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Mardi 27 juin 2017 fut présenté à l’Institut du monde arabe en avant-première et en présence du réalisateur Tamer El-Saïd Les derniers jours d’une ville. Dans une Égypte prérévolutionnaire, Khalid, le personnage principal, tente d’achever le film qu’il prépare depuis des années. Une ode amoureuse au Caire et aux villes déchirées d’Orient, qui nous renvoie aux prémices de la révolution égyptienne. Sélectionné pour le Caligari Film Prize à la Berlinale 2017, il sort le 28 juin dans les salles françaises.
« - Elle a commencé quand, la guerre, en Irak ? - En 1920. - Et au Liban ? - En 1860. - Et on devrait en essuyer les gouttes de sang, pour l’éternité ? » C’est par ces mots que Tarek tente de convaincre ses amis Aly, Khalid et Bassam de quitter leurs villes dangereuses, trop dangereuses et abîmées pour qu’ils méritent d’y laisser leur peau. Tarek a quitté Bagdad quatre ans auparavant et a obtenu l’asile à Berlin. Pourtant, Berlin n’apparaît pas dans ce chant d’amour cinématographique aux grandes villes en ruines d’un Moyen-Orient déchiré. Tamer El-Saïd veut filmer l’âme du Caire, qu’il tient à faire résonner avec Beyrouth, ville martyre, et Bagdad, ville bombardée.
L’action se passe en 2009. L’heure de la révolution n’a pas encore sonné. Pourtant, déjà, Khalid sent la tension monter. Personnage principal du film, double fictif du réalisateur Tamer El-Saïd lui-même, Khalid tourne un film dont il ne saisit pas le sens. Il filme sa ville, en proie à des protestations de plus en plus violentes contre le régime de Moubarak ; il filme aussi ses proches, sa petite amie qui l’a visiblement quitté, ses amis, sa mère. À l’occasion d’une table-ronde, il retrouve dans sa ville trois amis, réalisateurs, comme lui. Bassem est Libanais ; sa ville, il ne peut pas la filmer, les stigmates de la guerre civile sont encore bien trop marqués pour que le plâtre étalé pour combler les fissures lui ait rendu sa brillance passée. « C’est comme un lifting : elle est belle de l’extérieur, mais à l’intérieur, c’est pourri », ne trouve-t-il qu’à répondre quand on lui reproche de n’en pas faire d’images. Aly, lui, est Irakien, et il ne bougera pas de Bagdad, en dépit des balles perdues, des cadavres, de la mort. Cet entêtement suscite la colère de Tarek, qui, lui, est parti ; il détient une carte de séjour allemande, de celles qui lui permettent de voyager « partout », sauf en Irak - ça invaliderait l’asile politique, c’est normal. Mais sa sécurité, ses amis ne l’envient pas ; s’ils critiquent leurs villes et leurs dysfonctionnements, l’énergie qui y règne leur semble irremplaçable.
Un débat s’engage sur des images à faire de la ville. Il survient pour une raison précise : Khalid laisse passer les années sans terminer son film. Pour l’inciter à l’achever, Bassem et Aly s’engagent à lui envoyer des images de leurs villes - Beyrouth, Bagdad, avec leur regard, et l’amour-haine qu’ils cultivent à leur égard. Ils le font. Aux images dorées du Caire s’ajoutent l’éclat de la Méditerranée, qui s’échoue sur les côtes beyrouthines, et la douceur du Tigre, qui traverse les ruines de la capitale irakienne.
Tamer El-Saïd a mis dix ans à terminer son film. Ne trouvant aucun producteur pour le soutenir lorsqu’il présente son projet en 2006, il s’autofinance et démarre le tournage grâce au soutien de ses amis. Le film de Tamer El-Saïd, comme l’est en miroir le film de Khalid dans la narration, s’inscrit dans un présent qui est pour nous, spectateur de 2017, un passé déjà devenu historique : à la radio, la propagande du régime tait les manifestations qui occupent les rues du Caire et glorifie les victoires de l’équipe nationale de football, préparant des élections que tout le monde sait truquées. Dans le Caire bouillonnant, le bruit s’affole et les passants se bousculent. C’est le début de Kifaya, « Assez ! », un mouvement populaire politisé qui prend de l’ampleur pour dénoncer les pratiques du régime. La police et l’armée sont partout dans les rues. La religion, aussi, est omniprésente : l’ascenseur déclenche un enregistrement du Coran lorsqu’il monte dans les étages de son immeuble, les Frères musulmans se rassemblent pour prôner la charia. Tamer El-Saïd filme tous ces personnages, aussi différents soient-ils, avec la même empathie. Même les agents des forces de sécurité sont vus d’un œil certes malheureux, mais non malveillant. C’est tout un peuple qui, en sourdine, conteste.
Les images des rassemblements prises par Tamer El-Saïd sont authentiques. À la question qui lui est posée pour comprendre l’inaction des forces de sécurité devant l’exhibition de sa caméra braquée sur les foules en manifestation et sur les rangs de police qui les contiennent, celui-ci répond qu’elles étaient occupées par bien d’autres choses à ce moment-là, tout simplement. Tamer El-Saïd réinvestit la rue, il s’approche des gens, filme son voisinage, témoigne de la violence d’une ville excessive dans son essence même. Il filme aussi la perte, le manque : Khalid tente de faire le deuil d’un amour perdu, lorsque ses amis tentent de faire le deuil de la sérénité de leur ville.
Beaucoup de choses se sont passées en dix ans. Le tournage du film s’est achevé en 2010, six semaines avant le déclenchement de la Révolution. La réalité a fini par rattraper la fiction. Le bourdonnement que le cinéaste percevait à l’origine de son projet, cette âme cairote qu’il voulait mettre en images, a mené au plus grand événement vécu par le pays de ce début de XXIe siècle : les rassemblements populaires de février 2011 qui conduisirent à la chute du régime de Moubarak. Le film fut monté après la révolution, mais c’est bien dans l’esprit du Caire de Moubarak qu’il fut construit et rythmé, puisque c’était l’atmosphère d’une ville surpeuplée au bord de l’éclatement qu’il s’agissait de transcrire. La puissante émotion qui se dégage du film prend donc ses racines dans une réalité que l’on a moins l’habitude de voir aujourd’hui à l’écran. Une image audacieuse de cette vie quotidienne, qui fait peine à voir sous certains aspects, mais sait aussi séduire un spectateur qui connaît la suite de la grande Histoire. Est-ce d’ailleurs parce que l’histoire fonctionne par cycle que le film fut censuré en Égypte et rendu inaccessible aux Égyptiens, à qui cette ode s’adresse ?
Mathilde Rouxel
Suite à des études en philosophie et en histoire de l’art et archéologie, Mathilde Rouxel a obtenu un master en études cinématographiques, qu’elle a suivi à l’ENS de Lyon et à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, Liban.
Aujourd’hui doctorante en études cinématographiques à l’Université Paris 3 – Sorbonne Nouvelle sur le thème : « Femmes, identité et révoltes politiques : créer l’image (Liban, Egypte, Tunisie, 1953-2012) », elle s’intéresse aux enjeux politiques qui lient ces trois pays et à leur position face aux révoltes des peuples qui les entourent.
Mathilde Rouxel a été et est engagée dans plusieurs actions culturelles au Liban, parmi lesquelles le Festival International du Film de la Résistance Culturelle (CRIFFL), sous la direction de Jocelyne Saab. Elle est également l’une des premières à avoir travaillé en profondeur l’œuvre de Jocelyne Saab dans sa globalité.
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