L’Antiquité
Une domination grecque puis romaine
La Syrie arabe
L’émergence du nationalisme arabe en Syrie
La province ottomane de Syrie pendant la Première Guerre mondiale
L’établissement du mandat français en Syrie
La Syrie sous le mandat
La Syrie pendant la Seconde Guerre mondiale – Fin du mandat français
La Syrie indépendante - Naissance du parti Baath
La période des coups d’Etats militaires
La République Arabe Unie
L’Infisal - restauration de la démocratie parlementaire
L’arrivée du Baath au pouvoir
Le glissement à gauche du parti Baath
Le coup d’Etat du 23 février 1966
La montée aux extrêmes et la guerre des Six jours
La rivalité entre Salah Jédid et Hafez el-Assad - Le mouvement rectificatif
L’entreprise de « redressement » de la Syrie
Assad et le conflit israélo-arabe
L’engagement de la Syrie dans la guerre du Liban (1975-1990)
Du XVIIème au XIIIème siècle avant Jésus-Christ, l’emplacement actuel de la Syrie est une zone d’influence pour le commerce entre la Méditerranée et l’Inde par le golfe persique, composée de terres riches (une partie du croissant fertile) et de zones désertiques. Les populations sont essentiellement locales, à savoir les Cananéens, et des commerçants à proximité des ports, les Phéniciens. Cette population s’appelle syro-phénicienne.
Au XIIIème siècle, les Égyptiens et les Hittites se partagent la Syrie, qui devient un pays de migration avec les Hébreux, les Philistins, les Babyloniens, les Egyptiens, les Assyriens, les Perses et les Macédoniens.
Cette zone particulièrement stratégique se trouve au cœur des ambitions de l’Empire grec. À la mort d’Alexandre le Grand en 323 avant J.C., son lieutenant Séleucos entreprend de se tailler vers 312 un royaume entre le Golfe persique, la Méditerranée et la mer Noire, et sur la vallée de l’Oronte : le royaume Séleucide, dont la capitale est Antioche. Il devient le royaume de Syrie, s’étendant de la mer Égée à l’Inde et subissant des infiltrations de populations arabes venues du Sud et notamment de la péninsule arabique. Ce royaume dure jusqu’en 64 avant Jésus-Christ.
En 66 avant Jésus-Christ, Pompée entreprend de soumettre l’Orient et le royaume passe aux mains des Romains. La Syrie est constituée de cinq provinces en l’an 64. C’est une période de grande prospérité par la richesse des terres agricoles produisant des olives et du blé. Dans le même temps, le commerce et la culture assurent le rayonnement d’Antioche.
Au cours des siècles suivants, plusieurs empereurs romains sont d’origine syrienne, on peut citer notamment la dynastie émésérienne (218-235), et l’empereur Philippe l’arabe (244-249) qui est le premier empereur chrétien de Rome. En effet, durant cette période, la chrétienté est solidement implantée dans cette région.
Byzance devient la capitale de l’empire romain en 330 puis de l’Empire d’Orient en 395.
Entre 395 et 634, la Syrie est rattachée à l’Empire d’Orient, sous le joug des empereurs qui exercent leur autorité pesante, notamment en matière de religion et de fiscalité. Cependant la Syrie bénéficie d’un développement économique lié à sa place commerciale et d’un rayonnement culturel.
Au VIème siècle, la Syrie est envahie par les Perses. Cependant, Héraclius réussi à les chasser, mais épuisé, laisse la place aux Arabes qui écrasent ses armées entre 636 et 640. C’est le début de l’Empire arabe.
La dynastie des Omeyades (640-750) établie le centre du califat à Damas. Le calife Mu’Awiyya respecte les chrétiens. C’est une période de grands développements et de rayonnement pour la Syrie dont la religion est majoritairement chrétienne malgré la présence de musulmans. La langue est le syriaque, la poésie et la musique se fondent sur la culture arabe. Le rayonnement de la Syrie s’appuie également sur les sciences, la philosophie, la médecine, les arts plastiques et l’architecture. C’est le moment où Jérusalem se dote de la mosquée d’Al Aqsa et de la coupole du Rocher (mosquée d’Omar).
Cependant, les luttes incessantes contre Byzance et entre les héritiers, en même temps que des rivalités arabes entrainent la chute des Omeyades en 750, qui sont remplacés par les Abbassides. Cette dynastie descend de Ali, l’oncle du prophète et il est dit que 37 califes abbassides règnent de 750 à 1258.
En fait, c’est le début de la mise sous tutelle de la Syrie jusqu’à son indépendance.
Entre 847 et 861, le calife Muta Wakkil mène une politique de persécutions religieuses et la Syrie devient musulmane. Une série de dynasties exercent leur contrôle sur la Syrie jusqu’en 1098, date à laquelle les croisés chassent les Seldjoukides au service des Abbassides, et prennent Jérusalem.
En 1187, Saladin reprend le contrôle de la région. Mais ses héritiers n’arrivant pas à s’entendre, la Syrie passe sous le contrôle de l’Égypte en 1200. À partir de 1291, une période sombre commence dans l’histoire syrienne et dure 250 ans environ.
Rappelons qu’après la prise de Constantinople en 1453, la domination ottomane s’exerce sur la Syrie à partir de 1515 et dure quatre siècles. La Syrie devient province de l’Empire ottoman, partagé en quatre pachaliks : Damas, Tripoli, Alep, Saïda. C’est une période où les populations subissent de nombreuses exactions de la part d’un pouvoir corrompu. Cependant les Syriens développent leur commerce avec les pays méditerranéens, avec la Grande-Bretagne et les pays germaniques, mais restent sous domination ottomane alors que dans le même temps le Liban réussit à retrouver une autonomie.
En 1832 le vice-roi d’Égypte Mehemet Ali, qui a réussi à s’affranchir de la tutelle des Turcs, conquière la Syrie avec son fils, par la force et par la négociation avec le sultan. Cependant en raison de soulèvements et de révoltes des populations, les grandes puissances européennes s’inquiètent de cette situation et Mehemet Ali abandonne ses prétentions sur la Syrie en 1840, date à laquelle la Turquie exerce une reprise en main ferme sur cette région.
Daniel Charentais
De 1832 à 1840, la Syrie est occupée par les troupes d’Ibrahim Pacha qui met en place une administration calquée sur le modèle européen. En1841 et 1860, les troubles qui éclatent dans la montagne libanaise entre les maronites et les druzes s’étendent jusqu’à l’hinterland syrien. En 1864, la Syrie devient un vilayet par la loi de réforme provinciale édictée dans le cadre d’une vaste campagne de réformes entreprise par l’Empire ottoman sous la pression de l’Occident. Elles culminent en 1876 avec l’adoption d’une Constitution qui achève la modernisation de l’Empire. Mais, à l’avènement du sultan Abdel Hamid, le processus est interrompu. La répression sur les Arabes de Syrie contraint bon nombre d’entre eux à l’exil et permet de rapprocher les points de vue entre chrétiens et musulmans sur une définition commune de l’arabité dont sont exclus les Turcs, considérés comme inaptes à gouverner les Arabes.
