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Entretien avec Inès Abdel Razek - Faoder, l’Union pour la Méditerranée : genèse, structure et défis

Par Ilham Younes, Inès Abdel Razek-Faoder
Publié le 11/06/2014 • modifié le 02/07/2014 • Durée de lecture : 10 minutes

FRANCE, Paris : France’s President Nicolas Sarkozy waits to welcome heads of Delegation arriving for the Paris’ Union for the Mediterranean founding summit, on July 13, 2008 at the Grand Palais in Paris. French President Nicolas Sarkozy and 42 leaders launch today a union between Europe and its Mediterranean neighbours but tensions among Middle East countries could undermine the grand plan.

AFP PHOTO / Dominique Faget

Comment est né le projet de l’Union pour la Méditerranée (UPM) ?

L’Union pour la Méditerranée a été créée par 43 Chefs d’États et de gouvernements euro-méditerranéens lors du Sommet de Paris le 13 juillet 2008. Elle est née sous impulsion politique de la France, plus particulièrement du Président Nicolas Sarkozy avec pour objectif de raviver et renforcer le partenariat euro-méditerranéen appelé Processus de Barcelone, lancé en 1995. Elle en a gardé l’essence et la finalité – construire la paix et la sécurité dans la région – mais en adoptant une approche qui se veut plus pragmatique à travers une coopération par des projets socio-économiques concrets.

L’idée initiale de l’UpM ne comprenait que les pays du pourtour méditerranéen, mais après des négociations politiques il a été convenu d’intégrer l’ensemble des Etat Membres de l’UE, pour une coopération commune avec la Méditerranée.

Six grand chantiers ont été identifiés à l’époque : la dépollution de la Méditerranée ; les autoroutes de la mer et les autoroutes terrestres ; la protection civile ; les énergies renouvelable avec le Plan solaire méditerranéen ; l’enseignement supérieur et la recherche notamment le projet d’Université euro-méditerranéenne ; l’initiative méditerranéenne de développement des entreprises.

La structure institutionnelle décidée à Paris a ensuite été détaillée et clarifiée lors de la réunion des ministres des Affaires étrangères qui se sont réunis à Marseille, le 4 novembre 2008, et ont décidé que le siège du Secrétariat de l’UpM s’établirait à Barcelone.

Dans une région ou le manque d’intégration chronique est l’un des principaux freins à la prospérité économique, sociale et environnementale, le partenariat est plus que jamais d’actualité.

Quels sont les piliers de l’UPM ?

Tout d’abord il est important de rappeler que l’UpM se veut un catalyseur et facilitateur de la coopération régionale. L’idée n’est pas de réinventer la roue mais bien de construire sur l’existant, de coordonner et renforcer ce qui se fait déjà dans la région.

Le secrétariat joue un rôle important dans l’identification de projets qui se fait en étroite concertation avec les pays dans le cadre de processus ministériels, de conférences dédiées aux projets ou de coopération et coordination avec d’autres acteurs comme les bailleurs de fonds. Le Secrétariat mobilise différents réseaux d’acteurs de la société et de l’économie méditerranéenne, ce qui permet de faire remonter des projets et programmes des différents acteurs de terrains, qu’ils soient publics ou privés et d’impliquer toutes les parties prenantes.

Le Secrétariat apporte ensuite une assistance aux promoteurs de projets qui en ont besoin afin que les projets qu’ils proposent soient réalisables, soient significatifs pour la région et bénéficient d’un soutien politique fort, en étant labellisés.

L’UpM appose son label sur les projets considérés comme phares pour le développement durable de la région. C’est un label à dimension politique, qui témoigne de l’approbation à l’unanimité des quarante-trois pays membres, représentés par leurs ministères des Affaires étrangères. Il donne donc une crédibilité et une visibilité renforcée à ces projets, facilitant leur mise en oeuvre.

Il est important de souligner deux grands principes sur lesquels repose l’activité de l’UpM :
 La géométrie variable qui permet aux pays qui le souhaitent de participer aux projets qui les intéressent. Les projets n’ont donc pas à compter sur la participation systématique de 43 pays.
 La co-appropriation : l’UpM fonctionne sur un mode paritaire avec une co-présidence du nord et une co-présidence du sud autour des principes de codécision et de responsabilité partagée.

