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Après des études de Droit à Paris et un MBA à Boston aux Etats-Unis, Matthieu Saab débute sa carrière dans la Banque. En 2007, il décide de se consacrer à l’évolution de l’Orient arabe. Il est l’auteur de « L’Orient d’Edouard Saab » paru en 2013 et co-auteur de deux ouvrages importants : le « Dictionnaire du Moyen-Orient » (2011) et le « Dictionnaire géopolitique de l’Islamisme » (2009).
Les quatre premiers conflits israélo-arabes (de 1948 à 1973) qui se sont déroulés entre des armées régulières arabes et israélienne ont entrainé de lourdes pertes humaines dans les rangs des militaires et des civils des deux camps. Par la suite, et à partir de 1973, les pays arabes se retirent du champ de bataille et seuls les Palestiniens continuent à affronter militairement Israël, avec une exception notable pour le Hezbollah qui a combattu Israël jusqu’à son retrait total du Liban en 2000, puis qui s’est à nouveau opposé à lui en 2006. Depuis 1973, ce qui caractérise le conflit pour Israël est un nombre de morts beaucoup moins important par rapport aux quatre premières guerres israélo-arabes.
L’apparition de l’Etat islamique en Irak et en Syrie va-t-elle remettre en cause cette relative stabilité pour l’Etat hébreu ? La sécurité d’Israël va-t-elle à nouveau provoquer de lourdes pertes humaines pour sa population et ses forces armées ? Dans ces conditions, la résolution du conflit israélo-palestinien aura-t-elle un impact sur la stratégie de l’Etat islamique et sur celle de l’Etat hébreu ? Quel est le rôle du Hezbollah et de l’Iran ?
La première guerre israélo-arabe s’est déroulée en 1948. L’Egypte, la Syrie, la Jordanie et l’Irak investissent le nouvel Etat hébreu, le Liban quant à lui déclare la guerre à Israël mais ne l’envahit pas militairement. Cette première guerre israélo-arabe est la plus dévastatrice des quatre pour Israël étant donné que 6,373 Israéliens (civils et militaires) meurent (1) pour consolider la formation du nouvel Etat. Du côté arabe, 10,000 personnes périssent dans ce conflit (2).
En 1956, Israël, aidé par les troupes britanniques et françaises, attaque l’Egypte afin de renverser le gouvernement de Jamal Abdel-Nasser qui avait nationalisé le canal de Suez. Israël occupe également la bande de Gaza afin de neutraliser les combattants palestiniens. Cependant, l’opposition des deux superpuissances américaine et soviétique impose à Israël de se retirer sur les frontières fixées par les accords d’armistice de 1949. Ce conflit a fait 231 morts (3) au sein de Tsahal, l’armée israélienne. Les morts arabes s’élèvent à 3,000 (4).
En mai 1967, à la demande du gouvernement syrien, les troupes égyptiennes envahissent la zone limitrophe du Sinaï à la frontière israélienne. Quelques jours plus tard, Nasser demande aux observateurs de l’ONU stationnés entre Israël et l’Egypte de se retirer. L’armée égyptienne occupe Charm el-Cheikh au sud du Sinaï et bloque le port d’Eilat sur le golfe d’Akaba. Les Israéliens attaquent alors préventivement l’Egypte et la Syrie le 5 juin 1967 et détruisent l’armée de l’air égyptienne. La Jordanie est également attaquée par l’Etat Juif. La défaite des armées arabes est inévitable : Israël occupe la Cisjordanie, la bande de Gaza, le Sinaï et le Golan. 776 Israéliens (5) périssent dans cette guerre qui se termine par une victoire totale de l’Etat hébreu ; côté arabe, il faut compter 18,300 morts (6).
Afin de débloquer la situation des pays arabes, l’Egypte et la Syrie engagent les hostilités le 6 octobre 1973. Les troupes égyptiennes et syriennes se battent au Sinaï et sur les hauteurs du Golan. Les Arabes prennent le dessus momentanément puis Israël encercle la troisième armée égyptienne. Le cessez-le-feu intervient trois semaines après le début des combats. La bataille sur les deux fronts syrien et égyptien provoque la mort de 2,688 Israéliens (7) et de 19,000 Arabes.
Dorénavant, le conflit militaire entre Israël et les Arabes se limite à un conflit entre les Palestiniens et l’armée israélienne (à l’exception notable du Hezbollah comme nous l’avons déjà indiqué). Le cinquième conflit israélo-palestinien de 1982 durant lequel les Israéliens mettent fin à la présence armée palestinienne au Liban, et principalement à Beyrouth, provoque la mort de 1,216 Israéliens et de 20,825 palestiniens et libanais (8). Le conflit de 1982 est intervenu quelques années après les premières incursions de l’armée israélienne au sud-Liban en 1978. Israël a découvert avec les Palestiniens au Liban les techniques de la « guérilla » avec lesquelles Tsahal ne s’était pas encore familiarisé. C’est ce qui explique le nombre de morts côté israélien. Cependant, celui-ci reste relativement faible, si on le compare au nombre d’Israéliens morts durant le conflit de 1948.
