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Palmyre (Tadmor) se trouve dans la steppe syrienne au sud-est d’Emèse, ville antique (Homs aujourd’hui), à mi-chemin du Mont Liban et de l’Euphrate. Elle est située dans une oasis, au cœur d’un vaste territoire appelé la Palmyrène, zone steppique avec des oasis secondaires où l’on pratique une agriculture irriguée. Le sanctuaire [1] du temple [2] de Bêl est situé à l’Ouest de l’oasis et « couvre un espace de quatre hectares, délimité par une enceinte achevée au IIème siècle » [3]. Le temple se dresse au milieu d’un enclos sacré, le téménos [4] qui comporte de nombreuses installations nécessaires au culte [5]. Il a été construit sur un tell [6] permettant « de remonter l’occupation du site, au troisième quart du IIIème millénaire » [7]. La construction du temple a débuté en 17-19 après J.-C. [8] et s’est poursuivie jusqu’en 32 après J.-C.. En effet, une inscription présente sur le temple permet de dater au « 6 Nisan [avril] 32 » son édification. Cependant, Christiane Delplace, archéologue et chercheuse émérite au CNRS, explique « que cette dédicace (n’est pas) la preuve de son achèvement » [9].
Inscription issue de la Note sur la dédicace du temple de Bêl à Palmyre [10] : « Au mois de Tišri, l’an 357 : cette statue est celle de Lišmaš, fils de Taibbôl, fils de Šoraibêl, de la tribu des Benê Komarâ, qui a dédié le temple des dieux Bêl, Iarhibôl et Aglibôl, dans ses sanctuaires, le 6e jour de Nisân, l’an 343 [6 avril 32] ses fils la lui ont élevée pour l’honorer ».
D’autres travaux ont été entrepris les décennies suivantes tels que les portiques du téménos, achevés sous le règne d’Hadrien de 117 à 128 après J.-C. [11].
Comme l’expliquent Annie Sartre-Fauriat et Maurice Sartre [12], la construction du temple de Bêl a été permise grâce à la contribution financière des fidèles. Une affirmation possible grâce aux inscriptions, notamment l’une d’elles, trouvée sur la base d’une statue située dans la cour du sanctuaire de Bêl, datée de 19 après J.-C., c’est-à-dire au début de la construction du temple.
Il est connu à ce jour environ une soixantaine de dieux et déesses à Palmyre. Ce temple est principalement dédié au culte du dieu principal Bêl. Il s’agit d’un dieu cosmique supérieur aux autres dieux, qui régit le mouvement des astres et des planètes. Le nom de Bêl est d’origine accadienne, du nom de la dynastie d’Akkad, un des plus anciens empires de Mésopotamie, et ce nom désigne également le grand dieu de Babylone, Bêl-Marduk [13] qui aurait alors été appliqué au dieu de Palmyre, Bêl (ou Bôl). Au-delà d’une influence mésopotamienne, Bêl est souvent associé au dieu grec Zeus, Jupiter en romain. Ce nom est attesté en Syrie du Nord où l’on parle de Zeus Belos.
Bêl est souvent accompagné de deux autres dieux, Yarhibôl et Aglibôl, et forment à eux trois, la « triade » du sanctuaire. L’idée d’une « triade divine » perçue comme essentielle dans la religion palmyrénienne a été proposée par Henri Seyrig et Javier Teixidor. Yahribôl représente le Soleil et le deuxième dieu dans la « triade », quant au troisième dieu, Aglibôl, il est le dieu de la Lune, également associé à Malakbêl, le dieu du renouveau (mais aussi du Soleil).
Avant sa destruction en août 2015, le temple de Bêl et ses caractéristiques architecturales tout comme ses décors et certains objets retrouvés sur les lieux comme les tessères, ont permis aux historiens d’étudier l’organisation religieuse du temple, l’influence de la culture gréco-romaine dans sa construction mais également et surtout les pratiques religieuses des habitants de la ville de Palmyre.
Du point de vue de son architecture extérieure, le temple de Bêl ressemble à un temple gréco-romain [14]. Il s’agit d’un temple pseudo-diptère d’ordre corinthien [15] : son péristyle, une galerie de colonnes faisant le tour extérieur ou intérieur d’un édifice, est aussi large que celui d’un diptère. Le péristyle comporte « huit colonnes sur les côtés nord et sud, quinze colonnes sur le côté est, douze colonnes sur le côté ouest […] interrompue par l’insertion d’un portail » [16].
De l’extérieur, le temple de Bêl semble être d’inspiration grecque, cependant son aménagement intérieur est « différent des sanctuaires grecs » [17]. La cella [18] est composée à ses extrémités nord et sud de deux thalamoi [19] (deux « chapelles ») : le thalamos situé au Nord abritait la triade divine, ses façades et son plafond constituaient sept hexagones contenant des bustes « dont les attributs permettent de reconnaître les sept planètes personnifiées par des divinités » [20]. Le dieu Bêl se situe au centre, il est entouré du dieu casqué Mars, Arsû, Yahribol et sûrement Nabû, Malakbel, Atargatis et Aglibôl [21].
