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Le Liban connait depuis plus d’un mois une crise sociale et politique liée à la fermeture de la décharge de Naamé le 17 juillet dernier. N’ayant pas su prévoir d’alternative, le gouvernement se retrouve, depuis cette date, dans une impasse qu’une partie de la population libanaise n’est plus prête à accepter : les déchets, depuis près d’un mois et demi, s’amoncellent dans les rues au prix d’une odeur pestilentielle et d’une atmosphère insalubre. Crise née de l’instabilité parlementaire, elle est également le reflet de la situation politique délétère du Liban : les mouvements de contestation se sont multipliés au sein de la société civile jusqu’à aboutir, le 22 août dernier, à une escalade des violences qui opposa dans le sang manifestants et forces de l’ordre.
Depuis dix-huit ans, la décharge de Naamé (village au sud de Beyrouth) recevait près de 2800 tonnes de déchets par jour, accueillant les ordures ménagères de Beyrouth, de ses banlieues et de la région du Mont-Liban. Il s’agissait de la plus grande décharge du Liban en activité.
La fermeture de la décharge de Naamé était prévue pour la date du 17 juillet 2015. C’était depuis longtemps un sujet qui divisait la classe politique, et l’objet d’angoisse pour les villages alentours qui souffrent de la pollution imposée par ces montagnes de déchets amoncelés à proximité du monastère de Naamé.
Les difficultés institutionnelles au Liban n’ont pas permis aux ministres de trouver une solution alternative au problème de la décharge avant le 17 juillet. Beaucoup pensaient que sa fermeture se verrait donc ajournée ; la décharge, ouverte en 1997 pour se substituer au dépotoir sauvage de Bourj Hammoud, le quartier arménien situé en périphérie de Beyrouth, se présentait à l’époque comme une solution intermédiaire, prévue sur cinq ans seulement et pouvant contenir deux millions de tonnes de déchets. Aujourd’hui, la décharge en compte plus de 15 millions et demeure sous-équipée en cheminée d’échappement des gaz, nécessaires à la purification du sol (1).
Le lieu d’enfouissement s’étend désormais sur plus de 200 000m² et aucune équipe ministérielle n’est jamais venue s’enquérir du problème. La gestion des déchets est une question qui a toujours mis en avant la défaillance des instances dirigeantes : le dépotoir sauvage de Saïda, fermé en 2013, formait déjà une montagne qui s’effondrait régulièrement dans la mer, y déversant du même coup gaz et matières toxiques (2) et indignait les ONG environnementales.
Le traitement des déchets envoyés à Naamé « était considéré comme d’un des plus coûteux aux monde », note Laure Stephan pour Le Monde (3). Le lancement des appels d’offre pour un plan national de gestion des déchets solides prévu pour le mois de juillet devait proposer des solutions à l’ensemble de ces problèmes ; le gouvernement avait en effet lancé en janvier 2015 une feuille de route destinée à réfléchir à la gestion des déchets dans le pays. Mais sur ce dossier encore, la population reste méfiante et ne fait pas confiance en ses pouvoirs publics et craint une corruption manifeste sur les contrats en question. Six mois, d’ailleurs, n’ont pas suffi pour établir une alternative concluante.
À la date prévue, les habitants de Naamé ont donc décidé de bloquer l’accès à la décharge. Ceci est allé de pair avec la fin du contrat de la compagnie privée Sukleen, en situation de monopole sur la gestion des déchets dans la capitale et dans la région du Mont-Liban, et extrêmement coûteuse pour les autorités (4).
Depuis le 19 juillet, dans les régions gérées par Sukleen (le grand Beyrouth, le Mont-Liban et certaines régions du Nord), c’est donc à l’intérieur de l’enceinte des villes que s’entassent désormais les déchets ; près de 450 tonnes par jour dans le cas de Beyrouth.
Le gouvernement s’est rapidement trouvé dans l’impasse. Le ministre de l’Environnement Mohammad Machnouk n’a cessé, les jours suivant le début de la crise, d’en appeler aux municipalités libanaises pour qu’elles gèrent elles-mêmes leurs déchets, bien qu’aucun espace ne soit rendu disponible pour les accueillir.
Pour Paul Abi Rached, interrogé par Lélia Mezher pour L’Orient-Le Jour (5), le gouvernement est en cause dans la mauvaise gestion de cette crise, coupable d’« une bonne dose de mauvaises intentions puisqu’au lendemain de la fin du contrat de 20 ans de Sukleen à Beyrouth et dans le Mont-Liban, il y a un projet de monopolisation du traitement des déchets par trois sociétés majeures, monopole que les responsables voudraient mettre en place sous couvert d’un partage du Liban en six régions, dans lesquelles seront installés des incinérateurs ».
