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Les relations israélo-iraniennes de 2013 à la veille du 7 octobre 2023 (1/2). Les années 2013-2016 : un apaisement des tensions en trompe-l’œil

Par Emile Bouvier
Publié le 26/04/2024 • modifié le 03/05/2024 • Durée de lecture : 6 minutes

De fait, alors qu’Israël perçoit l’Iran comme une « menace existentielle » [3] et que le régime des mollahs considère l’Etat hébreu comme une « entité sioniste » [4] dépourvue de légitimité étatique, les deux pays sont engagés depuis des années dans une guerre larvée, dont l’attaque iranienne du 13 avril 2024 contre le territoire israélien a constitué une forme d’acmé. Si Téhéran et Tel-Aviv ont pourtant connu une période de coopération sous le régime du Shah, l’espoir du retour d’une telle période de paix semble aujourd’hui rendue caduque par l’adversité et la défiance aigües entretenues réciproquement par les deux protagonistes.

Les relations israélo-iraniennes ont pourtant connu différentes périodes ces dernières années, bien souvent concomitamment à celles du bras-de-fer opposant l’Iran aux Etats-Unis : en effet, après qu’Israël a brandi en 2012 la menace crédible d’une action armée en territoire iranien afin de neutraliser les capacités nucléaires de la République islamique, une série d’événements en 2013 - au premier rang desquels l’élection de Hassan Rouhani à la présidence iranienne - est venue adoucir la position des alliés d’Israël à l’égard de Téhéran, aboutissant en 2015 à la signature du JCPOA (« Plan d’action global commun »), mieux connu sous le nom « d’accord sur le nucléaire iranien ». Tel Aviv est malgré tout resté un ferme opposant à ce traité ainsi qu’à toute forme de coopération avec l’Iran, rejoint en cela par plusieurs monarchies sunnites du golfe Persique. L’élection en 2016 du président américain Donald Trump, résolument opposé à l’Iran et partisan d’Israël, est ensuite venu dégrader brutalement les relations de l’Iran avec l’Etat hébreu et ses alliés, aboutissant en une crise diplomatique et sécuritaire qui se matérialisera notamment dans le golfe Persique. L’élection de Joe Bien à la Maison Blanche en 2020, ainsi que les tentatives d’ouverture de la nouvelle administration américaine, ne parviendront pas à réduire l’hostilité présidant aux relations israélo-iraniennes à l’aube du conflit du 7 octobre entre Tel Aviv et le Hamas.

Cet article entend ainsi prendre la suite d’un précédent article consacré aux relations israélo-iraniennes de 1948 à 2012 en présentant ces dernières sur la période allant de 2012 à la veille du 7 octobre 2023, date du début du nouveau conflit israélo-palestinien. Une approche chronologique sera privilégiée, en présentant tout d’abord la période de relatif apaisement des années 2013-2016 (première partie) avant d’en venir à celle de l’institutionnalisation du conflit larvé entre les deux pays (2016-6 octobre 2023).

Première partie : les années 2013-2016 : un apaisement des tensions en trompe-l’œil

La période partant de l’année 2013 jusqu’à l’élection de Donald Trump à la présidence américaine en novembre 2016 se caractérise par un sentiment général d’apaisement des tensions de la part de l’Iran envers Israël (I) ; cette relative accalmie s’est toutefois davantage apparentée à un rapprochement en trompe-l’œil, les deux parties n’ayant jamais cessé leur guerre de l’ombre l’un contre l’autre (II).

I. Une volonté d’apaisement des relations…

Après plusieurs années de tensions soutenues sous la présidence notamment de Mahmoud Ahmadinejad (2005-2013), la politique étrangère iranienne, y compris envers Israël, a connu un relatif apaisement à partir de 2013, au moins en trompe l’œil. Plusieurs événements sont venus y concourir. Premièrement, l’élection à la présidence iranienne en juin 2013 de Hassan Rouhani, présenté comme un « modéré », vient mettre fin à l’administration Ahmadinejad, à l’origine notamment de l’accélération du programme nucléaire iranien et de l’adoption d’un discours toujours plus belliqueux envers Israël (s’il s’est avéré que l’expression longtemps prêtée à l’intéressé de vouloir « rayer de la carte » l’Etat hébreu était en réalité une traduction inexacte [5], il n’en a pas moins régulièrement rappelé son souhait « d’éliminer » Israël du Moyen-Orient, y compris à la tribune de l’ONU [6]).

