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« 20 jours qui ébranlèrent Téhéran »

Par Cosima Flateau
Publié le 04/07/2013 • modifié le 07/03/2018 • Durée de lecture : 6 minutes

Retour sur la Révolution Verte de 2009

En mai 2009, Ali Reza, qui vit entre la France et l’Iran, décide de retourner dans son pays d’origine pour se plonger dans le bouillonnement de la campagne électorale, précédent l’élection présidentielle de juin. Son pari : mêler à la fois documentaire cinématographique et théâtre : c’est ainsi qu’il part avec sa troupe, qui met en scène une performance théâtrale sur les hauteurs dominant Téhéran, et s’immerge dans la foule hétéroclite de tous les partis politiques, qui défilent pour soutenir leur leader. Il s’agit aussi pour le cinéaste d’assister à un événement qu’il juge historique, en faisant se rencontrer sa propre histoire, avec un rendez-vous de l’Histoire, en confrontant à la fois ses souvenirs personnels et un destin collectif. En 2009, c’étaient non seulement les élections présidentielles et la mise en balance d’Ahmadinejad ; c’étaient surtout les 30 ans de la Révolution iranienne de 1979, que le régime en place avait pris soin de fêter avec brio. Or, le réalisateur voulait montrer avec ce film que, malgré le consensus apparent créé par le pouvoir, existait dans la population une véritable culture démocratique, une certaine liberté de parole, et un véritable intérêt pour la vie politique (80% des Iraniens sont allés voter aux présidentielles de 2009).

Ce film est l’occasion pour le réalisateur de faire le portrait d’une société momentanément libérée, dans le cadre de la campagne électorale. 20 jours qui ébranlèrent Téhéran embarquent ainsi le spectateur dans la vie de la capitale iranienne, assistant aux meetings des leaders politiques, questionnant la foule, dans une atmosphère à la fois bonne enfant et un peu tendue. La période électorale est marquée par un allègement de la censure et une libération de la parole, ce qui explique l’atmosphère relativement survoltée du film. Nous voici amenés à fréquenter les partisans du candidat sortant, Ahmadinejad, et des deux candidats réformateurs, Mir-Hossein Mousavi et Mehdi Karroubi. Ce documentaire, qui se contente de filmer les scènes de rues et de poser de simples questions aux partisans de tel ou tel candidat, permet de montrer comment les leaders politiques sont perçus par l’homme de la rue. Une grande place est réservée à l’interview des femmes, qui viennent en masse participer aux meetings politiques. Comme la jeune femme qui espère qu’une fois au pouvoir, les réformateurs prendront des femmes au gouvernement, ou la vieille femme très religieuse qui soutient Ahmadinejad en raison de sa probité et de son respect de la religion. Elles apparaissent ainsi comme des acteurs importants de ces élections. Mais à travers elles, on voit aussi que le mouvement qui milite en faveur des droits de la femme en Iran semble cantonné aux classes moyennes, et aux personnes culturellement éduquées.

Enfin, ce documentaire a pour intérêt de mettre en lumière les divisions de la population, expression d’une véritable aspiration démocratique, mais aussi de scissions importantes au sein de la société. Le fossé qui sépare Téhéran, capitale moderne, favorisée et éduquée, des campagnes plus pauvres apparaît avec netteté dans les discours des partisans d’Ahmadinejad. Ces derniers se souviennent des déplacements que le président sortant a effectués en province, et des subventions qu’il a accordées aux régions plus défavorisées du pays. Ses détracteurs ne voient au contraire dans ces actions que démagogie, en l’accusant de distribuer des pommes de terre pour gagner des suffrages. Mais certains des partisans d’Ahmadinejad sont moins sensibles au souci de rééquilibrage économique qu’à l’honneur restauré des provinciaux. Au sein même de la capitale iranienne, les divisions entre les quartiers sont subtilement dépeintes : divisions politiques (certains quartiers votent massivement pour Ahmadinejad), qui correspondent à des écarts socio-économiques importants. Par exemple, une artiste évoque le milieu de l’art, lancé, moderne, favorable aux réformateurs, en se rendant compte que son discours reste inaudible pour une part importante de la population de la capitale. Il en est ainsi de la banlieue sud de Téhéran, où se sont traditionnellement entassées dans des habitations précaires les populations de travailleurs non qualifiés arrivés avec l’exode rural. Enfin, apparaissent les divisions politiques, non seulement entre conservateurs et réformateurs, mais aussi parmi ces derniers. Les partisans de Mousavi s’opposent à ceux de Karroubi, et la figure de Khatami reste parmi les réformateurs encore très controversée. Mais ce documentaire, présentant les différents leaders par leur fonction, laisse aussi entendre qu’il existe des divisions plus subtiles. Les quatre candidats à l’élection présidentielle étaient en effet tous les ténors d’une même république et avaient déjà, de près ou de loin, collaboré avec le pouvoir : le président sortant fait face à un ex-Premier ministre, à un ex-Président du Parlement et à un ex-Commandant des Gardiens de la Révolution. Tous les quatre sont partie prenante du système politique et en reflètent les évolutions.