Le thalamos situé dans la chapelle sud du temple était, quant à lui, constitué d’« une grande rosace de feuillages » [22].
La couverture du péristyle était constituée de dalles (8 m x 1,90 m) décorées. Christiane Delplace explique que le « plafond de la travée [23] du portail » était orné de trois personnages [24] : au centre, un dieu en cuirasse tenant un glaive et s’appuyant sur un sceptre (Yahribôl), à sa droite un dieu portant un croissant sur la tête (Aglibôl), et à sa gauche, une déesse (Astarté).
Le temple de Bêl faisait l’objet d’une organisation précise quant à son personnel. Quatre tessères [25] palmyréniennes conservées au Musée du Louvre illustrent sur chacune d’entre elles, deux prêtres agenouillés reconnaissables grâce à leur coiffure, le calathos qui est une sorte de mortier. Gérard Degeorge [26] explique que « les prêtres étaient des membres de la tribu sacerdotale du sanctuaire, les Benê-Kahinnebô » et qu’ils « étaient organisés en collège ou thiase ». Le sacerdoce est la fonction de ceux qui ont le privilège sacré de certains rapports publics avec la divinité, soit pour offrir les sacrifices et prier au nom du peuple, soit pour transmettre au peuple certains enseignements et bénédictions de Dieu [27]. La thiase, évoquée par Gérard Degeorge, était divisée « en équipes sacerdotales qui assuraient à tour de rôle le service du temple » [28].
Le titre le plus prestigieux était celui de chef des prêtres de Bêl, le symposiarque ou « chef de banquet », élu chaque année et qui organisait « le culte du dieu, distribuait le vin et présidait aux rites sacrés » [29].
Au sein des pratiques cultuelles, il existe trois rites connus à Palmyre à savoir l’offrande d’encens, les lustrations et les sacrifices. Sur l’un des fragments des parties hautes du péristyle du temple de Bêl, une poutre décorée présente une scène de prêtres offrant de l’encens [30]. Ils sont coiffés du mortier et font brûler l’encens sur des pyrées [31]. Le sanctuaire du temple de Bêl était constitué, entre autres, d’un autel et d’un bassin de lustration [32]. Annie et Maurice Sartre dans Palmyre, la cité des caravanes affirment qu’il était aussi possible de faire des libations et de procéder à des sacrifices d’animaux sur l’autel qui se dresse dans la cour du temple. Les libations sont un acte qui consiste à répandre un liquide (vin, huile, lait, eau…) sur le sol ou sur un autel à l’intention d’une divinité [33].
Dans l’enceinte du sanctuaire se trouvait également une salle destinée à l’organisation des banquets. Les fondations de cette salle étaient traversées par un égout [34] afin de nettoyer l’intérieur du lieu. Henri Seyrig a retrouvé dans ces canaux des milliers de tessères qui permettent d’attester de la présence d’une salle de banquet au sanctuaire de Bêl. Ces tessères sont des jetons qui portent des images, le nom de certains dieux ou bien le nom des prêtres, elles permettaient d’avoir accès à ces banquets. L’intérieur de cette salle est constitué des vestiges de banquettes [35].
Enfin, les dimensions de la salle de banquet du sanctuaire (49 m de long [36]) signifient que cette pratique était importante et que la salle accueillait un grand nombre de fidèles. Par ailleurs, la façade de la salle de banquet est tournée vers le temple et il semble pour Ernest Will « que l’édification de la salle a suivi presque immédiatement celle du temple consacré » [37], ce qui prouve encore une fois que cette pratique des banquets par les fidèles était importante.
Le sanctuaire du temple de Bêl permet de mettre en lumière les pratiques religieuses des Palmyréniens. Le temple de Bêl construit grâce à la générosité de ses fidèles et possédant un personnel propre représentait le temple de tous les dieux. Ses différents décors et notamment ses thalamoi permettent aux historiens antiques d’analyser la société palmyrénienne comme étant polythéiste. Le culte religieux s’exerce à la fois à travers certains rites (offrandes d’encens, libations ou sacrifices), certaines pratiques comme les processions à l’image de la procession du chameau, mais également par l’organisation des banquets.
