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Vers l’au-delà, mythologie et conception de la mort dans l’Ancienne Egypte

Par Emilie Polak
Publié le 22/05/2014 • modifié le 07/03/2018 • Durée de lecture : 7 minutes

God Osiris, diorite, 25th dynasty (c.770-715 BC) 3rd Intermediate Period Egyptian (E.18847).

Photo Credit : The Art Archive / Musée du Louvre Paris / Gianni Dagli Orti / AFP

La religion est officielle et n’a que très peu changé pendant la période pharaonique, à l’exception des réformes mises en place par Akhenaton. La religion égyptienne influence tout le pourtour méditerranéen : pendant la période romaine, le culte d’Isis est pratiqué par les différentes populations de l’Empire. Apulée fait d’ailleurs référence à la déesse Isis, « importée » d’Egypte dans son roman L’âne d’or ou les métamorphoses. Le succès de la religion égyptienne à l’époque antique s’explique en partie par une conception spécifique de la mort. La mort est considérée comme trépas, contrairement à notre imaginaire actuel. Ainsi la mort est-elle plutôt un passage vers un autre monde et non la fin de quelque chose. Cette vision de la mort influence également la vie sous l’ancienne Egypte.

Le mythe d’Osiris

Afin de comprendre l’importance du culte des morts, il est nécessaire de revenir aux sources de la religion égyptienne. La mythologie égyptienne comprend de nombreux dieux, dont l’un des plus importants est Osiris. Celui-ci est le fils de Geb, la terre, et de Nout, la voute céleste. De l’union de Geb et Nout naquirent également Seth, Nephtys et Isis qui deviendra l’épouse d’Osiris. Osiris se voit confier le trône d’Egypte et son règne apporte prospérité et bonheur. Son frère, Seth, jaloux de son succès fomente un complot afin de tuer Osiris : il organise un grand banquet au cours duquel il exhibe un magnifique coffre. Seth promet qu’il offrira le coffre à celui de ses convives qui pourra s’allonger à l’intérieur. Le coffre est aux dimensions d’Osiris mais lorsque le dieu s’allonge à l’intérieur, il en devient prisonnier. Seth jette alors le coffre dans le Nil. Isis et Nephtys, les sœurs d’Osiris et de Seth sont également magiciennes, ce qui leur permet de retrouver le coffre et de libérer leur frère. Cependant, Seth le retrouve et, fou de rage, divise le corps d’Osiris en quatorze morceaux qu’il disperse aux quatre coins de l’Egypte. Isis parvient à retrouver treize des morceaux du corps de son époux et frère. Seul le sexe d’Osiris, qui a été dévoré par un poisson, est manquant. Néanmoins, Isis parvient à ressusciter son mari. Le couple met au monde un fils, Horus, considéré comme le premier pharaon d’Egypte et duquel les pharaons sont censés descendre. Horus parvient à vaincre Seth mais sa mère, Isis, est prise de pitié et empêche son fils de tuer son oncle. Furieux, Horus coupe la tête de sa mère, que le dieu Thot remplace par une tête de vache. Lassé de ces querelles, Thot propose de mettre en place un tribunal pour décider qui de Seth ou d’Horus possèdera le trône d’Egypte : Seth se voit attribuer le désert égyptien, tandis qu’Horus possède les terres fertiles du pays, devenant le premier pharaon d’Egypte. Quant à Osiris, il devient le roi du royaume des morts. C’est lui qui accueille les morts dans leur passage vers l’au-delà.

Une fois Seth vaincu et jugé, Horus rend à son père les hommages funéraires. Osiris est la première momie. Les gestes perpétrés lors de son embaumement sont ceux que les Egyptiens doivent reproduire à chaque momification. Ainsi, les rituels mortuaires s’inscrivent dans la genèse de la mythologie égyptienne. La religion est donc le guide des pratiques d’embaumement, dont des traces sont parvenues jusqu’à nous. Le mythe osirien est essentiel pour comprendre une bonne partie des pratiques égyptiennes ainsi que l’attribution de certains domaines de compétence aux dieux : Thot est le dieu de la justice, en vertu de son positionnement pendant la querelle entre Horus et Seth. Thot répare également les injustices puisqu’il redonne une tête à Isis.

