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Compte rendu de la séance « Quelles sont les stratégies des pays du Golfe (Iran et CCG) à l’égard du Moyen-Orient et comment sont-elles mises en œuvre ? », tenue lors du colloque organisé par le GREMMO et l’IEP de Grenoble le 3 novembre 2014 à Lyon

Par Olivier de Trogoff
Publié le 12/11/2014 • modifié le 20/04/2020 • Durée de lecture : 11 minutes

Jamal Abdullah, Chercheur, Al Jeziraa Center, Doha, « La Politique Etrangère de l’Etat du Qatar sous Sheikh Tamim : Influence ou Médiation ? »

Il s’agit de savoir s’il y a eu un changement dans la politique étrangère qatarie après l’arrivée au pouvoir de Tamim ben Hamad, le 25 juin 2014. Le sujet peut être abordé à travers 4 axes : les principes de la politique étrangère du Qatar, les influences du Qatar dans sa politique étrangère, l’avènement d’un smart power et enfin les modalités d’ajustement de la politique étrangère qatarie.

En introduction, l’orateur rappelle que le Qatar est indépendant depuis 1971. Jusqu’en 1995, il était essentiellement guidé par l’Arabie saoudite. En 1995, l’émir Hamad ben Khalifa al-Thani accède au pouvoir et depuis cette date, les dirigeants sont sortis de l’influence saoudienne pour construire une politique étrangère indépendante et ouverte, et ce en s’appuyant sur trois stratégies. La première d’entre elles est la stratégie du bon voisinage : le Qatar lie de meilleures relations avec ses voisins et règle les conflits frontaliers avec le Bahreïn et l’Arabie saoudite. Deuxièmement, le Qatar a choisi de s’allier avec les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France sur les questions de sécurité. Enfin, les Qataries cherchent à améliorer l’image de leur pays dans le monde, en s’appuyant sur la culture, la religion, le sport, etc…

Pendant 15 ans, la politique étrangère qatarie a privilégié la médiation et l’ouverture. Si l’on compare cette politique avec celle des autres pays du golfe, cette ouverture est beaucoup moins forte. La politique d’ouverture étrangère est affirmée dans l’article 7 de la Constitution qatarie, qui affirme le renforcement de la paix dans le monde. En 2011, avec le printemps arabe, la politique étrangère va soudainement évoluer. Auparavant, le Qatar avait multiplié les démarches de dissuasion au Liban, au Yémen ou en Somalie. Avec les événements du printemps arabe, le Qatar se rapproche des populations et passe d’une politique de neutralité à une politique d’influence, dans la région. Auparavant, la scène régionale était très occupée par certains acteurs comme l’Arabie saoudite, l’Egypte, la Syrie ou l’Irak. A partir de 2011, ces pays se recentrent sur leurs affaires intérieures en raison du printemps arabe. Le Qatar va donc occuper un espace libre pour affirmer sa politique étrangère. Il va alors diriger pendant deux ans la Ligue des Etats arabes. De 2011 à 2013, le Qatar est donc passé d’une politique de soft power à une politique de hard power. Par exemple, en Syrie, le Qatar a soutenu plusieurs groupes de rebelles contre le régime.

En 2013, l’émir Al Thani quitte le pouvoir en faveur de son fils, ce qui est exceptionnel pour une monarchie du Golfe. Cheikh Tamim arrivant au pouvoir, la troisième phase de l’évolution de la politique étrangère se met en place, ce que Jamal Abdullah appelle le smart power. Le smart power s’appuie sur les médias, la culture, l’éducation, le sport. Le Qatar cherche alors à défendre sa sécurité nationale et régionale. Le nouvel émir a aussi dû se recentrer sur la politique intérieure. Aujourd’hui, le Qatar est très attaqué dans les médias occidentaux, concernant l’organisation de la coupe du monde de football en 2022, et les droits des ouvriers immigrés. Plusieurs lois de protection des ouvriers ont donc été votées depuis un an.

Le Qatar a récemment soutenu les mouvements de l’islam politique, en Tunisie et en Syrie notamment. Selon l’orateur, le Qatar agit surtout ici en fonction de ses intérêts. Il n’exclut donc pas que le Qatar puisse à l’avenir soutenir des partis laïques. Le discours a récemment évolué, les dirigeants qataris prônent maintenant un renforcement du dialogue et de la diplomatie pour le règlement des crises qui secouent aujourd’hui le monde arabe.

