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Les Cahiers de Confluences, sous la direction de Pierre Blanc, Révoltes Arabes, premiers regards, L’Harmattan, juin 2011

Par Anne-Lucie Chaigne-Oudin
Publié le 11/08/2011 • modifié le 20/04/2020 • Durée de lecture : 9 minutes

La question tunisienne est traitée dans deux articles. Dans le premier, Mohamed Chérif Ferjani, professeur des Universités, chercheur au GREMMO, à la maison de l’Orient et de la Méditerranée CNRS-Université Lyon 2, analyse l’ « Inspiration et perspectives de la révolution tunisienne ». Il revient sur les origines du mouvement et sur son « caractère particulièrement imprévu », aussi bien pour le pouvoir en place, le courant islamiste que l’opposition de gauche, les chercheurs et les intellectuels ; sur les interrogations actuelles et celles concernant l’avenir, en particulier dans les domaines politique avec la volonté démocratique, et économique, avec une relance de l’activité et le règlement du chômage des jeunes. L’auteur analyse également en quoi le mouvement est devenu une révolution : « si au départ il était difficile de parler de révolution, au fil des jours, le soulèvement est devenu une véritable révolution avec un objectif de plus en plus clair : le démantèlement de tous les rouages de la dictature et l’instauration d’un système tirant sa légitimité du peuple et de la prise en compte de ses aspirations sociales et démocratiques ». Dans le deuxième article, Farah Hached, avocate au barreau de Tunis, s’interroge sur « La laïcité : un principe à l’ordre du jour de la IIème république tunisienne ? », et notamment sur la place de l’Islam dans cette république et sur le principe de laïcité. Les prochaines élections du 23 octobre 2011 « où les Tunisiennes et les Tunisiens vont voter librement pour la première fois » afin d’« élire une Assemblée Constituante qui aura notamment pour attribution de rédiger une nouvelle Constitution pour la Tunisie » soulèvent les interrogations de l’auteur : « Remettra-t-elle en cause l’architecture actuelle concernant la place de la religion ou va-t-elle au contraire la perpétuer ? » Ainsi, Farah Hached estime qu’une clarification entre l’Islam et le droit semble nécessaire. Faut-il pour autant « opter pour une séparation totale ? », car d’autres moyens peuvent également garantir la démocratie et le respect des libertés fondamentales, en particulier « une déclaration des droits et libertés de valeur supra-constitutionnelle ».

Concernant l’Egypte, Amélie Régnault, doctorante à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne évoque dans son article l’« Opposition de gauche et opposition islamiste en Egypte, concepts et pratiques révolutionnaires partagés ». L’auteur explique ainsi que si la jeunesse et les réseaux sociaux se considèrent comme les initiateurs du mouvement, « il n’en reste pas moins que la contestation a mobilisé l’ensemble des classes sociales et rassemblé autour de thèmes unificateurs les forces politiques de gauche, les cercles nassériens et les mouvements islamistes ». Ce rassemblement s’inscrit dans un mouvement de contestation plus large et d’un héritage commun, datant des années 1970 et reprenant un « discours anti-impérialiste et révolutionnaire » qui trouve son origine après la Seconde Guerre mondiale et dont l’auteur fait l’historique jusqu’à aujourd’hui. Amélie Régnault évoque ensuite la « mobilisation commune » des communistes et des Frères musulmans, qui n’ont plus de statut légal, toujours dans les années 1970 à 2011, ainsi que les lieux dans lesquels s’expriment la contestation : les espaces publics et les universités. Cependant, Amélie Régnault estime en conclusion que « si les forces de gauche et les mouvements islamistes s’approprient le même référent anti-impérialiste pour condamner la politique conduite par le régime, l’appui dont ils bénéficient au sein de la population diverge en revanche nettement ». Elle évoque également l’implication de l’opposition dans les événements de 2011, en particulier de celle des organisations islamistes, qui « se sont montrées réticentes à s’investir trop clairement dans la dynamique révolutionnaire, partagées entre l’allégeance au régime et la volonté de suivre la révolte, sans la politiser ou l’ ‘’islamiser’’ ».