En 1908, les Jeunes Turcs du Comité Union et Progrès contraignent le sultan à rétablir la Constitution de 1876, provoquant un soulagement dans les provinces arabes de l’Empire. Pourtant la perte définitive des Balkans et l’annexion de la Tripolitaine par les Italiens font basculer ces jeunes dirigeants dans un nationalisme turc : dans les provinces arabes, l’imposition forcée de la langue turque accroît l’hostilité des Arabes contre les Turcs. L’année suivante, afin de lutter contre cette politique, les Arabes créent des sociétés secrètes comme al-Fatat fondée à Paris et al-Khatamiya fondée à Istanbul. Le 17 juin 1913, ces sociétés tiennent un Congrès arabe à Paris, où s’illustrent les Syriens qui réaffirment leur attachement à l’Empire ottoman tout en réclamant que les Arabes puissent jouer un rôle plus grand dans la vie publique. Ce congrès est la première véritable manifestation du nationalisme arabe, un nationalisme laïc qui n’atteint pas les populations et demeure réservé aux intellectuels. La Première Guerre mondiale qui éclate un an plus tard ne lui laissera pas la chance de s’exprimer.
Le 5 novembre 1914, l’Empire ottoman entre en guerre aux côtés de l’Allemagne, tandis que les nationalistes arabes choisissent de soutenir les Anglais et les Français. Une répression s’abat alors sur eux : le 6 mai 1916, 17 nationalistes musulmans et 4 chrétiens sont pendus sur la place des Canons, à Beyrouth. Par ailleurs, suite à un échange de lettres, le haut-commissaire britannique en Egypte MacMahon promet un royaume arabe indépendant au chérif Hussein, dirigeant de la région du Hedjaz et gardien de la Mecque et de Médine (correspondance Hussein-MacMahon). Le chérif Hussein déclenche alors la grande révolte arabe destinée à libérer les provinces arabes de l’Empire.
Fin septembre 1918, les troupes arabes de l’émir Fayçal, fils du chérif Hussein, entrent à Damas qui a été évacué quatre jours plus tôt par l’armée ottomanes. Le 5 octobre 1918, un gouvernement arabe est formé, présidé par Ali Rida Rikabi. Au moment où la teneur des accords Sykes-Picot et de la déclaration Balfour leur est révélée, les Arabes de Syrie tentent de hâter l’avènement de leur Etat. Lors de la conférence de la paix qui s’ouvre le 18 janvier 1919 à Paris, Français et Britanniques se disputent le partage des territoires arabes et ne prennent pas en considération les revendications de la délégation menée par Fayçal. En août 1919, la commission américaine King-Crane envoyée sur place pour sonder les aspirations arabes émet des conclusions en faveur de l’unité de la Syrie sous un régime de monarchie constitutionnelle, avec l’établissement d’un mandat anglais. Le texte est rejeté par les gouvernements français et britannique qui refusent de reconnaître le royaume indépendant de Syrie proclamé le 8 mars 1920 par le Congrès général syrien.
Le 25 avril 1920, à San Remo, la France et la Grande-Bretagne finalisent le partage des mandats. Une fois la nouvelle connue, des émeutes se produisent en Syrie et une Constitution, la première dans le monde arabe, est votée. Les Français décident alors d’imposer les mandats par les moyens militaires. Les troupes arabes sont battues par la troisième division de l’armée du Levant commandée par le général Gouraud à Khan Maysaloun, à 20 km de Damas. Le 25 juillet 1920, les Français occupent la ville et ordonnent à Fayçal de partir. La division de la Syrie a lieu très vite, un mois après Maysaloun ; elle donne naissance aux Etats suivants :
– Le Grand Liban, détaché de la Syrie et proclamé le 1er septembre 1920.
– L’Etat d’Alep.
– Le territoire alaouite, placé sous l’administration directe de la France.
– L’Etat de Damas.
– Le sandjak d’Alexandrette, province autonome placée sous l’autorité française.
– L’Etat druze indépendant.
Si les maronites et les alaouites sont satisfaits du morcellement qui a été fait, le reste de la population s’y oppose. La France tente de brider par la violence les troubles qui éclatent dans toutes les régions. Puis elle décide de réunir les Etats de Damas, d’Alep et le territoire alaouite dans le cadre d’un Conseil fédéral. Le 5 décembre 1924, l’Etat de Syrie est proclamé, qui unit les Etats de Damas et d’Alep. Le territoire alaouite devient un Etat.
Le 18 juillet 1925, la grande révolte syrienne est déclenchée par les druzes commandés par Sultan al-Atrache. Le Parti du Peuple, ainsi que d’autres courants nationalistes, s’y rallient. Elle prend fin au printemps 1927, après un an et demi de violences marquées par l’instauration de la loi martiale et le bombardement de Damas en octobre 1925 et en mai 1926.
Le 24 avril 1928, une Assemblée Constituante dominée par les nationalistes du Bloc national voit le jour à l’issue d’élections auxquelles les Etats druze et alaouite ne participent pas car ils sont considérés comme autonomes. Le projet de Constitution élaboré par cette Constituante établit en Syrie une République parlementaire qui doit régir tous « les territoires syriens détachés de l’Empire ottoman, sans égards aux divisions intervenues après la fin de la Guerre Mondiale » [1]. Cette disposition vaut à l’Assemblée constituante d’être dissoute par le haut-commissaire qui promulgue une autre Constitution. Lors des élections de 1932, l’opposition nationaliste est battue et les villes connaissent des manifestations anti-françaises.
L’année 1932 est celle du retour en Syrie de Michel Aflak et Salah Eddine Bitar après quatre ans passés à la Sorbonne. Tous deux sont professeurs dans un établissement de la capitale syrienne et ils évoquent avec leurs élèves des idées suivantes : libération nationale, Etat solide capable de faire entrer la Syrie dans la modernité, Nation arabe, Unité. Leurs idées sont à l’origine de la fondation du parti Baath.
Le 24 novembre 1934, l’Assemblée est dissoute par le haut-commissaire français. Aux élections de novembre 1936, les nationalistes sont vainqueurs. Le Front Populaire propose un projet de traité (traité d’indépendance) qui prévoit d’accorder à la Syrie son indépendance dans un délai de trois ans ; les Etats alaouite et druze sont réintégrés à l’Etat syrien. Le 14 décembre 1938, le sénat français rejette le projet de traité ; l’Assemblée nationale syrienne est à nouveau dissoute, la Constitution suspendue et les nationalistes réprimés.
