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Les Cahiers de l’Orient, dossier « résistances marocaines », Printemps 2011, numéro 102

Par Anne-Lucie Chaigne-Oudin
Publié le 21/07/2011 • modifié le 20/04/2020 • Durée de lecture : 7 minutes

Dans son éditorial, Antoine Sfeir, directeur de la Publication des Cahiers de l’Orient, évoque ces événements « qui secouent les pays arabes depuis le début de l’année (et qui) sont d’autant plus remarquables que personne ne les a vus venir. Ils le sont également parce qu’initiés par une jeunesse qui est née, qui a grandi, et qui s’est construite sous la dictature ». Antoine Sfeir dresse ensuite le bilan des situations en Egypte, au Maroc, en Algérie, au Yémen et en Tunisie.

Concernant plus particulièrement le Maroc, cinq auteurs évoquent sa situation dans les domaines politique, juridique, social et territorial.
Bahija Oufkir, diplômée de Paris IV Sorbonne et assistante de direction des Cahiers de l’Orient, rappelle le parcours de Mohammed VI, devenu roi du Maroc le 30 juillet 1999. Descendant des Alaouites ou Alides, le monarque « a compris qu’il lui faudrait rattraper l’Histoire et faire évoluer le Maroc vers une certaine modernité, entre tradition et ouverture, pour se tourner ostensiblement vers l’avenir ». Préparé dès son plus jeune âge pour régner, le roi est docteur en Droit de l’université de Nice Sophia Antipolis, et est promu en 1994 Général de Division. L’auteur évoque les diverses réalisations de Mohammed VI, dans les domaines de l’économie (création du Fonds Hassan II), des infrastructures, du social (programmes sociaux pour les plus défavorisés), de la culture. Selon l’auteur, le roi gouverne de façon à préserver à la fois l’héritage de la monarchie, ainsi que celui de son père : « Sur les plans institutionnel et politique, le Maroc vit dans le cadre mis en place par Hassan II à la fin de son règne ».

Bérénice Murgue s’intéresse à « la Moudawana : les dessous d’une réforme sans précédent ». En 2004, la réforme de la Moudawana (code du droit de la famille marocain) est lancée par le roi Mohammed VI. Elle est « la réforme la plus marquante de son règne faisant entrer son pays dans une nouvelle ère, celle de la modernité et de la consécration de la femme marocaine en tant qu’individu à part entière ». Cependant, cette réforme rencontre de nombreux obstacles. En effet, la Moudawana est « considérée comme un texte inaltérable car descendant du droit divin ». Codifié en 1958, le texte de la Moudawana est réformé en 1993, certains considérant dès les années 1965 « la Moudawana (…) inadaptée aux attentes de la société marocaine moderne. Le modèle patriarcal, considérant l’homme comme la seule et unique source de revenu au sein du foyer, apparaît de plus en plus irréaliste, en particulier pour les familles d’origine modeste ». A la suite de l’arrivée au pouvoir du roi Mohammed VI en 1999, la Moudawana est à nouveau au cœur des débats. En octobre 2004, le nouveau texte présenté par le roi est adopté. L’âge légal du mariage pour les filles est repoussé à 18 ans au lieu de 15 ans ; les époux sont dorénavant tous deux responsables de la famille ; la polygamie ne peut plus se pratiquer. Il n’en demeure pas moins que plusieurs difficultés empêchent son entière application : les juges et l’appareil juridique ne sont pas adaptés à la nouvelle Moudawana ; le nouveau texte n’est pas connu dans toutes les couches de la population faisant que toutes les Marocaines ne connaissent pas leurs nouveaux droits. En outre, la question de l’héritage et celle de la polygamie montrent les limites du nouveau texte.

