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Sultanat d’Oman dans les années 1920 : l’empire informel

Par Ainhoa Tapia
Publié le 24/07/2012 • modifié le 02/03/2018 • Durée de lecture : 5 minutes

Les intérêts britanniques

Le développement de l’aviation permet de contrôler plus efficacement cette zone stratégique, notamment les tribus de l’arrière-pays qui se rebellent périodiquement contre les sultans de Mascate. Ainsi, la flotte aérienne britannique devient très vite une force essentielle dans le Golfe. On peut faire le parallèle avec les protectorats d’Aden à la même époque [2]. En outre, l’aviation permet de réduire le temps de transport du courrier et des passagers entre la Grande-Bretagne et l’empire des Indes, nécessitant de construire des aéroports de ravitaillement à intervalles réguliers. Quatre routes sont notamment créées pour relier Londres à Calcutta ou Bombay, la plus sûre étant celle passant par Oman. En effet, les territoires qu’elle survole sont gouvernés par un petit nombre de cheiks, demandant donc moins d’autorisations qu’ailleurs. De plus, lorsqu’en 1928 le contrôle des protectorats d’Aden [3] est confié au ministère de l’Air, une route militaire s’ajoute à la route civile.

Le deuxième intérêt des Britanniques est pétrolier. En effet, les pénuries de pétrole de 1917-1918 leur ont démontré la nécessité de contrôler les réserves d’hydrocarbures de Perse et de Mésopotamie. En 1925, Américains, Britanniques et Français, les trois détenteurs des parts de la Turkish Petroleum Company (plus tard l’Iraqi Petroleum Company), principale compagnie pétrolière du Moyen-Orient, signent l’Accord de la Ligne Rouge. Les trois puissances décident qu’à l’exception des territoires du Koweït et de l’Iran (contrôlé par l’Anglo-Iranian Company), aucun des pays signataires ne peut s’approprier un champ pétrolifère au Moyen-Orient sans le partager avec les autres signataires.

La préservation de tous ces intérêts amène les Britanniques à créer en 1928 le Sous-Comité du Golfe Persique. Son objectif n’est pas uniquement de contrôler les routes vers les Indes mais l’intégralité du pays. En effet, avec la découverte de champs chaque jour plus importants en Perse et en Irak, les différentes compagnies pétrolières en prospection dans la région du Golfe ont besoin d’identifier les dirigeants et leurs territoires afin de savoir à qui s’adresser officiellement pour les prospections. Les intérêts occidentaux amènent les Britanniques, qui administrent de facto le pays comme un protectorat, à transformer les systèmes étatiques traditionnels.

Les menées britanniques

Après la signature du traité de Sib en 1920 [4] et les négociations qui s’en suivent avec les forces de l’imamat de l’arrière-pays, l’autorité du sultan est réduite à la bande côtière de Batinah, la région de Dhofar, la péninsule de Musandam et au port de Sur (l’équivalent d’un tiers du pays). Cependant, dans ces lieux et en particulier autour du port de Sur, les tribus locales ne reconnaissent pas l’autorité du sultan. Les Britanniques interviennent alors militairement. Par exemple, la tribu de pêcheurs des Bani Bu Ali, qui refuse l’autorité du sultan et ne paye plus de taxes depuis 1923, décide de créer son propre hôtel des impôts sur lequel elle fait flotter un drapeau saoudien afin de gagner la sympathie d’Ibn Saoud. Les Britanniques, souhaitant démontrer que toute rébellion contre le sultanat sera sanctionnée, interviennent militairement. La flotte est ainsi envoyée et, à partir de 1930, la RAF s’empare du fort de Sur assiégé par les troupes des Bani Bu Ali.

Concernant la prospection pétrolière, plusieurs acteurs interviennent : d’une part la compagnie britannique, le gouvernement britannique et le sultan ; d autre part les compagnies américaines, le gouvernement américain, l’Arabie saoudite et l’imamat. Ainsi, dès 1923, le sultan Taymur promet de ne céder aucune concession sans en référer d’abord au Political Agent en poste à Mascate ainsi qu’au gouvernement des Indes. L’influence britannique devient donc prépondérante dans le Golfe car des promesses similaires sont obtenues des dirigeants de Qatar, du Koweït, de Bahreïn et des Etats de la Trêve (futurs Emirats arabes unis). En 1925, cette influence se confirme. Il est notamment nécessaire de demander l’autorisation du Political Agent de Mascate avant toute prospection.