Crédits photo : Mathilde Rouxel
Dans un premier temps, le gouvernement tenta d’envoyer les déchets dans des régions plus éloignées ; puis les camions Sukleen reprirent le nettoyage des rues et acheminèrent les poubelles de certains quartiers vers la Quarantaine où elles étaient déversées à ciel ouvert. Des décharges sauvages ont surgi par milliers. Des centaines de tonnes de poubelles ont été brûlées par les habitants, excédés, provoquant parfois de dangereux incendies.
L’absence de solution cache d’autre part des « sensibilités confessionnelles de plus en plus manifestes » (6) : malgré la liste des espaces disponibles établie en conseil des ministres, aucune localité n’est disposée à accueillir les « déchets des autres » et personne n’est prêt à faire pression. Cette crise joue en effet également le jeu des politiques (7).
Ainsi, malgré le « plan d’urgence » déployé dix jours après le début de la crise, le problème reste, six semaines plus tard, entier. La société civile s’insurge contre ce gouvernement qui attend toujours que les crises surviennent pour réfléchir à une solution ; des manifestations ont été organisées dès onze jours après le début de la crise et se sont multipliées jusqu’à aujourd’hui. Ces mouvements citoyens dénoncent la corruption, le dysfonctionnement des administrations, défaillantes depuis la fin de la guerre civile et l’inertie des instances politiques (8) qui n’ont toujours pas su régulariser la situation de la République et élire un président.
À Beyrouth, la contestation gronde depuis le début de la crise. Celle-ci s’est sévèrement aggravée samedi 22 août, suite à la répression violente d’un rassemblement devant le Grand Sérail, le Palais du Gouvernement, quelques jours auparavant. La société civile s’étant organisée en différents mouvements (notamment le mouvement « Vous puez ! » qui réclame la démission du gouvernement de Tamam Salam), et les mots d’ordre ayant circulé sur les réseaux sociaux, ils furent près de 10 000 (selon les organisateurs) à manifester ce samedi (9), bien décidés à rester devant le Parlement jusqu’à ce que leurs demandes soient satisfaites. Ces demandes attendaient notamment qu’une « solution durable au problème du ramassage des ordures au Liban » soit établie, mais également que le système politique en cours change : il s’agissait aussi de contester l’autoprorogation du Parlement de novembre dernier et l’incapacité parlementaire d’élire un nouveau président de la République. Place Riad el-Solh où s’étaient rassemblés ces Libanais, on attendait aussi la fin des pénuries d’eau et d’électricité dont est victime le pays (10). Cette mobilisation n’est ni communautaire, ni confessionnelle : elle témoigne simplement d’un véritable ras-le-bol populaire.
La manifestation de samedi 22 août, puis celle de dimanche 23 août dégénéra en accrochages avec les forces de l’ordre. Pour disperser les manifestants, des gaz lacrymogènes, de puissants jets d’eau et des balles en caoutchouc furent lancés sur la foule, blessant plusieurs dizaines de manifestants. Des coups de feu furent tirés, qui blessèrent huit personnes. Dimanche, près de deux cent casseurs se mêlèrent aux manifestants, créant un véritable désordre au sein des mouvements pacifistes et des forces de sécurité ; les manifestations prévues les jours suivants furent reportées en raison de cette escalade de violence devenue incontrôlable.
Rapidement, le Hezbollah dénonça le « scandale » de cette crise des déchets, qui est « l’un des signes de la corruption qui s’accumule » (11). Cette tentative de récupération politique montre que cette mobilisation citoyenne, et particulièrement le mouvement « Vous puez ! » inquiète. La chute du gouvernement, réclamée par les manifestants, n’apparaît pourtant pas comme la solution adéquate à la sortie d’une telle crise, aucune alternative n’étant à ce jour concevable. Pour cette raison, les différents leaders politiques du pays ont porté allégeance au Premier ministre et, bien qu’ils annoncent soutenir le mouvement populaire, s’opposent à la chute du régime en place.
Depuis les manifestations du week-end du 22 août, le Conseil des ministres redouble d’efforts pour trouver une solution. Le 27 août, la décision de débloquer des fonds aux municipalités désireuses d’engager une gestion locale des déchets a été prise. Les discussions sur la question du tri des déchets ont repris. Tout est fait, à ce jour, pour calmer la colère grondante d’une population excédée par la situation générale du pays, et que l’odeur nauséabonde d’une crise de trop a fait sortir dans les rues de la capitale, mais aussi de Tripoli et d’Halba, au nord du pays (12).