David Rigoulet-Roze, Chercheur à l’Institut Français d’Analyse Stratégique, « La Succession saoudienne »

David Rigoulet-Roze explique pour sa part que la succession saoudienne est un problème beaucoup plus complexe qu’au Qatar. Il s’agit d’étudier le mode fonctionnement transitionnel de la succession saoudienne. Quatre points sont étudiés par l’orateur : tout d’abord les récentes évolutions de 2014, ensuite les difficultés de transition du pouvoir, la création de clans et de sous clans et enfin la situation actuelle.

L’Arabie saoudite est un Etat dynastique au sens strict. Depuis la mort du roi Saoud, le roi fondateur en 1933, les descendants se succèdent selon un principe de transmission horizontale entre les fils aînés du fondateur. C’est une succession de frère à frère, en respectant par un ordre de primogéniture , selon les multiples femmes officielles du roi fondateur. Chaque aîné succède à son ascendant. Le système est donc aujourd’hui dysfonctionnel car il fait accéder au trône des vieillards (le roi Abdallah a aujourd’hui 89 ans), et parce que ce système a conduit à la constitution de clans. Cette organisation clanique a des répercussions sur le fonctionnement du régime, il arrive donc que des décisions contradictoires soient prises dans la politique intérieure et extérieure de l’Arabie saoudite.

David Rigoulet-Roze rappelle qu’il y a eu 2 changements majeurs en 2014. Tout d’abord le roi Abdallah a nommé en mars 2014 un de ses demi-frères ou frères consanguins (de même père mais de mère différente), le prince Moqren au poste de vice prince héritier. Cette décision a dû être validée par le Conseil d’allégeance, créé en 2006. Une forte minorité s’était opposée à cette décision. D’autre part, le prince Bandar bin Sultan a été mis à l’écart du poste de dirigeant des services secrets qui gérait l’affaire syrienne et irakienne.

Les impétrants potentiels sont près de 200 princes à prétendre au trône, ce qui pose un double défi transitionnel, à la fois d’ordre généalogique et politique. Il s’agit donc d’introduire une logique verticale à cette succession horizontale.
Les sept fils de la femme préférée du roi Saoud, ce qui a donné le « clan des sept », composé de feu le roi Fahd, de feu le prince Sultan, de feu le prince Nayef, le prince Salman. La nomination du prince Moqren par le roi Abdallah est donc une manière de bloquer la succession pour limiter l’influence des clans, notamment du clan des sept.
Ces clans se divisent en sous clans, comme dans le clan des sept, avec par exemple le sous-clan Ben Sultan avec le prince Bandar qui ne peut vraisemblablement pas toutefois prétendre au trône, car il est fils d’une esclave ou encore le sous-clan Ben Nayef, avec Mohammed Ben Nayef, actuel ministre de l’Intérieur. Leur influence est de fait majeure. Le prince Bandar Ben Sultan a néanmoins sans doute payé l’échec de sa politique étrangère en Syrie, il a été mis de côté sous la pression des Américains. Les alliances familiales sont nombreuses et complexes. Elles varient en fonction des mariages et des divergences politiques ce qui crée de profondes rivalités et de nombreuses luttes d’influences. Aujourd’hui, il existe des hésitations entre affirmation de la politique extérieure ou redéploiement à l’intérieur du pays, pour faire face à la menace terroriste.

Le roi Abdallah cherche à créer un équilibre au sein du royaume. Il profite de sa situation privilégiée pour placer ses enfants à des postes à responsabilités, car il n’a pas de frères germains (c’est-à-dire à la fois de même père et de même mère) et donc pas de clan constitué. Ainsi son fils contrôle la garde nationale. La question se pose alors de savoir si à l’issue de la succession du roi Abdallah, il y aurait la possibilité de passer à une logique verticale au détriment des oncles, qui favoriserait la pérennité et la stabilité du régime mais créerait de profondes rivalités entre les clans et les sous clans de la famille. Le système saoudien risque de mal accepter une succession verticale qui remettrait en cause la logique initiale définie par le roi fondateur. L’enjeu est donc de trouver un équilibre dans la mesure où si un lignage patrilinéaire s’impose, ce sera au détriment de tous les autres frères de la première génération et de leurs descendants. Les enjeux politiques et économiques sont donc ici extrêmement importants.

