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En 1932, Said bin Taymur accède au trône d’Oman après l’abdication de son père. La même année, des réserves importantes de pétrole sont découvertes sur l’île de Bahreïn et Said est convaincu que le sous-sol de la péninsule possède également du pétrole. Les intérêts des Britanniques et ceux de la compagnie pétrolière britanniques Petroleum Development Oman (PDO) divergent cependant. En effet, le gouvernement britannique soutient la dynastie des sultans al Bu Said pour des raisons politico-stratégiques, alors que le PDO peut traiter avec les chefs tribaux tant que les limites de leurs territoires sont suffisamment nettes pour négocier une concession pétrolière. La politique des Britanniques évolue également : leur intérêt pour les territoires intérieurs et non plus pour la seule côte, comme lors de la période précédente, fait qu’ils cherchent à les contrôler (alors qu’ils se tenaient éloignés des affaires internes du sultanat pour des questions financières). Ainsi, en 1955, les forces armées du sultanat, entraînées par les Britanniques, envahissent Nizwa et mettent fin au règne de l’imam qui gouvernait l’arrière-pays jusqu’alors.
Au début des années 1930, deux événements majeurs ont lieu : la découverte de réserves pétrolières à Bahreïn et la création de l’Etat d’Arabie saoudite. Les questions des frontières et des réserves pétrolières se voient ainsi intimement liées : pour la première fois, on applique à des terres jusqu’alors gérées par la loi tribale la loi internationale.
En 1932, la découverte de réserves pétrolières à Bahreïn est à l’origine d’un changement majeur de la stratégie britannique à Oman, même s’il n’est pas forcément reconnu à l’époque. Le pétrole est en effet une ressource essentielle pour la flotte britannique et pour l’industrie civile et militaire. Cependant, les Britanniques se heurtent rapidement à l’Arabie saoudite qui, sous l’égide d’Ibn Saoud, devient un Etat indépendant avec une volonté expansionniste, en particulier vers le sud au niveau de la frontière d’Oman, zone potentielle de réserves pétrolières. Des négociations débutent alors dès le début des années 1930 pour fixer la frontière, mais elles sont arrêtées avec le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. Elles ne seront définitivement fixées qu’au milieu des années 1950.
Parallèlement à l’intérêt pour le pétrole, les Britanniques ont conscience que pour assurer la sécurité de leurs routes aériennes, il devient nécessaire d’intervenir dans la politique intérieure de l’arrière-pays. En effet, la Route du Sud de l’Arabie a été planifiée en 1929 et sa construction a débuté en 1932. En 1934, l’accord Civil Air Aviation Agreement est signé entre les Britanniques et le sultan. Mais cet accord ne prend pas en compte les territoires non contrôlés par les al Bu Said, amenant les Britanniques à traiter directement avec les populations des zones où les aéroports de soutien seront installés. La route est ainsi achevée en 1936.
Les Britanniques craignent en outre la présence américaine. Il leur apparaît ainsi nécessaire de contrôler l’intérieur du pays, zone de prospection pétrolière, qui intéresse également les compagnies américaines. Ainsi, dès le début des années 1930, le Political Resident de Mascate ainsi que le ministère de l’Air évoquent la nécessité de s’impliquer dans l’intérieur du pays afin de mettre en place des routes aériennes plus sûres, mais l’Amirauté, dont les intérêts sont sur la côte, s’y oppose. En 1938, l’expédition de prospection pétrolière se heurte au refus de l’imam, qui considère que l’accord signé par le sultan en 1934 permettant aux Britanniques de prospecter sur le territoire omani ne concerne pas ses territoires. Ce refus relance le débat politique sur l’utilité d’une implication dans l’intérieur des terres. La Seconde Guerre mondiale met temporairement un terme à ce débat. Elle relance en revanche la crainte des ingérences américaines. En effet, le Moyen-Orient et en particulier la péninsule, sont des points stratégiques essentiels entre l’Europe et l’Asie : si les combats y sont très peu nombreux, l’essentiel du trafic aérien et maritime y transite. Les Américains ont déjà une représentation diplomatique dans les autres Etats de la côte arabique et leur flotte stationne à Oman. Les Britanniques sont cependant contraints d’accepter que les Américains utilisent militairement leurs routes aériennes.
