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Compte rendu de l’« Abécédaire de la ville au Maghreb et au Moyen-Orient » dirigé par Bénédicte Florin, Anna Madoeuf, Olivier Sanmartin, Roman Stadnicki et Florence Troin

Par Mathilde Rouxel
Publié le 30/11/2020 • modifié le 30/11/2020 • Durée de lecture : 4 minutes

Un livre-outil

L’ouvrage a été conçu par des chercheurs membres de l’Équipe Monde arabe et Méditerranée du laboratoire CITERES (unité mixte de recherche Cités, Territoires, Environnement et Sociétés de l’Université de Tours et du CNRS). Il vise à créer un dialogue entre les travaux de chercheurs de différentes disciplines, qui interviennent sur des thématiques et des concepts variés, complétant les présentations d’un peu plus d’une cinquantaine de villes. Le croisement de problématiques - comme celle de l’agriculture urbaine, de la notion d’espace public, des enjeux posés par la question du vieillissement des populations (pour l’instant globalement très jeune mais qui est annoncée par une transition démographique dans certains pays du Maghreb ou en Iran) - permettent de considérer les enjeux de l’urbanité dans toute leur ampleur.

Une centaine de contributeurs sont à l’origine de ces articles qui permettent de remettre en perspective l’histoire de ces métropoles dans la chronologie de leur histoire, mais aussi en fonction des enjeux économiques qu’elles soulèvent à l’échelle du pays et de la région, ainsi que des problématiques sociales qui leur sont attachées. Les histoires des villes peuvent remonter à l’antiquité (« Alexandrie », Elena Chiti, p. 27) ou questionner uniquement les enjeux contemporains (« Alep », Jean-Claude David, p. 23). La dimension sociale est très présente à travers des articles transversaux qui interrogent la réalité des bidonvilles (Habiba Essahel, p. 61), des camps de réfugiés (Kamel Doraï, p. 65), mais aussi celle des commerces de rue (Anne Bouhali, p. 85) ou de la gestion des déchets, notamment en Égypte (Bénédicte Florin, p. 103) et plus récemment au Liban (Souha Tarraf, p. 105).

La question des énergies, qui a permis le développement urbain spectaculaire de tout le Golfe arabe ainsi que la prospérité de pays comme l’Algérie ou la Libye, n’est pas en reste. Le géographe Éric Verdeil questionne néanmoins les enjeux de la transition énergétique des villes arabes qui ont bénéficié de l’exploitation du pétrole du Golfe dès le début des années 1960 (p. 136), qui doit répondre aux pénuries de ressources (notamment au Liban, mais aussi dans la bande de Gaza, en Irak ou en Syrie, qui sont soumis à un rationnement en électricité) mais également aux politiques réfléchies pour faire face au changement climatique.

Un ouvrage qui remet la ville au cœur des questions sociales et politiques

Les auteurs rappellent en introduction de cet abécédaire que c’est « dans les villes, symbolisées par quelques lieux emblématiques, que se sont puissamment exprimées les voix des soulèvements des printemps arabes en 2011, dont les grands mouvements de contestation survenus à Khartoum, Alger, Bagdad et Beyrouth en 2019 ont été un évident prolongement » (p. 9). L’article sur les « Printemps arabes » du géographe Roman Stadnicki revient sur les transformations « socio-spatiales » induits par les manifestants occupant les espaces publics (p. 279) et par la réaction des autorités qui, comme par exemple au Caire, ont installé murs et barbelés dans les centres urbains et imposés une présence miliaire. Malgré tout, ces soulèvements populaires ont transformé en profondeur la façon de résister, en la réinscrivant dans la ville et son aménagement, repris en main par la société civile (p. 280).

