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Taousert, une des rares femmes à avoir régné en son nom propre en tant que souveraine de Haute et de Basse Égypte

Par Christian Mariais
Publié le 07/05/2025 • modifié le 09/05/2025 • Durée de lecture : 7 minutes

Momie présumée de Taousert

Le Pharaon Séthy II et son épouse Taousert

Au décès de Merenptah, successeur et treizième fils de Ramsès II, son fils est couronné pharaon en 1200 av. J.C sous le nom de Séthy, deuxième du nom. Taousert, son épouse, est alors « épouse royale ». Fidèle à la tradition, Séthy fait inhumer rituellement son père dans la Vallée des Rois (KV8) et ordonne concomitamment l’aménagement de sa propre tombe (KV15) dans cette même nécropole.

Cependant, la descendance nombreuse et complexe laissée par Ramsès II et Merenptah engendre des rivalités. Un prince, un certain Amenmes, probablement issu de la lignée ramesside, conteste le pouvoir à Séthy II. À peine quelques mois après son avènement, ce dernier est renversé, du moins en Haute-Égypte [4]. Toutefois, avec l’aide d’un personnage influent d’origine syrienne, le chancelier [5] Bay, Séthy II retrouve son trône deux ans plus tard.

Dès son retour, il relance les travaux de sa tombe et entreprend à quelques mètres de là le creusement d’une tombe destinée à son épouse, Taousert (KV14). Bien que ce fait ne soit pas unique, il est rare, voire exceptionnel. Même Ramsès II n’a pas réservé un tel privilège à Néfertari dont la magnifique tombe se trouve non loin, mais dans la Vallée des Reines. Ce geste témoigne sans doute une marque d’affection de Séthy II pour Taousert, mais aussi une volonté affirmée de cette dernière, comme la suite des événements le confirmera.

Séthy II règne encore cinq ans avant de disparaître prématurément, à l’âge d’environ trente-cinq ans. Sa tombe reste largement inachevée [6] : la salle du sarcophage manque et les décors finaux sont exécutés à la hâte, témoignant d’un enterrement précipité.

Taousert, régente sous le règne de Ramsès Siptah

De Taousert, il avait eu un fils attesté [7], mais celui-ci est probablement mort avant son père. Le chancelier Bay, quant à lui, se comporte comme un faiseur de rois [8] et place sur le trône un jeune prince probablement ramesside mais d’ascendance incertaine. Certains spécialistes suggèrent qu’il pourrait s’agir d’un fils de Séthy II, né d’une concubine. Ce prince, un garçon d’une dizaine d’années, souffre d’un grave handicap : une atrophie du pied gauche, probablement causée par une malformation congénitale ou la poliomyélite. Il est couronné sous le nom de Ramsès Siptah, et les travaux de sa tombe, la KV47, débutent à quelques mètres de celles de Séthy II et Taousert.

Trois ans plus tard, son nom est changé pour devenir Merenptah Siptah, sans que l’on en connaisse précisément la raison, probablement pour des considérations politiques avec la volonté de se rattacher plutôt à la lignée de Merenptah qu’à celle de Ramsès.

À l’instar d’Hatchepsout, Taousert devient régente, mais doit partager ce pouvoir avec le chancelier Bay. Pendant cette période, elle poursuit les travaux de sa propre tombe, où son titre inscrit sur les parois n’est plus « Grande Épouse Royale », mais « Régente ». De son côté, le chancelier Bay s’octroie un privilège exceptionnel : la construction de sa propre tombe dans la Vallée des Rois (KV13), située juste en face de celle de Merenptah Siptah - une audace rare pour un dignitaire d’ascendance non royale.

En l’an cinq du règne de Merenptah Siptah, ordre est donné d’exécuter le Chancelier Bay [9]. Tout porte à croire que cette décision a été prise sous l’influence de Taousert, désireuse d’éliminer cet encombrant rival.

Deux ans plus tard, Merenptah Siptah meurt à l’âge d’environ dix-huit ans. Sa momie ne présente aucune trace de blessure ni de mort violente. Bien que de grande taille, sa tombe est restée en grande partie à l’état d’ébauche. Les deux premiers couloirs sont de belles factures puis sont ensuite restés à l’état brut, sans décors. La longueur de son règne aurait dû permettre un avancement nettement meilleur. Peut-être sa tombe a-t-elle connu la concurrence des travaux des tombes de Bay et de Taousert.

Le règne de Taousert

En l’absence d’héritiers directs, Taousert se proclame roi et adopte la titulature royale complète, à l’instar d’Hatchepsout trois siècles plus tôt [10]. Elle assume ainsi seule le pouvoir à partir de 1188 av. J.-C.

