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Mardi 28 janvier, des représentants de plusieurs Etats du Golfe étaient présents lors du dévoilement du plan de paix pour le Proche-Orient à Washington, alors même que le texte était annoncé comme très favorable à Israël. « L’accord du siècle », comme il est communément appelé, s’est avéré largement aligné sur les idées de Benyamin Netanyahou. Il demande surtout aux Palestiniens, par ailleurs absents à Washington le 28 janvier, de faire d’importantes concessions, dont l’abandon de Jérusalem. Malgré cela, plusieurs Etats ont salué l’accord dans une démarche inédite, preuve que les relations entre Israël et une partie du Golfe se sont profondément remodelées ces dernières années.
Pour comprendre ces dynamiques, Elisabeth Marteu, docteure en science politique de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, chercheuse associée a l’Institut International d’Etudes Stratégiques (IISS) et chargée de cours a Sciences Po Paris, répond aux questions des Clés du Moyen-Orient.
Effectivement, leur présence à Washington aux côtés de Donald Trump, et surtout du Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou, montre que s’afficher avec Israël n’est plus tabou.
Ce positionnement n’est pas vraiment nouveau. L’élection de Donald Trump, il y a bientôt quatre ans, a marqué un tournant à la fois pour le rapprochement entre Israël et certains Etats du Golfe, et pour la publicisation de ce rapprochement.
Durant la conférence de Varsovie sur la sécurité (2019) par exemple, Donald Trump avait réuni les pays du Golfe et Benyamin Netanyahou sur les thèmes de la menace iranienne et du plan de paix pour le Proche-Orient. Cet événement était donc un prémice des évolutions actuelles, un premier pas pour le rapprochement entre ces pays. Quelques mois plus tard, la conférence à Bahreïn (juin 2019) avait également mis en scène ce rapprochement.
Le tabou a donc été levé depuis un moment déjà. Mais l’événement de mardi dernier à Washington a scellé ce rapprochement.
On remarque actuellement une répartition des rôles selon les pays du Golfe.
Certains, comme Oman, Bahreïn et les Emirats, assument pleinement le rapprochement. Mais leur position ne sont pas totalement similaires :
● Oman affiche sa pure neutralité par rapport au conflit israélo-palestinien. Le pays affirme ne pas vouloir prendre parti.
● Bahreïn est celui qui va le plus loin. Le ministre des Affaires étrangères, Cheikh Khaled ben Ahmed al Khalifa, a affirmé plusieurs fois qu’une entente était possible avec Israël et qu’une menace plus grande existait dans la région, à savoir l’Iran. Notons cependant qu’il va quitter le ministère en avril.
● Les Emirat arabes unis assument aussi une convergence d’intérêts, mais sont plus mesurés dans leurs déclarations publiques que Bahreïn.
Les Saoudiens, de leur côté, soutiennent le plan Trump, mais tentent de ménager les Palestiniens, du moins publiquement. Ce qui explique leur absence aux côtés de Donald Trump et de Benyamin Netanyahou le 28 janvier. Ryad se revendique comme la puissance sunnite de la région et la protectrice des lieux saints de l’islam. Elle ne peut donc pas trop s’afficher avec Israël, de façon à ne pas s’aliéner les Palestiniens. La différence n’est pas profonde avec les autres pays du Golfe, c’est surtout une question de posture.
Concernant le reste du Golfe : le Qatar et le Koweït ont des positions assez divergentes.
Le Qatar défend la cause palestinienne, à travers le soutien au Hamas notamment. Mais les Qataris ont fait des déclarations gênées suite au dévoilement du plan Trump, car Doha ne veut pas se mettre à dos le président américain. Le Koweït de son côté, est plus ferme, en raison des relations historiques avec les Palestiniens. Il a accueilli de nombreux migrants palestiniens par le passé, ainsi que l’Organisation de Libération de la Palestine.