Durant son règne (1932-1945), Said a pour objectif de lutter contre l’influence britannique. Enfant, il est scolarisé à Bagdad puis dans une école en Inde ; il parle hindi, anglais et arabe. Depuis 1929, il préside le Conseil des ministres et devient sultan en 1932, après l’acceptation par les Britanniques de l’abdication de son père Taymur. Jusqu’en 1955, il se concentre sur l’obtention du contrôle de l’intérieur du pays, s’appuyant en cela sur l’aide britannique ; jusqu’à son éviction en 1970, il cherche à moderniser le pays pour ne plus avoir besoin de l’aide britannique. En effet, homme érudit et d’une grande intelligence, il supporte difficilement d’être contraint de demander conseil aux Britanniques avant de prendre toute décision politique, comme son père et son grand-père l’avaient fait avant lui.
Cependant, s’il a besoin de l’aide britannique pour obtenir le contrôle de l’arrière-pays, cela ne l’empêche pas de montrer sa volonté d’indépendance dès le début de son règne. Ainsi, en 1937, il se rend au Japon, aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, en Italie et en Inde. Il souhaite également supprimer sa dépendance financière aux Britanniques et « omaniser » l’administration du pays. Par conséquent, en 1932, il abolit le Conseil des ministres afin de reprendre le contrôle total du gouvernement. Puis, dès le début des années 1940, avec une politique d’économie très stricte, il réussit à annuler la dette publique et privée. Enfin, il comprend très vite l’importance du pétrole et, dès 1932, il demande aux Britanniques de signer en son nom une concession avec la Stantard Oil of California. Cependant, à la demande des Britanniques, il se voit contraint de céder la concession à une compagnie anglaise.
Concernant le contrôle sur l’intérieur du pays, il souhaite surpasser l’influence de l’imam et, entre 1937 et 1939, il est visité par deux des principaux cheiks de l’Est : Ali Abdullah al-Hamuda des Bani Bu Ali et Isa Salih al-Harthi, chef de la faction tribale Hinawi, ainsi que par le cheik Ahmad Muhamad, beau-fils de l’imam et également par les chefs des tribus Dahirah. Ils repartent tous chargés de cadeaux et d’armes. Il cherche ainsi à gagner leur sympathie afin qu’ils votent pour lui lors de l’élection du prochain imam à la mort de l’actuel. Parallèlement, avec les revenus du pétrole, il peut débaucher les administrateurs de l’imam en fonction. Ainsi, à la fin des années 1930, il fait d’Ali Abdullah, frère de l’imam, le gouverneur d’une province et de Nasir Rashid al-Karus, frère de l’ancien imam et juge de l’imam en fonction, un juge du sultanat. Ses sources d’inspiration pour ces réformes sont les princes indépendants indiens.
La Seconde Guerre mondiale a pour conséquence la fin des empires et le début des nationalismes, ce qui affecte les possessions britanniques dans la péninsule. En effet, en 1947, l’Inde proclame son indépendance, supprimant ainsi l’intérêt stratégique des routes vers l’ancien empire des Indes. Par ailleurs, la révolution des Officiers libres menés par Nasser en Egypte en 1952 a pour conséquence le début d’un anticolonialisme teinté d’un sentiment antibritannique au Moyen-Orient. En outre, les Américains souhaitent la fin du monopole britannique sur les réserves pétrolières.
En 1948, la compagnie ARAMCO (Arabian-American Oil Company) est créée par SOCAL, Texaco et Mobil qui unissent leurs concessions saoudiennes. Mais en 1952, les Britanniques, encore dominants au Moyen-Orient, estiment que pour compenser leur aide dans l’OTAN, les Américains les soutiendront au Moyen-Orient s’ils venaient à rencontrer une résistance nationaliste locale. Churchill demande ainsi l’allongement de l’alliance signée pendant la Seconde Guerre mondiale au nouveau président américain Eisenhower, qui consiste à garder le monopole contre une aide militaire aux Etats-Unis. Mais la nouvelle administration à Washington refuse cette proposition.
