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Hamit Bozarslan, docteur en histoire et en science politique, est directeur d’études à l’EHESS. Le but de son ouvrage est le suivant : « le lecteur lira les lignes qui suivent comme une tentative de synthèse de nos savoirs sur le ‘’Moyen-Orient politique’’ (et, partant, comme un hommage aux générations successives de chercheurs qui les ont forgés), mais aussi comme un livre ‘’à thèses’’ qui ne cesse de les interroger ».
Dans son premier chapitre, Hamit Bozarslan s’intéresse à « La formation du Moyen-Orient ». Il note en premier lieu comment la notion de Moyen-Orient s’est élargie ces derniers temps dans les écrits et les analyses des chercheurs, en raison notamment de l’interconnexion entre le Moyen-Orient et des Etats qui n’était pas considérés comme en faisant partie il y a encore quelques années : « Il y a encore quelques décennies peu de chercheurs auraient inclus l’Afghanistan ou l’Algérie dans une région appelée ‘’Moyen-Orient’’. Or, désormais, non seulement les histoires récentes de ces deux pays ne peuvent se lire l’une sans l’autre, mais elles sont aussi étroitement liées à celles d’autres pays comme l’Egypte ou la Jordanie ». Des « cycles historiques » ont été à l’origine de cette évolution. Il analyse ainsi ce concept en étudiant la période 1919-1979, partagée en deux cycles : le premier, avec la dissolution de l’Empire ottoman, la mise en place des mandats dans les provinces arabes de l’Empire ottoman, l’indépendance ; le second qui débute avec la création de l’Etat d’Israël et ses conséquences territoriales et politiques, notamment en Jordanie, en Egypte et en Irak. Il étudie ensuite la période 1979-2010, partagée en trois cycles : le premier, de 1979 à 1990, autour de l’Iran et de l’Afghanistan ; le second de 1989 à 2001, avec les conflits du Golfe et les guerres dites « périphériques » au Tadjikistan, en Tchétchénie, dans l’ex Yougoslavie ; le troisième débute avec les attentats du 11 septembre 2001, et se poursuit avec les guerres d’Afghanistan en 2001, du Golfe en 2003, du Liban en 2006, de Gaza en 2008-2009.
Chapitre II, l’auteur va « au-delà des ‘’paradigmes’’ courants », c’est-à-dire ceux qui ont marqué les analyses sur la région du Moyen-Orient « au point d’en hypothéquer potentiellement l’avenir ». Il s’agit du « ‘’Paradigme’’ de la modernité », de « L’islamité du Moyen-Orient », de « L’asabiyya et de la dawa, ou le modèle emic du pouvoir », de « La question du tribalisme ». Pour l’auteur, analysant ces différents paradigmes, « ce qui pose problème avec ces modèles n’est pas l’intérêt qu’ils portent à la modernité, à l’islamisme, à une doctrine propre du pouvoir ou encore au fait tribal, autant d’objets de recherche d’une indéniable légitimité scientifique, mais bien leur démarches causalistes ou pour le moins réductrices. Lever les hypothèques qu’ils font peser sur la recherche s’impose dès lors comme la condition sine qua non d’une sociologie politique du Moyen-Orient ».
Hamit Bozarslan analyse dans le chapitre III les « Etats et systèmes politiques ». A la suite d’une étude sur le concept de l’Etat, en particulier son « monopole de la capacité d’action », l’auteur réalise « la typologie des Etats et des systèmes politiques » au Moyen-Orient. Il en distingue cinq catégories.
– Les Etats où coexiste une « double instance de souveraineté » c’est-à-dire un Parlement et un exécutif, notamment en Turquie, au Pakistan et en Iran.
– Les Etats dans lesquels des « régimes de parti et chefs uniques » sont parvenus au pouvoir à la suite de guerres d’indépendance ou de coups d’Etat, en particulier en Turquie (1925-1945 avec Moustapha Kémal), en Egypte (1952-1977 avec Nasser), en Afghanistan (1979-1988), en Irak (1968-2003), en Syrie (en 1970 avec Hafez al-Assad et son fils Bachar).
– Les Etats soumis à la présidence mais dans lesquels le multipartisme existe et des élections se déroulent, en Tunisie, en Egypte et en Algérie.
– Les Etats monarchiques, au Maroc et en Jordanie.
– Les Etats dans lesquels les « sociétés sont fragmentées » et en guerre, notamment en Afghanistan, en Irak depuis 2003, au Yémen, au Liban.