Les intérêts britanniques et la société omanie

Après le traité de Sib, afin de renforcer le pouvoir du sultan, les Britanniques entreprennent de modifier les prérogatives du gouvernement de Mascate. Le premier problème concerne le déficit constant du pays depuis la séparation en 1861 d’avec la colonie d’Afrique de l’Est à Zanzibar. Les principales sources de revenus qui étaient le commerce d’esclaves et d’armes avec Zanzibar ont disparu et le sultanat survit avec quelques taxes locales, la taxe religieuse et les subventions britanniques. En outre, la famille royale étant très endettée, les Britanniques décident de reprendre l’intégralité de la dette du sultan à leur nom. Ils payent tous les créanciers et choisissent de se faire rembourser directement par le sultan. Afin de contrôler les finances du sultan, ils nomment un conseiller financier à Mascate, fonction qui devient une des principales avec celle de Political Agent de Mascate. Les Britanniques créent également un Conseil des ministres dirigé par Nasir bin Faysal, frère aîné du sultan, afin de le remplacer lors de ses absences. Mais dans les faits, ce sont le Political Agent et le conseiller financier qui dirigent le pays.

En ce qui concerne les forces armées, après la fin du siège de Mascate menant au traité de Sib en 1920, les Britanniques constatent que la ville a besoin d’un corps compétent pour éviter de recourir à l’aide militaire britannique. Le Muscat Levy Corps est ainsi créé en 1921. Auparavant, le sultanat possédait deux types de ressources militaires : des garnisons de mercenaires originaires de la région de Balach en Iran utilisées lors de la plupart des campagnes ; les tribus fidèles au sultan pour des campagnes précises. En 1921, l’idée est donc de renforcer les garnisons de mercenaires en leur imposant un commandement britannique. Dans un premier temps, on envisage de créer un corps de 1 000 mercenaires Balachi sous commandement britannique capable de s’enfoncer dans l’arrière-pays, mais le gouvernement des Indes refuse ne souhaitant pas trop s’impliquer dans les affaires omanies. Finalement, un corps de 200-300 hommes est constitué dont les tâches principales sont la protection du sultan, de la British Political Agency et du Trésor de Mascate. Ils sont également chargés de construire la route principale du pays entre Mascate et Mantrah (une des dernières villes de l’intérieur sous contrôle du sultan). Ce corps constitue la seule armée du sultanat jusque dans les années 1950.

Quant à l’imamat, son fonctionnement n’est pas modifié. L’imam n’a pas les pleins pouvoirs et ses devoirs principaux consistent en quatre domaines : l’administration et consultation, les finances, l’armée et les relations avec les étrangers. Il administre le « commonwealth islamique » avec l’aide de conseillers. Ses revenus viennent des butins de campagnes, des taxes et de dons. Il n’y a pas d’armée régulière puisque tout musulman doit prendre les armes lorsque l’imamat est en danger. Il n’existe qu’une petite force pour régler les conflits internes : les askaris. Le seul changement qu’apportent les années 1920 est un conseil des ministres sur le modèle de celui du sultanat.

Ainsi, à la fin des années 1920, si le sultanat n’est pas officiellement un protectorat britannique, les Anglais ont modifié toute la structure administrative du pays. Les changements qu’ils ont instaurés, tel le Muscat Levy Corps, resteront en place jusqu’à la fin des années 1970.

Bibliographie :
 Article « Oman » de l’Encyclopedia Universalis.
 Francis Owtram, A modern history of Oman : formation of the state since 1920, Cambridge, Londres, 2004.

Publié le 24/07/2012


Ainhoa Tapia est étudiante en master d’histoire contemporaine à l’Ecole doctorale de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris. Elle s’intéresse à l’histoire des Etats du Moyen-Orient au vingtième siècle, en particulier à la création des systèmes étatiques et aux relations diplomatiques que ces Etats entretiennent entre eux.


 


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