Le 23 juin 1939, la France cède le Sandjak d’Alexandrette à la Turquie, contre un pacte de non-agression. Parmi les personnes qui se retrouvent contraintes à l’exil, se trouve Zaki Arsouzy, alaouite né en 1901 à Alexandrette et qui a fait ses études à Paris. Une fois installé à Damas, Arsouzy fonde le Parti Arabe Nationaliste. Comme il ne s’entend pas avec Michel Aflak, la tentative d’unir leurs deux mouvements (Parti Arabe Nationaliste et parti Baath) échoue et Zaki Arsouzy part à Bagdad. En 1940, il retourne à Damas, et, avec six de ses étudiants, il fonde le Parti de la Résurrection Arabe, Hizb al-Baath al-Arabi qui mène des actions anti-françaises. En1941, Arsouzy est exilé de nouveau. Son groupe, qui a quadruplé ses effectifs, s’affaiblit.
Le 8 juin 1941, les troupes britanniques et celles de la France Libre entrent en Syrie et y proclament l’indépendance que le général de Gaulle n’est pas disposé à reconnaître. Contraint par les Anglais, il accepte la tenue d’élections au cours de l’été 1943, qui sont remportées par le Bloc National. Choukri Kouatly devient le premier président de la Syrie indépendante. Au cours l’été 1944, la République syrienne est reconnue par l’Union Soviétique et par les Etats-Unis. La Syrie indépendante est membre de la Ligue des Etats arabes et des Nations unies. A la suite des émeutes nationalistes de mai 1945, les troupes françaises quittent la Syrie le 17 avril 1946. Ce jour devient celui de la Fête nationale.
Dès 1946, quand éclate au grand jour le contentieux autour de la Palestine, des volontaires sont appelés pour combattre auprès des Palestiniens. Michel Aflak et Salah Bitar donnent l’exemple. L’indépendance est propice au développement du parti Baath qui publie le journal qui porte son nom à partir du 3 juillet 1946.
Le 27 janvier 1947 a lieu à Latakieh la réunion préparatoire au congrès constitutif du parti. Au bout de trois jours de négociations, Aflak et Bitar réussissent à gagner à leur mouvement les membres du Baath al-Arabi fondé par Zaki Arsuzy en 1940. Ils sont dans leur grande majorité alaouites et leur dirigeant, Wahib Ghanem, accepte la fusion à condition que la formation élargie adopte une orientation encore plus socialiste. Le Baath prend position contre la Doctrine Truman et rejette les projets de traités proposés par la Turquie et la Grande-Bretagne aux pays arabes.
Le 4 avril 1947 s’ouvre le congrès de fondation du Baath à Damas, en présence de 247 participants parmi lesquels se trouvent des Libanais, des Palestiniens et des Jordaniens [2]. Le 7 avril 1947, date de la fin du congrès, sera retenue comme date officielle de création du Baath. Ses relations avec le pouvoir sont tendues et, en mars 1948, le Baath, accusé de conspiration, n’est plus autorisé à se réunir.
Le 14 mai 1948 est proclamé l’Etat d’Israël. Le choc est immense en Syrie où la Palestine est toujours considérée comme la Syrie du Sud. L’Etat syrien participe à la première guerre israélo-arabe et signe un accord d’armistice avec Israël le 20 juillet 1949.
Le premier coup d’Etat touchant la Syrie se produit le 30 mars 1949. Husni Zaïm prend le pouvoir sans effusion de sang : affichant sa volonté de réparer l’échec de la première guerre israélo-arabe, il parvient à se rallier la majorité de la population. Le Baath assure le nouveau régime de son soutien et l’engage à œuvrer dans le sens du socialisme et de l’unité arabe. Mais les relations du Baath avec Husni Zaïm se ternissent bien vite quand ce dernier annonce la dissolution de tous les partis politiques et se rapproche ouvertement des Etats-Unis. Michel Aflak et d’autres dirigeants du parti Baath sont arrêtés.
Le 25 juin 1949, Husni Zaïm devient président de la République suite à un référendum-plébiscite. Menant une politique anti-britannique, il rapproche la Syrie de l’Egypte et de l’Arabie saoudite ; un projet d’union est même évoqué. Voyant que la politique américaine est en train de triompher, la Grande-Bretagne appuie le coup d’Etat du colonel Sami Hennaoui le 14 août 1949. Husni Zaïm est assassiné par un officier du Parti populaire syrien afin de venger le chef du parti, Antoun Saadé, livré par Zaïm en juillet 1949 aux autorités libanaises qui le condamnent à la peine capitale au terme d’un procès devant la cour martiale.
Sami Hennaoui tente de réaliser une union syro-irakienne, mais il est renversé le 19 décembre 1949 par le colonel Adib Chichakli. Le 5 septembre 1950, une nouvelle Constitution est adoptée, qui reconnaît l’appartenance de la Syrie à la nation arabe et espère l’unité de celle-ci. C’est une victoire pour le Baath et une première dans le monde arabe. En mars 1950, les accords douaniers avec le Liban sont dénoncés par le pouvoir syrien, suscitant un profond mécontentement en Syrie. Le Baath et le Parti Socialiste Arabe d’Akram Hourani appuient les manifestations.
A la fin de l’année 1951, l’agitation qui règne en Syrie entraîne l’établissement de la dictature par Adib Chichakli. Les partis politiques sont dissous, les grèves et rassemblements interdits. Le 29 décembre 1952, Michel Aflak, Salah Bitar et Akram Hourani sont arrêtés. Ils s’évadent et trouvent refuge à Beyrouth. Là, les trois hommes fusionnent leurs mouvements pour former le Parti Baath Arabe Socialiste (PBAS). En juin 1953, ils s’installent en Italie, Adib Chichakli ayant obtenu du gouvernement libanais leur expulsion. Ils y resteront jusqu’au 9 octobre 1953, date de leur retour en Syrie. Le 25 janvier 1954, Aflak, Bitar et Hourani sont de nouveau arrêtés et accusés d’avoir soutenu la révolte qui s’est produite dans le Djébel druze.
Un mois plus tard, le régime de Chichakli est renversé par le colonel Mustapha Hamdoun, commandant de la garnison d’Alep, avec l’aide du colonel Adnan al-Malki qui dirige un groupe d’officiers progressistes. L’armée ne prend pas le pouvoir cette fois-ci ; elle permet le rétablissement de l’Assemblée élue en 1949, le retour du président Kouatly et la formation d’un gouvernement dirigé par Sabri Assali. Aflak, Bitar et Hourani rentrent d’exil. Aux élections législatives des 24-25 septembre 1954, le Baath fait élire dix-sept députés et il peut aussi compter sur l’appui de cinq élus indépendants. Le parti commence à étendre son influence dans l’armée. Ces élections consacrent la montée de forces politiques nouvelles, progressistes et anti-occidentales.
Dans les premiers mois de 1955, la Syrie refuse d’adhérer au Pacte de Bagdad. En avril 1955, elle participe à la conférence de Bandoeng et affiche son neutralisme. Pourtant elle achète des armes à l’URSS pour parer aux incidents frontaliers qui se multiplient avec Israël et à la menace que peuvent représenter les troupes turques et irakiennes à ses frontières. Le 7 août 1957, après avoir vainement tenté d’obtenir des armes de Occident, le gouvernement syrien signe un traité d’assistance économique et technique avec Moscou.
