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Retour sur l’allocution du secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, le 3 novembre après-midi au Liban

Par Yara El Khoury
Publié le 04/11/2023 • modifié le 04/11/2023 • Durée de lecture : 8 minutes

Peu après 15 heures, ce dernier est apparu sur les écrans géants dressés en quatre lieux de regroupement de ses partisans, distribués à travers les zones à prédominance chiite du Liban, là où le Hezbollah puise les assises de son pouvoir. L’homme dont l’apparition était attendue et redoutée tout à la fois paraît fatigué, les traits tirés, dissimulant avec peine une toux légère au début de son discours qui a duré une heure et trente minutes. Il consulte fréquemment ses notes, prend le temps de rectifier les accords grammaticaux de l’arabe littéraire dans lequel il s’exprime et émaille son propos de phrases en libanais dialectal. Par moments, son discours est teinté d’hésitations quasi imperceptibles, et il a trébuché sur quelques mots, notamment celui d’Ali Khamenei, le guide suprême de la République d’Iran.

Le chef du Hezbollah a commencé par s’adresser aux familles des miliciens tombés à la frontière sud du Liban dans la confrontation avec Israël ces dernières semaines. Il a glorifié le « martyre » de ces hommes tombés dans un combat qu’il décrit comme juste, évoquant un peu plus loin un combat du Bien contre le Mal, et de l’humanité contre la barbarie, renvoyant ainsi au monde occidental sa propre vision des événements, comme par effet de miroir. Présentant ses condoléances aux familles, il les a également félicitées pour le sacrifice consenti par leurs fils, invoquant des sourates du Coran qui décrivent la récompense accordée à ceux qui meurent au combat pour Dieu, une récompense d’une ampleur qui échappe à l’entendement des hommes. Cette partie initiale du discours a duré plus de trente minutes. Prononcée sur un registre calme et inspiré, mais dans un débit relativement lent, elle donnait le sentiment que l’orateur était peu sûr de lui-même, ou du moins s’accordait le temps de préparer la suite, sachant que son public l’attendait sur des annonces d’une autre nature.

Ensuite, attaquant le sujet dans le vif, il a parlé de l’opération menée par le Hamas le 7 octobre, l’entourant de superlatifs glorificateurs. Il a rappelé brièvement le contexte dans lequel cette opération s’est produite, la reliant à l’envenimement de la situation à Gaza depuis l’avènement du gouvernement Netanyahu et le blocage de toute solution à la question palestinienne. Au sujet de l’opération elle-même, il l’a présentée comme ayant été entièrement conçue et exécutée par le Hamas, 100% palestinienne, laissant entendre au passage que lui-même n’était pas courant des préparatifs et qu’il a suivi le déroulement des faits comme tout le monde à la télévision. Il a surtout fermement dédouané l’Iran de toute implication, et battu en brèche toutes les lectures des événements qui mettent en avant le rôle de la République islamique d’Iran ou établissent un lien avec le conflit russo-ukrainien. Pour lui, rien de tout cela n’est fondé, et ce qui se passe est une confrontation que les Palestiniens seuls mènent contre Israël. Par ailleurs, il avance l’idée que si le nombre de victimes israéliennes a été aussi élevé, c’est en raison de la riposte musclée que l’armée israélienne a opposée aux commandos du Hamas le 7 octobre. Pour lui, Tsahal serait coupable de la mort de nombre de ses concitoyens. De plus, il réfute catégoriquement que des enfants aient été décapités par les hommes du Hamas et met le gouvernement israélien au défi d’apporter des preuves irréfutables de cela.

Pour Hassan Nasrallah, les buts de guerre israéliens sont irréalistes. A plusieurs reprises, il taxe le gouvernement israélien d’« imbécile, stupide ». Il martèle qu’Israël ne pourra pas détruire le Hamas, pas plus qu’il n’a réussi à détruire le Hezbollah en 2006 lors de la guerre du mois de juillet qui a été couronnée selon lui par une « victoire divine » pour son parti. Considérant que l’armée israélienne n’a réalisé aucune avancée significative sur le terrain depuis un mois, car elle redoute de se lancer dans une opération terrestre de grande envergure à Gaza, il maintient qu’Israël n’arrivera à rien à travers les massacres, car ce n’est pas par le moyen de la guerre que les otages seront libérés.

Il voit dans le conflit actuel une guerre décisive, une véritable rupture, ce qui signifie pour lui que chacun doit assumer ses responsabilités, les États-Unis notamment, qu’il accuse de mener directement le combat et d’entraver toute tentative de cessez-le-feu. Il assigne deux buts à l’action diplomatique internationale :

 Arrêter la guerre contre Gaza, arrêter l’agression, pour des raisons humanitaires, morales et religieuses. Le numéro Un du Hezbollah lance un appel véhément pour que les attaques israéliennes contre Gaza s’arrêtent. Il jette l’opprobre sur les pays arabes qui n’arrivent pas à aider les Palestiniens et leur enjoint de redoubler d’efforts, rompre les relations diplomatiques, retirer leurs ambassadeurs auprès d’Israël, couper le pétrole et les produits alimentaires à destination de l’État hébreu… Il salue au passage la résistance islamique en Irak et au Yémen qui, selon lui, a pris la mesure des événements et a agi en conséquence [1]. Il prédit que d’autres actions sont prévues dans les heures et jours qui viennent.

