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Le numéro hors-série n°6 de la revue Conflits (automne 2017) s’intéresse aux lignes mouvantes qui traversent le Moyen-Orient actuellement. Alors que les guerres sévissent toujours en Irak et en Syrie, que les groupes islamiques occupent l’espace créé par les révolutionnaires et que les équilibres des puissances se transforment, la revue est guidée par un seul fil rouge, un fil rouge sang : vivre au Moyen-Orient aujourd’hui signifie vivre « en enfer » - état de fait depuis 1956, selon Georges Corm, l’un des très nombreux spécialistes contribuant à la richesse de ce dossier alliant géopolitique, histoire et relations internationales pour offrir un panorama des plus complets sur les questions traitées. Composé d’une trentaine d’articles et entretiens, il se divise en quatre parties, dont nous allons suivre le déroulé dans le cours de cet article.
L’éditorial de Pascal Gauchon donne le ton : si « l’enfer est pavé de bonnes intentions », comme il le rappelle lui-même, il serait temps de considérer les effets dramatiques des bons sentiments sur le territoire moyen-oriental. Les bonnes intentions qui ont mené à l’interventionnisme américain en Irak en 2003 ou celles des médias qui trahissent les images du conflit syrien pour profiter à une cause au détriment d’une autre ont mené à un chaos inextricable qu’illustrent la douleur des civils et la multiplication des groupes armés. C’est ce dont est témoin depuis son enfance Georges Corm, qui indique ici dans un entretien de la difficulté de vivre dans cette région sous pression ; depuis l’expédition de Suez en 1956, lorsque les Français, jusque-là perçus comme les porteurs des Lumières, sont arrivés avec leurs avions militaires pour bombarder « un des peuples les plus pacifiques de la terre », il vit au Moyen-Orient comme il vivrait en enfer.
Pierre Royer s’interroge sur l’importance du désert dans l’histoire de cette région. Selon lui, les espaces désertiques cloisonnent les populations entre elles, tout en reliant du même coup des espaces s’étendant du Pakistan à la mer Rouge, une unité qualifiée par l’historien de « mirage », masquant difficilement la fragmentation des peuples et des identités. Olivier Hanne poursuit ces réflexions en interrogeant les « frontières » et les « seuils » au Moyen-Orient, et revient sur l’histoire pour rappeler que des acteurs extérieurs, bien avant les Occidentaux, ont toujours provoqué dans cette région une redéfinition des territoires et des identités.
Frédéric Pichon, quant à lui, réfléchit aux « échecs et résiliences du nationalisme arabe », un mouvement qui, comme il le montre, se révèle beaucoup plus conservateur que progressiste, en tant qu’il marque le sentiment de supériorité des intellectuels arabes sur les Turcs. Nationalisme et panarabisme n’ont pas su effacer les particularismes, et les systèmes laïcs socialistes nassérien en Égypte ou baas en Irak et en Syrie ont rapidement montré des limites que la libéralisation économique a repoussées ; dans tous les cas, le chercheur note que l’identité nationale est toujours revendiquée, quelle que soit la religion des interrogés.
Anne-Clémentine Larroque travaille, elle, sur « le grand jeu djihadiste » et explique que la montée en puissance de l’organisation État islamique a provoqué la concurrence de plusieurs organisations sunnites, soutenues par des puissances différentes pour combattre l’OEI, qui a su disséminer partout ses cellules dormantes. À cet article fait écho celui de trois étudiants, Christophe de Crémiers, Pierrick Langlois et Louis-Marie Masfayon qui eux évoquent le retour d’Al-Qaida comme armée islamique dominante après l’écrasement de l’OEI. Olivier Hanne revient sur l’histoire des frontières tracées dans la région afin d’expliquer la dislocation actuelle de celles-ci, les Kurdes notamment revendiquant leur indépendance.
Pour Pierre Berthelot, il est par ailleurs important de ne pas minimiser l’importance géostratégique de l’eau dans la région, plus riche et rare à terme que le pétrole. La variable alimentaire n’est pas non plus à négliger, comme le rappelle Sébastien Abis : les terrains agricoles ne sont pas laissés en reste, notamment par l’OEI dans sa conquête des territoires, et les chiffres d’importation et d’exportation des biens alimentaires ont un impact notable sur le développement des pays de la région.
