalisé par Manuel Carcassonne, directeur général adjoint des Editions Grasset, Yves Aubin de La Messuzière, ambassadeur de France en Tunisie de 2002 à 2005 et président de la Mission laïque française depuis 2009, évoque l’évolution qu’a connu ces derniers mois le monde arabe. Pour l’auteur, il s’agit plus d’une « transition » que d’une « révolution », de par la nature des régimes mis en place à la suite des révoltes. Concernant la Tunisie, il évoque en particulier les caractéristiques démographique, sociale et politique de ce pays avant la crise, ainsi que l’islamisme et la politique mise en œuvre par le président Ben Ali afin d’y faire face. Analysant les facteurs déclenchant de la révolte en Tunisie, Yves Aubin de La Messuzière estime que la corruption en est un : « Je crois que ce système de prédation a été l’une des causes de cette révolte, qui a une dimension morale et éthique ». La révolte s’est ensuite poursuivie dans d’autres pays arabes (Egypte, Yémen, Libye), « ces régimes travers(ant) avant tout une crise de légitimité » et « des crises de succession ». Les réactions de l’administration américaine et de l’Union européenne sont également analysées : « Je pense que, en tout état de cause, Barack Obama a eu raison d’aller dans le sens des mouvements émancipateurs. L’Union européenne a été inhibée, a eu des prises de position tardives, protectionnistes, avec parfois des propos anxiogènes ».

Thomas Gomart, directeur du développement stratégique de l’Ifri, se penche sur la problématique suivante : « Ecrire l’histoire des relations internationales après Wikileaks ». Si cette question n’est pas traitée au regard des révoltes dans le monde arabe, elle permet de faire le point sur les caractéristiques que l’on retrouve dans l’histoire des relations internationales, notamment « les notions de puissance, d’archive et de secret diplomatique ». En outre, l’évolution technologique que nous connaissons aujourd’hui est analysée, l’auteur s’interrogeant en particulier sur l’influence d’Internet dans les relations internationales : « Internet et le Web modifient en profondeur la notion de power, centrale dans l’analyse des relations internationales. (…) Dans un contexte de globalisation technologique, tous les Etats, y compris les plus puissants, sont confrontés à des flux exponentiels d’informations qui échappent autant à leur initiative qu’à leur contrôle ».

C’est ainsi que Bertrand Badie, politologue spécialiste des relations internationales, professeur des universités à l’Institut d’études politiques de Paris et enseignant-chercheur au CERI, dans un entretien réalisé par Aurélie Julia, s’interroge sur les « Révolutions en ligne ». Revenant sur l’origine des mouvements dans le monde arabe, Bertrand Badie en rappelle le caractère populaire et spontané et le fait « que les soulèvements n’ont guère été précédés par une quelconque manœuvre politique ou organisationnelle, en particulier dans leurs phases initiales ». Il aborde ensuite le lien entre les nouveaux moyens technologiques et les révoltes, expliquant que la spécificité des événements actuels réside dans « un nouveau type de mobilisation révolutionnaire (…) : la communication décentralisée et appropriée par l’individu tend à se substituer aux vertus traditionnelles de la communication organisée ». En outre, il rappelle le caractère difficilement répressible par les « systèmes autoritaires » de ces nouveaux moyens de communication.

Deux auteurs, Flore Vasseur, entrepreneuse, romancière et journaliste et Pierre de Beauvillé, ancien journaliste financier et consultant en communication, évoquent également dans leurs articles les problématiques posées par les progrès technologiques et d’Internet (notamment le hacking), ainsi que l’utilisation de ces nouvelles techniques par les « élites du Web » et les objectifs poursuivis.

Reprenant également la thématique des nouvelles technologies, Adrien Jaulmes, grand reporter au Figaro, analyse la crise en Egypte. Il en rappelle le déclenchement le 25 janvier : « Ce jour-là a lieu la première manifestation qui va déclencher la révolution. Les organisateurs sont un petit groupe de blogueurs. Ils choisissent cette date un peu par hasard, un peu par ironie. Le 25 janvier a été décrété par les autorités égyptiennes Jour de la police ». Cette manifestation, dont l’objectif n’est pas au départ le changement de régime, trouve des relais dans les réseaux sociaux, Facebook et Twitter. Les événements s’enchainent alors, relatés de façon très vivante et analysés par l’auteur : manifestation du Jour de la colère le 28 janvier dont l’issue est le départ de la police du lieu des manifestations ; installation des manifestants place Tahrir au Caire : « la place Tahrir, l’ancienne place Ismailya, rebaptisée par Nasser place de la Libération, (…) va devenir pendant deux semaines l’épicentre d’un mouvement totalement nouveau, qui va révolutionner l’Egypte, mais aussi résonner dans tout le monde arabe » ; fin de la peur parmi la population, comme l’analyse un écrivain : « Le système du dictateur repose sur la peur. Cette peur est l’impuissance que chacun ressent, la certitude qu’on sera jeté en prison à la moindre protestation. Une fois que la peur disparaît, c’est tout le système qui s’effondre » ; perception des événements par le régime, qui « n’a rien vu venir », et qui estime « inconcevable que l’on manifeste sans être payé par une puissance étrangère, que l’on puisse se soulever pour des idées, et prendre des risques gratuitement » ; réaction de l’armée ; organisation de la vie place Tahrir. Pendant ce temps, « Moubarak tente alors de jouer la carte du pourrissement du mouvement ». Des concessions sont annoncées, un dialogue est amorcé avec l’opposition. Mais les mesures entreprises n’entament pas la détermination des manifestants, qui réclament le départ du président Hosni Moubarak. Sa démission est annoncée le 11 février et « lorsque la nouvelle se répand sur la place Tahrir, la foule explose soudain en une immense clameur de joie ».

La question de l’Algérie et de la révolte arabe est évoquée par Kamel Abdellaoui, écrivain. S’interrogeant sur la question : « L’Algérie va-t-elle rater le coche ? », il évoque les événements survenus en Algérie depuis l’indépendance et conclut : « Avec cette série de soulèvements inaboutis depuis l’indépendance, on peut comprendre l’apathie apparente du peuple algérien. Mais il faut s’attendre a tout avec lui. Le vrai soulèvement populaire, c’est peut-être une question de « calendrier » proprement algérien qui nous dépasse ; ça surprendra, à coup sûr, les scrutateurs les plus avertis de l’actualité internationale ».

Publié le 25/05/2011


Anne-Lucie Chaigne-Oudin est la fondatrice et la directrice de la revue en ligne Les clés du Moyen-Orient, mise en ligne en juin 2010.
Y collaborent des experts du Moyen-Orient, selon la ligne éditoriale du site : analyser les événements du Moyen-Orient en les replaçant dans leur contexte historique.
Anne-Lucie Chaigne-Oudin, Docteur en histoire de l’université Paris-IV Sorbonne, a soutenu sa thèse sous la direction du professeur Dominique Chevallier.
Elle a publié en 2006 "La France et les rivalités occidentales au Levant, Syrie Liban, 1918-1939" et en 2009 "La France dans les jeux d’influences en Syrie et au Liban, 1940-1946" aux éditions L’Harmattan. Elle est également l’auteur de nombreux articles d’histoire et d’actualité, publiés sur le Site.


 


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