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Le samedi 7 octobre, le Hamas a lancé une attaque surprise sur plusieurs fronts (dans les airs, en mer et sur terre), baptisée « Déluge d’Al Aqsa ». Israël s’est déclaré « en guerre ». L’attaque lancée depuis Gaza a fait au moins 700 morts côté israélien, et les bombardements en représailles plus de 560 morts côté palestinien. Pour analyser les enjeux de cette opération, Xavier Guignard répond aux questions des Clés du Moyen-Orient. Spécialiste de la Palestine, il est chercheur au centre de recherche indépendant Noria Research.
Crédits photo : A salvo of rockets is fired by Palestinian militants from Gaza as an Israeli missile launched from the Iron Dome defence missile system attempts to intercept the rockets, fired from the Gaza Strip, over the city of Netivot in southern Israel on October 8, 2023.
MAHMUD HAMS / AFP
Le Hamas bouscule les choses sur au moins trois niveaux :
D’une part, sur la scène palestinienne. Avec cette opération, il se place en position de leader national sur le plan politique. Son discours, qui porte sur la question des prisonniers palestiniens, de Jérusalem et des violences en Cisjordanie lui permet de s’imposer comme un porte-drapeau de la cause palestinienne au-delà de la bande de Gaza. Il parvient à combler un vacuum, car en parallèle, l’Autorité palestinienne est totalement délégitimée. La réaction du président Abbas suite aux événements de ce week-end n’a d’ailleurs suscité aucun intérêt. Le Hamas impose aussi son leadership sur le plan militaire. Depuis un an et demi, la Cisjordanie, principalement à Naplouse et Jénine, était le théâtre de mobilisations de type guérilla, avec des actions armées de petits groupes dont on peinait à comprendre la composition et l’idéologie. En comparaison à ces actions de portée limitée, ce samedi, le Hamas a fait une démonstration de force hors normes. C’est donc avant tout sur la scène palestinienne que le groupe armé change la donne.
D’autre part, avec cette opération, le Hamas a bouleversé ses relations avec Israël. L’effet de surprise et les moyens mobilisés, la technicité militaire déployée, et la capacité à recueillir des renseignements militaires, tout en restant sous le radar des services israéliens, lui donnent pour la première fois une avance stratégique. C’est très nouveau et c’est très déstabilisant pour les Israéliens, qui font face à un phénomène inédit qu’ils n’avaient pas anticipé.
Enfin, le Hamas remet la question palestinienne au centre des enjeux régionaux, à un moment où les Palestiniens étaient considérés comme effacés et relayés au second plan.
Le mythe de l’invincibilité israélienne avait déjà été mis à mal en 2006 durant la guerre contre le Hezbollah. Les limites des modes d’opérations israéliens étaient alors évidentes. Aujourd’hui, on note également une défaite du renseignement qui n’a pas su voir venir le moindre élément, alors que cette opération a nécessité de lourds moyens de préparation, de production et de stockage de matériel mais aussi de circulation d’hommes. C’est également une faillite du contre-renseignement, car pour préparer cette attaque, le Hamas a certainement réalisé un important travail de recueil d’information (sous la forme humaine ou technologique). Sa capacité de ciblage montre qu’il était bien renseigné sur la situation à la frontière, du côté israélien.
Ces événements constituent un échec de la doctrine de l’armée israélienne. Celle-ci s’était focalisée sur la protection de groupes de colons, qui commettent des actions quasi quotidiennes en Cisjordanie, pour satisfaire la clientèle électorale du gouvernement. Les forces armées se sont enfermées dans une croyance selon laquelle Gaza n’était plus un problème, que le statu quo n’était pas vecteur de danger pour les Israéliens. Cet échec doctrinal est patent.
Ce parallèle s’impose du fait de la date choisie par le Hamas. C’est le cinquantième anniversaire de la guerre du Kippour (guerre du Ramadan pour les Arabes). Même au-delà du symbole, cette opération peut être comparée avec la guerre de 1973 par la surprise qu’elle a créée au sein de l’état major israélien. Comme le montre la guerre du Kippour, mais aussi celle de 2006 contre le Hezbollah, le mythe israélien de l’invincibilité repose plus sur une histoire fantasmée que sur des faits militaires avérés, même si Tel-Aviv a toujours été en mesure de reprendre la main militairement.
En revanche, sur d’autres aspects, cette opération se démarque de la situation en 1973. A l’époque, la question palestinienne est alors prise en charge par les pays arabes. Aujourd’hui, c’est au contraire un groupe palestinien qui mène la confrontation. Selon moi, cela change la nature même des rapports de force. Par ailleurs, en 1973, Israël occupait le Sinaï, les affrontements ont eu lieu sur une partie du territoire contrôlé par les Israéliens, mais ce n’était pas le territoire d’Israël. Avec son opération lancée le 7 octobre, le Hamas est parvenu à contrôler des villages israéliens, une réalité encore jamais vécue par l’Etat hébreu.
