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Arnaud Lafolie, Le monde arabe tel qu’il est

Par Anne-Lucie Chaigne-Oudin
Publié le 29/08/2011 • modifié le 25/04/2020 • Durée de lecture : 5 minutes

A la suite d’une introduction sur la pertinence de l’utilisation de la géopolitique comme clé d’analyse du monde arabe, l’auteur rappelle comment se compose cet espace géographique (Maghreb ; Grand Machrek composé des pays de la vallée du Nil, de la péninsule arabique, des Etats de la côte est de la péninsule arabique, de la Syrie, du Liban, de la Jordanie, de l’Irak et des Territoires palestiniens ; pays arabes de la Corne de l’Afrique), et comment s’est forgée la dimension religieuse de cet espace commun par l’islam. Sur le plan historique, l’expansion territoriale des Arabes est rappelée (Syrie en 636, Palestine en 638, haute Mésopotamie en 641, Arménie et Egypte en 643) ainsi que les raisons expliquant ce « déploiement sans précédent de la religion et de la culture apportées par les Arabes ». De même, l’auteur rappelle les limites auxquelles le pouvoir arabe est confronté, en raison des luttes internes et des nouvelles arrivées qui perturbent son organisation. En ce sens, l’auteur évoque la prise progressive du pouvoir par les Turcs et la mise en place territoriale, politique et administrative de l’Empire ottoman. Cependant, le pouvoir ottoman est confronté à deux changements, qui vont progressivement contribuer au délitement de l’autorité des Turcs et à la chute de l’Empire : l’autonomie grandissante des élites arabes dans les provinces à partir du XVIII ème siècle ; les intérêts et les rivalités des puissances occidentales dès le début du XIX ème siècle. Dans ce contexte, le nationalisme arabe se développe, la Première Guerre mondiale étant un facteur d’accélération. Cependant, les accords Sykes-Picot décident du sort de la région. Au nationalisme arabe de cette époque « animé essentiellement par la foi musulmane, les identité locales et l’influence d’un certain modernisme européen », succède à partir de l’entre-deux-guerres « un mouvement intellectuel renouvelé qui reprend le flambeau nationaliste ». Arnaud Lafolie évoque ainsi les idées d’Antoun Saadé, de Michel Aflak, de Gamal Abdel Nasser et l’origine de la création de la Ligue des Etats arabes, fondée en 1945.

Ces données géographiques et historiques sont suivies d’un rappel sur la situation intérieure, tant économique que politique, des Etats arabes. Sur le plan économique, Arnaud Lafolie fait un point sur la diversité des PIB/habitant dans la région, le chômage, la situation alimentaire, financière et démographique. Sur le plan politique, l’auteur évoque les spécificités des pays arabes : accession à l’indépendance dans la deuxième moitié du XX ème siècle ; mise en place de pouvoirs politiques forts et pour certains, « presque monarchiques » (Egypte, Syrie). Cependant, les événements de ces derniers mois dans le monde arabe mettent en évidence les aspirations des nouvelles générations et leur volonté de changement. Les liens de ces régimes avec les mouvements islamistes sont également rappelés (tolérance, coexistence, répression).

Sur le plan géostratégique, l’auteur évoque les hydrocarbures et l’eau, porteurs d’enjeux sociaux et économiques. Concernant les hydrocarbures, l’histoire du pétrole est rappelée : prospection pétrolière dès la fin du XIX ème siècle ; exploitation du pétrole et entrée en scène des compagnies occidentales ; « utilisation de l’arme » du pétrole ; enjeux du XXI ème siècle (approvisionnement, investissements en infrastructures, rente pétrolière). Concernant l’eau, « ressource stratégique », dont « l’accès devient un enjeu de puissance pour certains, de survie pour d’autres », l’auteur rappelle la situation en Afrique du Nord, au Proche-Orient, dans la région Turquie, Syrie, Irak, le Tigre et l’Euphrate prenant leur source dans le mont Taurus et se déversant dans le golfe Arabo-Persique. L’auteur explique que, paradoxalement, les difficultés d’approvisionnement en eau sont l’occasion « de renouer le dialogue » entre Etats. Il explique également, quoique que l’on ne puisse généraliser et schématiser, que le contrôle de l’eau peut aussi être une des causes des conflits au cours de l’histoire.