Dans une volonté d’ouverture, le nouveau président iranien multiplie dès septembre 2013 les gestes envers sa population ainsi qu’Israël et ses alliés. Le 18 septembre, il libère par exemple une dizaine d’opposants [7] arrêtés durant le « Mouvement vert », ces manifestations ayant secoué le pouvoir iranien en 2009. Le lendemain, il accorde un entretien à la chaîne américaine NBC où il salue le ton « positif et constructif » d’une lettre envoyée à son intention par le président américain Barack Obama [8]. Le 24, il s’exprime à la tribune des Nations unies et indique son ouverture à l’égard de toute forme de coopération internationale [9], avant d’accorder le 26 un entretien à la chaîne américaine CNN [10], où il dénonce « les crimes commis par les nazis contre les juifs », prenant ainsi le contrepied des propos traditionnellement négationnistes de son prédécesseur Mahmoud Ahmadinejad [11]. Le surlendemain, il annonce la reprise des négociations sur le nucléaire iranien, suspendues depuis janvier 2010 [12], et le 27 septembre, Barack Obama et Hassan Rouhani se téléphonent durant le premier échange direct entre dirigeants américain et iranien de l’histoire des relations irano-américaines [13]. L’aboutissement le plus notable de cette période d’ouverture consistera, le 2 avril 2015, en la signature de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien, donnant naissance au JCPOA et à une levée partielle des sanctions [14].

Cette main tendue de l’Iran envers la communauté internationale est aussitôt repoussée par Israël, notamment en ce qui concerne la reprise des négociations sur le nucléaire iranien, que le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou dénonce comme étant « l’affaire du siècle » pour Téhéran [15]. Le président iranien essayera pourtant d’adoucir la position israélienne en plusieurs occasions : il diffusera ainsi sur les réseaux sociaux des messages de joyeux Rosh Hashana aux juifs du monde entier, et financera à hauteur de 400 000 dollars le seul hôpital juif de Téhéran [16]. Très médiatisés, ces actes ont avant tout visé à marquer une rupture avec l’approche politique conflictuelle adoptée par son prédécesseur [17].

II. … en trompe-l’œil

En effet, la politique d’ouverture de Rohani a toutefois semblé davantage chercher à amadouer les alliés d’Israël, et en particulier les Etats-Unis, afin notamment de parvenir à une levée des sanctions internationales, au moins partielles, plutôt qu’apparaître comme une réelle volonté de réchauffement des relations. Cette stratégie explique, entre autres choses, que la primature israélienne ait qualifié Rohani de « loup déguisé en mouton » [18]. En effet, l’Iran a poursuivi, durant cette période, sa politique belliqueuse à l’encontre de l’Etat hébreu, en en faisant toutefois moins la publicité. Le 18 novembre 2013 par exemple, le ministre iranien de la Défense annonçait la sortie d’usine du premier drone Fotros, disposant d’un rayon d’action lui permettant d’atteindre le territoire israélien [19].

Par ailleurs, l’intensification de la guerre en Syrie et en Irak donne l’occasion à l’Iran d’accroître l’influence de ses proxies [20] et de les positionner de plus en plus proche du territoire israélien, qu’il s’agisse du Hamas dans la bande de Gaza [21], du Hezbollah au Liban, des milices pro-régime en Syrie ou des Forces de mobilisation populaires en Irak. Ainsi, avant même l’arrivée au pouvoir de Rohani et tout au long de la présidence de ce dernier, Israël a conduit des frappes iraniennes en Syrie contre des alliés de l’Iran : le 30 janvier 2013 par exemple, l’aviation israélienne conduisait avec succès une frappe contre un convoi syrien transportant des armes iraniennes au Hezbollah [22]. La présence d’alliés de l’Iran en Syrie et en Irak permet en effet à cette dernière de se rapprocher d’Israël, tant symboliquement que militairement : un « corridor iranien » [23] connecte en effet directement l’Iran à la Méditerranée grâce au contrôle de routes stratégiques en Syrie, Irak et Liban par des alliés de la République islamique qui installe, par ailleurs, des bases militaires sur le territoire syrien [24], à proximité directe d’Israël.

Les autorités israéliennes sont dès lors sur la défensive tout au long de la période 2013-2016, soulignant l’erreur que leurs alliés ont commise en signant le JCPOA [25]. Finalement, l’élection de Donald Trump le 8 novembre 2016 à la Maison Blanche donnera à la primature israélienne le soutien qu’elle désirait avoir à Washington dans son bras-de-fer contre l’Iran.

Lire la partie 2 : De 2016 au 6 octobre 2023 : l’escalade diplomatico-sécuritaire

A lire sur les Clés du Moyen-Orient :
 A relire, en lien avec l’actualité : Les relations israélo-iraniennes (1948-2012)
 Attaque de l’Iran contre Israël : point de situation et perspective
 A relire, en lien avec l’actualité : Les relations entre l’Iran et Israël avant la révolution de 1979 : bref exposé historique
 Bilan des relations entre l’administration Trump et l’Iran
 Entretien avec Michel Makinsky - La nouvelle présidence iranienne

Bibliographie :
 Shanahan, Rodger. Iranian Foreign Policy under Rouhani. Lowy Institute for International Policy, 2015. JSTOR, http://www.jstor.org/stable/resrep10162. Consulté le 17 avril 2024.

