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« Un pays qui pense être […] une superpuissance mondiale a peur des déclarations de notre ministre des Affaires étrangères ». Ainsi s’exprimait le Président iranien Hassan Rohani le 1er août, soulignant le « comportement puéril » des Etats-Unis qui, la veille, annonçaient imposer des sanctions contre le chef de la diplomatie iranienne, Mohammad Javad Zarif (1).
Cette nouvelle sanction s’empile sur la liste, déjà longue (2), des précédentes mesures prises par les Etats-Unis, les Nations unies et l’Union européenne. A l’heure actuelle, alors que le bras de fer diplomatico-militaire entre les Etats-Unis et l’Iran bat son plein, près de 80% de l’économie iranienne serait sous le coup de sanctions, selon le Secrétaire d’Etat américain Mike Pompeo. L’économie iranienne semble ainsi dans un état d’asphyxie progressive ; preuve, a priori, du succès des sanctions, dont le but est de pousser l’Iran aux négociations et aux concessions.
Pour autant, ces sanctions semblent avoir leur limite, puisque les premières datent d’il y a plus de vingt ans, en 1996 (3), et n’ont pas réellement forcé l’Iran à courber l’échine et qu’un grand nombre d’experts doutent de leur utilité (4), quand elles ne sont pas accueillies avec moquerie par les Iraniens (5).
Ainsi, dans quelle mesure les sanctions énoncées contre l’Iran se révèlent-elles efficaces ? Les pays n’ayant pas édicté ces sanctions sont-ils obligés de les appliquer ? Ne s’agit-il pas avant tout d’un outil de communication, plutôt que d’un réel moyen de pression ? La première partie de cet article montrera que le rétablissement des sanctions et leur sévérité (I) pèsent à l’évidence de façon très notable sur l’économie iranienne et sa population (II) ; en deuxième partie, l’analyse de ces sanctions montrera qu’elles servent également tout autant d’outil de communication que de moyen de pression (III), mais font face, de façon croissante, à la résistance de nombreuses diplomaties, au premier rang desquelles la Russie, la Chine et l’Union européenne, qui s’emploient à chercher des solutions pour contourner ces sanctions (IV).
N.B : A des fins de clarté et pour des raisons évoquées dans la première partie de cet article, ce dernier se concentrera exclusivement sur les sanctions américaines, qui représentent, actuellement le plus fort des sanctions contre l’Iran.
Une « guerre économique » : c’est le terme utilisé par certains responsables iraniens (6) pour désigner les sanctions économiques sous le coup desquelles l’Iran se trouve actuellement. De fait, les sanctions américaines (7), visant à pousser l’Iran à abandonner son programme nucléaire et sa politique d’influence régionale, ont adopté prioritairement un angle d’attaque économique, bien que quelques-unes aient pu être d’ordre politique (8). Si le régime des Mollah a pu connaître une série d’embargos sur les armes décrétée par les Nations unies et l’Union européenne en 2006 et 2007, ces derniers sont très fortement allégés (9) à la suite de l’Accord de Vienne en 2015 et consacrent ainsi l’omnipotence des sanctions d’ordre économique, notamment américaines.
En effet, le fer de lance de ces sanctions économiques apparait comme étant Washington ; le retrait américain de l’Accord de Vienne a été suivi par la ré-implémentation, le 4 novembre 2018, de sanctions présentées par le Département du Trésor américain comme « les plus dures jamais imposées à l’Iran » (10). Ces sanctions visent des secteurs critiques pour l’économie iranienne, à l’instar du secteur énergétique, de celui du transport, des chantiers navals et de la finance ; le Trésor américain précise par ailleurs que les Etats-Unis sont engagés dans une campagne de « pression financière maximale » sur le régime iranien et « d’application agressive » de ces sanctions.
Le lendemain, le Bureau de contrôle des avoirs étrangers américain (OFAC - Office of Foreign Assets Control) a également sanctionné 700 individus, entités, avions et navires, dont les sanctions avaient été levées à la suite de l’adoption de l’Accord de Vienne.
Le 2 mai 2019, les Etats-Unis annoncent mettre fin aux exemptions de sanctions appliquées aux huit pays important encore du pétrole iranien : la Chine, l’Inde, le Japon, la Corée du Sud, Taïwan, la Turquie, l’Italie et la Grèce. A cette date, et depuis la reprise des sanctions en novembre 2018, les exportations pétrolières iraniennes avaient déjà diminué de plus de 50% et descendu en-dessous du seuil du million de barils de pétrole brut par jour.
