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Lorsque les Britanniques annoncent le retrait de leurs troupes du golfe Arabo-persique en janvier 1968, bon nombre de protectorats comme Oman ou le Yémen en profitent pour obtenir l’indépendance. Les petits émirats issus de l’ensemble nommé Etats de la Trêve, trop faibles vis-à-vis de leurs voisins et dont les ressources pétrolières attirent la convoitise, ne peuvent survivre seuls. C’est ainsi que, sous la conduite des émirats d’Abu Dhabi et de Dubaï, ils envisagent de former une fédération. Quatre années sont nécessaires pour parvenir à la création des Emirats arabes unis, le 2 décembre 1971.
Après la crise de Suez en 1956, Londres décide d’une nouvelle stratégie politico-militaire concernant ses forces stationnées au Moyen-Orient : la stratégie de l’« est de Suez ». Il s’agit de renforcer la présence britannique dans le golfe Arabo-persique auprès des différents cheiks sous protection britannique depuis les années 1820, de façon à contrôler la géopolitique de l’une des zones de production du pétrole les plus importantes. Pourtant, le 16 janvier 1968, le Premier ministre britannique Harold Wilson déclare que l’intégralité des troupes britanniques sera retirée d’Extrême-Orient et du Golfe avant la fin de l’année 1971. Cette déclaration provoque l’incompréhension, l’ennemi principal des Britanniques dans la région, l’Egypte, ayant perdu la guerre des Six Jours en juin 1967, provoquant son désintérêt pour les questions du Golfe.
La décision britannique - essentiellement motivée par la détérioration de l’économie anglaise dans les années 1960 et par les restrictions budgétaires, principalement dans le domaine de la défense - prend la plupart des dirigeants des Etats de la Trêve par surprise. En effet, avec le départ des troupes britanniques, ils ont soudainement des responsabilités qu’ils n’avaient jamais eu à gérer jusqu’alors. En outre, la fin de la protection britannique signifie la fin d’une stabilité nécessaire à l’investissement de l’argent du pétrole dans les programmes de développement social. Ainsi, Zayid bin Sultan, cheik d’Abu Dhabi ou Rashid bin Said Al Maktum, cheik de Dubaï, proposent de financer les troupes britanniques si jamais elles venaient à rester sur place. Cela ne suffit cependant pas à Londres qui poursuit son plan de retraite. Zayid bin Sultan propose alors en février 1968 la création d’une fédération des anciens émirats issus des Etats de la Trêve.
Le 18 février 1968, le cheik d’Abu Dhabi, Zayid bien Sultan, se rend à Dubaï et propose au cheik Rashid bin Said Al Maktum de créer une fédération des petits émirats issus des Etats de la Trêve. Cette fédération aurait pour but de rassembler leurs forces dans plusieurs domaines essentiels telle la politique extérieure, le développement social ou la défense afin de constituer un front uni contre les Etats intéressés par leurs ressources pétrolières, notamment l’Iran. La fédération comprendrait également les émirats de Sharjah, Ras al-Khaimah, Ajman, Umm al-Qaiwain et Fujairah. Elle aurait un seul drapeau et prendrait en charge les affaires étrangères, la défense, la sécurité intérieure, la santé, l’éducation et les questions de citoyenneté et d’immigration.
Cheik Rashid accepte l’idée de s’associer au plus puissant des émirats et des invitations sont envoyées aux cheiks des cinq autres émirats pour une conférence, prévue du 25 au 27 février à Dubaï. Des invitations sont également envoyées aux cheiks du Qatar et de Bahreïn afin de parler de l’avenir de la région. Lors de la conférence, un accord est conclu entre Abu Dhabi et Dubaï sur leurs frontières maritimes. Cet accord amène le cheik du Qatar, Ahmad bin Ali al-Thani, à demander son entrée dans la fédération, souhaitant appartenir à cet ensemble fort qui se trouve à sa frontière. Le Bahreïn ne tarde pas à faire de même. La Grande-Bretagne accueille avec bienveillance cette première fédération. L’Iran, ayant des visées territoriales sur l’île de Bahreïn, prend cet accord comme une offense personnelle.
Le 18 mai 1968, la première réunion des représentants et conseillers des dirigeants se déroule à Abu Dhabi, afin de donner une charte à la fédération. La délégation du Qatar propose d’ajouter quatre autres sujets à l’ordre du jour de la conférence : l’élection du premier Président de l’Union, le choix d’un siège permanent de l’Union, la formation d’un Conseil de l’Union et la définition de ses fonctions, la création des principaux ministères. Si les délégations de Dubaï et de Ras al-Khaimah soutiennent ces propositions, les délégations d’Abu Dhabi et de Bahreïn refusent d’évoquer ces points tant que la charte n’est pas rédigée. Elles estiment en effet que l’accord de Dubaï du 18 février 1968 entre les cheiks d’Abu Dhabi et de Dubaï n’est qu’un accord préliminaire destiné à être remplacé une fois la charte de la fédération rédigée. Deux groupes distincts avec des visions différentes concernant l’avenir de la fédération se mettent ainsi en place. Dans le groupe mené par le Qatar, l’un des arguments majeurs avancé par l’émirat de Ras al-Khaimah est que l’accord de Dubaï a été signé sans que les sept émirats n’aient été consultés. Ce premier différend met fin à la conférence et perturbe les suivantes. L’Iran, qui refuse la création d’une structure politique importante dans la région, encore moins si celle-ci inclut le Bahreïn, s’en trouve satisfait.