Florence Basty-Hamimi, docteur de Sciences Po Paris, pose la question : « La classe moyenne au Maroc existe-t-elle vraiment ? » Si l’auteur pose cette question, c’est que la classe moyenne marocaine est « très réduite et très fragile », et qu’elle est très diversifiée. La classe moyenne représente néanmoins un enjeu, sur les plans politique, économique et sociaux. L’auteur s’attache tout d’abord à définir la classe moyenne, évoquant les définitions d’Alain Touraine, de Pierre Bourdieu et de Pierre Rosanvallon. Elle dresse ensuite les « obstacles méthodologiques pour quantifier cette partie de la population », en raison du manque de données et d’outils d’analyses. Florence Basty-Hamimi analyse notamment une étude réalisée en 2009 par le Haut Commissariat au Plan (qui révèle que la classe moyenne au Maroc représente 53% de la population, les classes modeste et aisée étant de 47%) ainsi que les réactions suscitées lors de la publication des résultats de l’enquête. Elle met également en évidence que l’enquête du Haut Commissariat au Plan ne permet cependant pas « à elle seule (de) définir une classe sociale car elle ne s’intéresse qu’à des critères économiques et ne prend pas en considération des indicateurs telles que les valeurs partagées, les modes de consommation, les aspirations en termes d’éducation ou les capacités linguistiques ». L’auteur se penche ainsi sur une autre étude réalisée par le Centre d’Etudes Sociales, Economiques et Managériales de l’Institut des Hautes Etudes Management, dont le thème général était « La classe moyenne, c’est qui ? » Elle s’intéresse ensuite au thème de la mobilité sociale dans la société marocaine.

La question du Sahara occidental est traitée par Lucile Martin, collaboratrice aux Cahiers de l’Orient. Ce conflit concerne le contrôle de l’ancienne colonie espagnole du Sahara occidental, et oppose le Maroc au Front Polisario. Lucile Martin rappelle les racines historiques de ce « conflit gelé », qui a débuté en 1975, et dont le cessez-le-feu de 1991 a figé la situation : le territoire est occupé par le Maroc sur 80% au Nord et le Polisario sur 20% au Sud, ainsi que les raisons de cette situation bloquée. Elle explique notamment : « Hormis l’incompatibilité des positions respectives, une des raisons de l’enlisement du conflit tient au fait que chacune des parties engagées dans le dossier trouve des avantages dans le statu quo ». Cette situation a néanmoins des conséquences négatives tant dans la région - dans les domaines politiques et économiques - que sur le plan international, en lien avec le soutien au Maroc de la France et des Etats-Unis sur cette question. Il ressort de l’étude de Lucile Martin que « le Maroc est actuellement en position de force dans les négociations ».

Khalid Zekri, professeur de littérature comparée et directeur de l’Equipe d’Etudes Culturelles et Postcoloniales à l’Université de Meknès, se penche sur la question : « Ecrire le carcéral au Maroc ». Il analyse dans son article les écrits, tant autobiographiques que les témoignages, des détenus marocains, par la problématique suivant : « Raconter sa propre expérience carcérale en tant que détenu impliqué dans des événements politiques était une entreprise très peu développée avant les années 1990. Les ouvrages consacrés à ce type d’expérience que le marché du livre marocain connaît, de manière massive, depuis le décès du roi Hassan II en juillet 1999 mettent à nu les années de plomb et montrent qu’il est inconcevable, pour les Marocains d’aujourd’hui, de ne pas porter un regard rétrospectif sur leur passé récent ». Il analyse ainsi le nécessaire travail de mémoire effectué grâce aux ouvrages littéraires, qui avant les années 1990 était « de l’ordre de l’indicible et de l’inénarrable ». Ces travaux littéraires sont en outre des « témoignages contre l’oubli ». Au final, ces écrits « dénoncent la manipulation de la mémoire qui a été instrumentalisée par une ‘’élite gouvernante’’ post-coloniale ».