En février 1956, dans un contexte de tensions récurrentes avec Israël et afin de parer à la menace de l’Irak rallié au Pacte de Bagdad, le parti Baath demande l’union avec l’Egypte, espérant que la formation d’une entité nationale élargie aura pour effet de réduire l’influence grandissante de son principal rival, le Parti communiste syrien. La nationalisation du Canal de Suez par Nasser et l’intervention tripartite renforcent les liens entre Damas et Le Caire et accentuent le virage à gauche de la politique syrienne. Le 13 octobre 1957, un contingent égyptien débarque à Latakieh. Le maréchal Abdel Hakim Amer, bras droit de Nasser, devient le commandant en chef des armées des deux pays.
Le 12 janvier 1958, des officiers syriens se rendent au Caire pour discuter des modalités de l’unité. Nasser impose la centralisation du nouvel Etat, la dépolitisation de l’armée syrienne, et l’extension à la Syrie du système de parti unique en vigueur en Egypte. En Syrie, les avis sont partagés : le président Kouatly et le chef du gouvernement hésitent à remplir les conditions posées par l’Egypte. Enfin, le 31 janvier 1958, suite à l’intervention de Michel Aflak, les deux parties arrivent à un accord, et, le 1er février 1958, la République Arabe Unie est officiellement proclamée. Le 21 février, elle est plébiscitée par 98% des Syriens et la Syrie devient la province Nord du nouvel Etat.
Les institutions de la RAU sont installées au Caire, et les Egyptiens y occupent une place prépondérante. Le 12 mars 1958, tous les partis politiques de Syrie sont touchés par la dissolution décidée par Nasser. La Constitution provisoire prévoit une Union Nationale devant regrouper tous les partis politiques. Cette formation et la complexité de son fonctionnement rendent le Baath très sceptique à son égard. L’amertume gagne ses adhérents et surtout les militaires baathistes victimes d’une campagne d’épuration suite à laquelle 600 officiers syriens sont envoyés en Egypte [3]. A la fin de l’été 1959, un Comité Militaire Baathiste (CMB) est fondé par cinq officiers syriens en poste en Egypte : Mohammad Oumran, Salah Jédid, Hafez el-Assad, Abdel Karim el-Joundi et Ahmad el-Mir. Le Baath ne sait rien de la création du comité qui comptera rapidement une quinzaine de membres. Fin décembre 1959, une campagne anti-baathiste est organisée par le maréchal Abdel Hakim Amer, proconsul égyptien en Syrie ; elle provoque la démission de tous les ministres baathistes.
Le 28 septembre 1961, l’expérience de la RAU prend fin suite à un coup d’Etat militaire à Damas. La République Arabe Syrienne est proclamée par le Haut commandement révolutionnaire des forces armées, formé par des officiers damascènes, sunnites pour la plupart, dirigés par le colonel Abdel Karim Nahlawi. Le Baath n’est pas à l’origine de l’infisal (la rupture), le CMB non plus, mais ils l’approuvent, et réclament le retour au régime parlementaire. De fait, une Constitution provisoire est promulguée, et les élections du 1er décembre 1961 ramènent la bourgeoisie traditionnelle au pouvoir. Nazem Koudsi devient chef de l’Etat, Ma’moun Kouzbari président de la Chambre des députés et Maarouf Dawalibi président du Conseil. Leurs mesures ne parviennent à satisfaire ni les classes aisées qui souhaitent récupérer les biens et les activités nationalisés sous la RAU, ni les classes populaires qui restent attachées aux acquis sociaux obtenus grâce au socialisme nassérien. Mais quand la droite entreprend d’éradiquer les forces de la gauche, les manifestations se déclenchent partout dans le pays. En réaction, le 5 décembre 1961, le gouvernement exclut soixante-deux officiers de l’armée. Parmi eux se trouvent Hafez el-Assad et Mustapha Tlass.
Face à la propagande entretenue depuis le Caire par la Voix des Arabes contre un régime jugé « séparatiste », les dirigeants syriens concluent des accords de défense avec l’Irak de Kassem, notamment un traité signé le 16 mars 1962 qui met en place un commandement militaire commun. A l’Assemblée, un débat en cours prévoit la levée de l’état d’urgence, ce qui revient à réduire le rôle de l’armée. Cette dernière ne tarde pas à réagir : le 28 mars 1962, le colonel Nahlawi fait arrêter les dirigeants syriens. A Alep, les officiers pro-nassériens refusent de se joindre à ce « coup rectificatif » [4] et tiennent tête aux officiers baathistes de Damas. Les combats s’étendent jusqu’à Homs et Tadmor. L’ordre revient finalement dans l’armée suite à la réunion à Homs de quarante-et-un officiers représentant toutes les régions militaires de Syrie. Ils décident d’envoyer Nahlawi et six de ses compagnons à l’étranger et prennent des mesures contre les officiers pro-nassériens et baathistes. Les premiers s’enfuient au Caire, et parmi les seconds, Hafez el-Assad, Salah Jédid, Moustapha Tlass et Hama Obeid se réfugient au Liban d’où ils sont extradés pour être jugés en Syrie. Le pouvoir de Nazem Koudsi est rétabli dont la priorité est la lutte contre les unionistes pro-nassériens. Un gouvernement provisoire est formé sous la direction de Béchir Azmé, il sera suivi par un autre dirigé par Khaled el-Azm.
Le 8 février 1963 se produit un coup d’Etat baathiste en Irak. Un mois plus tard, le 8 mars 1963, c’est au tour de la Syrie de connaître un coup d’Etat initié par le général sunnite Ziad Hariri, commandant des unités du front sud qui refuse de se plier à la décision du gouvernement de l’envoyer en Jordanie. Le régime séparatiste s’effondre et le pouvoir est investi par un Conseil National du Commandement de la Révolution (CNCR) qui affiche des principes très proches du Baath. Le général Ziad Hariri est nommé chef d’état-major en signe de reconnaissance pour le rôle qu’il a joué dans le déclenchement de la Révolution. Mais le pouvoir effectif est entre les mains du CNCR présidé par Lu’ayy Atassi et qui comprend des officiers représentant les principales tendances de l’armée : des pro-nassériens, des baathistes (Salah Jédid et Mohammad Omran) et des indépendants (les généraux Atassi et Hariri).
Très vite, des concertations difficiles s’engagent entre Bagdad, Damas et le Caire pour former une union entre les trois pays. Le Baath s’y engage sans trop de conviction, mû par la volonté de respecter les aspirations à l’union de la population, fervente admiratrice de Nasser. Le 17 avril 1963, une charte est signée au Caire qui met en place un Etat fédéral à régime présidentiel comprenant l’Egypte, la Syrie et l’Irak. Il ne verra jamais le jour en raison des luttes entre baathistes et unionistes à Damas. Le général Amine el-Hafez, ministre de l’Intérieur, réprime des manifestations pro-nassériennes à Damas et à Alep au mois de mai, et il isole les camps palestiniens sensibles à la rhétorique nassérienne [5] . De larges purges sont effectuées dans l’armée contre les officiers nassériens ; elles auront pour effet de promouvoir à des postes clés des officiers issus des minorités confessionnelles, druzes et surtout alaouites.
