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Entretien avec Pierre Vermeren : « Si le Maroc a refusé l’assistance humanitaire de la France, c’est bien pour des raisons diplomatiques »

Par Ines Gil, Pierre Vermeren
Publié le 27/09/2023 • modifié le 27/09/2023 • Durée de lecture : 4 minutes

Il s’agit du séisme le plus meurtrier dans le pays depuis celui survenu en 1960 à Agadir. La catastrophe a fait au moins 2 901 morts, 5 530 blessés et des villages entiers ont été dévastés. Pour reconstruire les régions sinistrées, le roi Mohammed VI a approuvé un plan estimé à 120 milliards de dirhams, soit environ 11 milliards d’euros. Quelles sont selon vous les conséquences économiques pour le Maroc ?

Un certain nombre d’infrastructures, de routes, et des villages entiers doivent aujourd’hui être reconstruits. La plaine de Marrakech est déjà très bien reliée au reste du pays, tout comme la région d’Agadir. Dans certaines régions montagneuses, qui s’élèvent à plus de 4 000 mètres, la reconstruction va s’avérer plus difficile, mais pas impossible au vu des sommes annoncées. Le plan estimé à 11 milliards d’euros constitue une somme importante pour l’économie marocaine, car cela représente environ 10% du PIB.

Cela peut sembler paradoxal, mais ce type de catastrophe a généralement pour conséquence d’accélérer la croissance des pays touchés et de développer certaines régions périphériques. Dans le cas marocain, c’est particulièrement vrai pour le Haut Atlas, au sud de Marrakech, qui bénéficie généralement peu de la croissance économique marocaine. La reconstruction peut être une occasion, pour cette région relativement en marge, de connaître un certain développement.

Crédit photo : Maroc, Talat N’Yaaqoub, 2023-09-13. Un camp de tentes a été mis en place pour accueillir les victimes du tremblement de terre qui a eu lieu 4 jours avant. Photographie de Guillaume Pinon / Hans Lucas.
Guillaume Pinon / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Les bâtisses étaient-elles adaptées au risque sismique ?

Non, les seuls bâtiments adaptés étaient ceux qui avaient été reconstruits à Agadir après le tremblement de terre de 1960, et, dans les autres grandes villes, certains hôtels et des bâtiments administratifs. Dans les régions plus reculées, des villages entiers non adaptés aux normes ont été détruits. Les autorités marocaines vont-elles construire les zones détruites avec des normes anti-sismiques ? Considérant le montant élevé de 11 milliards d’euros, les moyens pourraient être mis en œuvre pour un projet de reconstruction ambitieux.

Le 11 septembre dernier, seuls l’Espagne, le Royaume-Uni, le Qatar et les Émirats arabes unis avaient été autorisés à envoyer des équipes de recherche et de sauvetage sur place. Mais les propositions d’aide humanitaire de la France et de l’Algérie ont été refusées par le Maroc. La question du Sahara occidental a-t-elle influencé la diplomatie marocaine ?

L’Algérie et le Maroc sont plongés de longue date dans un vif conflit. Les deux pays sont entrés en guerre en octobre-novembre 1963, avec la guerre des Sables, puis du milieu des années 1970 au milieu des années 1980 avec la guerre du Sahara, à laquelle le Polisario a participé. Un accord de cessez-le-feu a été passé entre les belligérants, il est toujours en vigueur aujourd’hui, mais les frontières sont fermées depuis 1994 et les relations diplomatiques sont inexistantes depuis deux ans. Ce conflit est donc ancien. Il concerne avant tout le leadership au Maghreb, mais aussi la question du Sahara ex-espagnol. La question du Sahara est sans issue à ce stade, car chacun des deux pays reste campé sur ses positions.

De son côté, la France a toujours été très proche des positions marocaines, mais sans enfreindre la légalité internationale sur le Sahara occidental. Les relations entre les deux pays ont toujours été relativement bonnes. Néanmoins, depuis que le Maroc a fait reconnaître le Sahara comme marocain par Israël, par les Américains, puis par l’Espagne, il ne se satisfait plus de la position légaliste française. Le roi Mohammed VI a d’ailleurs affirmé que les relations du Maroc avec l’étranger seraient tributaires de ce dossier.

En parallèle, à Rabat, le rapprochement français avec l’Algérie, avec laquelle Paris souhaite se réconcilier, a été très mal perçu ces récentes années.

Le refroidissement entre la France et le Maroc est donc une réalité depuis plusieurs années, mais le tremblement de terre l’a considérablement mis à jour. Si le Maroc a refusé l’assistance humanitaire de la France, c’est bien pour des raisons diplomatiques, d’ailleurs reconnues par le Maroc lui-même.

La guerre en Ukraine et les tentatives françaises de médiation avec l’Algérie sur la question des exportations de gaz algérien ont-elles accéléré ce rapprochement entre Paris et Alger, accentuant le mécontentement de Rabat ?

Le rapprochement avec l’Algérie remonte à la présidence de François Hollande, et cela a été réactivé par Emmanuel Macron en 2017, c’est donc un projet très antérieur à la guerre en Ukraine. Selon moi, au contraire, la guerre en Ukraine a refroidi les relations entre Paris et Alger. Non seulement parce que l’Algérie, proche de Moscou, n’a pas condamné l’invasion de l’Ukraine, mais en plus, le chef de l’armée algérienne et le président Tebboune se sont rendus à Moscou, faisant l’éloge de Vladimir Poutine, et l’Algérie a acheté à nouveau des armes russes en grande quantité. Ces actes sont considérés par la France comme hostiles, et ont pour conséquence de mettre à mal les tentatives de réconciliation avec Paris. En parallèle, les autorités algériennes, comme les Russes, dont on connaît le rôle dans certains pays africains, ont encouragé le départ des troupes françaises du Sahel. Les Algériens ont interdit aux avions français de survoler leur territoire.

Ainsi, la France connaît une double crise avec ces deux pays du Maghreb. La relation s’est légèrement détériorée avec Alger, et elle s’est considérablement refroidie avec Rabat.

Publié le 27/09/2023


Ines Gil est Journaliste freelance basée à Beyrouth, Liban.
Elle a auparavant travaillé comme Journaliste pendant deux ans en Israël et dans les territoires palestiniens.
Diplômée d’un Master 2 Journalisme et enjeux internationaux, à Sciences Po Aix et à l’EJCAM, elle a effectué 6 mois de stage à LCI.
Auparavant, elle a travaillé en Irak comme Journaliste et a réalisé un Master en Relations Internationales à l’Université Saint-Joseph (Beyrouth, Liban). 
Elle a également réalisé un stage auprès d’Amnesty International, à Tel Aviv, durant 6 mois et a été Déléguée adjointe Moyen-Orient et Afrique du Nord à l’Institut Open Diplomacy de 2015 à 2016.


Pierre Vermeren est historien spécialiste du Maghreb. Il est Professeur d’Histoire contemporaine à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne. Il est l’auteur de "Le Maroc en 100 questions, un royaume de paradoxes" (Tallandier, mai 2020).


 


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