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SPECIAL CRISE AU MAGHREB ET AU MOYEN-ORIENT : LA LIBYE, POLITIQUE ECONOMIQUE ET SOCIALE

Par Lisa Romeo
Publié le 11/03/2011 • modifié le 01/03/2018 • Durée de lecture : 4 minutes

D’une étatisation à une libéralisation de l’économie

Après avoir nationalisé en 1969 et 1970 les banques et les terres détenues par l’Italie, ancienne puissance coloniale, le gouvernement favorise l’étatisation de l’économie pendant les dix années suivantes : l’ensemble du commerce passe sous le contrôle de l’Etat en 1978. Cette année marque la mise en place des principes du deuxième tome du Livre vert consacré à l’élaboration d’une solution aux problèmes économiques et qui prévoit l’abolition de l’exploitation et du salariat. L’entreprise doit dorénavant être autogérée par les travailleurs qui deviennent des « associés » et non plus des « salariés ». Toutefois, les difficultés économiques des années 1980 poussent le gouvernement à ouvrir son système économique en initiant une politique de privatisation dans certains secteurs considérés comme d’importances limitées dans les industries légères (textile, industrie du cuir, huileries, manufactures de tabac…). L’artisanat et le tourisme sont de nouveau valorisés.

Le pétrole

Avec la découverte du pétrole en 1959 et le début de son exportation au début des années 1960, une impulsion sans précédant est apportée au développement économique du pays. Le pétrole libyen est de grande qualité et facilement exploitable. Sa faible teneur en souffre permet d’éliminer une bonne partie des coûts, très élevés, liés à la désulfuration. Les années de réserve sont en outre de 80, au rythme de la production actuelle. Ces avantages font de la Libye un marché pétrolier particulièrement attirant pour les compagnies occidentales.

A partir de 1969, Mouammar Kadhafi et les officiers unionistes entendent s’appuyer sur ce précieux or noir pour moderniser la société. Ils affichent rapidement la volonté de se réapproprier les richesses naturelles de leur territoire en accentuant progressivement la participation de l’Etat dans les compagnies internationales jusqu’à les nationaliser intégralement à partir de 1973. Par ailleurs, un Comité du prix du pétrole, placé sous la responsabilité de Abdesselam Jalloud, est créé en 1970 pour tenter d’obtenir une meilleure rémunération et multiplier ainsi les recettes de l’Etat. Alors que le prix du baril libyen était maintenu depuis 1961 à 2,21 dollars, il passe fin 1973 à 15,7 dollars et atteint 41 dollars en 1981. Le gouvernement préserve ainsi ses réserves en diminuant la production tout au long des années 1970. Enfin, afin de s’assurer l’indépendance de sa consommation interne, plusieurs raffineries sont construites sur le littoral.

Toutefois, face aux fluctuations du marché mondial et à la baisse de la demande en pétrole, la Libye est finalement contrainte de baisser peu à peu le prix du baril dans les années 1980. Le pays subit également à partir de 1992 les conséquences économiques du double embargo, américain et onusien, qui empêche, par exemple, le renouvellement du matériel. Pour maintenir ses recettes, la Libye doit alors augmenter sa production. Elle reste finalement dépendante de ses revenus pétroliers et gaziers malgré la volonté affichée par les autorités de diversification et de préparation à l’après-pétrole.

Les tentatives de diversification économique

Les bénéfices pétroliers ont toujours été favorisés dans le but de développer et de moderniser l’industrie et l’agriculture libyennes. La formation de coopératives est vivement encouragée par le gouvernement qui souhaite assurer l’autonomie alimentaire du pays. On tente par exemple de contrer le problème d’infertilité des terres (moins de 10 % des terres sont cultivables) en construisant plusieurs barrages et puits et en mettant en place le très coûteux projet de « Grande rivière artificielle » (25 milliards de dollars, afin de drainer les réserves d’eau souterraines du sud vers le nord du pays) aux résultats mitigés. Le pétrole représente cependant toujours plus des trois quarts des exportations.

Par ailleurs, l’argent du pétrole a également servi à Mouammar Kadhafi pour financer de nombreux mouvements d’indépendance internationaux et pour mettre en œuvre une politique étrangère active, souvent contestée. La Libye a également investi, surtout dans les années 1990, dans les économies européennes. Plus de 6 milliards de dollars de capitaux libyens seraient ainsi placés dans différentes branches économiques du Vieux continent (entreprises, banques, hôtellerie, distribution de carburant…). En maintenant d’importants échanges économiques avec l’Europe, Mouammar Kadhafi peut ainsi résister aux pressions exercées par les différents embargos qui ont touché le pays.

La politique sociale

Par ailleurs, Mouammar Kadhafi engage, dès son arrivé au pouvoir, une grande politique de modernisation de l’éducation. L’enseignement devient obligatoire et gratuit jusqu’au premier cycle secondaire et le système universitaire est développé. Dans le domaine de la santé, l’accès aux soins devient gratuit, améliorant ainsi la qualité de vie des Libyens.

En outre, Mouammar Kadhafi cherche à faire évoluer la condition de la femme libyenne même si son rôle traditionnel n’est pas remis en question. Le mariage est alors considéré comme un acte libre et doit être consenti par les deux parties. La femme divorcée voit aussi sa situation s’améliorer (pension, gestion de ses propres biens…). L’accès à l’emploi est accordé aux femmes et une académie militaire féminine est créée en 1981. Ces mesures ont attisé la colère des oulémas et des islamistes qui s’opposent aux interprétations du Chef de la révolution sur le statut de la femme.

Cependant, malgré ces avancées sociales, les difficultés économiques de ces dernières années pèsent sur la société libyenne. Les années 2000 sont marquées par la réduction des dépenses publiques et la baisse générale des salaires ainsi que par l’augmentation du chômage qui toucherait environ 27 % de la population. Les soulèvements populaires qui déchirent la Libye depuis février 2011 révèlent la volonté du peuple d’un changement radical dans le pays.

Bibliographie :
Juliette Bessis, La Libye contemporaine, Paris, Editions L’Harmattan, 1986.
Danielle Bisson, Jean Bisson, Jacques Fontaine, La Libye, à la découverte d’un pays, tome 1, Identité libyenne, Paris, L’Harmattan, 1999.
Moncef Djaziri, Etat et société en Libye, Islam, politique et modernité, Paris, Editions L’Harmattan, 1996.
Alain Gresh, Dominique Vidal, Les 100 clés du Proche-Orient, Paris, Hachette Littératures, 2006.

Publié le 11/03/2011


Lisa Romeo est titulaire d’un Master 2 de l’université Paris IV-Sorbonne. Elle travaille sur la politique arabe française en 1956 vue par les pays arabes. Elle a vécu aux Emirats Arabes Unis.


 


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