 Que Gaza vainque, et le Hamas aussi, dans l’intérêt de tout le monde [2]. La victoire de Gaza sera la victoire de Gaza seulement, pas celle de l’Iran, insiste Hassan Nasrallah ; ce sera la victoire de la mosquée al-Aqsa et du Saint-Sépulcre, un mélange des genres dont le secrétaire général du Hezbollah a l’habitude, mêlant fréquemment les symboles religions aux considérations relevant des relations internationales. Plus prosaïquement, la victoire de Gaza servira les intérêts de la Jordanie, l’Égypte, la Syrie et surtout le Liban alors qu’une victoire d’Israël serait lourde de conséquences sur la région, surtout le Liban. Il rappelle qu’en 1948, le monde a abandonné les Palestiniens, ce qui a eu des conséquences sur tous les pays de la région, notamment le Liban qui a souffert le plus du fait de l’existence d’Israël [3].

S’agissant du Liban, le secrétaire général du Hezbollah déclare que son parti est entré en guerre dès le 8 octobre, au lendemain de l’opération « Déluge d’al-Aqsa ». Il estime que ce qui se passe sur le front libanais est important. Répondant à ses détracteurs et à ceux qui s’attendaient à une guerre globale, il indique que ce qu’ils voient dans la zone frontalière entre Israël et le Liban peut paraître timide, mais que cela reste très important, et que le Hezbollah ne s’en tiendra pas là. Ce qui se passe à la frontière serait inédit : tous les postes militaires israéliens sont les cibles d’attaques quotidiennes qui n’en épargnent aucun, et de manière simultanée, ce qui est une nouveauté d’après lui. La résistance islamique conduit une bataille véritable, ressentie seulement par ceux qui la font et la subissent, d’où le nombre important de victimes du Hezbollah, plus d’une cinquantaine à ce jour. Hassan Nasrallah décrit le front israélo-libanais comme un front de solidarité envers Gaza. Les escarmouches répétées ont obligé Israël à maintenir ses troupes en état d’alerte sur sa frontière nord, diminuant ses effectifs sur le front de Gaza. Toujours est-il, l’ampleur des destructions à Gaza et le bilan humain qui ne fait que s’alourdir montrent que, même avec des effectifs éventuellement réduits, l’armée israélienne conserve une force de frappe non négligeable. Mais le chef du Hezbollah poursuit son raisonnement, preuves à l’appui : d’après les instances militaires du Hezbollah, Israël aurait mobilisé le tiers de son armée de terre, la moitié de ses forces maritimes, le quart de l’aviation militaire, la moitié de la capacité du Dôme de fer et le tiers des cadres logistiques à la frontière avec le Liban. Toujours selon Hassan Nasrallah, les opérations du Hezbollah sèment l’inquiétude et l’attentisme en Israël ; 48 colonies du nord d’Israël ont été évacuées, 58 dans le Sud, ce qui constituerait une pression militaire et économique sans précédent sur le gouvernement israélien.

Le secrétaire général du Hezbollah explique que son parti prend des risques calculés. Toutefois l’élargissement de ce conflit est une hypothèse envisageable, et Israël, l’Occident et une partie du monde arabe redoutent cela. Lui-même paraît redouter que la situation n’échappe à tout contrôle. Il prévient Israël que mener une guerre préemptive contre le Liban serait une erreur, tout comme cibler la population civile. Aux pays – dont la France qu’il ne nomme à aucun moment – qui multiplient les mises en garde devant les responsables politiques libanais, il explique que le front libanais est un front de solidarité et de soutien au peuple palestinien ; la situation y évoluera suivant les développements à Gaza. Devant son public galvanisé par cette partie du discours, Hassan Nasrallah clame que toutes les options sont ouvertes ; il faut résister et rester dans la confrontation, quels que soient les sacrifices.

En guise de clôture du discours, il s’adresse aux États-Unis qui menacent l’Iran et le Hezbollah. Se disant équipé pour affronter la flotte américaine dépêchée en Méditerranée orientale, il rappelle aux Américains leurs défaites au Liban [4], en Irak, et plus récemment en Afghanistan. Si les États-Unis veulent vraiment une désescalade dans une région où ils ont beaucoup d’intérêts, ils doivent faire pression sur le gouvernement d’Israël afin qu’il arrête la guerre ; l’appel à l’arrêt de la violence contre la population de Gaza retentit ainsi encore une fois en fin du discours : le monde doit tout faire pour lever l’agression contre Gaza.

Devant ses partisans qui ponctuent ses propos d’acclamations parfaitement orchestrées, Hassan Nasrallah reconnaît que ses forces n’ont pas encore les moyens de réaliser une victoire finale, mais elles peuvent résister longtemps. Il observe que le peuple palestinien de Gaza est prêt à mourir, contrairement au peuple israélien. Renouant avec la tonalité religieuse du discours, il promet que Dieu donnera la victoire à ses hommes en récompense de leurs sacrifices et de leur résistance. Avec Ali Khamenei, il se dit convaincu que Gaza et la Palestine vaincront. Au moment de prendre congé de son auditoire, il leur dit : « Notre responsabilité et notre patience trouveront grâce devant Dieu, et nous serons récompensés. Nous nous retrouverons bientôt pour célébrer la victoire ».

Publié le 04/11/2023


Yara El Khoury est Docteur en histoire, chargée de cours à l’université Saint-Joseph, chercheur associé au Cemam, Centre D’études pour le Monde arabe Moderne de l’université Saint-Joseph.
Elle est enseignante à l’Ifpo, Institut français du Proche-Orient et auprès de la Fondation Adyan.


 


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