Trois articles analysent le positionnement des médias, des intellectuels et de la recherche scientifique dans le contexte des mouvements du monde arabe. Hayat Lydia Younga, chercheuse au centre d’Etudes sur l’Orient Contemporain à la Sorbonne Nouvelle Paris 3, évoque « La révolution arabe de 2011, à la recherche du sens perdu… » L’auteur regrette notamment que les médias français ainsi que les analyses des spécialistes aient « du mal à s’abstraire d’un certain européo-centrisme ou bien de référents historiques trop peu opérants comme le référent islamiste », et explique que ces mouvements s’inscrivent dans une durée historique, même s’ils sont « porteurs de nouveauté ». L’auteur analyse ainsi les termes utilisés par les journalistes dans leurs articles, l’amenant à s’interroger sur le prisme d’analyse des médias : « pourquoi vouloir présenter cette révolution et cette génération qui l’a lancée, comme étant post-islamistes et non pas comme une révolution et une génération qui ont su reprendre les valeurs des luttes des générations précédentes pour l’indépendance, la libération et la souveraineté nationales ? » Pour Hayat Lydia Younga, l’étude des slogans utilisés par les Tunisiens et par les Egyptiens pendant les manifestations, en particulier les citations littéraires et les poésies, aurait permis de resituer ces mouvements dans une perspective historique : « Ces vers, tous les Tunisiens et plus largement tous les Arabes les connaissent par cœur, génération après génération… Les réécouter dans de telles manifestations en 2011 suscite plus d’une émotion car ils font écho à une identité politique et poétique, arabe et moderne, qu’on pensait enterrée après les luttes d’indépendance et de libération nationales des années cinquante et soixante ». Hakim Ben Hammouda, économiste et universitaire, s’intéresse également dans son article « L’orientalisme et les révolutions tunisienne et égyptienne, pourquoi ne l’ont-ils pas aimée la révolution ? » aux points de vue et aux analyses des intellectuels français, dans le contexte des révoltes dans le monde arabe. Sarah Ben Néfissa, chercheuse en sciences politiques, évoque les « Révolutions arabes, les angles morts de l’analyse politique des sociétés de la région ». En effet, l’auteur constate que « les soulèvements (…) ont provoqué la surprise non seulement de l’opinion internationale mais également des milieux académiques, en France notamment ». Elle évoque ainsi les différents thèmes étudiés dans les sciences politiques françaises, et analyse l’évolution dans le temps de ceux-ci (le thème de l’islam, le thème de la démocratie arabe). De même, elle souligne que le thème du pacte social et politique, essentiel à la compréhension du processus électoral en cours, dans le contexte des mouvements au Moyen-Orient, et celui de l’étude des régimes politiques dans le monde, n’ont pas été assez « pris au sérieux » par les chercheurs. Sarah Ben néfissa conclut cependant qu’en dépit des « angles morts » de la recherche en sciences politiques, « il convient de rappeler toutefois que le phénomène révolutionnaire est toujours un mystère et que les sciences sociales n’ont pas pour objectif d’analyser le futur mais de comprendre le présent ».

La situation en Jordanie est analysée par Jamal Al Shalabi, professeur de Science politique à l’université Hachémite, diplômé de l’université de Bordeaux IV et de paris II. L’auteur rappelle que la Jordanie a connu en 1989 des épisodes révolutionnaires, et que les revendications portaient déjà sur la démocratie et la limitation des pouvoirs du roi : « Actually, Jordan experienced what is called the ‘’surge of April’’ in 1989, which led to a democratic transformation ». L’auteur évoque ainsi les événements de 1989, puis ceux amorcés dès 2010, avant même les événements de Tunisie et d’Egypte, dont les revendications étaient les mêmes qu’aujourd’hui : réformes économiques et politiques, notamment la lutte contre la corruption, le départ du gouvernement, la dissolution du Parlement et la mise en œuvre de réformes. Les acteurs impliqués dans ces mouvements sont également décrits : les militaires à la retraite, les tribus, le mouvement de jeunes appelé le Mouvement de la jeunesse en marche. Cet article laisse apparaître au final que ces mouvements ne souhaitent pas la fin de la monarchie hachémite, mais des réformes politiques au sein du régime : « it may be argued that the Jordanian opposition forces of various forms do not aim to change the Hashemite political regime, but rather desire to reform it, which impels us to believe that what is happening in Jordan is no more than the movement of revolutionaries without a revolution ! »

Salim Chena, EHESS-CESPRA, rédacteur-adjoint de la revue en ligne Dynamiques internationales, s’intéresse à « L’Algérie dans le ‘’Printemps arabe’’, entre espoirs, initiatives et blocages ». L’auteur rappelle que les blocages politiques demeurent, en dépit des mouvements de population début janvier 2011 provoqués par la hausse des prix du sucre et de l’huile, et de la levée de l’état d’urgence fin février. Comme le souligne l’auteur, « bien qu’elle ne soit pas formellement entrée dans le « Printemps arabe », l’Algérie partage plusieurs points communs avec ces pays ». Il évoque ainsi ces différents points dans les domaines politique, économique et de la société, et le fait que les responsables algériens n’ont pas pris en compte la crise politique, la ramenant à des revendications sociales et économiques. Il analyse ensuite les spécificités de l’Algérie sur le plan sécuritaire (police, armée, services de sécurité), sur celui de l’organisation des partis d’opposition, sur le plan économique avec la rente pétrolière et ses conséquences sur la « paix sociale ». L’auteur évoque dans sa dernière partie certaines « perspectives gramsciennes de changement » : les stratégies de changement des contestataires ; les réformes évoquées par le gouvernement (réforme de la constitution, des partis politiques, de la loi électorale…) ; la fragmentation du « champ politique officiel » ; l’attitude des puissances occidentales face au changement en Algérie, en lien avec les intérêts énergétiques qu’elles y possèdent et l’appui de l’Algérie dans la lutte contre le terrorisme.