Quelle est la structure institutionnelle de l’UPM ?

La grande innovation du processus de l’UpM par rapport au Processus de Barcelone de 1995 est sa structure institutionnelle.

L’UpM fonctionne en coprésidence. Toutes les réunions de l’Union pour la Méditerranée sont coprésidées par un président provenant de l’Union européenne et un président provenant du sud ou de l’est de la méditerranéenne. Le principe de la coprésidence s’applique à tous les niveaux : aux Sommets, aux réunions ministérielles, aux réunions des hauts fonctionnaires. Le principe de la coprésidence nord-sud a été instauré par le sommet de Paris du 13 juillet 2008 et il fait partie des mesures prises pour favoriser le partage des responsabilités et améliorer l’équilibre entre tous les participants au processus. L’Union européenne occupe la présidence nord de l’Union pour la Méditerranée suite à la décision du Conseil des ministres des Affaires étrangères de l’UE du 27 février 2012. La Jordanie occupe la présidence sud depuis juin 2012.

Ensuite, les membres de l’Union pour la Méditerranée se réunissent bimensuellement au niveau des hauts fonctionnaires (généralement des Ambassadeurs) des 43 pays, des institutions de l’UE et de la Ligue des États Arabes (qui est observatrice dans l’UpM). Lors de leurs réunions, les hauts fonctionnaires supervisent et coordonnent le travail de l’Union pour la Méditerranée. Ils approuvent le budget et le programme de travail annuel du Secrétariat et préparent les réunions ministérielles. Ils évaluent les propositions de projet qui leur sont soumises par le Secrétariat pour approbation et labellisation. Les hauts fonctionnaires prennent leurs décisions par consensus.

L’UpM est doté d’un Secrétariat général basé à Barcelone. Le Secrétariat, comme je l’ai dit plus haut, est le bras technique et opérationnel du partenariat. Il agit en médiateur et facilitateur pour les projets et programmes de l’UpM en tissant des réseaux de partenaires clés pour transformer des idées en projets concrets. Il a été installé fin 2010 et compte aujourd’hui près de 65 personnel dont certains sont détachés de leur administration d’origine et d’autres recrutés directement par le Secrétariat.

Qu’apporte l’UPM de nouveau par rapport à l’acquis du partenariat euro-méditerranéen ?

L’UpM construit sur les acquis du partenariat euro-méditerranéen mais avec une approche plus intégrée de la coopération régionale et plus inclusive. Il faut rappeler que le partenariat, ce sont 43 pays qui décident à l’unanimité avec 1 pays, 1 voix. Ce n’est pas seulement un instrument de la politique de l’Union Européenne mais bien une véritable enceinte intergouvernementale méditerranéenne.

D’un point de vue institutionnel, la déclaration de Paris a introduit un mécanisme de suivi permanent qu’est la réunion des hauts fonctionnaires et une enceinte de dialogue politique ainsi qu’un organe opérationnel qu’est le Secrétariat de Barcelone. Ceci permet d’avoir des mécanismes de suivi, de coordination et de mise en oeuvre des décisions ministérielles notamment, avec les Etats Membres.

Le choix de l’UpM a également été d’adopter une approche « bottom-up » et pragmatique, fondée sur la promotion de projets concrets. Toutefois, il y a bien un dialogue politique, et l’UpM sert aussi de plateforme d’échanges sur les différents programmes et politiques publiques régionales mais dans l’optique d’identifier des projets « phares » qui représentent les valeurs et objectifs de l’UpM : représenter de vrais modèles pour un développement durable dans la région, participer à l’intégration régionale, contribuer à une politique ou un programme régional, être potentiellement « réplicables ».

D’autre part, le partenariat euro-med ou Processus de Barcelone a été prolongé au niveau de l’UE par la Politique Européenne de Voisinage et l’UpM s’inscrit en pleine cohérence avec la PEV. La PEV fonctionne majoritairement sur une base bilatérale de coopération entre l’UE et chaque Etat du voisinage. Mais l’UE étant la co-présidence de l’UpM, nous travaillons aussi en étroites synergies pour développer les activités relevant du régional multilatéral.