Notes :
(1) Viktoria Koussa, « La déchetterie de Naamé, « une fabrique à cancers » pour ses habitants », L’Orient-Le Jour, 14/07/2015, http://www.lorientlejour.com/article/934360/la-dechetterie-de-naame-une-fabrique-a-cancers-pour-ses-habitants.html
(2) « Saïda, une montagne de déchets », Le Commerce du levant, novembre 2010, http://www.lecommercedulevant.com/affaires/d%C3%A9chets-liban/sa%C3%AFda-une-montagne-de-d%C3%A9chets/17464,
(3) Laure Stephan, « Beyrouth, envahie par les ordures », 24/07/2015, http:// lemonde.fr/planete/article/2015/07/24/beyrouth-envahie-par-les-ordures_4696737_3244.html
(4) « À Beyrouth, des déchets qui coûtent très cher », Le Commerce du Levant, novembre 2010, http://www.lecommercedulevant.com/affaires/d%C3%A9chets-liban/%C3%A0-beyrouth-des-d%C3%A9chets-qui-co%C3%BBtent-tr%C3%A8s-cher/17466
(5) Lélia Mezher, « Le règlement de la crise des déchets domestiques dans l’attente du Conseil des ministres de jeudi », L’Orient-Le Jour, 21/07/2015 : http://www.lorientlejour.com/article/935365/le-reglement-de-la-crise-des-dechets-domestiques-dans-lattente-du-conseil-des-ministres-de-jeudi.html
(6) Sandra Noujem, « Le gouvernement tient bon face à une crise des déchets partie pour durer », L’Orient-Le Jour, 30/07/2015, http://www.lorientlejour.com/article/936839/le-gouvernement-tient-bon-face-a-une-crise-des-dechets-partie-pour-durer.html
(7) Wassim Mroueh, « Government trash plan faces obstacles », The Daily Star, 29/07/2015 : http://www.dailystar.com.lb/News/Lebanon-News/2015/Jul-29/308751-government-trash-plan-faces-obstacles.ashx
(8) Robert Mackley, « Lebanese Police Beat « You Stink » Activists in Beirut », The New York Times, 19/08/2015 : http://www.nytimes.com/2015/08/20/world/middleeast/lebanese-police-beat-you-stink-activists-in-beirut.html
(9) Amira El-Hussaini, « “Vous puez !” : les manifestants demandent la démission du gouvernement libanais », Global Voices, 23/08/2015 : https://fr.globalvoicesonline.org/2015/08/23/189590/
(10) Diana el Rifai, « Beirut protesters call for fall of Lebanese government », Al-Jazeera, 23/08/2015 : http://www.aljazeera.com/news/2015/08/beirut-protesters-call-fall-lebanese-government-150823090224862.html
(11) Communiqué de Hassan Nasrallah cité par Emmanuel Haddad, « Liban : « Vous puez », une crise des déchets très politique », Libération, 26/08/2015 : http://www.liberation.fr/monde/2015/08/26/liban-vous-puez-une-crise-des-dechets-tres-politique_1369840
(12) « Crise des déchets : manifestations à Halba et à Tripoli », L’Orient-Le Jour, 27/08/2015 : http://www.lorientlejour.com/article/941268/crise-des-dechets-manifestations-a-halba-et-a-tripoli.html
Mathilde Rouxel
Suite à des études en philosophie et en histoire de l’art et archéologie, Mathilde Rouxel a obtenu un master en études cinématographiques, qu’elle a suivi à l’ENS de Lyon et à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, Liban.
Aujourd’hui doctorante en études cinématographiques à l’Université Paris 3 – Sorbonne Nouvelle sur le thème : « Femmes, identité et révoltes politiques : créer l’image (Liban, Egypte, Tunisie, 1953-2012) », elle s’intéresse aux enjeux politiques qui lient ces trois pays et à leur position face aux révoltes des peuples qui les entourent.
Mathilde Rouxel a été et est engagée dans plusieurs actions culturelles au Liban, parmi lesquelles le Festival International du Film de la Résistance Culturelle (CRIFFL), sous la direction de Jocelyne Saab. Elle est également l’une des premières à avoir travaillé en profondeur l’œuvre de Jocelyne Saab dans sa globalité.
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