Cette question est donc primordiale au regard de l’avenir du régime, qui est un poids lourd dans l’équilibre de la région. Ainsi, concernant la question irakienne, l’affiliation tribale shammar de l’actuel roi Abdallah, dont l’aire territoriale s’étend dans la zone actuellement contrôlée par l’Etat islamique en Irak. Les luttes de pouvoir peuvent donc avoir une influence directe sur l’évolution de la géopolitique régionale.

Lucas Oesch, Post-doctorant, Université Lyon 2, GREMMO, « Le Golfe et les migrants du Proche-Orient »

Lucas Oesch indique que son étude porte sur les champs migratoires provenant de la Syrie vers les pays du Golfe et le Liban, avant et après l’explosion de la crise syrienne.

Le Moyen-Orient est un espace de migration très important. Dans cet espace, le Golfe est devenu un véritable pôle d’attraction des migrations régionales, principalement liées au travail. Les travailleurs en provenance de la région ont été privilégiés, avant d’être progressivement remplacés par la main-d’œuvre asiatique, à partir des années 1990. L’immigration a aussi été influencée par les événements politiques, comme la première guerre du Golfe. Souvent considérées comme temporaires et circulaires, les migrations tendent à se transformer en séjours temporairement permanents. L’évolution du champ migratoire dépend aussi de l’évolution des différentes politiques migratoires des pays du Golfe. Les migrations concernent le plus souvent des hommes seuls, jeunes et célibataires. Leur famille peut ensuite les rejoindre dans un deuxième temps.

Après l’immigration du travail, l’immigration forcée est la deuxième grande catégorie de migration au Moyen-Orient, ces deux catégories étant bien entendu étroitement liées. Ainsi, le Golfe a accueilli de nombreux réfugiés palestiniens dans les années 1950, et plus récemment des réfugiés syriens. Les migrants représentent aujourd’hui une grande partie des populations vivant dans le Golfe, entre 1/3 et 4/5 des populations, mais l’accès à la nationalité et à des postes à responsabilité est souvent réservé aux nationaux de ces pays. L’augmentation des prix du pétrole et des revenus pétroliers dans les années 1970 a permis aux pays du Golfe d’investir massivement dans le développement des différents secteurs de l’économie, ainsi que dans la modernisation des infrastructures. Ces investissements nécessitant une main-d’œuvre nombreuse, les pays du Golfe font donc appel aux travailleurs étrangers qui sont attirés par des salaires plus élevés que dans leurs pays d’origine. Pour pouvoir travailler, les migrants doivent bénéficier du soutien d’un sponsor local, ce qui peut engendrer des phénomènes d’exploitation lorsque le travailleur est sponsorisé par son employeur. Il faut noter que la demande de main-d’œuvre est aujourd’hui moins importante que dans les années 1980, avec le développement des activités de service dans la région. Les pays du Golfe ont tous choisi de limiter l’immigration et de nationaliser une partie des travailleurs. Mais l’orateur souligne l’apparition de sociétés dualistes, composées des travailleurs étrangers d’une part et des nationaux d’autre part. Ces deux composantes sont séparées en fait et en droit, et vivent relativement à l’écart l’une de l’autre.

Dans les années 1970, les travailleurs syriens se sont massivement dirigés vers l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis ou encore les Qatar. Ces travailleurs ont ensuite été remplacés par des travailleurs d’origine asiatique. Par conséquent, les Syriens qui s’installent par la suite dans le Golfe sont plus qualifiés, mais ils restent cependant en bas de l’échelle des salaires dans le Golfe, après les Asiatiques qui sont les moins bien payés. L’Etat syrien a alors commencé à contrôler ce flux migratoire, en empêchant les travailleurs de partir à l’étranger. On peut schématiquement diviser les travailleurs syriens du Golfe en deux groupes. Le premier est composé de travailleurs qualifiés qui vivent dans le Golfe avec leurs familles, envoient de l’argent à leur famille et reviennent parfois en Syrie, pour les vacances. La deuxième catégorie est composée de travailleurs célibataires qui restent moins longtemps et qui travaillent pour investir dans un terrain, un logement ou un commerce en Syrie. Il s’agit ici de migrations circulaires. La plupart du temps, les migrants économisent pour pouvoir rentrer en Syrie et y investir ensuite.
Le phénomène migratoire syrien est encore plus important vers le Liban, en raison de la proximité des deux pays et de la libre circulation des travailleurs, l’entrée ne nécessite en effet pas de visa. Le Liban ne parvient donc pas à réguler les flux migratoires, contrairement aux pays du Golfe, qui ont efficacement mis en œuvre les systèmes de visa et de sponsoring.