La situation en Palestine et en Israël est également évoquée dans ce numéro, « car l’été qui vient s’annonce peut-être décisif ». Bernard Ravenel, membre du comité de rédaction de Confluences Méditerranée, se penche dans son article « La modernité gandhienne de l’intifada arabe » sur le lien entre révolution et violence, en prenant pour exemple l’intifada dans les Territoires palestiniens : « La révolution dans le monde arabe a pris la forme d’une lutte populaire non-violente qui a triomphé d’abord en Tunisie, puis en Egypte. Mais pour mieux comprendre ce phénomène historique, on ne peut ignorer le précédent que représente la résistance non-violente en Palestine comme ce fut le cas avec la première intifada de 1987 à 1993 avant que cette forme de résistance soit relancée à partir de 2005 ». Ainsi, pour l’auteur, « cette innovation politique oblige à repenser le rapport entre révolution et violence et à considérer le choix de la non-violence comme une nécessité politique et historique ». Ce processus de non-violence est ainsi analysé, aussi bien son concept que son évolution dans l’histoire. L’exemple de la résistance en Palestine est également traité, « de la lutte armée à l’action non-violente ». Roger Heacock, historien à l’Université de Birzeit en Palestine, s’intéresse à « La révolution arabe de 2011 et son printemps palestinien ». Il rappelle tout d’abord que, dans le contexte des révoltes arabes, la Palestine, qui « forme le cœur de la cause arabe », a vu sa situation se modifier : « Aujourd’hui, la formule s’est inversée, et les Palestiniens se voient emportés dans la grande révolution arabe de 2011, déjà devenue l’année des retrouvailles, du moins s’agissant des peuples. Les deux « régimes » palestiniens de Cisjordanie et de Gaza doivent suivre, abandonnés par leurs protecteurs (Mubarak dans un cas, Assad dans l’autre), et c’est ainsi que la pression conjuguée de la base populaire et de la région a forcé le Hamas et le Fatah à s’engager dans un processus de réconciliation que les Palestiniens appellent de leurs vœux ». Il relate ensuite les mouvements qui se sont déroulés en Cisjordanie et à Gaza (manifestations, utilisation de Facebook et de Twitter), puis dresse le bilan des attentes et des aspirations de la population. Pierre Berthelot, chercheur associé à l’Institut français d’analyse stratégique et à l’Institut d’études orientales (Bordeaux III), se penche sur la situation en Israël, en particulier sur la réaction de l’Etat face aux événements de la région : « La question qui est maintenant posée est celle de l’attitude qu’adoptera l’Etat hébreu, acteur incontournable de toute perspective de paix ou de stabilité régionale, car de celui-ci peut dépendre en partie le sort de ces révolutions ». L’auteur analyse ainsi les trois scénarii possibles pour l’Etat : le raidissement ; avancer dans la paix avec les Palestiniens ; le statu quo.

Jean-Yves Moisseron, économiste IRD, évoque pour sa part les évolutions qui devraient être mises en œuvre dans le partenariat euro-méditerranéen, dans le contexte des révoltes arabes. L’auteur rappelle dans un premier temps la genèse du projet de l’Union pour la Méditerranée jusqu’à nos jours (annulation du sommet des chefs d’Etat de novembre 2010), puis les « chocs » auxquels l’UPM a été confronté : la « dégradation des relations israélo-palestiniennes dans les derniers jours de 2008 peu de temps après le lancement de l’Union pour la Méditerranée » ; la crise économique ; les révoltes arabes. Jean-Yves Moisseron évoque alors les évolutions nécessaires du concept de l’UPM.

Dans son article intitulé : « Réjouissez-vous des révoltes arabes », Fawzia Zouari, journaliste évoque les raisons de se réjouir des révoltes, qui « battent en brèche nombre d’idées reçues » (rejet de la dictature des populations, capacité de réaction, appel à la démocratie, pas d’accusations portées contre l’Occident). L’auteur analyse ensuite les causes des révoltes (longévité des régimes, corruption, répression, absence de liberté d’expression, conditions de vie des femmes et de la jeunesse), puis les acteurs qui se réjouissent des changements à venir (démocrates et républicains, la société civile et les médias, les femmes et les jeunes). Les réactions de l’Occident et d’Israël face aux révoltes sont ensuite décryptées.

Publié le 11/08/2011


Anne-Lucie Chaigne-Oudin est la fondatrice et la directrice de la revue en ligne Les clés du Moyen-Orient, mise en ligne en juin 2010.
Y collaborent des experts du Moyen-Orient, selon la ligne éditoriale du site : analyser les événements du Moyen-Orient en les replaçant dans leur contexte historique.
Anne-Lucie Chaigne-Oudin, Docteur en histoire de l’université Paris-IV Sorbonne, a soutenu sa thèse sous la direction du professeur Dominique Chevallier.
Elle a publié en 2006 "La France et les rivalités occidentales au Levant, Syrie Liban, 1918-1939" et en 2009 "La France dans les jeux d’influences en Syrie et au Liban, 1940-1946" aux éditions L’Harmattan. Elle est également l’auteur de nombreux articles d’histoire et d’actualité, publiés sur le Site.


 


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