L’économie de l’Iran apparaît, aujourd’hui, comme ayant particulièrement souffert des sanctions américaines. Les chiffres sont éloquents : lors de l’Accord de Vienne, le Président iranien Hassan Rouhani s’était entendu avec les Etats-Unis et cinq pays européens pour, entre autres, limiter les activités nucléaires iraniennes, en échange de quoi les sanctions à l’encontre de la république islamique étaient levées ; dès l’année suivante, en 2016, l’économie iranienne bondissait avec un taux de croissance de 12,3% (11). Aujourd’hui, avec la réimposition des sanctions américaines, l’économie iranienne s’est contractée de 3,9% en 2018 et devrait chuter de 6% en 2019 (12).
Le secteur énergétique, notamment pétrolier, pâtit tout particulièrement des sanctions américaines. Début 2016, après la levée des sanctions, le nombre de barils de pétrole par jour exportés par l’Iran bondissait de 2,7 millions en mars 2016 à 3,7 millions un an plus tard et à 3,8 millions en mars 2018. Six mois après la réimposition des sanctions, le nombre de barils de pétrole exportés par l’Iran chutait à 2,4 millions par jour, et ce, avant même la levée de l’exemption d’importation de pétrole pour les huit pays cités supra en mai dernier, dont les résultats ne sont pas encore connus, mais qui devraient grever davantage encore le secteur énergétique iranien. Le gouvernement américain estime que la chute des exportations pétrolières iraniennes grâce aux sanctions aurait fait perdre environ 10 milliards de dollars (environ 8,9 milliards d’euros) de revenus au régime des Mollah (13) depuis le mois de novembre 2018.
Concrètement, la vie quotidienne des Iraniens essuie de plein fouet ces sanctions économiques. L’inflation ayant augmenté de 31% en 2018 selon le FMI, le pouvoir d’achat des Iraniens a drastiquement diminué. A la date de juin 2019, les prix de la viande rouge et de la dinde ont augmenté de 57% en un an ; ceux du lait, du fromage et des œufs de 37%, et les légumes de 47%. Les frais médicaux et les loyers auraient, eux, augmenté de 20% (14).
De longues files d’attente se forment ainsi quotidiennement devant les épiceries subventionnées par le gouvernement iranien, afin d’obtenir des produits alimentaires, notamment de la viande rouge, à des prix pondérés eu égard à ceux pratiqués dans les marchés traditionnels (15). Le gouvernement iranien envisagerait la possibilité d’introduire des tickets de rationnement électroniques pour aider les plus démunis à obtenir de la viande et des produits de nécessité ; selon la BBC, environ 3% des Iraniens (soit 2,4 millions de personnes) vivaient avec moins d’1,70€ par jour en 2016.
Ces sanctions visent ainsi à mettre à genoux l’Iran à moindre coût, sans avoir recours à la force armée. Les parties en présence, qu’il s’agisse des Etats-Unis, des Iraniens ou encore des Européens, partagent la crainte d’un conflit qui serait dévastateur pour l’économie mondiale : Mohamed Marandi, professeur à l’Université de Téhéran ayant participé aux négociations de l’Accord de Vienne en 2015, rappelait ainsi le 22 juin 2019, à l’occasion d’une interview au journal américain Democracy Now !, qu’un conflit armé entre les Etats-Unis et l’Iran « conduirait à une catastrophe économique mondiale d’une ampleur encore jamais vue dans l’histoire contemporaine », qui s’inscrirait « sur le très long terme », citant notamment les conséquences immédiates d’un conflit sur le détroit d’Ormuz, dont l’enjeu stratégique majeur a été rappelé récemment.
Malgré les résultats évidents de ces sanctions sur l’économie iranienne, ces dernières ont-elles une réelle utilité ? Robert Malley, ancien conseiller spécial auprès du Président américain Barack Obama, aujourd’hui PDG d’International Crisis group, déclarait à leur sujet, le 24 juin dernier, qu’il s’agissait « de la politique-symbole dans tout ce qu’elle a de pire », expliquant que ces sanctions « sont, à tous les niveaux, illogiques, contre-productives, ou au mieux inutiles ». Certaines de ces sanctions n’auraient-elles pas, avant tout, comme but d’envoyer des messages politiques, tant à l’adresse de l’Iran mais aussi à celle de l’électorat américain et au reste du monde ? Et continuent-elles d’être respectées par les pays liés économiquement à l’Iran ? C’est à ces questions que la deuxième partie de cet article va tâcher de répondre.
Lire la partie 2
Notes :
(1) Mohamad Javad Zarif, « complice du comportement hors-la-loi du régime iranien et du reste de la mafia de Khamenei », selon les mots du Secrétaire d’Etat américain Mike Pompeo, fait désormais l’objet d’un gel de ses avoirs aux Etats-Unis et d’une interdiction de transactions commerciales et financières dans le pays.
