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Depuis la mi-mai 2019, les incidents sécuritaires se multiplient dans le golfe Persique et la tension monte, non plus seulement verbalement mais militairement : le 20 juin, le Président américain Donald Trump a donné l’ordre à l’armée américaine d’exécuter une série de frappes contre des cibles iraniennes, avant de finalement se raviser. Au vu de la richesse et de l’intensification de l’actualité dans le très stratégique golfe Persique, cet article a pour but d’éclairer la situation actuelle, les raisons y ayant menées et les suites et conséquences potentielles à cette crise.
Une série de sabotages contre des tankers battant divers pavillons dans le golfe Persique est le point de départ de la crise, qui s’est ensuite étendue à des aspects plus létaux.
Dimanche 12 mai : plusieurs explosions sont entendues au terminal pétrolier émirati de Fujaïrah, au large duquel mouillent de nombreux navires. Quatre tankers, dont deux saoudiens, ont fait l’objet de sabotages ; ces derniers sont suffisamment efficaces pour neutraliser les pétroliers et donner à l’affaire un caractère spectaculaire, mais pas assez pour mettre en danger les équipages des navires. Par exemple, l’« André Victoria », battant pavillon norvégien, est touché à la poupe, où un compartiment étanche prévient tout événement grave. Les dommages causés par l’explosion montrent d’ailleurs la faiblesse de cette dernière ; certains experts estiment que le navire a été ciblé par une torpille non chargée. Ainsi, la violence de l’impact est suffisante pour provoquer des dommages impressionnants, mais l’absence de charge explosive empêche tout sérieux dégât de se produire.
Les Saoudiens et les Emiratis accusent l’Iran, qui réfute ces allégations partagées également par les Etats-Unis. Ces derniers s’entretiennent en urgence avec leurs alliés européens et de la péninsule Arabique, tout en déployant dans le même temps des renforts en hommes et matériel dans la région.
Jeudi 13 juin : deux tankers font à nouveau l’objet d’un sabotage. Des mines adhésives ont été posées, et certaines d’entre elles retirées au dernier moment, sur la coque d’un navire norvégien et d’un japonais. L’Iran est à nouveau accusée, d’autant que les Etats-Unis affirment avoir observé les équipes amphibies iraniennes mettre en place les mines et en retirer certaines ; les images en question sont diffusées par les Américains, mais Téhéran maintient qu’il s’agit d’une machination. Le Japon, fidèle allié des Etats-Unis, déplore quant à lui l’attaque par l’Iran de l’un de ses tankers, alors que le Premier ministre Shinzo ABE était, au même moment, en visite en Iran ; Téhéran répond en affirmant juger très suspect qu’un bâtiment japonais soit attaqué en pleine visite diplomatique et affirme que « le mot suspicieux ne suffit pas pour décrire ce qui transpire apparemment [de ces attaques] ».
Mercredi 19 juin : Un missile frappe le quartier résidentiel de la ville irakienne de Bassorah dans lequel sont basées de nombreuses compagnies pétrolières, au premier rang desquelles la colossale société américaine ExxonMobil. Seul un blessé est à déplorer. Aucun groupe terroriste ou Etat n’ayant revendiqué cette attaque, les regards se sont à nouveau posés sur l’Iran, bien que l’affaire ait causé moins de remous diplomatiques. Le mois précédent, les Etats-Unis avaient évacué plusieurs centaines de membres de leur personnel diplomatique à Bagdad en raison de « menaces non-spécifiées » en provenance de l’Iran, très présente en Irak à travers les puissantes milices chiites Hachd al-Chaabi.
Jeudi 20 juin : Un drone américain est abattu au-dessus du détroit d’Ormuz par Téhéran, qui affirme que le drone avait pénétré l’espace aérien iranien à des fins d’espionnage, ce que nient les Etats-Unis pour qui leur appareil évoluait dans l’espace aérien international. Le Président Trump affirme sur Twitter que « l’Iran a fait une très grosse erreur ! ».
Nuit du jeudi 20 au vendredi 21 juin : Le Président américain donne l’ordre aux forces armées américaines présentes dans la région d’effectuer des frappes sur une série de cibles iraniennes, notamment des sites de missiles sol-air et de radars. Alors que les bâtiments s’étaient mis en position dans le Golfe et que les appareils avaient décollé, Donald Trump se ravise finalement et annule l’opération.
Vendredi 21 juin : L’inquiétude règne au sein de la communauté internationale quant à la montée des tensions entre l’Iran et les Etats-Unis, bien que l’annulation de la campagne de frappes par Donald Trump rassure dans la mesure où elle montre qu’un affrontement a peu de chances de réellement voir le jour. Un nombre très important de compagnies aériennes a tout de même décidé de ne plus survoler le détroit d’Ormuz, tandis que certains pays, comme l’Inde, ont annoncé envoyer des renforts militaires dans le Golfe afin de sécuriser leurs ressortissants et leurs navires.