La situation en Egypte est analysée dans deux articles. Christian Chesnot, grand reporter à France Inter, évoque les « dix huit jours pour faire tomber Moubarak », partant de la journée et des manifestations du 25 janvier, auxquelles ne participent pas de nombreux acteurs : les Frères musulmans, Mohamed al-Baradei, les Egyptiens les plus pauvres. Ceux qui participent au mouvement de la place Tahrir sont les membres de la classe moyenne, qui « tous expriment le même ras-le-bol devant un régime vieillissant, autoritaire et népotique ». La succession du président Moubarak par son fils Gamal, dont l’auteur dresse le portrait, est très mal perçue par les Egyptiens. Sur le plan social, « pour les jeunes, les perspectives sont sombres », en raison du chômage notamment. Quel est le bilan aujourd’hui ? L’armée a promis des élections pour les six mois à venir, mais « à part ces quelques engagements, l’avenir du pays reste bien incertain », et il reste beaucoup à faire, sur le plan politique, et sur le plan économique et social.

De même, Pauline Garaude, journaliste, s’intéresse aux événements en Egypte, mais par l’analyse de la situation dans les campagnes : « Si la place Tahrir a été l’épicentre de la ‘’révolution du Nil’’ (…), cette Révolution est populaire et la réalité du peuple égyptien est pour 70% celle des campagnes – agriculteurs ou ouvriers dont la mobilisation du 6 avril 2008 a été le fer de lance de cette révolte politique ». L’auteur relate dans son article son périple en Egypte, « pour prendre la mesure de cette révolte ». Elle rencontre notamment à Gize, le site des Pyramides, des Egyptiens dont les activités liées au tourisme se sont arrêtées, en raison de la révolution au Caire. Les témoignages d’Egyptiens se succèdent, au rythme du voyage de l’auteur, ayant tous le même thème : pouvoir nourrir leurs familles. Une étude est alors menée sur l’agriculture et sur la flambée des prix de ce secteur.

En marge de ce dossier sur le Maroc et sur l’Egypte, Colette Juillard Beaudan, docteur ès Lettres de City University of New York, dresse le portrait d’un marchand d’art à Tunis et s’entretient avec lui. Anaïs-Trissa Khatchadourian, doctorante, co-auteure avec Dominique Avon de Le Hezbollah, mène une « étude du discours des dirigeants de la République islamique », notamment de l’ayatollah Khomeiny et du Guide suprême Ali Khamenei.

Sommaire :
 Edito, par Antoine Sfeir.
 Biographie du roi du Maroc, par Bahija Oufkir
 La Moudawana : les dessous d’une réforme sans précédent, par Bérénice Murgue
 Une classe moyenne au Maroc ? par Florence Basty-Hamimi
 Le dossier du Sahara occidental, par Lucile Martin
 Ecrire le carcéral au Maroc, par Khalid Zekri
 Dix-huit jours pour faire tomber Moubarak…, par Christian Chesnot.
 Cette Egypte des campagnes, par Pauline Garaude
 Mohamed Krifa : un inconditionnel du beau, par Colette Juillard Beaudan
 Etude du discours des dirigeants de la République islamique, par Anaïs-Trissa Khatchadourian

Publié le 21/07/2011


Anne-Lucie Chaigne-Oudin est la fondatrice et la directrice de la revue en ligne Les clés du Moyen-Orient, mise en ligne en juin 2010.
Y collaborent des experts du Moyen-Orient, selon la ligne éditoriale du site : analyser les événements du Moyen-Orient en les replaçant dans leur contexte historique.
Anne-Lucie Chaigne-Oudin, Docteur en histoire de l’université Paris-IV Sorbonne, a soutenu sa thèse sous la direction du professeur Dominique Chevallier.
Elle a publié en 2006 "La France et les rivalités occidentales au Levant, Syrie Liban, 1918-1939" et en 2009 "La France dans les jeux d’influences en Syrie et au Liban, 1940-1946" aux éditions L’Harmattan. Elle est également l’auteur de nombreux articles d’histoire et d’actualité, publiés sur le Site.


 


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