Dans ces régimes cependant, l’autoritarisme demeure, pour trois raisons : « la souveraineté du peuple ne s’exerce pas pleinement » ; la dimension sécuritaire prépondérante dans ces Etats ; l’obéissance des populations au régime, qui est exigée par celui-ci. L’auteur souligne néanmoins que les Etats ressentent de la peur devant leurs populations vivant dans les villes, visible notamment au moment des fêtes et commémorations « qui deviennent une épreuve à travers laquelle la peur, dont la lâcheté du pouvoir, se révèle au grand jour ». Face à cette peur devant les villes, l’Etat s’allie à l’élite du pays et crée de nouveaux quartiers permettant de « contourner la ville ».
Le chapitre IV, « Mobilisations et imaginaires politiques, processus de radicalisation et contestation » s’intéresse à la contestation politique au Moyen-Orient, par un retour aux mouvements de contestation des XIXème et XXème siècles, qui se déroulent, en fonction des pays, en milieu urbain ; dans le cadre aussi bien urbain que rural : dans les tribus et les confréries ; dans le quartier en milieu urbain. L’auteur note cependant que les années 1980-2000 sont marquées par une « démobilisation », qui n’exclut cependant pas les moments ponctuels, mais forts, de mobilisation collective. Plusieurs exemples de dissidences politiques sont analysés, notamment le PKK en Turquie et les GIA (groupes islamiques armés) en Algérie.
Dans le chapitre V intitulé « Processus de communautarisation et de minorisation », Hamit Bozarslan analyse le fait communautaire et minoritaire par le prisme historique. Le statut des communautés non musulmanes de l’Empire ottoman est rappelé (statut de dhimmi, puis passage, à la suite des réformes dans l’Empire ottoman, au statut de minorité des communautés non musulmanes). Cette évolution et « cette classification autant confessionnelle que politique » a des conséquences dans les années qui suivent. L’auteur analyse plus précisément la situation du Liban : « La trajectoire libanaise illustre que la militarisation des dynamiques communautaires, traduite par la disparition de tout espace de mixité, peut constituer une autre conséquence extrême de la gestion de la population par la division confessionnelle ». Les faits marquants de l’histoire libanaise sont ainsi rappelés : événements de 1841 et de 1860 avec la mise en place d’un gouvernement local sur un partage interconfessionnelle du pouvoir, mandat français qui l’institutionnalise, Pacte national de 1943, guerre civile au cours de laquelle « on assiste à la militarisation de cet ordre communautaire avec l’émergence de microterritoires étanches, une violence extrême en milieu urbain, et enfin la séparation totale des communautés ».
Le chapitre VI évoque la problématique de « générations », qui « constitue l’une des entrées possibles pour comprendre les transformations politiques que connaissent les sociétés, mais aussi, dans certains cas, la pérennisation de certaines institutions, étatiques, donc officielles, ou dissidentes, comme les partis d’opposition radicaux ou clandestins ». L’auteur se penche ainsi sur les ruptures et les transmissions entre générations, en prenant notamment l’exemple de l’engagement dans la contestation politique. La question de « l’âgisme et du jeunisme » est également évoquée par l’analyse de plusieurs exemples historiques (dont celui de la révolution jeune-turque de 1908 et la volonté des jeunes turcs de « tuer le père défaillant et par conséquent traître, incapable d’accomplir son devoir de père consistant à protéger sa famille et son honneur pour en assurer la survie »).
Hamit Bozarslan, Sociologie politique du Moyen-Orient, La découverte, collection repères, Paris, février 2011, 125 pages.
Anne-Lucie Chaigne-Oudin
Anne-Lucie Chaigne-Oudin est la fondatrice et la directrice de la revue en ligne Les clés du Moyen-Orient, mise en ligne en juin 2010.
Y collaborent des experts du Moyen-Orient, selon la ligne éditoriale du site : analyser les événements du Moyen-Orient en les replaçant dans leur contexte historique.
Anne-Lucie Chaigne-Oudin, Docteur en histoire de l’université Paris-IV Sorbonne, a soutenu sa thèse sous la direction du professeur Dominique Chevallier.
Elle a publié en 2006 "La France et les rivalités occidentales au Levant, Syrie Liban, 1918-1939" et en 2009 "La France dans les jeux d’influences en Syrie et au Liban, 1940-1946" aux éditions L’Harmattan. Elle est également l’auteur de nombreux articles d’histoire et d’actualité, publiés sur le Site.
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