Le 10 juillet 1963, le général Amine al-Hafez est nommé chef d’état-major et ministre de la Défense, consacrant son statut de véritable dirigeant de la Syrie. Il garde ses fonctions de vice-Premier ministre, ministre de l’Intérieur et membre du CNCR. Les autres dirigeants effectifs de la Syrie agissent dans l’ombre : il s’agit de Mohammad Oumrane qui commande la 70ème brigade blindée postée aux abords de Damas, Hafez el-Assad qui commande l’aviation, et Salah Jédid. Une Garde Nationale est créée et placée sous le contrôle de l’armée et le commandement de Hamad Obeid, membre de l’OMB. Elle est en charge de la protection du régime contre tout danger venant de l’intérieur. Le 18 juillet 1963, la Garde Nationale et l’armée répriment un soulèvement déclenché par des officiers écartés en raison de leurs sympathies pro-nassériennes. La répression fait entre 400 et 1 000 morts (selon les sources) et 27 exécutions, elle a pour effet de mettre définitivement en échec la Charte du 17 avril. La répression du 18 juillet 1963 finit de propulser le général Amine el-Hafez à la tête du pouvoir : il prend la direction CNCR, remplaçant le général Lu’ayy al-Atassi qui en a été écarté pour avoir tenté de négocier avec Nasser au moment où les partisans du Raïs égyptien étaient écrasés dans les grandes villes syriennes.
En septembre 1963 se réunit le premier congrès régional du Baath en Syrie avec la participation des branches civile et militaire du Parti. Ce congrès consacre la montée en force des régionalistes aux dépens des chefs historiques du parti et des militaires aux dépens des civils. Ces adeptes d’un socialisme plus affirmé sont encadrés par Youssef Zouayyen (sunnite), Noureddin Atassi (sunnite) et Ibrahim Makhos (alaouite) qui ont tous les trois participé à la guerre d’indépendance algérienne. En octobre 1963, le 6ème Congrès National du Baath consacre la radicalisation du parti avec l’introduction de nouveaux concepts : démocratie populaire, parti-guide, nationalisations. De même, le rôle des militaires apparaît dans toute son importance, ainsi que les liens qui unissent le parti et l’armée, le premier assurant la formation idéologique de la seconde. Si Michel Aflak est reconduit à son poste de secrétaire général, il fait figure de rescapé de la vieille garde et disparaît des instances dirigeantes. Le Cabinet dirigé par Salah Bitar est remplacé par une équipe plus radicale rassemblée autour du général Amine el-Hafez.
Au début de l’année 1964, les Frères musulmans appellent à la protestation contre le nouveau régime considéré comme un régime athée. Ils sont les alliés de la bourgeoisie syrienne sunnite durement touchée par la vague de nationalisations. Des troubles se déclenchent à Banyas, opposant sunnites et alaouites, puis s’étendent à Hama, Homs, Idlib et le reste du pays. Le 25 avril 1964, une vigoureuse riposte du Baath ramène le calme en Syrie sans qu’il soit possible d’évaluer le nombre de victimes.
Une Constitution provisoire est promulguée. Devant l’ampleur des oppositions, le Baath déclare l’Islam religion d’Etat et le capitalisme partenaire économique. Le pouvoir législatif est dévolu au CNCR et le pouvoir exécutif à un Conseil présidentiel (praesidium) composé de 5 membres : Amine el-Hafez (président du Conseil présidentiel), Salah Bitar (vice-président), Mansour el-Atrache, Mohammed Oumrane et Noureddine Atassi. Salah Bitar est de nouveau appelé à former un gouvernement dans lequel la vieille garde est largement représentée. Une ligne politique modérée est annoncée pour rassurer les différentes composantes de la société syrienne. La propriété privée est maintenue et la bourgeoisie invitée à participer à la vie économique. L’amnistie accordée aux protestataires ramène la paix.
Pourtant, la modération affichée par le régime se dissipe vite, et, en octobre 1964, la Syrie est le seul pays de la région à interdire aux compagnies étrangères d’exploiter ses richesses pétrolières. Les nationalisations de tous les secteurs d’activité économique sont imposées par un pouvoir qui se resserre de plus en plus autour des militaires, alaouites pour la plupart. Ainsi, au sein du praesidium, les modérés Salah Bitar et Mansour el-Atrache sont remplacés par le docteur Youssef Zouayyen.
En avril 1965, le 8ème Congrès national du Baath désavoue la vieille garde du parti : Michel Aflak est révoqué du poste de secrétaire général et remplacé par le Jordanien Mounif Razzaz, une personnalité modérée. Au cours des mois qui suivent, la Direction nationale du parti entre en conflit contre la Direction régionale syrienne dominée par les militaires et l’aile gauche. Le 23 août, un Conseil national de la révolution est constitué en Syrie, qui rassemble toutes les tendances radicales parmi les dirigeants, les syndicats et autres associations. Il est chargé de rédiger une Constitution. Le docteur Youssef Zouayyen est chargé de former un gouvernement.
Les modérés étant ainsi écartés de la direction des affaires du pays, un autre conflit apparaît au sein de l’armée : il oppose le sunnite Amine el-Hafez à l’alaouite Salah Jédid qui représente la tendance la plus radicale au sein de l’institution militaire. A la fin de l’année 1965, Amine el-Hafez tente d’empêcher Salah Jédid de prendre le pouvoir : se rapprochant du commandement national du parti, dominé par les civils, il l’amène à dissoudre le commandement régional syrien, qu’il remplace par une direction composée de cinq personnalités modérées. Salah Bitar est de nouveau appelé au gouvernement ; il va tenter d’écarter l’armée de la vie politique.
Le coup d’Etat du 23 février 1966 coupe court à cette tentative de restauration. Des troupes d’élites proches des militaires baathistes instaurent le couvre-feu et ferment l’aéroport et les frontières. La vieille garde du Baath arrive à s’enfuir, Michel Aflak à Chypre et Salah Bitar à Beyrouth. Noureddine Atassi, sunnite, devient président de la République et secrétaire général du parti Baath. Youssef Zouayyen, sunnite également, est chef du gouvernement et Ibrahim Makhos, alaouite, occupe les fonctions de vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangères. Mais la réalité du pouvoir est entre les mains des militaires qui occupent la moitié des quatorze sièges de la direction régionale du Baath. Salah Jédid en est le secrétaire adjoint. Hafez el-Assad devient ministre de la Défense tout en gardant ses fonctions de commandant de l’Aviation. Ahmad Swaydani est nommé chef d’état-major et Abdel Karim el-Joundi devient ministre de la Réforme agraire.
