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Entretien avec David Amsellem – Les problématiques gazières égyptiennes et israéliennes

Par Anne-Lucie Chaigne-Oudin, David Amsellem
Publié le 10/11/2016 • modifié le 02/03/2018 • Durée de lecture : 4 minutes

David Amsellem

En Egypte, quand le champ gazier offshore a-t-il été découvert et dans quelles circonstances ? Par qui sera-t-il exploité ?

L’annonce de la découverte du gisement Zohr a été faite à la fin de l’été 2015, le 30 août, par la compagnie italienne ENI, dans un contexte énergétique délicat pour l’Egypte. En effet, le pays peine depuis quelques années à satisfaire sa demande locale malgré des réserves très importantes (2 200 milliards de m3 en janvier 2015) en raison d’une forte consommation (le gaz compte pour 53% de la consommation d’énergie primaire) et une politique d’exportation vers les pays voisins trop ambitieuse.
Le gisement a été découvert dans une concession (Shorouk) que détient intégralement ENI, via une filiale locale (IEOC), mais l’exploitation sera dirigée la compagnie Pétrobel, un consortium entre l’IEOC et la Compagnie générale du Pétrole égyptien (EGPC).

Quelles sont ses caractéristiques et ses réserves ?

Avec ses 850 milliards de m3 de gaz, Zohr est ce que l’on nomme un « mégagisement ». Il se situe en mer, à environ 170 km des côtes égyptiennes et ses réserves sont enfouies à près de 1 500 mètres de profondeur. L’étendu des champs gaziers est telle que sa superficie est de 100 km2.

Où en est son exploitation ?

Tout au long de l’année 2016, des opérations de forages ont été menées à différents endroits du champs et selon les prévisions de la compagnie ENI, une production est envisageable dès la fin de l’année 2017.

Quelles en seront les conséquences sur la politique énergétique de l’Egypte ?

Cette découverte est une aubaine pour l’Egypte puisque Le Caire pourra produire plus de gaz afin de satisfaire sa demande locale, et exporter davantage ce qui permettra de générer des profits supplémentaires.
En outre, l’Egypte s’était résignée en 2015 à importer du gaz naturel auprès de la Russie, de l’Algérie et d’Israël pour faire face à ses pénuries de production ; elle pourrait ne plus renouveler ces contrats une fois le gisement Zohr en exploitation, ce qui allégerait ses finances publiques.

Quelles en seront les conséquences sur le positionnement géopolitique de l’Egypte sur le plan régional, voire international ?

Assurément, le positionnement énergétique du Caire en Méditerranée orientale a changé. Le gisement Zohr lui permet de concurrencer l’autre grand acteur émergeant de la région, Israël, dans le domaine de l’exportation. Et l’Egypte dispose d’atouts sur son rival : des infrastructures déjà opérationnelles (l’Arab Gas pipeline, deux usines de liquéfaction) et des réserves plus abondantes, ce qui pourrait lui permettre de vendre à des prix plus attractifs. Sans oublier l’opposition d’une partie des opinions publiques régionales à commercer avec l’Etat d’Israël, que ne connaît pas – ou moins – l’Egypte.
Quant à l’international, Le Caire exporte déjà l’essentiel de son gaz en dehors de la région - en 2013, 75% de ses exportations se faisaient sous forme liquide, très majoritairement vers l’Asie (79%). Avec Zohr, les volumes exportés augmenteront très certainement.

En Israël, quels sont les gisements offshores découverts dans les eaux territoriales ? Quelles sont leurs réserves ?

On peut faire démarrer la période des découvertes de gaz offshore à partir de janvier 2009 avec le gisement Tamar (260 milliards de m3). Depuis, les annonces se multiplient : Dalit, Léviathan (650 milliards), Dolphine (2,3 milliards de m3), Sara et Mira (180 milliards), Tanin (31 milliards), Karish (51 milliards), Royee (91 milliards) ou encore Shimshon (15 milliards). À la fin de l’année 2015, les réserves totales israéliennes, prouvées ou potentielles, avoisinent les 1 500 milliards de mètres cubes de gaz naturel.