En conclusion, Lucas Oesch évoque le nombre de réfugiés syriens : on entend souvent qu’il y aurait 3 millions de réfugiés syriens hors de Syrie. Mais ce chiffre ne comprend pas les réfugiés non enregistrés au HCR, ni cette dimension circulaire de l’immigration, il est donc inexact et très difficilement évaluable. Le Liban et les pays du Golfe ont adopté des politiques migratoires très différentes depuis le début de la crise syrienne. Dès 2011, les pays du Golfe ont limité l’immigration de réfugiés syriens, tandis que le Liban a laissé ses portes grandes ouvertes.

Haoues Taguia, Chercheur, Al Jeziraa Center Doha, « Arabie saoudite – Iran : enterrer la hache de guerre ? »

Selon Haoues Taguia, plusieurs menaces pèsent aujourd’hui sur l’Iran et l’Arabie saoudite. Il s’agit ici de voir comment ces deux pays perçoivent ces menaces et comment ils réagissent. L’orateur articule son intervention autour de deux axes : la montée de l’Etat islamique peut-elle pousser les deux pays à enterrer la hache de guerre et à mettre fin à une période de guerre froide ? Les conditions d’une entente sont-elles aujourd’hui favorables ?

Les menaces sont perçues de façon très différentes. Ainsi pour l’Arabie saoudite, l’Etat islamique a l’avantage de casser le fameux « arc chiite ». L’Iran est donc beaucoup plus menacé par le terrorisme que l’Arabie saoudite qui est parvenue à le repousser au Yémen ces dernières années. Cela met en question l’influence iranienne en Irak et isole un peu plus le Hezbollah libanais. Cela pousse la République islamique à faire des concessions. D’un autre côté la montée de l’Etat islamique délégitime les mouvements armés sunnites, en Syrie ou en Irak qui sont des satellites de l’EI. Les pays occidentaux, et en premier lieu les Etats-Unis cherchent donc à se rapprocher de Bachar al-Assad et de l’Iran, ce qui se révèle être finalement une grande opportunité pour le pouvoir iranien et affaiblirait l’influence saoudienne dans la région.

Le premier intérêt pour l’Arabie saoudite est que l’Iran reste isolé, cela lui permet de plus de mieux vendre son pétrole, car l’Iran est encore soumis aujourd’hui aux sanctions de la communauté internationale. Au Yémen également, les intérêts des deux grands acteurs sont en jeu. L’instabilité politique et sociale profite à l’Iran. Nombreux sont ceux qui disent que l’instabilité menace les deux pays, qui ont tous deux intérêt à stabiliser la région. Pourtant cette vision est relative. Car l’instabilité irakienne profite à l’Arabie saoudite et l’instabilité yéménite profite à l’Iran, par exemple.

Du point de vue saoudien, la montée du chiisme est une menace avec les contestations au Bahreïn, au Yémen ou encore l’intervention du Hezbollah. L’Arabie saoudite se sent donc encerclée par l’Irak, l’Iran et le Yémen. Du côté iranien, les menaces montent aussi. « L’axe chiite » est contesté en Irak, en Syrie et au Liban, où le Hezbollah est en difficulté. Les deux pays sont donc confrontés à des dynamiques conflictuelles et menaçantes, ce qui éloigne l’espoir d’une entente.

L’intérêt même d’une entente pour les deux acteurs est contestable. Pour les Iraniens, accepter une entente, ce serait remettre en cause la légitimité du Guide suprême qui est considéré comme le chef des musulmans. Le roi saoudien a lui aussi une légitimité religieuse, ce qui éloigne la perspective d’un accord avec les autorités chiites iraniennes.

Concernant les acteurs extérieurs, le rôle des Etats-Unis, de la Turquie et d’Israël est déterminant pour les relations entre les deux pays. Leur présence dans la région est donc porteuse de conflits. De plus, plusieurs Etats sont en train de perdre le contrôle de la force légitime, en Irak et en Syrie notamment. Il y a ici une relation instable entre Etat et territoire. Des Etats fragmentés ou fédéraux vont faire leur apparition, au détriment des Etats nations traditionnels. Les dynamiques conflictuelles autour de l’Iran et de l’Arabie saoudite sont donc de plus en plus nombreuses.

Publié le 12/11/2014


Olivier de Trogoff est étudiant à l’Institut d’Etudes Politiques de Lyon. Il a effectué plusieurs voyages dans le monde arabe.


 


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