Didier Giorgini fait ensuite le point sur les clivages religieux au Moyen-Orient, soulignant la complexité des alliances et des oppositions entre communautés dans l’espace moyen-oriental. Dans un entretien, Fabrice Balanche insiste de son côté sur le rôle des groupes ethniques voire des tribus dans la géopolitique de la région, et redoute une nouvelle fragmentation, alors que la situation, bien pire aujourd’hui qu’aux lendemains du 11 septembre 2001, continue de reposer sur les « identités meurtrières » décrites par Amin Maalouf.
Olivier Hanne rappelle dans un premier temps que le « Moyen-Orient » tel que nous le concevons actuellement correspond à la définition et aux délimitations anglo-saxonnes du Middle East. Chacune des grandes puissances de la région a sa propre représentation du Moyen-Orient. Antoine Basbous travaille sur la puissance de l’Arabie saoudite, l’importance de ses accords de soutien avec les États-Unis et sur les difficultés auxquelles le royaume fait aujourd’hui face, alors que s’enlise la guerre du Yémen et que le projet de modernisation du pays « Vision 2030 » du prince héritier Mohamed ben Salman semble difficile à mener. Autre influence régionale, l’Iran, que Florian Louis définit comme une puissance qui tente d’étendre son influence sur un monde arabe face auquel elle se sent supérieure – la Perse n’ayant quasiment jamais été colonisée. Tancrède Josseran s’attarde tant qu’à lui sur la Turquie, qui partage le même sentiment de supériorité vis-à-vis des Arabes, mais que l’influence occidentale complexe par ailleurs. Hadrien Desuin présente ensuite l’Égypte, « grande puissance pauvre » qui tente de normaliser ses relations avec l’Europe et les États-Unis pour reprendre sa place dans la diplomatie nord-africaine et moyen-orientale. Concernant Israël, Gil Mihaely expose les influences culturelles que les juifs arabes et les juifs venus d’Europe ont gagnées pour la construction de cette « villa dans la jungle » qu’est Israël selon Ehud Barak.
Pour John Mackenzie, il est devenu difficile aujourd’hui pour une puissance comme les États-Unis, de rompre les relations avec le Moyen-Orient. Olivier Zajec retrace historiquement le parcours de ces relations diplomatiques entretenues entre Washington et le Moyen-Orient, et questionne les planifications politiques de Donald Trump sur ce dossier. Pascal Marchand s’intéresse de son côté à la Russie, dont les intérêts sont bien plus politiques qu’économiques. Une carte de Christophe Chabert permet ensuite d’analyser les conflits du Moyen-Orient, suivant leurs correspondances ethniques, nationales, religieuses. Michel Nazet regarde quant à lui l’entrée en scène de la Chine sur les territoires moyen-orientaux ; elle tente de s’insérer dans le projet saoudien « vision 2030 » pour faire face à la présence américaine dans cette zone. Jean-Baptiste Noé questionne la position du Vatican envers les chrétiens d’Orient, et les divergences de vue avec les populations.
Frédéric Pichon inaugure cette dernière partie avec un tableau de trois États souverains aujourd’hui confrontés à de fortes difficultés structurelles : l’Irak et la Syrie, anciennement emmenés par l’idéologie baasiste, et le Liban. Tigrane Yégavian revient sur le conflit qui déchire le Yémen, qui conduisit à la destruction des principales infrastructures comme d’un patrimoine historique exceptionnel. Il interroge aussi les conditions de possibilité de l’existence d’un Kurdistan irakien, qui se présente comme un bouclier de défense devant les djihadistes, mais qui reste pourtant un projet profondément fragmenté. Ce dossier se clôt sur les réflexions menées par Marjorie Bordes sur les oppositions idéologiques qui séparent les différents États du Golfe persique, territoires marqués par des lignes de fracture très fortes.
Mathilde Rouxel
Suite à des études en philosophie et en histoire de l’art et archéologie, Mathilde Rouxel a obtenu un master en études cinématographiques, qu’elle a suivi à l’ENS de Lyon et à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, Liban.
Aujourd’hui doctorante en études cinématographiques à l’Université Paris 3 – Sorbonne Nouvelle sur le thème : « Femmes, identité et révoltes politiques : créer l’image (Liban, Egypte, Tunisie, 1953-2012) », elle s’intéresse aux enjeux politiques qui lient ces trois pays et à leur position face aux révoltes des peuples qui les entourent.
Mathilde Rouxel a été et est engagée dans plusieurs actions culturelles au Liban, parmi lesquelles le Festival International du Film de la Résistance Culturelle (CRIFFL), sous la direction de Jocelyne Saab. Elle est également l’une des premières à avoir travaillé en profondeur l’œuvre de Jocelyne Saab dans sa globalité.
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