Le temple de Bêl et son sanctuaire, aujourd’hui détruits, représentaient les sources les plus riches et les plus importantes quant aux rites et pratiques religieuses de la société palmyrénienne. Le 22 mai 2015, les troupes de l’État islamique pénètrent dans la ville de Palmyre. À partir du 30 août et jusqu’au mois d’octobre 2015, une grande partie des monuments présents à Palmyre sont détruits, dont le temple de Bêl (les tombeaux d’Elahbel, Khitôt et Jamblique, l’arc de triomphe de Septime Sévère…) à l’aide d’engins explosifs, à la masse ou au bulldozer. Daech possède une unité spéciale (la Kata’ib Taswiya) chargée de la destruction du patrimoine culturel. Selon François Burgat, chercheur au CNRS, Daech souhaite éliminer l’art préislamique ainsi que toute manifestation portant atteinte au principe d’unicité de dieu [38].
Margot Lefèvre
Après avoir obtenu une double-licence en histoire et en science politique, Margot Lefèvre a effectué un Master 1 en géopolitique et en relations internationales à l’ICP. Dans le cadre de ses travaux de recherche, elle s’intéresse à la région du Moyen-Orient et plus particulièrement au Golfe à travers un premier mémoire sur le conflit yéménite, puis un second sur l’espace maritime du Golfe et ses enjeux. Elle s’est également rendue à Beyrouth afin d’effectuer un semestre à l’Université Saint-Joseph au sein du Master d’histoire et de relations internationales.
Notes
[1] Espace défini comme sacré, séparé de l’espace profane. Il peut comporter des bâtiments comme des autels.
[2] « Lieu, sanctuaire où l’on célèbre le culte d’une ou plusieurs divinités. », définition du CNRTL. Il peut être confondu avec le sanctuaire ou se situe dans le sanctuaire.
[3] Annie Sartre-Fauriat et Sartre Maurice, Palmyre, la cité des caravanes, Découvertes Gallimard 2008, 144 pages.
[4] « Terrain sacré fermé par une enceinte, sur lequel sont souvent édifiés des autels, des temples », définition du CNRTL.
[5] Annie Sartre-Fauriat et Sartre Maurice, Palmyre, la cité des caravanes, op. cit.
[6] « Au Proche-Orient et parfois dans d’autres régions, hauteur, colline artificielle formée par l’accumulation des ruines successives d’un établissement humain sur un même site au cours des siècles, des millénaires. » Définition du CNRTL.
[7] Christiane Delplace, Palmyre. Histoire et archéologie d’une cité caravanière à la croisée des cultures, CNRS, 2017, p.15.
[8] Patrick Michel, Palmyre. Presses Universitaires de France, « Que sais-je ? », 2020, p. 41.
[9] Christiane Delplace, Palmyre. op. cit. p. 18.
[10] Cantineau Jean. Note sur la dédicace du temple de Bêl à Palmyre. In : Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 76ᵉ année, N. 1, 1932. p. 98.
[11] Annie Sartre-Fauriat et Sartre Maurice, Palmyre, la cité des caravanes, op. cit.
[12] Idem.
[13] Christiane Delplace, Palmyre, op. cit. p. 32.
[14] D’après une reconstitution proposée par Robert Amy et Ernest Will en 1975.
[15] Christiane Delplace, Palmyre, op. cit. p. 18.
[16] Idem.
[17] Annie Sartre-Fauriat et Maurice Sartre, Palmyre Vérités et Légendes, Perrin, 2016, 280 pages.
[18] « Sanctuaire interdit aux profanes où était érigée la statue d’une divinité ». Définition du CNRTL.
[19] Christiane Delplace, Palmyre. op. cit. p. 18.
[20] Idem, p. 20.
[21] Idem, p. 20.
[22] Idem, p. 22.
[23] « Ouverture délimitée par deux supports verticaux constituant les points d’appuis principaux ou les pièces maîtresses d’une construction (piliers, colonnes, fermes, etc.). » Définition du CNRTL.
[24] Christiane Delplace, Palmyre, op. cit. p. 24.
[25] « Une tessère est une petite tablette d’ivoire, de métal ou de bois, qui servait de signe de reconnaissance, de jeton, de billet de théâtre et pour divers autres usages » Définition du CNRTL.
[26] Gérard Degeorge, Palmyre, Impr. Nationale, 2006, 312 pages.
[27] Définition du CNRTL.
[28] Gérard Degeorge, Palmyre, op. cit.
[29] Annie Sartre-Fauriat et Sartre Maurice, Palmyre, la cité des caravanes, op. cit.
[30] Christiane Delplace, Palmyre, op. cit. p. 31.
[31] Idem, p. 31.
[32] Idem, p. 19.
[33] Définition du CNRTL.
[34] Ernest Will, « Les salles de banquets de Palmyre et d’autres lieux », Topoi. Orient-Occident Année 1997 7-2 p. 875.
[35] Idem.
[36] Idem.
[37] Idem.
[38] « Daesh et le patrimoine culturel », Le dossier du jour (Emission de radio sur France Musique), Lundi 31 août 2015. Avec la participation de François Burgat (CNRS).
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