Ces tensions s’inscrivent dans le cadre de politiques décidées par un Président américain résolument hostile à l’Iran, influencé par ses faucons anti-Iran John Bolton et Mike Pompeo, respectivement conseiller à la sécurité nationale et secrétaire d’Etat. Ces derniers n’ont eu de cesse de faire monter la pression sur Téhéran, laissant craindre une intervention militaire.
En effet, pour rappel, les Etats-Unis se sont retirés unilatéralement le 8 mai 2018 de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien, affirmant que celui-ci avait été violé à plusieurs reprises par l’Iran. En novembre de la même année, les Etats-Unis imposent ainsi de sévères sanctions pétrolières contre le régime des Mollah et annulent, début mai, des dérogations accordées à certains pays autorisés jusqu’ici à importer du pétrole iranien.
Sur le plan purement sécuritaire, les Gardiens de la révolution, dont le poids dans le régime iranien est colossal, sont placés sur la liste des organisations terroristes le 8 avril 2019. Le 3 mai, les Etats-Unis envoient dans le Golfe un groupe aéronaval (GAN) composé de plusieurs bâtiments de guerre et notamment du porte-avions Lincoln, ainsi qu’une flotte de bombardiers B-52.
En réponse, le 8 mai 2019, un an jour pour jour après le retrait américain de l’accord de Vienne, Téhéran annonce suspendre pendant soixante jours l’application de deux clauses du Plan d’action global commun (PAGC) prévu par l’accord sur le nucléaire iranien, qu’elle s’employait jusqu’ici à honorer avec les pays européens : l’Iran annonce ainsi relancer sa production d’uranium enrichi et accroître ses stocks d’eau lourde, nécessaires pour son programme nucléaire militaire.
Les divers incidents sécuritaires ayant eu lieu ces dernières semaines dans le golfe Persique sont ainsi une conséquence de l’escalade susmentionnée : les Américains et les Iraniens testent mutuellement leurs limites.
Le golfe Persique concentre 60% des réserves exploitables de pétrole de la planète. Pour y accéder, les pétroliers doivent passer par le détroit d’Ormuz, un étroit couloir de circulation large de seulement 40 km, qui assure 30% des exportations mondiales d’or noir. De part et d’autre du détroit se jaugent deux pays rivaux, l’Iran chiite et l’Arabie saoudite sunnite, flanquée de son allié émirati.
Forte de son contrôle sur le détroit d’Ormuz, grâce notamment à une constellation de petites îles sur lesquelles elle a installé des équipements militaires à l’entrée du débouché, l’Iran a déjà menacé à plusieurs reprises, dans le passé, de fermer le détroit afin de prendre à la gorge les économies occidentales, dépendantes du transit pétrolier du golfe Persique.
Un affrontement irano-américain dans le golfe Persique viendrait ainsi déstabiliser profondément cette zone économique vitale pour l’économie mondiale, et créerait à n’en pas douter une crise majeure tant sur le plan économique que militaire.
Deux grands « blocs » s’affrontent de part et d’autre du golfe Persique.
Au nord, la République islamique d’Iran, consciente tant de l’intérêt stratégique du détroit que de la capacité de nuisance que ce dernier lui offre vis-à-vis des grandes économies mondiales, a résolument fortifié sa côte et les îles faisant partie de son domaine maritime. De nombreux sites de missiles sol-air ponctuent ainsi le golfe Persique, lui assurant une couverture anti-aérienne quasi-complète. De nombreuses forces maritimes sont positionnées à des accès stratégiques du détroit d’Ormuz, notamment à proximité de la ville de Bandar-e Abbas, qui abrite le QG de la Marine de guerre iranienne et qui fait directement face au détroit d’Ormuz. Plusieurs bases aériennes, réparties le long de la côte et à proximité de l’ancien ennemi irakien, viennent compléter le dispositif du régime des Mollah.
Au sud, où les terminaux pétroliers sont en nettement plus grand nombre, les Etats-Unis ont pré-positionné des forces substantielles au Koweït, au Qatar, ou encore aux Emirats arabes unis, qui ont servi intensivement de bases arrière pour les opérations américaines en Irak à partir de 2003, puis dans la lutte contre l’Etat islamique. La 5ème flotte américaine, basée à Manama, assure une force de projection militaire majeure dans l’intégralité de la région.
Les Saoudiens et Emiratis, fidèles alliés des Etats-Unis, comptent davantage sur les forces américaines que sur les leurs pour dissuader l’Iran de mener toute action belligérante à leur encontre.
L’Iran et les Etats-Unis jouent à leur classique jeu de dupe où, comme évoqué précédemment, chaque protagoniste teste les limites de son adversaire. Il y a d’ailleurs de fortes probabilités que la campagne de frappes initiée dans la nuit du 20 au 21 juin, et annulée au dernier moment, n’ait été qu’un « coup de bluff » du Président Donal Trump, réputé pour son utilisation massive, au sein de la sphère diplomatique, des techniques de négociation dont il était friand à l’époque où il menait une vie réussie d’entrepreneur.