Par la suite, une guerre de basse intensité (9) oppose principalement Israël à la population palestinienne entre 1987 et 2014. La première Intifada (soulèvement) est déclenchée en décembre 1987. Elle n’a pas été préparée par l’OLP et est une mobilisation de la population palestinienne dans les Territoires occupés, se caractérisant par une campagne de désobéissance civile et par des manifestations contre l’occupation israélienne. Entre 1987 et 1993, Israël réprime brutalement le soulèvement et pratiquement tous les organisateurs du soulèvement sont emprisonnés. L’Intifada se termine par le renforcement du Hamas.
La deuxième Intifada est déclenchée en septembre 2000 suite à la visite du Premier ministre israélien Ariel Sharon au Mont du Temple, qui est perçue par les Palestiniens comme une provocation. L’armée israélienne utilise des chars, des hélicoptères et des chasseurs-bombardiers F-16. Les infrastructures de l’Autorité Palestinienne à Ramallah et à Gaza sont détruites. A partir de novembre 2000, les Palestiniens ont recours aux attaques suicides contre l’armée et la population israélienne : de 2000 à 2005, il y a 150 attaques (10). L’Intifada se termine en février 2005 suite au sommet de Charm el-Cheikh entre Ariel Sharon et Mahmoud Abbas, qui annoncent la fin des violences entre Israéliens et Palestiniens.
Les deux Intifada et l’opération « Plomb Durci » contre la bande de Gaza (2008-2009) font 1,483 morts israéliens (7,398 palestiniens) auxquels il faut ajouter les 164 israéliens (11) tombés durant le conflit de 2006 contre le Hezbollah (1,954 Libanais sont tués dans ce conflit), les 6 morts de l’opération « Pilier de Défense » en 2012 (158 morts côté palestinien) et les 73 morts occasionnés par l’opération « Bordure Protectrice » qui a opposé en 2014 (12) le Hamas à l’armée israélienne (2,100 palestiniens tués durant ce conflit).
Ainsi, si l’on compte en moyenne annuelle 403 morts israéliens entre 1948 et 1973 (25 ans), ce chiffre passe à 72 morts entre 1973 et 2014 (41 ans). En outre, les Etats arabes traditionnellement actifs dans les conflits armés israélo-arabes entre 1948 et 1973 à savoir l’Egypte, la Syrie, l’Irak et la Jordanie ont mis fin, de facto, à leurs actions militaires.
En effet, l’Egypte (en 1979) puis la Jordanie (en 1994) ont signé un traité de paix avec Israël, et depuis 2011, la Syrie et l’Irak sont entrés dans une zone de turbulences qui ne leur permet plus de s’opposer militairement à l’Etat hébreu. Donc normalement, et avant l’avènement de l’Etat islamique, Israël se trouve dans une situation inédite où il ne s’est plus battu sur tous les fronts traditionnels des guerres de 1948 à 1973.
Il faut également signaler que, durant les quatre premiers conflits israélo-arabes, ce qui a permis à Israël de résister aux troupes arabes est la constitution de zones tampons : sur la frontière égyptienne, le Sinaï ; sur la frontière syrienne, le Golan.
Or, en 2016, ces zones tampons n’existent plus. Comme nous l’avons déjà indiqué, les pays arabes traditionnels se sont désintégrés et les groupes islamistes radicaux se sont développés (13). Dans ces conditions, un risque pourrait se profiler pour l’Etat hébreu. Quelle est sa stratégie ? Quelle est celle de l’Etat islamiste ? Comment ces stratégies se déclinent-elle sur le terrain ?
L’Etat islamique s’est développé dans des régions peuplées par des sunnites où un vide politique et sécuritaire s’est imposé depuis l’émergence des « Printemps arabes ». Il ne s’est pas attaqué à des régimes forts en place, en Jordanie et en Arabie saoudite, par exemple. Lorsqu’il se trouve opposé à des armées structurées même à des niveaux régionaux (les milices kurdes par exemple), il ne les attaque pas (14). Conquérir Damas et Bagdad (capitales des empires Omeyyade et Abbasside) est une priorité. La conquête du royaume hachémite de Jordanie et de l’Arabie saoudite où se trouvent les principaux lieux saints de l’Islam est un objectif à plus long terme pour l’Etat islamique. On peut raisonnablement estimer qu’il en va de même pour la conquête de l’Etat hébreu.