A la fin de la Seconde Guerre mondiale, les difficultés concernant le contrôle de l’intérieur du pays reprennent. En effet, pendant la guerre, le sultan a aidé les Britanniques en s’entendant avec les cheiks de l’intérieur pour faire la paix. Pendant cette période, il n’y avait en effet plus de prospection pétrolière en cours et l’augmentation des revenus du trésor royal due au trafic de la Royal Air Force (RAF) dans les aéroports omanis permettait d’aider financièrement les tribus de l’intérieur du pays et de gagner ainsi leur soutien en vue de la future élection d’un nouvel imam. Mais, lorsqu’en 1946 l’imam tombe malade, le sultan souhaite occuper l’intérieur avec l’aide des tribus qu’il a gagné à sa cause. Il demande alors l’aide britannique et obtient qu’un officier britannique et que quelques officiers indiens dirigent ses troupes tribales. Sa demande de soutien de la RAF est en revanche refusée. Les Britanniques lui proposent en compensation son aide financière afin de convaincre les cheiks réticents à son égard, mais le sultan, dépité par le refus britannique, décide de s’entendre avec le nouvel imam élu et ce jusqu’à la mort de celui-ci en 1954. Ses plans de reconquête de l’intérieur sont donc différés afin de ne rien devoir aux Britanniques. Les compagnies pétrolières quant à elles décident de traiter directement avec les cheiks de l’intérieur afin de négocier de nouvelles concessions pétrolières.
En 1952 cependant, les Britanniques décident d’aider le sultan lorsqu’une nouvelle difficulté apparaît avec les Saoudiens (ces derniers réclament l’oasis de Buraimi à la frontière avec Oman). En effet, cette zone, située sous le contrôle de l’imam, est susceptible de contenir du pétrole. Or l’imam soutenant les Saoudiens, les Britanniques apportent donc leur aide au sultan.
Lors du conflit sur l’oasis de Buraimi, l’on trouve d’une part les forces de l’imamat, les Saoudiens et la compagnie américaine ARAMCO et d’autre part le sultan, le gouvernement britannique et la compagnie britannique Petroleum Development Oman. Les Américains soutiennent les Saoudiens, ceux-ci leur ayant promis des concessions pétrolières s’ils obtiennent le contrôle de l’oasis. Le conflit débute en octobre 1952 lorsque les Saoudiens instaurent un gouverneur dans une zone sous contrôle de l’imamat omani. En effet, selon le traité de Sib de 1920, l’intérieur d’Oman est sous le contrôle de l’imam et celui-ci ne peut tolérer la nomination d’un gouverneur saoudien. Il demande donc l’aide du sultan pour contrer les Saoudiens dont les forces sont déjà à Sohar dans l’intention de marcher sur Buraimi. Cependant, les Britanniques, qui contrôlent les décisions du sultan, refusent d’apporter cette aide : l’implication américaine semble trop évidente et ils ont besoin d’une bonne entente avec Washington. L’imam s’estime trahi. En mai 1954, lorsque l’ancien imam meurt, une nouvelle élection est organisée mais la candidature du sultan Said est refusée au motif d’une incompatibilité religieuse.
Les Britanniques mettent finalement un terme au conflit. En effet, en octobre 1955, les Trucial Oman Scouts - qui appartiennent à la Muscat and Oman Field Force (MOFF) financée par la compagnie pétrolière britannique PDO - réussissent à chasser les Saoudiens de Buraimi. En décembre 1955, la MOFF occupe définitivement Nizwa. L’imam abdique alors et un gouverneur proche du sultan Said est placé à Nizwa. C’est officiellement la réunification du pays sous un seul dirigeant. Le sultan et les compagnies pétrolières ont ainsi atteint leur objectif. Cependant, le sultan doit encore moderniser le pays et mettre fin à l’influence britannique.
Lire également sur Les clés du Moyen-Orient :
– Sultanat d’Oman de 1798 à 1920 : la progressive implantation britannique
– Sultanat d’Oman dans les années 1920 : l’empire informel
Bibliographie :
– Article « Oman » de l’Encyclopedia Universalis.
– Francis Owtram, A modern history of Oman : formation of the state since 1920, Cambridge, Londres, 2004.
– Rabi Uzi, The emergence of states in a tribal society : Oman under Sa ?id bin Taymur, 1932-1970, Portland, 2006.
Ainhoa Tapia
Ainhoa Tapia est étudiante en master d’histoire contemporaine à l’Ecole doctorale de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris. Elle s’intéresse à l’histoire des Etats du Moyen-Orient au vingtième siècle, en particulier à la création des systèmes étatiques et aux relations diplomatiques que ces Etats entretiennent entre eux.
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