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Depuis le début de l’invasion russe de l’Ukraine et la mise en place de sanctions contre Moscou, les Européens, jusqu’alors très dépendants du gaz russe, ont cherché divers débouchés dans le domaine. Dans ce contexte, certains pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord sont amenés à jouer un rôle nouveau en matière énergétique. Francis Perrin, Directeur de recherche à l’IRIS (Paris) et chercheur associé au Policy Center for the New South (Rabat), répond aux questions des Clés du Moyen-Orient.
Cette tendance a commencé avant les sabotages contre Nord Stream 1 et 2 à la fin septembre 2022. C’est une réaction à la guerre en Ukraine. Depuis le printemps 2022, l’Union européenne (UE) n’a pas ménagé ses efforts pour parvenir à se passer du gaz en provenance de Russie. En mars 2022, l’UE prend la décision historique de se passer complètement du gaz russe à moyen terme. C’est un défi majeur car la Russie était son principal fournisseur.
La politique gazière de l’UE a généré des résultats concrets. Le premier accord en vue de chercher du gaz ailleurs qu’en Russie, et le plus important, a été conclu en 2022 avec les Etats-Unis et il prévoit une hausse des exportations de gaz naturel liquéfié (GNL) américain vers l’UE. Par la suite, l’UE a signé deux autres accords gaziers.
L’un est un accord tripartite entre les Européens, l’Egypte et Israël, qui vise à augmenter les exportations depuis ces deux pays producteurs de gaz dans les années à venir. Nous parlons ici de GNL. Il existe bien des projets de gazoducs, comme le projet EastMed qui relierait Israël à l’UE en passant par Chypre, puis la Grèce et l’Italie. Un autre projet envisage de mettre en place un gazoduc entre Israël et la Turquie qui permettrait de relier l’État hébreu avec les pays européens. Mais ce ne sont que des projets, rien n’est concret pour le moment et leurs perspectives de réalisation ne sont pas forcément très brillantes pour des raisons géopolitiques.
Un troisième accord en 2022 a été conclu entre l’UE et l’Azerbaïdjan, ce pays s’étant engagé à augmenter ses livraisons de gaz par gazoduc vers 2027. Il existe en effet un réseau de trois gazoducs, le Corridor Sud, qui relie le territoire azéri et l’UE. Dans le cadre de la guerre en Ukraine, les Européens cherchent des solutions rapides. Or, construire un nouveau gazoduc dans cette situation d’urgence n’est pas une option. L’Azerbaïdjan a donc ici un atout majeur.
Il y a deux façons d’exporter du gaz : soit du gaz naturel par gazoduc, soit du gaz naturel liquéfié (GNL), transportable par méthanier. Le GNL est plus coûteux, mais comporte un avantage car il sécurise les approvisionnements gaziers. Les pays européens possèdent des terminaux pour importer du gaz naturel liquéfié, ils peuvent donc se fournir chez plusieurs pays exportateurs et ainsi diversifier leurs sources d’approvisionnement. Le GNL comporte un avantage en termes de sécurité énergétique, cette filière est de plus en plus attirante. Les risques géopolitiques (sabotages et autres) liés aux gazoducs sont réels, nous l’avons vu avec la guerre en Ukraine. Certes, l’acheminement par gazoduc est moins coûteux, mais cette filière est plus rigide car le gaz ne peut être acheminé que par des canalisations reliant les pays concernés.
En parallèle, des accords gaziers ont été signés par un certain nombre de pays de l’UE. D’abord, entre l’Algérie et l’Italie pour augmenter les livraisons de gaz algérien aux Italiens par gazoduc à travers la Méditerranée. Trois autres accords ont été signés par Berlin : 1/ Entre l’Allemagne et le Qatar, 2/ Entre l’Allemagne et les Émirats arabes unis, 3/ Et entre l’Allemagne et l’Australie. Dans les trois cas, le gaz importé est du gaz naturel liquéfié. Pour rappel, avant l’invasion de l’Ukraine, l’Italie et l’Allemagne étaient particulièrement dépendantes du gaz russe.
Par ailleurs, un nouveau gazoduc est entré en service fin 2022 : c’est le « Baltic Pipe » et il relie la Norvège, le Danemark et la Pologne.
Cela fait en tout huit accords gaziers signés par les Européens en moins d’un an pour diversifier leurs sources d’approvisionnement. C’est inédit. A situation exceptionnelle, l’UE a offert une réponse exceptionnelle. En parallèle, d’autres accords sont en cours de discussion. La France négocie depuis 2022 avec l’Algérie et l’Allemagne négocie de son côté avec Oman. Mais aucun accord n’a été conclu pour le moment entre ces pays.