Le devenir du djet après la mort

La mort, dans l’Egypte antique, est un trépas et non une fin, c’est-à-dire que la mort représente un passage vers autre chose. En tant qu’étape, la mort est entourée d’un certain nombre de rites, qui s’inscrivent directement dans le mythe osirien. Après le décès, on peut retracer différentes étapes pour préparer le défunt vers l’au-delà. La première étape, celle de l’embaumement, se passe sur terre. Ce sont des prêtres qui s’en chargent.
Pour les Egyptiens, l’homme dispose de cinq éléments : le djet, c’est-à-dire l’enveloppe corporel, le shout l’ombre, le ren le nom, le que l’on pourrait traduire par l’âme, et le ka, qui est une sorte de substance vitale. Le ka est ce qui fait l’homme à proprement parler, nait en même temps que l’homme et lui survit après la mort. C’est le ka, mais aussi l’âme du défunt, le , qui continueront le voyage vers l’au-delà. Pour que le ka et le puissent quitter l’enveloppe corporelle du défunt et rejoindre le royaume des morts, il faut que le djet ou corps soit préservé. Pour cela, les prêtres procèdent à une cérémonie d’embaumement visant à transformer le corps du défunt en momie. La momification purifie le corps et le protège de la putréfaction. Le but est de rapprocher le corps de la personne décédée de celui d’Osiris, qui fut également momifié afin de demeurer éternel.
La durée de la momification est de soixante-dix jours. Elle est opérée par les outyou, prêtres chargés de la momification. Le corps est d’abord lavé, puis séché au soleil et enduit d’huiles et de cire d’abeille qui présente des propriétés antibactériennes favorisant la conservation du corps. Il est à noter que la conservation des corps en Egypte est naturellement facilitée par les sols sableux et le climat sec. Certains organes, comme les poumons, l’estomac, les intestins et le foie sont retirés et placés dans des vases canopes à l’effigie des quatre fils d’Horus. Le cœur, siège de la pensée et des sentiments, est généralement laissé à sa place. Quant au cerveau, il est aspiré par le nez à l’aide d’un crochet. Le cerveau n’a pas de valeur dans l’imaginaire égyptien, puisque c’est le cœur qui est le siège de la pensée, c’est sans doute pourquoi il est retiré et parfois remplacé par de la cire d’abeille. Une fois tous les viscères retirés, le corps est plongé dans du natron [1] qui a pour particularité d’assécher fortement le corps en retirant les graisses présentes, ce qui associé au climat sec de l’Egypte, favorise la conservation. Cependant, le corps est déformé par le natron : il est aplati. Pour lui redonner forme, du tissu est placé à l’intérieur du corps et des yeux. Une fois le corps prêt, les outyou procèdent aux bandelettages. Des amulettes sont placées sur le corps du défunt, qui est ensuite recouvert de bandelettes de lin, apportées par la famille. Un masque funéraire complète le tout chez les plus riches. La momie est placée dans un cercueil, puis est enterrée selon le rang social et la richesse du mort.
Notre connaissance des techniques de momification vient de l’historien grec Hérodote. C’est donc une vision tardive puisqu’Hérodote a vécu au Vème siècle avant notre ère et que la momification a commencé bien avant. Toutefois, la description d’Hérodote est complétée par les techniques modernes : la radiographie a permis de mettre en évidence les différentes couches chimiques présentes sur les momies.

Le voyage du ka : une conception de la mort comme trépas

Une fois le djet préparé et conservé, le mort peut entamer son voyage vers l’au-delà. Le , l’âme du défunt, et son ka, sa substance vitale, quitte le corps – dans lequel ils pourront revenir puisque le djet est conservé – afin de rejoindre le royaume des morts. Cependant, le royaume des morts n’est pas ouvert à tous. Le défunt doit franchir de nombreuses étapes. A chacune d’elles, il doit réciter une formule, inscrite dans le Livre des morts. Ce livre est composé de plusieurs rouleaux de papyrus et retrace le cheminement du défunt vers l’au-delà. La légende attribue sa rédaction au dieu Thot, qui est appelé à trancher les têtes de ceux qui s’opposent à l’avancée du défunt vers le royaume des morts. L’épisode le plus connu du Livre des morts, de par son caractère fondamental, est celui de la pesée de l’âme.
Le papyrus de Hounefer, exemplaire d’un Livre des morts daté de la XIXème dynastie et conservé au British Museum de Londres illustre le jugement de l’âme. On y voit le défunt, à gauche, conduit par Anubis, le dieu à tête de chacal, patron des embaumeurs. Anubis guide le défunt au cours de son passage entre la vie et la mort. Au centre du papyrus, se trouve une balance : sur l’un des plateaux est posé le cœur du défunt, sur l’autre une plume d’autruche, qui symbolise la déesse Mâât, déesse de la paix, de l’équité et de la justice. Si le cœur du défunt est plus léger que la plume, cela signifie qu’il s’est bien conduit au cours de sa vie et qu’il est autorisé à entrer dans le royaume des morts où l’attend Osiris, à droite du papyrus. Le défunt devient alors un osiris : il peut mener une nouvelle vie dans le royaume des morts. Au contraire, si le cœur du défunt est plus lourd que la plume, le défunt est alors dévoré par le monstre Ammit, à tête de crocodile, en bas de la balance. Horus préside le jugement de l’âme et Thot note le résultat. C’est le cœur qui est pesé afin de juger l’âme parce que le cœur est considéré comme incapable de mentir : toutes les fautes commises par le défunt au cours de sa vie sont donc mémorisées dans son cœur.

Les Egyptiens considéraient que la mort était un passage vers l’au-delà. Cette conception découle du mythe d’Osiris, présent dans leur religion. L’embaumement, le Livre des Morts et la croyance dans le jugement de l’âme traduisent ces croyances dans la vie quotidienne. Les pratiques funéraires égyptiennes ont longtemps persisté puisqu’on en dénombre à l’époque romaine, y compris sous l’Empire romain. En effet, la religion romaine absorbait les dieux des diverses religions de l’Empire : si l’exemple de la religion grecque est connu, les Egyptiens ont eux aussi influencé la mythologie romaine. La déesse Isis, déesse magicienne et guérisseuse est ainsi entrée dans le panthéon romain.

Bibliographie :
 APULEE, L’âne d’or ou Les Métamorphoses, Paris, Gallimard, 1975 (1ère édition).
 ASSMANN Jan, Mort et au-delà dans l’Égypte ancienne, Monaco, Éditions du Rocher, ? 2001.
 DESROCHES NOBLECOURT Christiane, Symboles de l’Egypte, Paris, Le livre de Poche, 2008.
 FRANCO Isabelle, Nouveau dictionnaire de mythologie égyptienne, Paris, Pygmalion, 1999.
 GUILHOU Nadine, PEYRE Janice, La Mythologie égyptienne, Paris, Marabout, 2006.

Publié le 22/05/2014


Emilie Polak est étudiante en master d’Histoire et anthropologie des sociétés modernes à la Sorbonne et à l’École Normale Supérieure de la rue d’Ulm où elle suit également des cours de géographie.


 


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