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Jean-Paul Chagnollaud est Professeur des universités, directeur de la revue Confluences-Méditerranée et de l’iReMMO.
Des négociations entre Israéliens et Palestiniens se sont ouvertes début septembre, sous l’égide des Etats-Unis. Actuellement, il est difficile de savoir où elles en sont : probablement dans l’impasse, mais jusqu’à quel point ? On ne le sait pas encore vraiment. En fait, les obstacles à franchir sont si considérables que les chances de succès sont à peu près nulles. Mais je tiens à cet « à peu près » car je crois qu’il existe, malgré tout, une infime possibilité qu’il en sorte quelque chose.
Ces obstacles sont de tous ordres : un rapport de forces déséquilibré, une communauté internationale passive et des lobbys actifs.
Dès que l’on parle de ce conflit, on feint trop souvent de considérer qu’il existe une symétrie entre les deux parties. Que ce soit dans la presse ou dans les milieux diplomatiques, les problèmes sont très souvent présentés comme équivalents et comme à mettre sur le même plan, comme s’il s’agissait d’un conflit entre deux Etats. Au-delà des soutiens que l’on peut choisir d’accorder aux uns ou aux autres, la réalité politique de la situation est la suivante : d’un côté une puissance occupante avec son Etat, son armée et une reconnaissance internationale sans failles, et de l’autre un peuple sous occupation militaire, sans Etat, sans armée et avec une reconnaissance internationale très formelle.
Ainsi, quand des négociations s‘ouvrent à Oslo, Annapolis ou Washington, cette asymétrie fondamentale demeure ; elle se traduit par un déséquilibre structurel dans le rapport de forces, indissociable de la négociation elle-même. On ne voit donc pas pourquoi les Israéliens accepteraient de lâcher quoi que ce soit d’essentiel dès lors qu’ils sont en situation dominante. De leur côté, les Palestiniens n’ont pratiquement aucun moyen pour faire entendre et moins encore faire accepter leurs revendications, fussent-elles appuyées sur le droit international.
Ce rapport de forces est d’autant plus inégal que les Israéliens ont un gouvernement fort, s’appuyant sur une coalition qui paraît solide même si elle est traversée de contradictions. Le premier ministre actuel demeure assez populaire et, à coup sûr, très légitime aux yeux de son opinion publique. A l’inverse les Palestiniens sont plus divisés que jamais et ne sont plus en état d’organiser des élections, en raison de la coupure entre la bande de Gaza contrôlée par le Hamas, la Cisjordanie dirigée par le Fatah et Jérusalem-Est annexée par Israël.
Cette division entre Palestiniens est d’autant plus grave qu’elle s’est structurée sur tous les plans : politique, idéologique, culturel et, depuis 2007, territorial. Comment, dans une telle configuration, peuvent-ils espérer faire face aux enjeux considérables des négociations actuelles ? Cela paraît d’autant plus improbable qu’il ne faut pas, par ailleurs, sous-estimer les contradictions au sein même de l’Autorité palestinienne et du Fatah. Plusieurs des leaders de ce mouvement n’hésitent pas en effet à critiquer la volonté de Mahmoud Abbas de poursuivre ces négociations.
Avec l’arrivée du président Obama et ses premiers pas au Proche-Orient, en particulier son discours du Caire en juin 2009, on pouvait espérer que sous sa houlette, la communauté internationale sorte de sa torpeur pour peser sur une solution politique du conflit. Contrairement à ces attentes, sa première initiative a fait long feu. Il a sans doute eu raison d’exiger en préalable un gel de la colonisation israélienne dans les territoires palestiniens mais encore aurait-il fallu qu’il s’en donne les moyens. En définitive, il n’a pu obtenir qu’un gel limité et provisoire de neuf mois. Depuis la fin de ce moratoire, les constructions ont repris sans que l’administration Obama ne réagisse vraiment. Elle en est aujourd’hui à tenter d’obtenir un nouvel arrêt de trois mois qu’elle est prête à payer au prix fort. Pour le moment sans résultat, au grand dam des Palestiniens pour lesquels l’arrêt de la colonisation est un préalable à la reprise des négociations.