D’autres sources possibles sont envisagées comme le Canada et des pays d’Afrique subsaharienne. Concernant le Liban, il ne s’agit pour le moment que d’exploration. Il n’y a pas eu de découverte. L’horizon est plus lointain. Le consortium réunissant TotalEnergies, le groupe italien Eni et QatarEnergy explore actuellement des ressources dans les eaux libanaises. S’il y avait une découverte et si elle était qualifiée de commerciale, cela prendrait des années avant de les mettre en production, car il faudrait développer un gisement gazier. Le Liban est une solution possible dans le long terme, de ce fait, ce pays est hors-jeu dans le contexte de la guerre en Ukraine, car les Européens sont à la recherche de solutions à court et à moyen terme.
La Turquie est un État important pour la Russie, pour l’UE et pour la région de la mer Caspienne. Le gazoduc Bluestream (Russie - mer Noire - Turquie) approvisionne le marché turc. Le gaz transporté par le gazoduc Turkstream (Russie - mer Noire - Turquie - UE) est destiné à la Turquie et au marché de l’Union européenne. Pour l’instant, il y a donc encore du gaz russe qui arrive dans les États de l’UE mais les volumes ont fortement chuté par rapport au début 2022 et ce n’est pas fini.
Par ailleurs, la Turquie permet l’acheminement de gaz azéri grâce au Corridor gazier sud (SGC), qui relie l’Azerbaïdjan (producteur de gaz dans la mer Caspienne, au large de Bakou), la Géorgie, la Turquie et l’UE (jusqu’en Italie). Ce réseau de trois gazoducs successifs s’étale sur 3 500 kilomètres, et il est totalement opérationnel depuis décembre 2020. Le premier gazoduc, le Southern Caspian Pipeline (SCP), relie l’Azerbaïdjan et la Géorgie jusqu’à la frontière turque. Puis le TANAP prend le relais, en traversant la Turquie depuis la frontière turco-géorgienne jusqu’à la frontière turco-grecque. Il est relié à un troisième gazoduc, le TAP (Trans Adriatic Pipeline), qui dessert notamment la Grèce et l’Italie et qui est lui-même relié à d’autres gazoducs en Europe.
Par ailleurs, la Turquie importe du GNL et produit elle-même du gaz pour le marché turc. En avril 2023, elle a mis en production un important gisement gazier dans la mer Noire, Sakarya. Il n’est cependant pas suffisant pour satisfaire la consommation nationale.
La Turquie cherche à devenir un hub pour faire transiter du gaz de pays producteurs vers l’UE. Son positionnement géographique lui permet de se placer comme un point de transit incontournable. C’est déjà le cas pour le gaz azéri avec le Corridor Sud. Pour profiter de ses atouts géographiques, elle a proposé à Israël la construction d’un gazoduc pour que ce pays puisse exporter du gaz vers l’Europe via la Turquie. Mais, au vu des relations passées entre Israël et la Turquie, il semble peu probable que les dirigeants israéliens fassent assez confiance à Erdogan pour un tel projet qui suppose un engagement sur le très long terme. Il est aussi question d’un gazoduc transcaspien qui pourrait permettre au Turkménistan de faire passer son gaz à travers la mer Caspienne via l’Azerbaïdjan. Il utiliserait ensuite le réseau qui passe par la Turquie pour acheminer du gaz vers l’UE. La Turquie ambitionnerait également de servir de transit pour le gaz irakien. Les exportations de gaz venant de l’Iran à destination de l’Europe pourraient également, dans le futur, passer par le territoire turc. Mais, pour le moment, les sanctions américaines rendent cette option irréalisable.
Les réserves de gaz azéri pourront satisfaire la consommation de gaz dans l’UE pendant de longues années. On estime que les investissements totaux pour réaliser le Corridor Sud, qui permet d’exporter le gaz azéri vers la Géorgie, la Turquie et l’UE, s’élèvent à 40 milliards de dollars environ. C’est une somme considérable. En 2022, l’Azerbaïdjan s’est engagé à augmenter ses exportations de gaz vers les pays de l’Union européenne dans les années qui viennent.
Ines Gil
Ines Gil est Journaliste freelance basée à Beyrouth, Liban.
Elle a auparavant travaillé comme Journaliste pendant deux ans en Israël et dans les territoires palestiniens.
Diplômée d’un Master 2 Journalisme et enjeux internationaux, à Sciences Po Aix et à l’EJCAM, elle a effectué 6 mois de stage à LCI.
Auparavant, elle a travaillé en Irak comme Journaliste et a réalisé un Master en Relations Internationales à l’Université Saint-Joseph (Beyrouth, Liban).
Elle a également réalisé un stage auprès d’Amnesty International, à Tel Aviv, durant 6 mois et a été Déléguée adjointe Moyen-Orient et Afrique du Nord à l’Institut Open Diplomacy de 2015 à 2016.
Francis Perrin
Francis Perrin est chercheur associé au Policy Center for the New South et directeur de recherche à l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris).
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