Vers la mi-mars 1966, une délégation soviétique est reçue à Damas. Progressivement, le nouveau pouvoir lance des grands travaux financés par l’URSS et les pays du bloc socialiste. L’Occident s’inquiète de voir la Syrie devenir le plus solide allié de l’Union Soviétique en Orient. Dans les capitales arabes, les nouveaux dirigeants de Damas inspirent la méfiance. Cependant ils réussissent à se rapprocher de Nasser par l’entremise de l’URSS : la Syrie et l’Egypte signent un traité de coopération militaire le 4 novembre 1966, par lequel les deux pays s’engagent à se porter secours en cas d’agression.
Début septembre 1966, les druzes sont écartés de l’armée et de l’administration suite au coup d’Etat manqué du colonel Salim Hatoum : il retient prisonniers les principaux cadres du pouvoir qu’il a invités à déjeuner dans son fief de Soueïda. Hafez el-Assad, qui n’a pas répondu à l’invitation, flairant sans doute un guet-apens, les libère. Les alaouites s’imposent en Syrie. Salah Jédid et Abdel Karim al-Joundi s’engagent dans une surenchère verbale contre Israël, entraînant l’Egypte dans une montée des tensions qui aboutit le 5 juin 1967 à la guerre des six Jours. A l’opposé, Hafez el-Assad fait preuve d’une grande modération.
A l’aube du 9 juin, après avoir refusé le cessez-le-feu à deux reprises, Damas finit par l’accepter. Le 10 juin, la ville syrienne de Kuneitra tombe aux mains des Israéliens. Le gouvernement syrien se réfugie à Homs et laisse la capitale aux Phalanges ouvrières qui investissent les dépôts d’armes pour équiper la population. Amine el-Hafez et d’autres prisonniers politiques sont libérés pour qu’ils puissent prendre part à la guerre.
La guerre prend fin le 11 juin 1967 ; le plateau du Golan est conquis par Israël. Le régime syrien refuse d’assister au sommet arabe de Khartoum fin août 1967 [6] , mais il approuve le triple refus des dirigeants arabes à Israël et rejette la résolution 242 du Conseil de Sécurité, tout comme il refusera en 1970 le plan de paix du secrétaire d’Etat américain William Rogers et la mission de paix de Gunnar Jarring, l’envoyé spécial du secrétaire général de l’ONU.
Le 17 juillet 1968, le Baath revient au pouvoir à Bagdad, sans que cela n’ait de retentissement particulier à Damas. La rupture est totale entre le Baath irakien et le Baath syrien ; tous les militants à travers le monde arabe devront désormais choisir leur camp : le Baath irakien se singularise par sa fidélité à la vieille garde tandis que le Baath syrien se conforme aux décisions des Congrès qui se déroulent depuis la révolution du 23 février.
Fin septembre 1968 a lieu le 4ème Congrès régional à Damas. La différence de points de vue sur la stratégie entre les deux hommes forts du régime, Salah Jédid et Hafez el-Assad, éclate au grand jour. Le second prône la coopération militaire avec tous les autres pays arabes et regrette l’isolement de la Syrie. Il propose aussi de reconstituer le potentiel de l’armée syrienne en la tenant à l’écart des questions politiques et en cessant de mener des purges qui affaiblissent les militaires et minent leur confiance.
Le 24 février 1969, l’aviation israélienne effectue un raid contre la Syrie. Comme l’aviation syrienne ne réagit pas, Hafez el-Assad est considéré comme responsable. Il envoie alors ses troupes à Damas, Alep et Latakieh et il met à profit leur intervention pour remettre au pas la section locale du Baath. Son secrétaire est arrêté et le gouverneur de la province placé en résidence surveillée. Dans les autres villes, les hommes d’Assad se font plus discrets, mais ils occupent les sièges des quotidiens al-Baath et al-Thaoura. Le 4 mars 1969, Assad ordonne à ses troupes de renforcer leurs positions autour de Damas. Les pays arabes observent avec inquiétude la crise syrienne. Un représentant de Nasser arrive à Damas pour tenter une médiation. Son arrivée dans la région coïncide avec le début de Septembre Noir : le roi Hussein lance son armée contre les organisations palestiniennes actives sur son territoire en septembre 1970.
Désireux de porter secours aux Palestiniens, le pouvoir syrien envoie en Jordanie des unités blindées de l’Armée de Libération de la Palestine (ALP) le 20 septembre 1970. La Syrie dit qu’ils sont palestiniens, la Jordanie soutient qu’il s’agit de l’armée syrienne. Face aux réactions israéliennes et américaines, ainsi qu’égyptiennes et soviétiques, Hafez el-Assad dit ne pas avoir l’intention de donner l’ordre à l’aviation syrienne de se porter au secours des Palestiniens [7].
_En octobre 1970, Hafez el-Assad est critiqué pour son comportement lors de Septembre Noir. Il réagit en mutant des officiers fidèles à Salah Jédid. Le 30 octobre se déroule le 10ème Congrès national au cours duquel des accusations sont portées contre lui, les congressistes parlant même de le révoquer. Il est contraint d’agir vite, afin de ne pas se mettre en position d’illégalité au sein du parti. Dès la fin du Congrès national, il envoie ses troupes contre les Directions régionales et les Directions nationales ainsi que tous les bâtiments publics. Il ordonne que l’on place tous les responsables du parti en résidence surveillée. La population, habituée aux règlements de comptes au sein du parti, ne réagit pas. C’est ainsi que le 13 novembre 1970, Hafez el-Assad devient le nouveau maître de la Syrie.
Dès le 30 janvier 1971, Assad se rend à Moscou. Les Soviétiques sont rassurés sur ses intentions. Ils commençaient à se lasser de l’intransigeance de Jédid qui nuisait à leur position au Proche-Orient.
Sur le plan arabe, Assad décide de faire adhérer la Syrie à l’Union Tripartite qui comprend déjà l’Egypte, la Libye et le Soudan, au motif de ne pas rester à l’écart du Plan Rogers réactivé après la mort de Nasser. Pourtant, le 17 avril 1971, une Fédération des Républiques Arabes (FRA) voit le jour, sans le Soudan. L’union ne convainc pas car les pays qui la composent sont trop différents et leur entente ne paraît pas crédible. Pour Assad, elle apparaît comme une mesure destinée à renforcer l’assise idéologique unioniste de son régime, à laquelle il ne croit cependant pas.
Sur le plan intérieur, Assad annonce des mesures de libéralisation du régime. Ceci se traduit en politique par le retour en grâce relatif des communistes et nasséristes qui s’engagent à ne pas faire d’activisme dans l’armée ou l’université. Dans le secteur économique, une Organisation générale des Zones franches situées dans les villes, les ports et les aéroports est créée afin d’encourager le secteur privé et en faire le moteur du développement économique.