Si les Etats-Unis ne peuvent peser sur ces discussions, il ne faut pas s’attendre à ce que les Européens puissent le faire. Depuis toujours, ils ont été en retrait et plus ils sont nombreux (6, 9,15, 27…), moins une diplomatie efficace est en mesure de sortir des conciliabules de Bruxelles. Comme la règle est le consensus, et que certains Etats ne veulent faire pression sur Israël, le résultat sera l’immobilisme, au mieux la publication d’un communiqué de temps en temps. Et pourtant, les grandes déclarations de l’Union européennes sont très claires. A Venise en 1980, à Berlin en 1999 ou à Bruxelles en 2009, les prises de position ont été très nettes, rappelant avec fermeté les principes du droit international devant s’appliquer à la résolution du conflit. Malheureusement rien de concret n’a été fait pour mettre en oeuvre ces déclarations. Si quelque chose de positif se produisait, on peut compter sur les Européens pour le soutenir sur le plan politique et, bien sûr, financier. Mais rien de plus.
Reste le Quartet, instance de discussion pilotée par Tony Blair, où les Nations unies, la Russie et l’Union européenne attendent de savoir ce que feront les Etats-Unis. Si ces derniers ne font rien, le Quartet en est réduit à rédiger un communiqué que personne ne lira.
Si rien ne semble bouger, en revanche, les lobbys en faveur du maintien du statu quo de l’occupation agissent de manière efficace, à commencer par celui des colons. Pour le moment, s’ il y a un vainqueur (provisoire), c’est ce dernier, qui défend les intérêts des 500 000 personnes implantées en Cisjordanie et à Jérusalem-Est en violation de la IVème Convention de Genève de 1949. Très actifs sur le terrain, ces colons n’hésitent pas à imposer leur volonté. On a vu leurs réactions au lendemain de la fin du moratoire sur la colonisation en Cisjordanie : partout les constructions repartaient de manière spectaculaire comme pour rattraper ce qu’ils estimaient être du temps perdu.
Si on s’en tient à ces éléments d’analyse, la conclusion s’impose : ces négociations n’iront nulle part.
Et si le pire n’était pas certain et qu’il y ait quand même une petite fenêtre d’opportunité ? Et si certains leaders de la droite israélienne étaient soudain capables de dépasser leurs à priori idéologiques pour déployer une véritable vision de l’avenir d’Israël ? Des hommes comme Netanyahu ou Barak (qui bien qu’étant au parti travailliste ne peut guère être classé à gauche) ont fait ces dernières semaines des déclarations très remarquées où ils disaient vouloir vraiment trouver une solution de fond au conflit. Barak a même été jusqu’à reprendre l’idée que les quartiers arabes de Jérusalem devraient un jour être placés sous souveraineté palestinienne.
Un certain nombre d‘entre eux ont parfaitement conscience que le temps et la démographie ne jouent pas en leur faveur. Dès 2011, il y aura autant de Palestiniens que de juifs sur le territoire d’Israël-Palestine, c’est à dire du Jourdain à la Méditerranée. Déjà, selon les données de 2009, avec les Palestiniens d’Israël (1 560 000), ceux de Cisjordanie avec Jérusalem-Est (2 500 000) et de Gaza (1 500 000), on est proche (5 560 000) du chiffre de la population juive d’Israël : 5 770 000 personnes selon le recensement de 2009.
Dans de telles conditions, il n’y a que trois options possibles pour l’avenir.
La première consiste à maintenir le statu-quo de l’occupation et de la colonisation avec toutes les humiliations qu’elles génèrent et donc toutes les violences qu’elles vont à nouveau provoquer. La seconde conduit à l’annexion des territoires occupés et donc à un Etat binational dont on discute beaucoup chez les Palestiniens, mais aussi en Israël, y compris à droite.
Pour ces leaders, aucune de ces deux solutions n’est acceptable. La première conforte un apartheid qui existe déjà et qui n’est pas tenable sur le long terme. La seconde serait un suicide politique puisqu’elle remettrait radicalement en question le principe même d’un Etat juif. Pour ces leaders de droite lucides, il ne reste donc qu’une seule possibilité : se séparer des Palestiniens par la création d’un Etat dont les contours et le statut restent par ailleurs assez flous. Dans une telle perspective, les négociations pourraient alors avancer dans l’intérêt bien compris des deux peuples.