Lors de la conférence qui se déroule du 21 au 25 octobre 1969, les cheiks, grâce à la médiation du Koweït, se mettent d’accord sur l’installation d’un siège intérimaire de l’Union à Abu Dhabi. Le cheik Zayid d’Abu Dhabi est également élu président pour deux ans à l’unanimité, le cheik Rashid de Dubaï est élu vice-président et le prince héritier du Qatar, Khalifa bin Hamad al-Thani, est élu Premier ministre. Pourtant, le Qatar commence à perdre son intérêt pour la fédération, préférant son indépendance. Quant à l’Iran, ayant obtenu la promesse de posséder les îles d’Abu Masa appartenant à l’émirat de Ras al-Khaimah, il se désintéresse de Bahreïn, mettant ainsi fin à la principale menace pesant sur Bahreïn et donc à sa principale motivation pour se joindre à la fédération.
A la suite de la conférence d’octobre 1969, les quatre principaux émirats, Abu Dhabi, Bahreïn, Dubaï et Qatar, consolident leurs propres institutions à l’approche du départ des Britanniques. Ainsi, à la mi-janvier 1970, le Bahreïn crée un Conseil d’Etat chargé de la législation, l’administration, les finances, l’économie, la santé, les affaires sociales et culturelles. Puis le 2 avril, le Qatar rédige une nouvelle constitution.
Les conférences concernant la fédération se poursuivent. Du 16 au 22 janvier 1971, des discussions pour une fédération à sept reprennent, puis du 26 janvier au 14 février, les propositions d’une délégation britannique permettent de renforcer l’option fédératrice. En effet, les Britanniques proposent un traité amical d’entraide ; le transfert des Trucial Oman Scouts, force de 1 500 hommes jusqu’alors commandée par des Britanniques, ainsi que du matériel pour constituer le noyau d’une armée fédérale ; la présence de quelques troupes pour servir d’équipes de formation et de liaison si l’Union le désire ; des entraînements réguliers avec la participation de l’armée de terre et de la flotte britannique.
Cependant, ces propositions ne permettent pas de convaincre les cheiks de signer l’accord de création de la fédération. Alors, le 1er juillet, le cheik d’Abu Dhabi choisit de créer des structures politiques et administratives pour son propre compte et la première d’entre elle est le Conseil des ministres. Son action décide les autres cheiks à se réunir et à prendre plusieurs décisions. La ville d’Abu Dhabi est choisie comme capitale intérimaire en attente de la création de la ville d’al-Karama, située dans un no man’s land entre Abu Dhabi et Dubaï. Les décisions importantes seront prises à la majorité de cinq voix comprenant nécessairement celles d’Abu Dhabi et de Dubaï. Quant au nombre des représentants de chaque émirat au Conseil consultatif national, il est décidé qu’Abu Dhabi et Dubaï auront huit membres chacun, Sharjah et Ras al-Kaimah six et les autres émirats quatre. Les délégations semblent d’accord sauf celle de Ras al-Khaimah qui proteste contre la nécessité de fournir 5% des revenus pétroliers à l’Union ainsi que contre la domination d’Abu Dhabi et de Dubaï dans les systèmes de votation et de représentation. Un accord n’est donc trouvé qu’entre les six autres émirats le 18 juillet. Parallèlement, Bahreïn se déclare indépendant le 31 août 1971 et le Qatar suit son exemple le lendemain.
Le 30 novembre, les îles d’Abu Masa appartenant à l’émirat de Ras al-Khaimah sont envahies par l’Iran, l’émirat ayant refusé de les lui donner comme il l’avait promis. Le 1er décembre, il est mis fin aux traités de protection britannique. Ras al-Khaimah n’a alors pas d’autre choix que d’entrer dans la fédération. Celle-ci est ainsi officiellement créée le 2 décembre 1971 avec le cheik Zayid bin Sultan d’Abu Dhabi comme président élu pour cinq ans et le cheik Rashid bin Said al-Maktum de Dubaï comme vice-président. Le prince héritier de Dubaï, Maktum bin Sahid, est élu Premier ministre. Puis le 6 décembre, les Emirats arabes unis entrent dans la Ligue arabe malgré une opposition du Yémen du Sud et une réserve de la part de l’Arabie saoudite. Enfin, le 9 décembre, ils deviennent le 132e Etat membre de l’Organisation des Nations unies.
Ainhoa Tapia
Ainhoa Tapia est étudiante en master d’histoire contemporaine à l’Ecole doctorale de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris. Elle s’intéresse à l’histoire des Etats du Moyen-Orient au vingtième siècle, en particulier à la création des systèmes étatiques et aux relations diplomatiques que ces Etats entretiennent entre eux.
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