Or, l’Etat islamique déclare vouloir occuper le Sinaï afin de constituer une base militaire pour attaquer l’Etat hébreu et conquérir Jérusalem (15). L’occupation de ces territoires ennemis est donc un objectif essentiel que s’est fixé Abou Bakr al-Bagdadi (qui dirige l’Etat islamique) afin de mettre fin aux régimes hostiles et d’élargir le « Califat Islamique ». Les Islamistes veulent s’imposer comme les meilleurs combattants dans la lutte contre Israël. Ils veulent en retirer un prestige qui augmentera leur audience au sein des populations arabes et plus spécialement auprès des Egyptiens et des habitants de Gaza. A signaler que, stratégiquement, la route du Sinaï conduit à Gaza, où les Islamistes sont déjà implantés.
Sur le terrain, et malgré les déclarations de ses dirigeants, l’Etat islamique se consacre en priorité à élargir les frontières de son Califat en Syrie et en Irak. Pour atteindre cet objectif, il doit faire face à deux coalitions internationales, l’une menée par les Américains et l’autre par les Russes (16).
Israël a adopté une stratégie qui consiste à n’intervenir que si sa sécurité nationale est en jeu. Ainsi, et pour le moment, son rôle est limité. Il transmet à l’Egypte des informations sensibles sur les activités de l’Etat islamique au Sinaï et coopère avec la Jordanie au sud de la Syrie. En cas de nécessité, Israël procède à des arrestations d’éléments dangereux islamistes sur son territoire.
Dans ces conditions, Jérusalem ne participe pas à une large coalition anti-Etat islamique, même tacitement. L’application de sa doctrine en matière de sécurité nationale lui impose en effet d’agir unilatéralement et non pas au sein d’une coalition. Israël partage les craintes de ses alliés occidentaux mais estime que la défaite de l’Etat islamique n’impliquera pas une stabilisation des Etats de la région.
En effet, un reflux de l’Etat islamique pourrait renforcer les ennemis d’Israël et consolider l’hégémonie iranienne dans la région. La priorité pour Israël est donc le combat contre les chiites alliés au régime alaouite (mouvance chiite) de Bashar al-Assad. La chute de ce régime conduirait inévitablement à la déstabilisation du grand allié iranien. Dans ces conditions, on peut estimer qu’Israël ne recherche pas la victoire d’une des parties en conflit en Syrie et en Irak mais, plutôt, l’épuisement de toutes les parties en cause (17).
Après avoir passé en revue la stratégie de l’Etat islamique et celle d’Israël, nous allons examiner la situation qui se présente sur les différents champs de bataille israélo-arabes en prenant bien soin d’identifier les zones qui constituent un danger pour l’Etat d’Israël.
Notes :
(1) Jewish virtual library.
http://www.jewishvirtuallibrary.org/jsource/History/casualtiestotal.html
(2) Ibid.
(3) Ibid.
(4) Ibid.
(5) Ibid.
(6) Ibid.
(7) Ibid.
(8) Ibid.
(9) Georges Malbrunot, « Conflit israélo-palestinien : 8,900 morts depuis vingt ans », Le Figaro, le 24 novembre 2009 http://blog.lefigaro.fr/malbrunot/2009/11/conflit-israelo-palestinien-8.html
(10) Middle East Research and Information Project, « Prime on Palestine, Israël and the Arab-Israeli Conflict » http://www.merip.org/primer-palestine-israel-arab-israeli-conflict-new
(11) Ibid.
(12) itele.fr, « Gaza : un bilan lourd, une guerre sans vainqueur » http://www.itele.fr/monde/video/gaza-un-bilan-lourd-une-guerre-sans-vainqueur-91540 le 28 août 2014.
(13) Yaakov Amidror, « Perfect Storm : The Implications of Middle East Chaos », BESA Center for Strategic Studies Policy Memorundum, N°8, Juillet 2015.
(14) Efraim Inbar, « ISIS : The dangers for Israel » The Journal of International Security Affairs http://besacenter.org/wp-content/uploads/2016/01/Inbar.pdf
(15) Rowan Scarborough, « Islamic State aims to destroy Israel, ‘liberate’ Jerusalem with Sinai Peninsula terrorist force » The Washington Times http://www.washingtontimes.com/news/2016/may/22/isis-seeks-to-destroy-israel-liberate-jerusalem-wi/ le 22 mai 2016
(16) Yossi Mekelberg, « For Israel, ISIS is too close for comfort - but so is Iran », Al-Arabiya English http://english.alarabiya.net/en/views/news/middle-east/2016/01/27/For-Israel-ISIS-is-too-close-for-comfort-but-so-is-Iran.html le 27 janvier 2016
(17) cf. Yossi Mekelberg, « For Israel, ISIS is too close for comfort - but so is Iran ».
Matthieu Saab
Après des études de Droit à Paris et un MBA à Boston aux Etats-Unis, Matthieu Saab débute sa carrière dans la Banque. En 2007, il décide de se consacrer à l’évolution de l’Orient arabe. Il est l’auteur de « L’Orient d’Edouard Saab » paru en 2013 et co-auteur de deux ouvrages importants : le « Dictionnaire du Moyen-Orient » (2011) et le « Dictionnaire géopolitique de l’Islamisme » (2009).
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