Quels sont les grands chantiers lancés par l’UPM depuis sa création ?

L’UpM, en tant que plateforme pour catalyser et faciliter de projets et initiatives intégratrice consolide tout d’abord son rôle de plateforme régionale qui fédère, coordonne et donne le poids politique nécessaire aux initiatives d’intégration régionales qu’elles émanent du nord, du sud ou de l’est de la Méditerranée.

L’UpM travaille toujours sur les priorités définies en 2008, mais bien sûr elle a dû s’adapter au nouveau contexte économique, politique et social. Le Secrétariat a été établi fin 2010 et les activités opérationnelles portées par le Secrétariat restent récentes. C’est toujours une institution en plein développement. Il est donc juste de dire que les chantiers sont « lancés ». Le Secrétariat inscrit son activité et ses chantiers dans une perspective de long-terme qui prennent en compte les urgences économiques et sociales, l’emploi, la santé, l’accès aux denrées alimentaires de manière durable etc.

Il y a donc différents chantiers lancés et qui se divisent dans deux grandes catégories de projets et programmes : des projets et programmes dits « softs » qui ont trait directement à des activités avec les populations bénéficiaires, se focalisant sur la formation, les NTIC, le renforcement des capacités etc. Et d’autre part de grands projets d’investissement et d’infrastructure de grande envergure.

Plusieurs projets d’infrastructure sont donc dans le « pipeline » de projets, notamment plusieurs dizaines de projets dans le cadre de la Dépollution de la Méditerranée dont le premier à avoir été labellisé est le projet de dépollution intégrée du lac de Bizerte en Tunisie.

Dans le domaine du Développement urbain durable qui représente un des défis majeurs pour l’évolution démographique, économique et sociale de la région, l’initiative UPFI (Urban Projects Financial Initiative) a été lancée grâce à la coordination étroite entre l’UpM, l’AfD, la BEI et la Commission Européenne et 25 projets prioritaires ont été identifiés avec les pays. Le premier est le projet d’Imbaba en Egypte pour un développement intégré de ce quartier de la périphérie du Caire densément peuplé. Ces 25 projets vont bénéficier entre 2014 et 2015 d’un appui institutionnel de l’UpM et d’une facilitation de l’assistance technique pour la finalisation du montage du projet et sa mise en oeuvre progressive. On parle d’investissements de plusieurs centaines de millions d’euros chacun, et ce sont des projets qui se préparent en amont sur plusieurs années et peuvent prendre plus de 10 ans avant d’être terminés.

Pour en citer un autre, il y a bien sûr l’autoroute Trans-maghrébine, par exemple où le Secrétariat avec son partenaire du 5+5 CETMO structure la composante régionale et l’harmonisation des composantes nationales de ce projet qui doit relier tout le Maghreb par la route et qui nécessite encore une levée de fonds importante.

Concernant les projets « softs » l’accent est mis aujourd’hui sur l’emploi des jeunes ainsi que le renforcement de la participation des femmes dans la société et l’économie.
Le Secrétariat a notamment lancé fin 2014 le programme « Med4Jobs » qui comprend trois piliers : l’employabilité (éducation, formation) ; l’intermédiation entre l’offre et la demande d’emplois ; la création d’entreprises. L’objectif est d’identifier les meilleures pratiques en termes de projets créateurs d’emplois et de les transférer dans les pays du sud et de l’est de la Méditerranée.

Quel a été le rôle de l’UPM face aux soulèvements dans le monde arabe ?

L’UpM, comme beaucoup d’institutions internationales a été dans une position plutôt réactive suite aux soulèvements populaires que personne n’avait prévus, et bien entendu elle a dû s’adapter, être à l’écoute de son environnement politique, social et institutionnel. Afin de répondre aux défis socio-économiques pressants pour les populations, révélés d’autant plus par ces soulèvements, les ministres de l’UpM et les organes décideurs ont décidé de renforcer le mandat des pays de l’UpM et de ses institutions et notamment de son Secrétariat pour développer des programmes et projets pour lutter contre le chômage des jeunes, renforcer le rôle des femmes dans la société et leur participation socio-économique, préserver les ressources en eau etc. Des défis qui ne pourront se résoudre sans une intégration régionale renforcée.

