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Dernière épouse du roi Hussein, Noor de Jordanie (née en 1951) est reine consort de 1978 à 1999, puis reine douairière, suite à la mort d’Hussein. Des quatre femmes du roi (les trois autres étant les reines Dina, Muna et Alia), elle est celle qui est restée le plus longtemps à ses côtés en tant que reine. De par cette longue durée de vingt-et-un ans (soit onze de plus que la reine Muna), mais aussi par sa personnalité, Noor de Jordanie est considérée comme une icône de son pays. Retour sur un parcours « inattendu » (ainsi qu’elle le dit elle-même dès le titre de ses mémoires, publiées en 2003 [1]) qui a fait d’elle une figure importante de la Jordanie au tournant du XXIe siècle.
Noor de Jordanie est née Lisa Najeeb Halaby, le 23 août 1951, à Washington D.C. dans une famille arabo-américaine distinguée (son père, Najeeb Halaby, étant d’origine syrienne, et sa mère, Doris Carlquist, d’origine suédoise). En effet, après des études de droit à Stanford et à Yale, Najeeb Halaby sert comme pilote d’essai pour l’aviation américaine durant la Seconde Guerre mondiale ; il devient ensuite délégué aux questions internationales de sécurité sous le mandat d’Eisenhower, puis travaille pour les frères Rockefeller dans l’aéronautique, avant d’être à la tête de la Federal Aviation Administration sous le mandat de J. F. Kennedy. Une brillante carrière qui amène Lisa Najeeb Halaby à grandir entre Washington D.C., la côte ouest, New York et le Massachussetts, et dans un environnement privilégié, intellectuel et démocrate. Elle fréquente des écoles privées, puis entre à Princeton dans la toute première promotion mixte de l’université. En 1972, après une année sabbatique durant laquelle elle est femme de chambre, serveuse dans une pizzeria, coursière… elle retourne à Princeton, et prépare un diplôme d’architecture et d’urbanisme.
Elle s’engage très jeune pour des causes politiques : à dix ans, en 1961, elle rejoint le Comité de coordination du mouvement non violent des étudiants (SNCC, Student Nonviolent Coordinating Committee) contre la ségrégation, et participe à la grande manifestation pour les droits civiques de Washington et au rassemblement au Lincoln Memorial en 1963 ; à New York, elle participe à un programme de soutien scolaire destiné aux élèves non anglophones d’une école publique de Harlem ; à Princeton, enfin, comme les autres étudiants, elle proteste contre la guerre du Vietnam.
Dans ses mémoires, la reine Noor confesse que dès son plus jeune âge, elle était fière de ses origines arabes : « Je me sentais pour la première fois reliée à une famille plus grande, à un monde plus vaste. J’étais surtout curieuse de mes racines arabes, ce qui irritait ma mère. » Cet intérêt très jeune pour le monde arabe la conduit à accepter, en 1975, un poste à Téhéran dans un cabinet anglais d’architecture et d’urbanisme.
En 1972, son père Najeeb Halaby quitte la Pan American World Airways, compagnie qu’il dirigeait depuis 1965. Il est invité en Jordanie en 1973 par Ali Ghandour, président de la compagnie aérienne jordanienne, et rencontre alors le roi Hussein, dont il devient proche, et qui lui offre de devenir son conseiller pour le projet de développement de l’aviation civile.
Quelques années plus tard, en 1976, Lisa Najeeb Halaby accompagne son père pour la cérémonie célébrant la réception du premier Boeing 747 en Jordanie : elle y rencontre pour la première fois le roi Hussein, encore marié à la reine Alia. Travaillant elle-même désormais sur le projet du développement aéronautique jordanien, elle rencontre à plusieurs reprises le roi, désormais veuf, suite à la mort de la reine Alia dans un accident d’hélicoptère, en 1977. Leur amitié se transforme bientôt en romance, et c’est en 1978 que le roi Hussein demande sa main.
Le 15 juin 1978, au Palais de Zahran, Lisa Najeeb Halaby est la première femme américaine à devenir reine d’un pays arabe. C’est à cette occasion qu’elle change de nom, devenant Noor al-Hussein (« Lumière de Hussein »), et abandonne la nationalité américaine. La cérémonie de mariage se déroule dans la tradition islamique où la reine Noor est la seule femme présente.
Dans ses mémoires, la reine Noor avoue s’être interrogée sur le bien fondé que représenterait son mariage avec le roi Hussein pour le royaume des Hachémites : « J’avais l’esprit libre, ouvert. Serais-je capable de faire une bonne épouse de roi, saurais-je m’imposer la discipline indispensable dans une telle position [2] ? » En effet, les Jordaniens ont d’abord exprimé une certaine désapprobation quant au choix du roi de se marier avec une femme étrangère, non musulmane, et d’un milieu très libéral. Mais le fait qu’elle se soit convertie à l’Islam (de son plein gré, le roi de Jordanie étant libre d’épouser une personne appartenant à l’une des religions monothéistes) et montre un intérêt aussi affirmé pour la Jordanie et la religion musulmane lui gagnent la sympathie du peuple jordanien. D’autant plus qu’elle prend immédiatement à cœur ce nouveau rôle de reine consort, prenant notamment en charge la direction de la maison royale, et s’occupant des trois enfants orphelins de la reine Alia.