Effectivement, les Européens et les Américains s’étaient interrogés sur la possibilité d’ouvrir la discussion avec les représentants du Hamas ces récentes années. Il y avait une volonté d’ouvrir des canaux, car pour être médiateur à un conflit, il semble impossible de couper le dialogue avec une des parties. Il existe évidemment des canaux informels via le Qatar et l’Egypte qui permettaient d’avoir des liens avec le Hamas, mais jusqu’à preuve du contraire, il n’y avait pas d’établissement formel de relations entre les puissances occidentales et le groupe palestinien. L’opération du 7 octobre semble néanmoins aujourd’hui fermer la porte à toute ouverture européenne et américaine.
Cette opération vient accélérer ce phénomène de baisse de popularité du président palestinien et de l’Autorité palestinienne. L’impopularité grandissante de Mahmoud Abbas tient à plusieurs éléments. La sous-traitance sécuritaire avec Israël (coopération sécuritaire) est extrêmement impopulaire parmi la population palestinienne. En parallèle, le président palestinien est incapable de proposer un horizon politique à sa population et de les protéger au quotidien contre les actions des militaires ou des colons en Cisjordanie. Son durcissement autoritaire, avec la décision d’étendre son propre mandat depuis 14 ans, l’étouffement du pouvoir législatif et la mise sous contrôle du pouvoir judiciaire, ainsi que la répression de toutes formes d’oppositions, qu’elles viennent d’intellectuels, de journalistes ou de militants, sont aussi vivement critiqués.
Il y a aujourd’hui deux explications possibles, qui sont contradictoires, et sur lesquelles je n’ai pas d’avis tranché. La première étant que les affrontements en Cisjordanie étaient inclus dans une grande stratégie du Hamas. Il aurait favorisé l’émergence de groupes aux contours idéologiques flous afin de fixer l’effort militaire israélien en Cisjordanie, pendant qu’il se préparait à Gaza. Selon moi, cette hypothèse n’est pas très solide.
La seconde hypothèse, que je trouve plus plausible, est la suivante : le Hamas ne soutenait pas les événements en Cisjordanie. Il cherche le monopole, ou au moins la convergence de la lutte armée. Dans sa logique, l’émergence de ces groupes qui ont sacrifié des combattants palestiniens pour presque rien, n’était pas à la hauteur de ce qu’il préparait.
Néanmoins, à ce jour, il est impossible de trancher avec certitude sur la stratégie du Hamas et sur ses marges de manœuvre ces derniers mois.
La région est polarisée depuis au moins 2011 de façon très forte. Le rapprochement entre l’Arabie saoudite et Israël ne constitue pas le déclencheur de l’opération du Hamas [1], mais sans doute un dommage collatéral, car désormais, il semble difficile pour Ryad de reprendre les discussions avec Israël sur le même ton. Ce qui est certain, c’est que les fronts d’oppositions dans la région sont en train d’être modifiés autour de la question palestinienne, qu’on pensait abandonnée. Malgré les rapports économiques et sécuritaires entre Israël et les pays du Golfe, l’opération du Hamas montre que des questions politiques, comme l’occupation des Territoires palestiniens, doivent être appréhendés avec des réponses politiques.
Les liens entre le Hamas, le Hezbollah et l’Iran existent, mais ce ne sont pas des liens de clientèle. Le Hamas garde une marge de manœuvre, avec un agenda politique national. Il a été chercher des soutiens logistiques et opérationnels, mais je ne vois pas la main décisionnelle de l’Iran derrière cette attaque.
Le Hamas semblait, ces récents mois, vouloir normaliser ses relations avec les puissances occidentales et Israël, se présentant comme une organisation plus acceptable. La question est de savoir s’il n’a pas simulé une politique de normalisation dans ses rapports à Israël et aux chancelleries occidentales pour masquer la préparation d’une opération militaire de grande ampleur. Ce sont les suggestions qui émergent aujourd’hui chez certaines sources proches du Hamas, dans la presse. Mais il semble difficile d’y voir clair pour le moment.
Ines Gil
Ines Gil est Journaliste freelance basée à Beyrouth, Liban.
Elle a auparavant travaillé comme Journaliste pendant deux ans en Israël et dans les territoires palestiniens.
Diplômée d’un Master 2 Journalisme et enjeux internationaux, à Sciences Po Aix et à l’EJCAM, elle a effectué 6 mois de stage à LCI.
Auparavant, elle a travaillé en Irak comme Journaliste et a réalisé un Master en Relations Internationales à l’Université Saint-Joseph (Beyrouth, Liban).
Elle a également réalisé un stage auprès d’Amnesty International, à Tel Aviv, durant 6 mois et a été Déléguée adjointe Moyen-Orient et Afrique du Nord à l’Institut Open Diplomacy de 2015 à 2016.
Xavier Guignard
Spécialiste de la Palestine, Xavier Guignard est chercheur au centre de recherche indépendant Noria Research.
Notes
[1] Etant donné l’impossibilité de savoir depuis combien de temps l’opération a été planifiée, il est difficile de déterminer si cette attaque du Hamas est liée au rapprochement entre l’Arabie saoudite et Israël.
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