Lesquels sont exploités ? Quelles sont leurs productions ?

Actuellement, seul le gisement Tamar est en exploitation (depuis 2013) avec une production d’environ 25 millions de mètres cubes de gaz par jour – soit 10 milliards par an. Les autres sont encore en cours d’exploitation. Le prochain gisement en production sera certainement Léviathan (prévu pour 2017 ou 2018).

Cette production assurera-t-elle l’indépendance énergétique d’Israël ?

L’indépendance énergétique d’Israël ne sera jamais assurée par la seule exploitation de gaz naturel car la consommation d’énergie primaire d’un pays ne peut reposer que sur cet hydrocarbure. En 2015, la première source d’énergie consommée par le pays est le pétrole (43%), suivit par le gaz (30%) et le charbon (26%). Même si la part du gaz a plus que quadruplé au détriment du charbon depuis 2005, le pétrole reste une énergie indispensable et irremplaçable au fonctionnement de l’économie israélienne.

Est-il envisagé qu’Israël exporte et vers quels pays ?

Oui bien sûr. Des contrats ont déjà été signés avec l’Egypte en 2015, puis plus récemment avec la Jordanie. Des projets ont même été envisagés et d’autres sont encore d’actualité avec les Palestiniens, lesquels disposent d’une centrale électrique à Gaza qui pourrait fonctionner au gaz.
Mais au-delà des pays limitrophes, Israël a aussi élaboré des projets pour exporter plus loin : via l’Europe à travers un partenariat avec Chypre et la Grèce (Projet EastMed) ou la Turquie (projet de gazoduc Haïfa-Ceihan en réflexion), ainsi que vers l’Asie via des infrastructures de liquéfactions (en cours d’étude).

Quelles sont/seront les conséquences de l’exploitation de ces gisements sur le positionnement géopolitique d’Israël sur le plan régional, voire international ?

Pour Israël, la découverte de gaz naturel au large de ses côtes lui permet d’élargir ou de renforcer les relations qu’il entretient avec ses partenaires régionaux. Quels que soient les pays, un volet énergétique est désormais systématiquement évoqué et constitue parfois l’élément structurant – mais non unique – du partenariat (c’est le cas avec Chypre et la Grèce).
Néanmoins, parce qu’ils font aussi l’objet de disputes territoriales avec le Liban, ces gisements imposent à l’Etat hébreu un renforcement de son positionnement stratégique en Méditerranée, en dotant notamment la marine de moyens supplémentaires pour en assurer la protection.
Les quantités de gaz découvertes sont trop faibles pour changer radicalement le positionnement d’Israël à l’international, toutefois, des compagnies privées (le russe Gazprom, le français Total, l’australien Woodside par exemple) s’intéressent désormais, à des niveaux variés, au secteur énergétique israélien.

Publié le 10/11/2016


Anne-Lucie Chaigne-Oudin est la fondatrice et la directrice de la revue en ligne Les clés du Moyen-Orient, mise en ligne en juin 2010.
Y collaborent des experts du Moyen-Orient, selon la ligne éditoriale du site : analyser les événements du Moyen-Orient en les replaçant dans leur contexte historique.
Anne-Lucie Chaigne-Oudin, Docteur en histoire de l’université Paris-IV Sorbonne, a soutenu sa thèse sous la direction du professeur Dominique Chevallier.
Elle a publié en 2006 "La France et les rivalités occidentales au Levant, Syrie Liban, 1918-1939" et en 2009 "La France dans les jeux d’influences en Syrie et au Liban, 1940-1946" aux éditions L’Harmattan. Elle est également l’auteur de nombreux articles d’histoire et d’actualité, publiés sur le Site.


Docteur en géopolitique, spécialiste des enjeux énergétiques, David Amsellem est l’auteur de "La guerre de l’énergie - la face cachée du conflit israélo-palestinien" (éd. Vendémiaire, 2011). Il est également consultant pour le cabinet de conseil, Cassini.


 


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