Le 12 mars 1971, Hafez el-Assad est élu président de la République pour 7 ans, au suffrage universel, avec 99,2% des voix. Le Front progressiste d’union nationale est créé, qui regroupe autour du Baath les partis politiques tolérés en Syrie : l’Union socialiste arabe de Jamal Atassi (nassériens), le Mouvement des unionistes socialistes de Jamal Soufi, le Mouvement des socialistes arabes d’Akram Hourani et le Parti communiste de Syrie.
En janvier 1973, une nouvelle Constitution est promulguée. L’Islam n’y est pas mentionné, ce qui suscite des émeutes à Hama, Alep et Homs. Finalement, deux mois plus tard, un amendement constitutionnel fait de l’Islam la religion du président de la République, mais non celle de l’Etat syrien. La Constitution est approuvée par 97,6% des électeurs qui ne se plient pas aux appels au boycott. La participation a été de 88,9%. Elle sera par contre très faible au moment des élections législatives qui vont suivre.
Le 8 septembre 1972, en riposte aux assassinats des athlètes israéliens lors des jeux Olympiques de Munich, Israël bombarde le Liban et la Syrie, et, le 30 octobre 1972, l’aviation israélienne touche des cibles civiles et militaires près de Damas et à Homs.
La guerre du Kippour est déclenchée le 6 octobre 1973 à l’initiative de la Syrie et de l’Egypte. La contre-offensive israélienne s’organise à partir du 9 octobre. L’aviation israélienne cible les pôles économiques syriens : raffineries de Homs, centrale de Qatina, ports de Tartous et de Latakieh. Le 21 octobre 1973, l’Egypte accepte un cessez-le-feu en échange d’un retrait israélien et de la tenue d’une conférence internationale pour une solution globale auMoyen-Orient. Cette décision unilatérale du président Sadate survient alors qu’Assad prépare avec les Irakiens (les deux pays se sont réconciliés après le déclenchement de la guerre) une grande offensive pour le 23 octobre. Pourtant il est contraint d’accepter ce cessez-le-feu car la défection égyptienne laisse la Syrie seule face à Israël. L’URSS a aussi joué un rôle, persuadant Assad d’accepter les termes de la résolution 338. Du coup, l’Irak accuse la Syrie de trahison et rapatrie ses troupes. Le 29 octobre 1973, Assad s’explique à la télévision : « l’arrêt des combats nous a surpris et nous a été imposé » [8]. Le bilan de la guerre est de 7 7000 morts pour la Syrie, avec des dégâts matériels importants. L’aide arabe devient indispensable pour remettre en route l’économie syrienne. Israël a ajouté un territoire de 510km² à ses conquêtes de 1967 et ses troupes se trouvent à 39 km de Damas.
Fin 1973, le président Assad entame une série de négociations avec le secrétaire d’Etat américain Henry Kissinger et il accepte l’idée d’un arrangement avec Israël. Le 28 mai 1974, un accord de désengagement est signé entre la Syrie et Israël. Une zone tampon est créée et placée sous la surveillance des Casques Bleus ; elle est gérée par une administration civile syrienne. La Syrie récupère plus de la moitié des terres perdues en 1967 et 1973, ainsi que la ville de Kuneitra. Pourtant la perspective d’une conférence de paix internationale s’amenuise et les négociations semblent devoir se faire sous l’égide des seuls Etats-Unis.
En juin 1974, le président américain Richard Nixon se rend à Damas, mettant fin à une rupture diplomatique datant de la guerre des Six jours. Assad dit au président américain qu’aucune paix durable ne pourra être instaurée au Proche-Orient avant qu’une solution juste ne soit trouvée pour le problème palestinien, mais les organisations palestiniennes sont sceptiques sur ses intentions véritables. A Bagdad, on critique les régimes arabes « traîtres » qui reçoivent le président des Etats-Unis.
Début 1975, une campagne de presse est orchestrée par le Baath à travers le monde arabe, pour avertir du danger que constituerait toute paix séparée avec Israël. Parallèlement, la Syrie entreprend de resserrer les liens avec ses partenaires : c’est ainsi que le 7 janvier 1975, le président Hafez el-Assad effectue une visite officielle au Liban, la première pour un chef d’Etat syrien depuis 1950. Mi-janvier 1975, le roi Fayçal d’Arabie saoudite est reçu avec les honneurs à Damas. Le 16 février 1975, la visite de Yasser Arafat à Damas scelle la réconciliation entre la Syrie et l’OLP. Mais l’éclatement de la guerre au Liban un mois plus tard bouleverse la donne pour la Syrie.
Les troupes régulières de l’armée syrienne entrent au Liban au matin du 1er juin 1976 en renforts aux milices chrétiennes du Front libanais menacées sur tous les fronts de la montagne par les Forces communes constituées par les milices de la gauche libanaise et les combattants de la révolution palestinienne. L’intervention syrienne aura ainsi pour effet de mettre un terme aux « événements » du Liban en octobre 1976. Pendant plus d’un an, une accalmie va régner sous l’œil vigilant des troupes de la Force arabe de dissuasion mandatées par la Ligue des Etats arabes, et dont la Syrie assure le gros des troupes.
La décision du président Assad de faire intervenir son armée au Liban auprès des milices chrétiennes produit un fort mécontentement dans la population syrienne, dont la grande majorité est composée de sunnites fervents partisans de la cause palestinienne, et très sensibles à la prédication des Frères musulmans syriens. Des troubles éclatent dans les grandes villes du pays, que l’Etat va s’employer à circonscrire jusqu’en 1984 : la ville de Hama, bastion des Frères musulmans, est bombardée à l’artillerie lourde en février 1982. De son côté, le président Assad tente de persuader les cadres du parti Bath du bien-fondé de sa stratégie, afin de prémunir la Syrie contre une possible contagion libanaise. Selon lui, il faut brider l’OLP afin de l’empêcher d’entraîner la Syrie dans un conflit contre Israël pour lequel elle n’est pas prête. De même, il faut porter secours aux chrétiens du Liban afin de les dissuader de poursuivre des liens déjà ébauchés avec l’Etat d’Israël.
Mais l’alliance entre la Syrie et les milices chrétiennes se révèle éphémère. Elle s’éteint à la suite des négociations qui conduisent à la paix séparée entre l’Egypte et Israël, les accords de Camp David. Dès lors, les années 1978-1981 sont celles d’un conflit entre l’armée syrienne et les milices chrétiennes, désormais appelées Forces libanaises et commandées par Béchir Gemayel. A Beyrouth, la Syrie réorganise les rangs des ses nouveaux alliés, favorisant ceux qui lui font allégeance et se débarrassant des autres, notamment la milice sunnite des Mourabitouns.