Les révolutions ont bouleversé les centres urbains, qui se sont dans certains cas retrouvés au cœur de conflits sanglants. L’article du géographe Mohamed Al-Dbiyat sur le système urbain de Homs et Hama, en Syrie, permet par exemple de marquer ces transformations radicales sur le plan urbain dues à l’histoire récente. Il y met en regard la puissance économique de Homs, manifeste dès les années 1960 et la fragilité politique à laquelle s’est confrontée Hama face aux autorités dans les années 1960 puis suite à l’insurrection des Frères musulmans en 1982, qui a renforcé la position de Homs, toute proche, dans la cette région centrale de Syrie. La lenteur des transformations sociales a servi de levier à la révolte qui a éclaté en 2011, dans la continuité de mobilisations s’étant manifestées dès 2007 à la suite d’un projet inspiré de l’urbanisme des villes du Golfe, intitulé « Homs Dream » et immédiatement surnommé « Cauchemar de Homs » par les artisans et les commerçants (p. 158). Victime d’une violente répression dès les premiers temps des manifestations, la ville de Homs a été détruite à plus de 50%. La guerre a ainsi bouleversé les projections sur le devenir du système urbain de la Syrie centrale. Un tel retour sur la trajectoire histoire de ces villes permet de saisir l’importance des nouveaux enjeux de ces centres urbains, dix ans après la première vague de printemps arabes.

Tout au long de l’ouvrage, les articles sont complétés par des encadrés qui permettent d’offrir une ouverture culturelle ou une étude de cas qui vient compléter les réflexions portées par l’article auquel il est associé. Ainsi, à l’article « Jeunesse » de la sociologue Myriam Catusse (p. 175), qui fait état des contradictions que traversent les populations jeunes de cette région secouée en 2011 et 2019 de vagues de revendications d’aspiration à la démocratie, est joint un encadré de la géographe Laura Monfleur qui revient sur les manifestations des étudiants de l’université de Jordanie à Amman en 2016, ayant abouti au retrait de la mesure d’augmentation des frais de scolarité à laquelle les manifestants s’opposaient, mais qui n’ont pas pu être motrices d’autres revendications, en raison de la géographie et du règlement très strict du campus (p. 179). D’autres s’intéressent à des objets culturels, à l’image de l’article de Bénédicte Florin sur le film du réalisateur Mohamad Diab Les Femmes du bus 678 (2010) qui illustre la section « Harcèlement et espace public » développée par le sociologue Safaa Monqid (p. 156), ou la présentation du roman de Fellag L’Allumeur de rêves berbères par Éric Verdeil en complément de son article sur l’énergie (p. 138).

Cet abécédaire est un recueil dense d’articles précis, de formes et d’approches diverses, dont l’impression sur papier glacé rend la lecture particulièrement agréable. Il propose une approche intéressante à l’urbanité dans les régions du Maghreb et du Moyen-Orient, qui se déploie à travers de multiples concepts connexes, rythmant une lecture destinée à être sporadique, mais qui est richement tenue par la correspondance des articles entre eux.

Bénédicte Florin, Anna Madoeuf, Olivier Sanmartin, Roman Stadnicki et Florence Troin (dir.), Abécédaire de la ville au Maghreb et au Moyen-Orient, Presses Universitaires François Rabelais, 2020, 437 p.

Publié le 30/11/2020


Suite à des études en philosophie et en histoire de l’art et archéologie, Mathilde Rouxel a obtenu un master en études cinématographiques, qu’elle a suivi à l’ENS de Lyon et à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, Liban.
Aujourd’hui doctorante en études cinématographiques à l’Université Paris 3 – Sorbonne Nouvelle sur le thème : « Femmes, identité et révoltes politiques : créer l’image (Liban, Egypte, Tunisie, 1953-2012) », elle s’intéresse aux enjeux politiques qui lient ces trois pays et à leur position face aux révoltes des peuples qui les entourent.
Mathilde Rouxel a été et est engagée dans plusieurs actions culturelles au Liban, parmi lesquelles le Festival International du Film de la Résistance Culturelle (CRIFFL), sous la direction de Jocelyne Saab. Elle est également l’une des premières à avoir travaillé en profondeur l’œuvre de Jocelyne Saab dans sa globalité.


 


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