Lorsque j’ai rejoint le Secrétariat en 2010, nous étions à l’époque 10 personnes et avions très peu de moyens d’action. Aujourd’hui, nous sommes près de 65, de 22 nationalités et nous sommes connectés en permanence avec les différents réseaux de coopération de la région. Les pays s’approprient progressivement le processus, comprenant que l’UpM c’est nous tous, tous les acteurs de la région.

L’organisation a été fortement ébranlée par les changements politiques et sociaux en Méditerranée, aujourd’hui quels sont les défis de l’UPM ?

Je dirais qu’aujourd’hui l’UpM, en tant qu’organisation de coopération pour le développement socio-économique et le dialogue politique, doit comme beaucoup d’autres institutions publiques internationales faire face au difficile contexte économique et financier international.

Cette crise et ce moment de doute, de transitions, de changements politiques, tant en Europe qu’au sud de la Méditerranée pousse l’UpM à chercher des solutions pragmatiques et innovantes notamment pour financer les projets phares et les initiatives. Les budgets des Etats ne peuvent plus développer seuls la coopération internationale, il faut impliquer le secteur privé, impliquer les pays du Golfe, trouver des mécanismes innovants de financement, encourager le co-financement ou encore augmenter la coordination des différents bailleurs de fonds afin de bien cibler les priorités des différents pays et de la région et d’investir dans les priorités communes.

Par ailleurs, l’un des défis de l’UpM est l’appropriation par les Etats Membres du partenariat, et principalement du sud de la Méditerranée. Cette appropriation est essentielle pour que l’UpM réponde au mieux aux attentes des populations mais elle demande des efforts de mise en perspective communes et de transparence avec les Etats afin que chacun se sente acteur et responsable de la coopération. L’objectif est de dépasser la perspective dichotomique Nord-Sud, la Méditerranée ayant le potentiel d’être une plateforme intégrée, qui puisse faire le lien entre l’Europe et l’Afrique.

Un autre défi important, et je terminerai par là, est de s’efforcer de toujours mieux coordonner les initiatives existantes et les différents acteurs, que ce soient les associations, les entrepreneurs, les entreprises, les institutions publiques, les collectivités locales, les bailleurs de fonds etc. car l’objectif est de s’assurer de ne pas dupliquer les actions, projets et activités existantes qui participent de l’effort commun d’intégration régionale.

Ainsi, l’UpM est consciente que les attentes et expectatives de la part des différents acteurs sont grandes - en témoigne le nombre de demandes et de sollicitations que nous avons à gérer au quotidien - mais il s’agit d’être à la fois ambitieux tout en étant réaliste et de garder le cap vers une intégration Méditerranéenne.

Publié le 11/06/2014


Juriste de formation et diplômée de l’Institut des Sciences Politiques de Paris, Ilham Younes s’est spécialisée sur les relations Union européenne/Proche-Orient avec pour objectif de travailler dans la recherche sur ces questions. D’origine franco-palestinienne, elle a créé en 2007 et préside toujours l’association « Printemps de Palestine » dont le but est de promouvoir la culture palestinienne au travers de festivités, d’expositions ou encore de concerts.
Rédactrice-chercheur pour Carto et Moyen-Orient de janvier à mai 2012, et assistante de recherche auprès de Pascal Boniface (directeur de l’IRIS) de janvier à mai 2013 , elle a rédigé de nombreux articles sur la situation politique en Jordanie, en Égypte, ou encore au Liban. Elle s’est plus récemment impliquée aux côtés de la délégation diplomatique palestinienne pour l’éducation et la culture au cours de la 37ème Conférence générale de l’UNESCO.


Inès Abdel Razek – Faoder est chargée de projets au Secrétariat de l’Union pour la Méditerranée à Barcelone. Diplômée de L’Institut d’études Politiques de Paris avec un master en Affaires Publiques, Inès s’est très vite orientée vers les questions de coopération pour le développement durable dans la région Proche-Orient et Méditerranée. Après une première expérience à l’AfD, elle a rejoint le Secrétariat de l’UpM à sa création en 2010 où elle s’est concentrée sur la création de partenariats et la promotion de projets régionaux multilatéraux.


 


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