Les crises et les « phénomènes d’enclavement » sont également analysés. Plusieurs pays du monde arabe connaissent conflits et instabilité, dont certains sont évoqués par l’auteur : le Sahara occidental, l’Irak, le Yémen, la Libye. La mise en perspective historique réalisée pour chacun d’entre eux permet de comprendre la situation actuelle, particulièrement pour le Yémen et la Libye, dans le contexte des révoltes en cours. Les minorités et les « phénomènes d’enclavement » font également l’objet d’une étude. Le statut des minorités a évolué au cours de l’histoire : tolérées jusqu’au XX ème siècle, les minorités doivent, à partir des indépendances et de la mise en place des Etats-nations, « conquérir leur place sur l’échiquier politique, ne pouvant se contenter de coexister sous peine d’être submergées ». L’auteur cite ainsi les Alaouites en Syrie, les Druzes et les Maronites au Liban, les Kurdes de Turquie, d’Irak, de Syrie, d’Iran, d’Azerbaïdjan et d’Arménie.

Les chapitres suivants s’intéressent aux relations entre le monde arabe et les puissances non arabes que sont l’Iran, la Turquie et l’Occident. Pour l’auteur, « grands voisins des Européens, des Perses, des Turcs et des Africains, les Arabes voient régulièrement leurs territoires être l’objet de convoitises stratégiques extérieures. Au milieu des objectifs des puissances, le monde arabe ne dispose donc que d’une marge de manœuvre étroite et contrainte. Il serait donc devenu, du moins pour sa partie orientale, un grand échiquier géopolitique du XXI ème siècle, sur lequel les pièces ne sont manipulées que par des joueurs non arabes ».

L’auteur s’interroge au final sur l’influence que pourrait avoir le monde arabe, en particulier dans le domaine culturel (diffusion de la langue, développement des médias, notamment des chaînes satellitaires arabes). Il se pose également la question de l’existence d’un « coeur du monde arabe », ou d’un centre du monde arabe, qui « a effectivement une valeur à la fois réelle et symbolique, puisqu’il voit affluer les émissaires des autres nations tout en reflétant l’esprit du pays qu’il représente ». Il évoque ainsi la place que tient le centre, dans un premier temps La Mecque, puis le déplacement du centre à Bagdad au milieu du VIII ème siècle, la place de Constantinople pendant l’époque ottomane, est aussi évoquée la place tenue par Le Caire et Damas. Aujourd’hui, il est difficile de savoir où se situe le « cœur du monde arabe », est-ce l’Arabie saoudite pour des raisons religieuses et économiques, est-ce l’Egypte pour des raisons historiques et diplomatiques ? L’auteur estime ainsi : « sans puissance coordonnée, sans cohérence stratégique, le monde arabe fait donc preuve une nouvelle fois de son morcellement, malgré des potentialités aussi nombreuses que ses forces vives culturelles, démographiques, économiques et religieuses. Ce manque global de puissance est criant, il est encore amplifié par les très nombreux phénomènes de délitement et de crise dont l’arc arabe est régulièrement le théâtre ».

Arnaud Lafolie, Le monde arabe tel qu’il est, Paris, Editions de l’Oeuvre, mai 2011, 190 pages.

Publié le 29/08/2011


Anne-Lucie Chaigne-Oudin est la fondatrice et la directrice de la revue en ligne Les clés du Moyen-Orient, mise en ligne en juin 2010.
Y collaborent des experts du Moyen-Orient, selon la ligne éditoriale du site : analyser les événements du Moyen-Orient en les replaçant dans leur contexte historique.
Anne-Lucie Chaigne-Oudin, Docteur en histoire de l’université Paris-IV Sorbonne, a soutenu sa thèse sous la direction du professeur Dominique Chevallier.
Elle a publié en 2006 "La France et les rivalités occidentales au Levant, Syrie Liban, 1918-1939" et en 2009 "La France dans les jeux d’influences en Syrie et au Liban, 1940-1946" aux éditions L’Harmattan. Elle est également l’auteur de nombreux articles d’histoire et d’actualité, publiés sur le Site.


 


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