Et si les Palestiniens prenaient l’initiative politique ? Jusque-là en effet, ils sont demeurés dans une posture assez défensive sans jamais vraiment se décider à prendre une initiative d’envergue. Or dans le contexte actuel où malgré tout, l’ensemble de la communauté internationale leur est plutôt favorable et où le président Obama a annoncé à New York que les Nations unies pourraient accueillir un Etat palestinien en 2011, ils pourraient, par exemple, décider de proclamer leur Etat sur les frontières de 1967 en ayant d’abord négocié sa reconnaissance, notamment en Europe. Cette déclaration serait plus forte que celle de 1988 parce qu’elle serait faite de leur territoire et non plus d’un pays étranger et qu’elle viendrait consacrer les efforts de construction institutionnelle accomplis depuis plusieurs années par le Premier ministre Salam Fayad avec un large soutien international. Pour qu’une telle dynamique soit possible, il faudrait sans doute d’abord que les Palestiniens retrouvent un tant soit peu le chemin de leur unité nationale.
Et si le Hamas et le Fatah réussissaient à surmonter leurs divergences ne serait-ce qu’en se mettant d’accord, ce qui n’est pas impossible, sur le principe d’un référendum venant sanctionner un éventuel accord politique avec les Israéliens ?
Et si Barack Obama persistait dans sa volonté de trouver le chemin d’un règlement politique du conflit israélo-palestinien. Il pourrait alors sortir de l’enlisement dangereux dans lequel se trouvent aujourd’hui les négociations pour, sinon imposer, du moins participer activement à la recherche d’une solution dans l’intérêt bien compris des deux peuples. Il a souvent affirmé que la création d’un Etat palestinien était la meilleure garantie de la sécurité d’Israël, il pourrait donc concentrer ses efforts et ses moyens sur cet objectif. Après tout, il a fait preuve de beaucoup de détermination dans le dossier crucial de la réforme de santé et il y est finalement globalement parvenu même s’il a dû accepter des compromis qui ne lui convenaient sans doute pas vraiment.
Et si les Européens se mettaient soudain à faire preuve de courage et tentaient de mettre en pratique les positions équilibrées et justes qui sont les leurs ? Là j’avoue que, même en voulant faire preuve d’optimisme, je n’y crois vraiment pas !
En conclusion, compte tenu de tous ces éléments, il se profile deux grands scénarios. L’un n’est pas impossible mais l’autre est probable.
Il n’est pas impossible qu’un accord de paix soit signé dans les prochains mois si les éléments de long terme que j’ai évoqués l’emportaient. la Ligue arabe pourrait y apporter une précieuse contribution en rappelant ses dernières propositions acceptant l’idée d’une normalisation avec Israël si celui-ci se décidait à respecter les principes du droit international. La paix se ferait donc aussi avec les Etats arabes à commencer par la Syrie et le Liban, marginalisant ainsi les positions agressives de l’Iran. La région connaitrait alors une mutation sans précédent et un autre monde pacifié pourrait émerger.
Malheureusement l’autre scénario est probable : celui où une fois encore rien ne bougerait et où l’occupation et la colonisation se maintiendraient en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, tandis que Gaza resterait sous un blocus que toute la communauté internationale a pourtant dénoncé. Les Palestiniens auraient encore perdu une bataille diplomatique et l’Autorité palestinienne n’aurait alors plus guère de raison d’exister encore. Nombreux sont les Palestiniens qui pensent que dans une telle configuration, il vaudrait mieux la dissoudre pour faire apparaître la réalité de l’occupation telle qu’elle est, et en finir avec cette fiction politique selon laquelle l’Autorité palestinienne serait comme la préfiguration d’un Etat.
Dès lors, la violence va resurgir tôt ou tard. Et le gouvernement israélien actuel, très influencé comme ses prédécesseurs par l’état major de Tsahal, n’hésitera sans doute pas à se lancer dans de nouvelle actions militaires à Gaza, certainement et sans doute aussi au Liban, d’autant que les généraux israéliens rêvent de prendre leur revanche sur le Hezbollah, allié d’un pays, l’Iran, qui est pour eux l’adversaire principal.
Jean-Paul Chagnollaud
Jean-Paul Chagnollaud est Professeur des universités, directeur de la revue Confluences-Méditerranée et de l’iReMMO.
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