(2) Entre les sanctions américaines, européennes, de l’ONU, et celles d’autres acteurs isolés (à l’instar d’Instagram, qui a supprimé le 16 avril dernier le compte des Gardiens de la Révolution islamique d’Iran, de la force d’Al Quds et de son chef Qasem Soleimani), il est très difficile d’évaluer le nombre de sanctions actuellement à l’œuvre contre l’Iran, d’autant que celles-ci sont parfois cumulatives, complémentaires, etc. ; toutefois, l’élément intournable reste l’omniprésence, voire l’omnipotence, des Américains dans l’établissement de ces sanctions.
(3) Si les premières sanctions américaines datent en réalité de 1979, ces dernières s’inscrivaient avant tout dans le cadre de la prise d’otage à l’ambassade américaine de Téhéran. Les premières sanctions dans les pas desquelles les nouvelles s’inscrivent en matière de contre-prolifération datent de 1996 : il s’agit des sanctions américaines édictées le 5 août 1996 avec « The Iran and Libya Sanctions Act » (ILSA), renommé en 2006 « The Iran Sanctions Act » (ISA).
(4) A l’instar de Cailin Birch, économiste à l’Unité d’intelligence économique du magazine The Economist, qui affirmait le 23 juin 2019 que « les sanctions ont très peu marché avec le Mexique, n’ont pas du tout marché avec la Corée du Nord et la Chine, et ne marcheront pas avec l’Iran ».
(5) Un tweet relayé massivement le 24 juin dernier parmi les internautes iraniens affirmait ainsi que « Les seules personnes restantes à sanctionner en Iran sont moi, mon père et le fils de notre voisin. Le Ministère des Affaires étrangères devait nous communiquer le numéro de téléphone de Trump afin que nous puissions directement lui donner nos noms ».
(6) Au premier rang desquels Mohammad Javad Zarif, qui mettait en garde les Etats-Unis le 11 juin dernier contre la « guerre économique » qu’elle lui menait, avertissant les pays qui soutiendraient les sanctions qu’ils ne devraient plus espérer « rester en sécurité ».
(7) Aujourd’hui, les sanctions en vigueur contre l’Iran sont essentiellement américaines ; en effet, à la suite de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien (14 juillet 2015), l’Union européennes, puis les Nations unies, lèvent ou suspendent leurs sanctions, tout comme les Etats-Unis. Toutefois, le 8 mai 2018, le Président Donald Trump annonce le retrait de son pays de l’accord de Vienne ainsi que le retour de sanctions particulièrement virulentes contre l’Iran. Depuis, alors que la Chine, la Russie et l’Union européenne essayent de sauver ce qui peut l’être de l’accord, les Etats-Unis ont accru la pression sur le régime des Mollah en multipliant les sanctions et autres contraintes à son égard (en mettant fin, par exemple, aux exemptions permettant l’achat de pétrole iranien par certains pays le 22 avril).
(8) Telle que l’inscription le 8 avril 2019 du Corps des Gardiens de la Révolution sur la liste des organisations terroristes des Etats-Unis par exemple.
(9) En janvier 2016, les embargos de l’ONU et de l’Union européenne sont revus à travers la résolution 2231 : désormais, l’importation par l’Iran d’armements lourds doit être conditionnée par l’accord du Conseil de Sécurité des Nations unies. L’exportation et l’importation de missiles balistiques restent en revanche toujours strictement prohibées.
(10) Cf. le « Centre de ressources » du site du Département du Trésor américain, rubrique « Sanctions contre l’Iran ».
(11) Selon des chiffres de la Banque centrale d’Iran.
(12) Selon des chiffres du Fonds monétaire international (FMI).
(13) Selon Brian Hook, représentant spécial sur l’Iran du Département d’Etat le 13 mars dernier.
(14) Selon le Centre statistique d’Iran (l’équivalent de l’INSEE français).
(15) Le journaliste du quotidien Bloomerg, Golnar Motevalli, narre ainsi comment les Iraniens se rassemblent dès l’aube devant les épiceries ; un épicier interrogé sur la situation explique qu’environ une centaine de personnes font la queue devant son épicerie chaque jour, mais que les stocks ne lui permettent que d’en servir entre cinquante et soixante.
Emile Bouvier
Emile Bouvier est chercheur indépendant spécialisé sur le Moyen-Orient et plus spécifiquement sur la Turquie et le monde kurde. Diplômé en Histoire et en Géopolitique de l’Université Paris 1 - Panthéon-Sorbonne, il a connu de nombreuses expériences sécuritaires et diplomatiques au sein de divers ministères français, tant en France qu’au Moyen-Orient. Sa passion pour la région l’amène à y voyager régulièrement et à en apprendre certaines langues, notamment le turc.
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