Des problèmes toujours d’actualité

Les problèmes multiples que connaît la société iranienne sont évoqués par le biais des interviews des manifestants, mais aussi par la bouche des acteurs de la troupe de théâtre qui interviennent dans le documentaire. Les problèmes politiques d’abord, à travers des revendications presque unanimement partagées d’une plus grande liberté de pensée et de parole, face à la censure et à la répression policière, comme le montrent ces étudiants chassés de l’université pour leurs orientations politiques ou sexuelles. Ce sont ensuite les problèmes économiques qui tiennent une place importante : le blocus dû aux sanctions occidentales en raison du programme nucléaire iranien, et qui provoque une inflation importante dans le pays. Et les problèmes sociaux qui vont de pair : un taux de chômage important, notamment chez les jeunes, même disposant de qualifications. En témoigne ce père de famille, professeur, qui témoigne du statut précaire de son épouse, enseignante également, alors qu’ils ont passé une grande partie de leur vie à accepter d’enseigner dans des zones de conflit. Leur fille, ingénieur, est en recherche d’emploi depuis dix ans. Même les femmes les plus religieuses favorables à Ahmadinejad, qui mettent le chômage de leur mari au second plan de leurs préoccupations, accordant davantage d’importance à la moralisation d’une classe politique gagnée par la corruption et à la place de la religion dans la société, y font allusion. Enfin, les problèmes de société et en particulier ceux d’une jeunesse privée de liberté et qui a du mal à imaginer son avenir apparaissent au grand jour. Le Téhéran souterrain se révèle à travers la figure de Sefareh, jeune fille issue d’une famille aisée, qui a pu aller étudier à l’université, et n’a pas besoin de se soucier de subvenir à ses besoins. Mais la jeune femme ne se sent pas du tout concernée par la vie politique de son pays, ni par la vie en général, et relate comment, pendant plusieurs années, elle s’est droguée. Fréquentant d’autres jeunes gens qui, comme elle, cherchaient à s’échapper par la drogue et par la participation à des soirées plus que libérées, dans un pays où les mœurs sont contrôlées avec une grande sévérité.

Une autre question, toujours d’actualité, est soulevée par le documentaire : celle du militantisme politique. Car si la campagne de 2009 et la réélection contestée de Mahmoud Ahmadinejad ont provoqué plusieurs mois de « révolution verte », les élections de 2013 n’ont pas engendré semblable participation. Faut-il alors s’engager en politique ? Cette question est posée à travers les personnages principaux de ce documentaire, qui sont des acteurs de théâtre. L’héroïne du film, qui nous guide à travers les manifestations des réformateurs, croit en la nécessité de l’engagement politique. Mais elle se heurte à deux figures : celle de Reza, dont elle se veut l’héritière, et qui s’est retiré de la vie politique militante pour se ranger. Ce dernier, ancien opposant de gauche, a payé son engagement politique par un séjour en prison, qui l’a convaincu qu’il ne valait pas la peine de risquer sa vie pour une cause vaine. Il a donc rangé son militantisme et ne fait pas campagne en faveur des réformateurs. On peut penser que cette figure de Reza est inspirée de ces militants des mouvements étudiants (nationalistes, de gauche…), qui furent traditionnellement l’avant-garde de toutes les protestations politiques importantes, notamment après la guerre Iran-Irak. Pendant l’élection présidentielle de Khatami, en 1997, ils avaient soutenu le candidat réformiste en manifestant sur le campus de l’université de Téhéran…avant que ce dernier ne réprime l’université au cours de sa deuxième année de mandat. Autre figure, celle de Sefareh, qui se désintéresse complètement de la vie de son pays et ne trouve plus l’énergie de croire en rien. Entre les deux, l’héroïne du film, dont on peut se demander quel est son avenir : va-t-elle, comme Reza, finir par se ranger ?

Si ce film a le désavantage de se concentrer sur le bouillonnement de la rue au cours de cette campagne électorale, sans proposer au spectateur de rentrer dans l’intimité de quelques familles, ce qui pourrait permettre d’aborder davantage en profondeur les questions de fond, il permet de se rendre compte de l’extraordinaire effervescence qui s’est manifestée en Iran en 2009. Et, par là-même, de voir que les nombreux problèmes de la société iranienne, comme les aspirations démocratiques, sont toujours d’actualité en 2013, même s’ils n’ont que peu de moyens de résolution, pour les premiers, et d’expression, pour les secondes.

Voir le programme : www.cinemasdiran.fr

Publié le 04/07/2013


Agrégée d’histoire, élève à l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm, les recherches doctorales de Cosima Flateau portent sur la session du sandjak d’Alexandrette à la Turquie (1920-1950), après un master sur la construction de la frontière nord de la Syrie sous le mandat français (1920-1936).


 


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