Dans l’ensemble, on observe une évolution évidente dans les relations entre Israël et les pays du Golfe. En soutenant le plan Trump, ils acceptent la souveraineté israélienne sur les lieux saints à Jérusalem. Ils donnent l’impression d’avoir totalement lâché sur la question de Jérusalem. Alors que la Ligue arabe a elle clairement condamné le plan Trump. Ils tentent donc encore a minima de ménager un consensus arabe sur la question, mais leur position conciliante est très périlleuse.
C’est un aveu de faiblesse de la part de ces pays. Ils ont montré qu’ils ne sont plus capable de défense la cause palestinienne, pourtant historiquement centrale dans le monde arabe. Ils montrent aussi leur très forte dépendance à l’égard de Washington.
Selon moi, les Emiratis et les Saoudiens sont aussi agacés par l’attitude des Palestiniens. Ils estiment qu’ils ont déployé assez d’efforts pour la cause palestinienne. Et ils ne sont pas en bons termes avec Mahmoud Abbas. Il est de notoriété publique que les Emirats accueillent et soutiennent Mohammed Dahlan, fervent opposant à Mahmoud Abbas. Certains verraient donc d’un bon oeil un changement de leadership à Ramallah.
Les priorités de ces dirigeants ont changé. Pour eux, la menace iranienne est devenue plus importante que la cause palestinienne. Et effectivement, il y a aussi une dimension économique. Ils souhaitent développer les échanges, ouvrir leurs marchés.
Selon moi, cette rupture est aussi dûe à un changement de génération à la tête des pays du Golfe. Les nouveaux leaders, plus jeunes, veulent améliorer leurs rapports avec Israël. Pour eux, la cause palestinienne ne représente plus grand chose. Ils ont grandi avec l’existence de l’Etat israélien, qu’ils ne remettent pas en cause. Le blocage psychologique avec Israël que l’on trouvait chez leurs prédécesseurs a été levé. L’Etat hébreu n’est plus considéré comme un pays ennemi. Ils voient même ce pays comme un potentiel allié, notamment pour contrer l’Iran. Jusqu’ici, la question palestinienne était problématique pour eux. Mais ils sont en train de changer de paradigme. Ce mardi 28 janvier, on a assisté à un virement brutal vers des positions pro-israéliennes.
Ils ont même enterré l’initiative arabe de 2002, qu’ils avaient pourtant rédigée. Cette initiative conditionnait la reconnaissance d’Israël à la formation d’un Etat palestinien. Mais maintenant, ils reconnaissent l’Etat israélien sans condition.
La plupart des dirigeants du Golfe n’y pensent pas car ils imaginent que leur population ne se mobilisera pas autour de la cause palestinienne. Et si une opposition venait à s’organiser structurellement et publiquement, elle serait pointée du doigt comme « droit de l’hommiste », et pourrait même être taxée de dangereuse pour la stabilité du pays, voire « terroriste ». Pour l’heure, les critiques s’expriment essentiellement sur Internet, en particulier sur les réseaux sociaux.
Lire également :
– Le « Deal du siècle » : un échec annoncé ?
– Entretien avec Elisabeth Marteu – Le point sur la situation dans les Territoires palestiniens
– Israël - Arabie saoudite : retour sur un rapprochement discret
Elisabeth Marteu
Elisabeth Marteu est docteure en science politique de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris. Sa thèse de doctorat portait sur les associations de femmes arabes palestiniennes en Israël. Ses recherches portent sur les mobilisations politiques et les mobilités transfrontalières dans les espaces israélo-palestiniens.
Ines Gil
Ines Gil est Journaliste freelance basée à Beyrouth, Liban.
Elle a auparavant travaillé comme Journaliste pendant deux ans en Israël et dans les territoires palestiniens.
Diplômée d’un Master 2 Journalisme et enjeux internationaux, à Sciences Po Aix et à l’EJCAM, elle a effectué 6 mois de stage à LCI.
Auparavant, elle a travaillé en Irak comme Journaliste et a réalisé un Master en Relations Internationales à l’Université Saint-Joseph (Beyrouth, Liban).
Elle a également réalisé un stage auprès d’Amnesty International, à Tel Aviv, durant 6 mois et a été Déléguée adjointe Moyen-Orient et Afrique du Nord à l’Institut Open Diplomacy de 2015 à 2016.
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