En juin 1982, l’invasion du Liban par Israël a pour objectif de faire cesser les attaques palestiniennes sur la Galilée [9]. Dès le début de l’opération Paix en Galilée, les troupes syriennes sont contraintes de se replier jusqu’aux confins de la plaine de la Békaa. Patiemment, la Syrie va regagner ses positions en profitant des échecs d’Israël au Liban. Elu président de la République pour œuvrer à un accord de paix israélo-libanais, Béchir Gemayel est assassiné le 14 septembre, avant son entrée en fonctions. Son frère et successeur, Amine Gemayel, est contraint d’abroger l’accord signé le 17 mai 1983, car les Etats-Unis et la France retirent leurs forces d’interposition présentent au Liban en août 1982, à la suite d’une série d’attentats dont le plus spectaculaire reste celui du 23 octobre 1983, faisant 241 morts parmi les Marines américains et 57 parmi les parachutistes français. Israël retire ses troupes en 1985, et ne conserve qu’une mince bande frontalière à la frontière sud du pays.
En février 1987, les troupes et les services de renseignements syriens réinstallent leur quartier général au cœur de la capitale libanaise, afin de ramener le calme entre ses alliés (Amal, Hazbollah, Parti socialiste progressiste, Palestinienne) qui se livrent une lutte pour le contrôle de Beyrouth-Ouest et la banlieue sud de la capitale.
Au moment de l’échéance présidentielle, fin septembre 1988, la Syrie échoue à imposer son candidat. Le Liban est sans président de la République. Un gouvernement de transition est mis en place sous la direction du commandant en chef de l’armée, le général Michel Aoun. De son côté, le Cabinet présidé par le Premier ministre Sélim Hoss décide de rester en place, estimant qu’il est le détenteur légitime du pouvoir exécutif. La division du Liban est ainsi entérinée, et l’Etat libanais, déjà bien virtuel, cesse d’exister.
En 1989-1990, le général Aoun déclenche trois guerres. Début 1989, il tente de mettre au pas la milice des Forces libanaises et son chef Samir Geagea, sans succès. Une seconde guerre commence le 14 mars 1989, en réponse à un bombardement syrien des zones chrétiennes, c’est la guerre de Libération contre la présence syrienne. Elle se termine grâce à une médiation arabe à la fin de l’été 1989. En octobre 1989, l’accord de Taëf réorganise les institutions de l’Etat libanais et permet l’élection d’un nouveau président de la République. Il instaure également une coopération très étroite entre le Liban et la Syrie, coopération scellée par l’établissement d’un Haut-Conseil libano-syrien. Mais le général refuse de se plier à cet accord et de quitter le palais présidentiel. Fin janvier 1990, il déclenche une nouvelle guerre contre les Forces libanaises.
Au matin du 13 octobre 1990, à la demande du pouvoir libanais représenté par le président Elias Hraoui, les troupes syriennes investissent les régions chrétiennes et le palais présidentiel de Baabda et opèrent de multiples arrestations. Contraint de se réfugier dans l’ambassade de France, le général Aoun part dans un exil français de quinze ans, tandis qu’au Liban la vie reprend son cours dans le cadre d’une Pax syriana acceptée par la communauté internationale. En effet, le président Assad a su placer son pays sur l’échiquier des relations internationales, servant de médiateur dans l’affaire des otages occidentaux, et se joignant à la coalition internationale lors de la guerre du Golfe de 1991.
Sur le plan interne, les années de la présence syrienne au Liban sont celles d’une grande morosité. La présence du contingent au Liban coûte cher à la Syrie qui survit grâce à la rente pétrolière. De plus, la répression exercée contre l’opposition a pour effet de réduire la vie politique au simple exercice du pouvoir personnel du président Assad. Pour sortir de son isolement, la Syrie tisse des liens avec l’Iran de Khomeiny, qu’elle a ouvertement soutenu lors de son conflit avec l’Irak, et dont elle facilite l’action au Liban. En 1991, elle fait un grand retour sur la scène politique internationale et resserre son contrôle sur le Liban.
Denise AMMOUN, Histoire du Liban contemporain, Tome II, 1943-1990, Ed. Fayard, Paris, 2004, 1009 p.
Jean-Pierre CALLOT, Philippe RONDOT, Charles SIFFERT, « Syrie », Encyclopédie Universalis 2009.
Pierre GUINGAMP, Hafez El Assad et le parti Baath en Syrie, Ed. L’Harmattan, Coll. Comprendre le Moyen-Orient, Paris, 1996, 401 p.
Claude PALAZZOLI, La Syrie, le rêve et la rupture, Ed. Le Sycomore, Paris, 1977, 293 p.
Site du ministère des Affaires étrangères, Maison des Français à l’étranger, Portail pays, Syrie.
Daniel Charentais
Après avoir servi dans la Marine Nationale Française, et notamment en Méditerranée, Daniel Charentais s’est spécialisé durant plus de 25 ans dans l’expertise des échanges commerciaux internationaux et dans les négociations d’accords commerciaux avec l’Union Européenne et l’OMC.
Il a notamment suivi la mise en place des dispositions des échanges commerciaux dans la zone de libre échange Euromed et Paneuromed.
Yara El Khoury
Yara El Khoury est Docteur en histoire, chargée de cours à l’université Saint-Joseph, chercheur associé au Cemam, Centre D’études pour le Monde arabe Moderne de l’université Saint-Joseph.
Elle est enseignante à l’Ifpo, Institut français du Proche-Orient et auprès de la Fondation Adyan.
Notes
[1] Cité in GUINGAMP Pierre, Hafez El Assad et le parti Baath en Syrie, Ed. L’Harmattan, Coll. Comprendre le Moyen-Orient, Paris, 1996, p : 39.
[2] Guingamp, op.cit., pp. 52-53.
[3] Guingamp, p : 114.
[4] Cité in Guingamp, p : 118.
[5] Le général Amine el-Hafez fait bombarder les camps palestiniens de Damas, Alep, Deir-ez-Zor et Jisr-el-Choughour. « Il existe, ainsi, entre le Ba’th et la résistance palestinienne, un passif assez ancien : peut-être n’était-il pas inutile de le souligner dès maintenant, pour éclairer les événements de 1976 ? », PALAZZOLI Claude, La Syrie, le rêve et la rupture, Ed. Le Sycomore, Paris, 1977, p. 190.
[6] Ce boycott est inspiré par Abdel Karim al-Joundi qui maintient pour un temps encore son emprise sur le pouvoir, et tente de faire porter à Salah Jédid toute la responsabilité de la défaite. Il mourra quelque temps plus tard, dans des conditions non élucidées, maquillées en suicide.
[7] « Ces péripéties valaient en tout cas d’être rappelées : elles jettent une singulière lumière sur les affrontements syro-palestiniens de 1976 … », Palazzoli, p : 208.
[8] Cité in Guingamp, p : 214.
[9] Pourtant, depuis juillet 1981, l’OLP respecte scrupuleusement une trêve obtenue grâce à la médiation de l’émissaire américain Philip Habib. C’est l’attentat manqué contre l’ambassadeur israélien à Londres qui servira de prétexte au déclenchement de l’opération Paix en Galilée.
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