Elle fait débuter le décompte de ses années de règne non pas à la mort de Merenptah-Siptah, mais à celle de son époux, Séthy II. De plus, elle recouvre le nom de Merenptah-Siptah par celui de Séthy II sur les parois de sa tombe. Elle marque indiscutablement sa volonté d’effacer la mémoire de l’enfant.

Les tombes royales obéissent à des proportions codifiées et les dimensions des piliers suivent des règles strictes. Dès lors, les travaux se déroulent conformément au statut qu’elle revendique : celui de souverain, et c’est le titre de « Roi » qui est gravé sur les parois de sa sépulture [11].

Fait exceptionnel, elle décide de prolonger encore le creusement de sa tombe après l’immense salle funéraire, et d’y ajouter une seconde salle funéraire, un aménagement inédit dans la Vallée des Rois. Les dimensions de cette tombe sont ainsi parmi les plus importantes. Toutefois, cette gloire est éphémère : son règne ne dure qu’environ deux ans. Taousert s’éteint en 1186 av. J.-C.

En 1898, une momie féminine, désignée par les égyptologues sous le nom de « Femme inconnue D », est découverte dans la cachette royale de la tombe KV35 [12], où repose également Amenhotep II, propriétaire de cette tombe. Sa présence parmi des pharaons, ainsi que l’analyse de sa technique de momification, identique à celle des souverains de la XIXᵉ dynastie, suggèrent qu’il pourrait s’agir de Taousert. Son apparence renforce cette hypothèse. La momie mesure 1,59 m, présente une extrême émaciation et une atrophie mammaire complète, des signes indiquant vraisemblablement une mort naturelle due à une maladie [13]. Ses cheveux, bien conservés, sont arrangés de façon sophistiquée en petites boucles frisées. Enfin, ses traits, notamment son nez « ramesside », évoquent ceux de la lignée des Ramsès.

Momie présumée de Taousert
Momie présumée de Taousert

Avec la mort de Taousert, la XIXᵉ dynastie s’éteint. Son successeur, Sethnakht, inaugure une nouvelle lignée de souverains et s’efforce d’effacer le souvenir d’une reine qu’il a combattue et que lui et ses successeurs considèrent comme illégitime [14]. Pourtant, à travers sa tombe monumentale et son parcours hors du commun, sa lutte pour le pouvoir dans un environnement politique mouvementé et particulièrement complexe, Taousert restera l’une des grandes figures féminines de l’histoire pharaonique.

Annexes :
Une période troublée : quatre pharaons en quatorze ans : Séthy II, Amenmes, Merenptah Siptah, Taousert

Cinq tombes creusées à quelques mètres les unes des autres
KV15 – Séthy II : 81 m de longueur
KV10 – Amenmes : 82 m de longueur
KV147 – Merenptah Siptah : 111 m de longueur
KV13 – Bay : 71 m de longueur
KV14 – Taousert : 117 m de longueur

Les traces d’une grande partie de cette histoire sont visibles dans les tombes mentionnées, renforçant l’intérêt d’une visite de la Vallée des Rois. De nombreux éléments proviennent également de l’étude des momies.

Plan de la tombe de Taousert, KV14 On remarquera la présence tout à fait exceptionnelle de deux salles funéraires, J1 et J2.
Plan de la tombe de Taousert, KV14
On remarquera la présence tout à fait exceptionnelle de deux salles funéraires, J1 et J2.
Position des quatre tombes dans la Vallée des Rois.
Position des quatre tombes dans la Vallée des Rois.

Ironie de l’histoire : lors de la construction de sa tombe, Sethnakht a rencontré un obstacle. Il a percuté celle d’Amenmes KV10, le pharaon qui avait renversé SéthyII [15]. Seuls les deux premiers couloirs sont creusés lorsqu’il décède [16]. Son fils, Ramsès III, a alors dû l’inhumer précipitamment dans la tombe de Taousert. La boucle est bouclée…

Petite bibliographie :
 Frédéric Servajean, Mérenptah et la fin de la XIXe dynastie, Paris, Pygmalion, 2014
 Aidan Dodson, Poisoned Legacy, the fall of the nineteenth egyptian dynasty, The American University in Cairo Press, 2010.
 Christiane Ziegler, Reines d’Égypte, d’Hétephérès à Cléopâtre, Grimaldi Forum, 2008.
 Christian Mariais, Les textes funéraires dans la Vallée des Rois, Menkh Édition, 2023.

Publié le 07/05/2025


Christian Mariais a effectué plus de soixante voyages en Égypte durant lesquels a pris plus de 40 000 clichés. Il est l’auteur de l’ouvrage « Les textes funéraires dans les tombes de la Vallée des Rois », qui offre une synthèse unique des textes funéraires royaux du Nouvel Empire.
Il a étudié de nombreuses tombes et publié le fruit de ses recherches sur des sites spécialisés.


 


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