A son arrivée sur le trône, de nombreux défis se dressent devant elle, le roi Hussein étant constamment la cible d’attentats. Elle cherche à établir un équilibre entre le rôle traditionnel dévolu à une reine et les initiatives culturelles, sociales ou environnementales qui lui tiennent particulièrement à cœur. En fondant la Noor al-Hussein Foundation (NHF) en 1979, elle montre une implication particulière dans les causes humanitaires de son pays. Ainsi, elle s’engage dans le développement de l’éducation, la lutte contre la pauvreté au Moyen-Orient, et dans la promotion de la culture et de l’identité jordanienne, avec des initiatives comme le Festival de Jerash pour la Culture et les Arts [3] ou le Projet National pour le Développement de l’Artisanat [4]. Elle s’implique également pour la cause des femmes, cherchant à développer l’accès des jeunes filles à l’éducation, puis au travail, avec le Women and Development Project ; elle reconnait néanmoins les réticences de certaines femmes à vouloir travailler à l’extérieur pour des questions religieuses. Enfin, elle est présidente depuis 1995 du mouvement United World Colleges, en faveur de l’éducation dans le monde.
Son statut d’Américaine joue en sa défaveur quand il s’agit de participer à la vie politique du pays car sa position sur l’échiquier géopolitique, du fait de ses origines, pourrait sembler ambiguë. Pourtant en 1984, elle soutient le roi Hussein quand celui-ci critique les Américains et leur engagement en faveur d’Israël. Elle prononce ainsi aux Etats-Unis plusieurs discours visant à la paix au Moyen-Orient, notamment à Harvard [5], au World Affairs Council de Washington D.C. ou encore au John F. Kennedy Center for the Performing Arts de Washington D.C. [6].
A partir de 1992, le roi Hussein est atteint d’un cancer. La reine Noor fait preuve de beaucoup de dignité dans la lutte du couple contre la maladie, ce qui force l’admiration du peuple jordanien à son égard. Lors des derniers mois de la vie du roi Hussein, entre 1998 et 1999, elle reste constamment à son chevet. D’aucuns dans les médias y ont aussi vu une manière d’œuvrer en faveur de son fils Hamzah pour la succession au trône, ce qu’elle a démenti [7]. Le roi Hussein aura finalement préféré défaire son frère Hassan de ses fonctions de prince héritier et nommer roi son fils aîné Abdallah (issu de son deuxième mariage, avec la reine Muna al-Hussein) ; cependant il nomme également Hamzah comme prince héritier de la couronne pour succéder à Abdallah.
Le roi Hussein meurt en février 1999. Noor n’est pas reine mère (la mère du nouveau roi, Abdallah II étant la reine Muna al-Hussein), mais reine douairière. Elle continue d’honorer la mémoire de son défunt mari, notamment à travers deux ouvrages, Hussein of Jordan (KHF Publishing, 2000) et Leap of Faith – Memoirs of an Unexpected Life (Miramax Books, 2003), dans lesquels elle rend hommage tant au roi Hussein qu’à la Jordanie et son peuple. Son autobiographie est d’ailleurs un best-seller et sera traduit en dix-sept langues, ce qui tend à montrer la popularité de la reine Noor à travers la Jordanie et le monde.
De même, elle poursuit ses engagements en faveur de causes humanitaires ou politiques, à travers la Noor Al Hussein Foundation, la King Hussein Foundation et la King Hussein Foundation International qu’elle a fondées en 1999 pour perpétuer les causes chères à son époux. De même, depuis 2008, elle participe activement à l’organisation internationale Global Zero, qui lutte pour la suppression des armes nucléaires.
Bibliographie :
– Philip Robins, A History of Jordan, Cambridge UK, New-York, Cambridge University Press, 2004.
– Reine Noor, Souvenirs d’une vie inattendue, Paris, Buchet/Castel, 2004.
– Site de la Noor Al Hussein Foundation : http://www.nooralhusseinfoundation.org/index.php
– Site de la King Hussein Foundation : http://www.kinghusseinfoundation.org/index.php
Delphine Froment
Agrégée d’histoire et élève à l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm, Delphine Froment prépare actuellement un projet doctoral. Elle a largement étudié l’histoire du Moyen-Orient au cours de ses études universitaires, notamment l’histoire de l’Islam médiéval dans le cadre de l’agrégation.
Notes
[1] Reine Noor, Souvenirs d’une vie inattendue, Paris, Buchet/Castel, 2004, traduit de l’anglais par Anne-Marie Hussein (titre originl : Leap of Faith – Memoirs of an Unexpected Life, New-York, Miramax Books, 2003).
[2] Reine Noor, ibid., pp. 87-88.
[3] Jerash Festival for Culture and Arts.
[4] National Handicrafts Development Project.
[5] Reine Noor, « The Challenge of Peace : A Jordanian Perspective », discours prononcé à Harvard, le 8/10/96, en ligne : http://gos.sbc.edu/n/noor1.html
[6] Reine Noor, discours prononcé au Kennedy Center For The Performing Arts, le 4/03/96, en ligne : http://gos.sbc.edu/n/noor3.html
[7] Reine Noor : « Contrairement à ce que la presse racontait – j’avais, disait-on, fait pression sur mon mari pour qu’il désigne Hamzah comme son successeur – j’avais toujours insisté pour que la possibilité soit laissée à notre fils d’aller à l’université et de développer ses goûts intellectuels et ses talents. », ibid., p. 417 ; voir aussi : Philip Robins, A History of Jordan, Cambridge UK, New-York, Cambridge University Press, 2004.
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