Sitographie :
 Iran : Khamenei accuse "le chien enragé" Israël de "génocide" à Gaza, RTL 29/07/2014
https://www.rtl.fr/actu/international/iran-khamenei-accuse-le-chien-enrage-israel-de-genocide-a-gaza-7773473837
 Le ministre de la défense d’Israël « préfère Daech » à l’Iran, Le Monde, 22/01/2016
https://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2016/01/22/le-ministre-de-la-defense-d-israel-prefere-daech-a-l-iran_4852191_3218.html
 Is Iran really the existential threat Israel claims it is ? This author thinks not, The Times of Israel, 05/03/2023
https://www.timesofisrael.com/is-iran-really-the-existential-threat-israel-claims-it-is-this-author-thinks-not/
 How Iran Plans to Destroy Israel, The Washington Post, 10/08/2015
https://www.washingtoninstitute.org/policy-analysis/how-iran-plans-destroy-israel
 Did Ahmadinejad really say Israel should be ‘wiped off the map’ ?, The Washington Post, 05/10/2011
https://www.washingtonpost.com/blogs/fact-checker/post/did-ahmadinejad-really-say-israel-should-be-wiped-off-the-map/2011/10/04/gIQABJIKML_blog.html
 In New York, defiant Ahmadinejad says Israel will be "eliminated", Reuters, 25/09/2012
https://www.reuters.com/article/idUSBRE88N0HG/
 L’avocate iranienne Nasrin Sotoudeh a été libérée, TdG, 18/09/2013
https://www.tdg.ch/l-avocate-iranienne-nasrin-sotoudeh-a-ete-liberee-114859981217
 Iran Shows Signs of Detente With the West, The World, 21/09/2013
https://theworld.org/stories/2013/09/21/iran-shows-signs-detente-west
 Full text of Hasan Rouhani’s speech at the UN, The Times of Israel, 25/09/2013
https://www.timesofisrael.com/full-text-of-hasan-rouhanis-speech-at-the-un/
 Nucléaire : l’Iran prêt à reprendre les négociations, Les Echos, 05/01/2012
https://www.lesechos.fr/2012/01/nucleaire-liran-pret-a-reprendre-les-negociations-369042
 Obama holds historic phone call with Rouhani and hints at end to sanctions, The Guardian, 28/09/2013
https://www.theguardian.com/world/2013/sep/27/obama-phone-call-iranian-president-rouhani
 Comprendre l’accord sur le nucléaire iranien en 7 questions, Le Monde, 14/07/2015
https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2015/07/14/tout-ce-que-vous-devez-savoir-sur-l-accord-conclu-a-vienne-sur-le-nucleaire-iranien_4682968_4355770.html
 Nucléaire iranien : Israël dénonce "l’affaire du siècle" pour Téhéran, Le Monde, 09/11/2015
https://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2013/11/09/nucleaire-iranien-israel-denonce-l-affaire-du-siecle-pour-l-iran_3511037_3218.html
 Report : Iranian President Donates $400,000 to Jewish Hospital, VOA News, 06/02/2014
https://www.voanews.com/a/report-iranian-president-donates-400000-to-jewish-hospital/1846167.html
 Israël : Netanyahu qualifie le nouveau président iranien de « loup déguisé en mouton », RFI, 04/08/2013
https://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20130804-israel-netanyahu-qualifie-nouveau-president-iranien-loup-deguise-mouton
 Défense : l’Iran dévoile un drone d’attaque pouvant atteindre Israël, Les Echos, 18/11/2013
https://www.lesechos.fr/2013/11/defense-liran-devoile-un-drone-dattaque-pouvant-atteindre-israel-346523
 How Iran’s Revived Weapons Exports Could Boost Its Proxies, The Washington Post, 17/08/2015
https://www.washingtoninstitute.org/policy-analysis/how-irans-revived-weapons-exports-could-boost-its-proxies
 Israeli ’air strike on convoy on Syria-Lebanon border’, BBC News, 30/01/2013
https://www.bbc.com/news/world-middle-east-21264632
 The Iranian corridor to Syria and Lebanon, Alma Research and Education Center, 30/10/2022
https://israel-alma.org/2022/10/30/the-iranian-corridor-to-syria-and-lebanon/
 EXCLUSIVE : Leaked intelligence reveals that Iran is running a covert war in Syria from top secret HQ near Damascus airport codenamed ’The Glasshouse’, Daily Mail, 30/08/2016
https://www.dailymail.co.uk/news/article-3718583/Leaked-intelligence-dossier-reveals-location-secret-Iranian-spymasters-HQ-Syria-codenamed-GLASSHOUSE-Iran-fighters-ground-Assad.html
 Netanyahu slams Iran deal as a "historic" mistake, CBS News, 14/07/2015
https://www.cbsnews.com/news/israel-prime-minister-benjamin-netanyahu-iran-nuclear-deal-bad-mistake/

Publié le 26/04/2024


Emile Bouvier est chercheur indépendant spécialisé sur le Moyen-Orient et plus spécifiquement sur la Turquie et le monde kurde. Diplômé en Histoire et en Géopolitique de l’Université Paris 1 - Panthéon-Sorbonne, il a connu de nombreuses expériences sécuritaires et diplomatiques au sein de divers ministères français, tant en France qu’au Moyen-Orient. Sa passion pour la région l’amène à y voyager régulièrement et à en apprendre certaines langues, notamment le turc.


 


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