Un affrontement est donc peu probable ; les deux principaux protagonistes ont bien trop à perdre dans un tel conflit, aussi temporaire pourrait-il être. Actuellement, il s’agit avant tout de postures et d’actions sans réelle portée militaire.
Ce bras de fer s’avère en revanche très inquiétant dans la mesure où il pourrait rapidement dériver de façon incontrôlé en un véritable affrontement armé, et cela d’autant plus que le Président Trump s’est illustré, depuis le début de son mandat, par ses décisions prises à chaud ou par ses « coups de poker » dont les gains se font encore attendre. C’est pourquoi la communauté internationale garde un œil particulièrement alerte sur la situation et s’inquiète chaque fois plus que des incidents sécuritaires se produisent.
Lire sur Les Clés du Moyen-Orient :
– Entretien avec Clément Therme – Comprendre la montée des tensions entre les Etats-Unis et l’Iran
– Les présidents Trump et Macron et l’Iran : un grand écart ? (2/2) : https://www.lesclesdumoyenorient.com/Les-presidents-Trump-et-Macron-et-l-Iran-un-grand-ecart-2-2.html
– Le Conseil de Coopération du Golfe depuis 2011 : un renforcement de la coopération ? https://www.lesclesdumoyenorient.com/Le-Conseil-de-Cooperation-du-Golfe-depuis-2011-un-renforcement-de-la.html
– Entretien avec Nabil Ennasri - Le Qatar à l’épreuve de la crise du Golfe, https://www.lesclesdumoyenorient.com/Entretien-avec-Nabil-Ennasri-Le-Qatar-a-l-epreuve-de-la-crise-du-Golfe.html
– Géographie des forces militaires au Moyen-Orient : https://www.lesclesdumoyenorient.com/Geographie-des-forces-militaires-au-Moyen-Orient.html
– Les enjeux du pétrole au Moyen-Orient par les cartes
https://www.lesclesdumoyenorient.com/Les-enjeux-du-petrole-au-Moyen-Orient-par-les-cartes.html
Sitographie :
– Des navires de guerre indiens envoyés dans le Golfe, Le Figaro, 22/06/2019
http://www.lefigaro.fr/flash-eco/des-navires-de-guerre-indiens-envoyes-dans-le-golfe-20190620
– Ce qui se cache derrière la montée des tensions entre les Etats-Unis et l’Iran, l’Opinion, 18/06/2019
https://www.lopinion.fr/edition/wsj/qui-se-cache-derriere-montee-tensions-entre-etats-unis-l-iran-190183
– L’attaque de pétroliers en mer d’Oman ravive les tensions dans le golfe Persique, Le Monde, 14/06/2019
https://www.lemonde.fr/international/article/2019/06/14/attaque-de-petroliers-en-mer-d-oman-washington-accuse-teheran_5476143_3210.html
– Mystérieux « ?sabotages ? » contre des pétroliers ? : la tension monte dans le Golfe persique, Ouest France, 13/05/2019
https://www.ouest-france.fr/monde/emirats-arabes-unis/mysterieux-sabotages-contre-des-petroliers-la-tension-monte-dans-le-golfe-persique-6347878
– Golfe persique : la tension monte, Franceinfo, 18/06/2019
https://www.francetvinfo.fr/monde/proche-orient/nucleaire-iranien/golfe-persique-la-tension-monte_3495511.html
– Iran : « Un doigt sur la gâchette », Donald Trump fait volte-face, Le Figaro, 21/06/2019
http://www.lefigaro.fr/international/iran-un-doigt-sur-la-gachette-donald-trump-fait-volte-face-20190621
– L’accord sur le nucléaire iranien est aux soins intensifs, Le Temps, 08/05/2019
https://www.letemps.ch/monde/laccord-nucleaire-iranien-aux-soins-intensifs
– Three Attacks in the World’s Oil Choke Point, The New York Times, 21/06/2019
https://www.nytimes.com/interactive/2019/06/21/world/middleeast/map-us-iran-drone-attack.html?action=click&module=Top%20Stories&pgtype=Homepage
– Trump warns Iran of ‘obliteration’ in event of war, 22/06/2019
https://www.bbc.com/news/world-us-canada-48728465
Emile Bouvier
Emile Bouvier est chercheur indépendant spécialisé sur le Moyen-Orient et plus spécifiquement sur la Turquie et le monde kurde. Diplômé en Histoire et en Géopolitique de l’Université Paris 1 - Panthéon-Sorbonne, il a connu de nombreuses expériences sécuritaires et diplomatiques au sein de divers ministères français, tant en France qu’au Moyen-Orient. Sa passion pour la région l’amène à y voyager régulièrement et à en apprendre certaines langues, notamment le turc.
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